Eric Zemmour, le 6 novembre 2015 à Paris avant son procès pour incitation à la haine raciale.
A partir du livre Un quinquennat pour rien (Albin Michel), nous avons choisi d’examiner une année de chroniques, d’août 2015 à juillet 2016. Nous nous sommes limités à seize cas où il s’est arrangé avec les faits de manière flagrante.
Eric Zemmour n’est pas toujours dans l’erreur totale, même si cela lui arrive. Mais il donne souvent une lecture très partiale, voire erronée des événements et des références historiques.
15 OCT. 2015
#1 : Une intox sur François Hollande et les attentats
« Alors que Hollande, après les attentats de janvier, n'ose pas prononcer les mots “islamiste” ou “djihadiste” pour ne pas “stigmatiser la communauté musulmane”, le ministre de la défense lui explique que “nous sommes en guerre, puisqu'on a des soldats dehors et qu'on a des soldats dedans”. »
POURQUOI C'EST FAUX
Contrairement à ce qu'affirme Eric Zemmour, François Hollande a bien « osé » prononcer les mots en question, notamment dans un hommage aux trois policiers tués tués par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly :
« Lui (Ahmed Merabet) savait mieux que quiconque que l'islamisme radical n'a rien à voir avec l'islam et que le fanatisme tue les musulmans. C'est vrai en Afrique, c'est vrai en Irak, c'est vrai en Syrie, c'est vrai en France parce que le djihadisme, l'islamisme radical, frappent celles et ceux qui veulent être libres dans leur foi, dans leur croyance, dans leurs convictions. »
Le chef de l'Etat évoque aussi dans ce discours une bataille à la fois extérieure et « à l'intérieur » du pays.
Lire aussi : Le discours de François Hollande le 13 janvier 2015
29 OCT. 2015
#2 : Un mensonge sur les langues régionales et l'arabe
« Les langues régionales, c'est le catalan, le breton, ou encore l'occitan. Les langues minoritaires, c'est le chinois, le portugais, le kabyle ou encore l'arabe dialectal. Si cette charte avait été ratifiée, on aurait donc pu imaginer que les employés des postes ou des impôts soient contraints de répondre à des administrés en breton à Brest, en catalan à Perpignan, en mandarin dans le 13e arrondissement de Paris ou en arabe en Seine-Saint-Denis. »
POURQUOI C'EST FAUX
Eric Zemmour revient dans cette chronique sur le rejet du projet de loi sur les langues régionales par le Sénat. Une décision dont il se félicite, en tant qu'opposant à la mesure.
Mais qu'est-ce qu'une « langue régionale » ou « minoritaire » ? La charte européenne des langues régionales ou minoritaires donne une définition détaillée. Ce sont les langues « pratiquées traditionnellement » sur un territoire ou Etat par des ressortissants de cet Etat qui constituent un groupe « numériquement inférieur au reste de la population de l'Etat » et qui ne sont pas les langues officielles de cet Etat.
Et il est clairement précisé que cette définition « n'inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l'Etat ni les langues des migrants ». Il est donc grossièrement faux de faire passer l'arabe et le mandarin pour des « langues régionales ou minoritaires » concernées par la charte.
Par ailleurs, Eric Zemmour présente la charte comme contraignante, obligeant les agents de service public à les parler. Alors que l'article 10 invite plutôt à donner, « dans la mesure où cela est raisonnablement possible » et « selon la situation de chaque langue » dans les régions concernées, la possibilité d'ouvrir un dialogue dans la langue régionale entre le public et l'administration. Ce qui peut passer par plusieurs biais, oraux ou écrits.
28 JAN. 2016
#3 : Une intox sur Christiane Taubira et « La Marseillaise »
« Christiane Taubira n'a jamais gagné un arbitrage gouvernemental (…) [C'est une ministre] qui retourne la République et ses valeurs pour mieux défaire la France. Une ministre qui refuse de chanter « La Marseillaise ». »
POURQUOI C'EST FAUX
Eric Zemmour s'est livré à une féroce critique du bilan de Christiane Taubira, au lendemain de la démission de la ministre de la justice. Mais si certains de ses arguments sont parfaitement fondés, comme l'abandon de la réforme de la justice des mineurs qu'elle défendait, d'autres sont simplement outranciers.
Par exemple, il est faux d'affirmer que la ministre n'aurait « jamais gagné un arbitrage ». Prenons la réforme pénale, qui a fait l'objet d'un affrontement entre elle et Manuel Valls, à l'époque ministre de l'intérieur. Le texte a été en partie édulcoré à la demande de ce dernier, mais des mesures auxquelles il était hostile, comme la suppression des peines planchers, ont bien vu le jour sous l'impulsion de Christiane Taubira.
Quant au supposé refus de la ministre de chanter l'hymne national, Eric Zemmour semble là aussi avoir la mémoire sélective. Christiane Taubira a bel et bien été critiquée par une partie de la droite en mai 2014, lors de la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Mais on a également pu voir l'ex-ministre la chanter dans d'autres circonstances, comme au Congrès après les attentats de novembre 2015.
2 FEV. 2016
#4 : Une fausse affirmation sur les féministes et Cologne
« Les lobbys féministes font oublier les agressions de Cologne, où ces dames se sont révélées plus soucieuses de protéger l'image de l'islam que l'intégrité des femmes. »
POURQUOI C'EST FAUX
Eric Zemmour accuse les « lobbys féministes » de ne pas avoir condamné les nombreux viols et agressions de Cologne de la Saint-Sylvestre. Ce qui est pourtant complètement faux. Il suffit par exemple de lire le communiqué envoyé le 11 janvier 2016 par Osez le féminisme :
« Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, des centaines de femmes ont été victimes d'agressions sexuelles et de harcèlement de rue à Cologne. 200 d'entre elles ont déposé plainte pour ces faits dont 2 pour viol. Nous leur apportons notre indéfectible soutien et condamnons ces agressions, d'une ampleur inconnue jusqu'alors. Leurs témoignages sont édifiants, et l'indignation massive. »
Même son de cloche chez l'Alliance des femmes pour la démocratie européenne ou le Collectif national pour les droits des femmes. Par ailleurs, plusieurs mouvements féministes ont mis en garde contre « toute forme de récupération raciste » de ces agressions.
Ce qui est vrai, en revanche, c'est que la plupart de ces condamnations ne sont pas venues dans les premiers jours qui ont suivi les événements. Il faut tout de même rappeler qu'elles ne sont pas les seules : médias et responsables politiques ont eux aussi, en grande majorité, réagi plusieurs jours après les faits. La police locale elle-même, dépassée, a mis du temps à mesurer la gravité de la situation.
31 MAI 2016
#5 : Une fausse histoire du choix des prénoms en France
« Depuis que la République existe, elle a imposé des prénoms tirés du calendrier des saints. Les révolutionnaires votèrent la première loi dans ce sens en l'an XI. Elle fut confirmée par une loi de 1965, sous le général De Gaulle, et, en 1972, sous Georges Pompidou. Comme chacun sait, deux tyrans xénophobes. Jamais ils n'auraient toléré qu'une ministre appelle sa fille Zohra ou qu'un président de la République appelle sa fille d'un prénom italien. »
POURQUOI C'EST FAUX
Dans cette chronique, Eric Zemmour soutient une proposition défendue par le maire de Béziers, Robert Ménard, qui veut réformer l'état civil pour « obliger à la francisation des prénoms ». Le chroniqueur de RTL y voit une évidence qui s'inscrit dans une logique historique. En déformant les lois auxquelles il fait référence.
D'abord, les lois de 1965 et 1972 auxquelles l'essayiste fait référence ne portent pas sur les prénoms de naissance, mais donnent la possibilité, dans différents cas, à des personnes qui acquièrent la nationalité française de faire « franciser leur prénom » si elles le souhaitent.
Vient ensuite la question des prénoms attribués à la naissance. L'article 1er de la loi du 11 germinal de l'an XI (1er avril 1803) relative aux prénoms et changements de noms ne parle pas du « calendrier des saints », mais dit que les prénoms acceptés à l'état civil seront « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l'histoire ancienne (...) il est interdit aux officiels publics d'en admettre aucun autre dans leurs actes. » Cette règle vise en fait les nouveaux prénoms, comme Marat, Lepelletier ou Brutus, apparus dans la foulée de la Révolution, explique le spécialiste Baptiste Coulmont dans son livre Sociologie des prénoms.
Ce cadre a largement évolué depuis. En 1966 (sous Charles De Gaulle, donc), une circulaire du ministère de la justice donne un cadre d'« application pratique » au choix des prénoms. On y lit, certes, que « les enfants français doivent, normalement, recevoir des prénoms français », mais les prénoms étrangers, tels que « Ivan, Nadine, Manfred, James, etc. » y sont mentionnés comme largement tolérés.
La circulaire de 1966 préconise « l'admission des prénoms coraniques pour les enfants de Français musulmans » . Tout en conseillant d'adjoindre un prénom français pour « permettre ultérieurement une meilleure assimilation. »
En revanche, elle demande à rejeter systématiquement « les prénoms de pure fantaisie ». Une évolution qui s'est poursuivie jusqu'à une modification du code civil en 1993 qui donne une liberté de prénom presque totale, fixant simplement « l'intérêt de l'enfant » comme limite.
31 MARS 2016
#6 : Un gros raccourci sur le salafisme et le djihadisme
« C'est le contraire de ce que nous racontent d'innombrables sociologues et autres idiots utiles de l'islamisme qui s'échinent à distinguer entre un salafisme piétiste, quiétiste, qui ne s'occuperait que des mœurs sans faire de politique, et des djihadistes qui seraient les seuls combattants. Comme si les mœurs d'une population ne relevaient pas de la politique. »
POURQUOI C'EST CARICATURAL
C'est une pratique récurrente dans la rhétorique d'Eric Zemmour : mélanger les constats, les analyses et les conclusions des points de vue avec lesquels il est en désaccord. Ici, il existe pourtant bien une nuance de taille entre deux idéologies religieuses différentes.
La plupart des musulmans salafistes (eux-mêmes minoritaires chez les musulmans français) appartiennent à ce que l'on appelle la « branche quiétiste ». Cette dernière est pacifique et ne cherche pas à changer la loi, mais obéit à la loi islamique (charia) et refuse la mixité homme-femme. En clair, c'est un islam rigoriste, mais pas guerrier. Le takfirisme, qui est une sous-branche du salafisme, souhaite au contraire l'émergence d'un nouveau califat. Il appelle pour cela à la hijra (l'émigration islamique) et au djihad.
Pour simplifier, les musulmans salafistes ont plutôt un Etat comme l'Arabie saoudite comme modèle, alors que les takfiristes idolâtrent les terroristes du groupe Etat islamique, comme l'explique Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes.
Qu'on considère cette différence idéologique comme fondamentale ou bien secondaire, comme Eric Zemmour, le fait est qu'elle existe.
Lire aussi : Pourquoi il ne faut pas confondre le salafisme et le takfirisme
10 DEC. 2015
#7 : Une exagération sur le coût de la COP21
« La France a fait du Bourget, pour le temps de la conférence [la COP21], une zone extraterritoriale. Le Bourget n'est plus en France. François Hollande ne préside rien du tout. Il invite tous les chefs d'Etat de la planète pour une belle photo. Et règle la facture. “C'est pas cher, c'est l'Etat qui paie.” »
POURQUOI C'EST TRÈS EXAGÉRÉ
A en croire Eric Zemmour, l'organisation de la COP21 s'apparente à une gabegie financière pour l'Etat. Sur le papier, le coût estimé est important : 180 millions d'euros environ sur deux semaines, estimait un article de LCI à l'époque. Pour faire baisser cette facture, le gouvernement a fait appel à des financements privés (estimés entre 10 et 20 % du total).
Il faut également rappeler que la COP21 et ses 40 000 participants ont par ailleurs contribué à l'économie française pendant leur séjour – une retombée économique estimée à plus de 100 millions d'euros par le ministère des affaires étrangères, le député socialiste Pascal Terrasse la chiffrant même, au total, à 314 millions d'euros.
Dernier point : le chroniqueur cite une prétendue phrase de François Hollande – « C'est pas cher, c'est l'Etat qui paie. » Sauf qu'il s'agit de propos tronqués et sortis de leur contexte. En réalité, le chef de 'Etat a dit « non, c'est l'Etat qui paie » au sujet d'une dépense présentée comme supportée par les collectivités (voir le vrai extrait de l'intervention ici).
21 AVRIL 2016
#8 : Une charge disproportionnée contre la CGT
« La CGT n'est plus rien, ne représente plus rien. Demain, elle sera supplantée par la CFDT qui déjà monopolise les attentions du gouvernement socialiste. Au moins, avec Sarkozy, la droite faisait semblant de lui accorder de l'importance ; faisait semblant d'en avoir peur. Avant, on avait peur de la CGT ; désormais, on a peur pour elle. »
POURQUOI C'EST TRÈS EXAGÉRÉ
En 2013, la CGT était arrivée en tête de la première mesure de représentativité nationale, avec 30,63 % de « poids relatif » par rapport à l'ensemble des syndicats représentatifs, juste devant la CFDT (29,71 %). La CGT a depuis enregistré des revers à La Poste, chez EDF ou encore à la RATP et a également reculé dans la fonction publique (23,1 % en 2014 contre 25,4 % en 2011) ou à la SNCF (où elle reste tout de même majoritaire avec Sud-Rail).
La CGT pourrait donc perdre sa première place syndicale en 2017. Il est néanmoins caricatural de dire que le syndicat, qui comptait environ 686 000 adhérents en 2014, « ne représente plus rien ».
Lire aussi : Dans le paysage syndical, la première place de la CGT est menacée
9 FEV. 2016
#9 : Un parallèle douteux entre la guerre d'Espagne et la Syrie
« La guerre de Syrie est bel et bien notre guerre d'Espagne. La gauche pacifiste, déjà aveuglée par ses chimères, défendait les républicains espagnols sans voir que les communistes massacraient tous ceux qui s'opposaient à eux. De jeunes ouvriers français s'engageaient par idéal dans les Brigades internationales comme de jeunes musulmans français rejoignent aujourd'hui les armées de l'Etat islamique. Les uns étaient des lecteurs fervents de L'Huma ; les autres sont des citoyens fanatiques de l'oumma. Hier la patrie des prolétaires, aujourd'hui la patrie des musulmans. »
POURQUOI C'EST DOUTEUX
Porté par son élan, Eric Zemmour met sur le même plan l'engagement de combattants étrangers en soutien d'un gouvernement démocratiquement élu et l'engagement des combattants islamistes dans un mouvement terroriste. On peut certes noter un point commun entre les situations (des combattants venus de l'étranger pour un objectif « transnational »). Mais comme le notait Le Monde diplomatique dans un article d'août 2015, « sur le plan des objectifs », il n'y a « aucun » point commun entre djihadistes des années 2010 et communistes des années 1930. Sauf à livrer une analyse révisionniste de la guerre d'Espagne ou à vouloir légitimer les terroristes de l'organisation Etat islamique.
Comme le dit par ailleurs Eric Zemmour dans sa chronique, les guerres s'accompagnent souvent de victimes civiles. En Espagne, on parle de « terreur rouge » pour qualifier les exactions et les exécutions perpétrées par les républicains. Ce que le chroniqueur ne dit pas, en revanche, c'est que la « terreur blanche » franquiste a beaucoup plus tué que le camp adverse.
31 MARS 2016
#10 : Une grosse confusion sur les vêtements islamiques
« Alors que vont faire nos ministres ? (...) Interdire les tenues salafistes dans la rue, les hijabs pour les femmes, mais aussi les djellabas blanches pour les hommes, qui sont eux aussi des militants de l'islam politique ? Rien de tout cela n'aura lieu bien sûr. »
POURQUOI C'EST ABSURDE
Ici, Eric Zemmour présente la djellaba comme une tenue religieuse, alors qu'elle n'en est pas une. Il existe bien une tunique à connotation religieuse, c'est le qamis, vêtement venu d'Arabie saoudite, porté par les adeptes du salafisme. La djellaba, venue du Maghreb, est un vêtement séculier, qu'on porte au quotidien, et qui n'a pas plus de signification religieuse qu'un boubou africain.
20 OCT. 2015
#11 : Des approximations sur les slogans de campagne
« [François Hollande] a dit qu'on surmontait les conflits par de l'apaisement. La France apaisée ; c'était déjà le slogan de Mitterrand en 1988, de Giscard en 1974 et même de Hollande en 2012 ! »
POURQUOI C'EST PLUTÔT FAUX
Dans aucun des trois cas cités par Eric Zemmour nous n'avons retrouvé de trace de la « France apaisée » comme slogan de campagne.
En 2012, François Hollande a scandé « le changement, c'est maintenant », évoquant tout de même ponctuellement sa volonté « d'apaiser » le pays.
En 1988, François Mitterrand avait pour slogan « La France unie », après avoir misé sur la « force tranquille » en 1981.
En 1974, Valéry Giscard d'Estaing a notamment utilisé les slogans « un vrai président », « le président de tous les Français » ou encore « Giscard à la barre » et « la paix et la sécurité ».
Certes, comme le raille Eric Zemmour, la « France apaisée » n'est pas une idée des plus originales dans le discours politique. Mais nous n'avons pas retrouvé trace de ce slogan précis dans une campagne présidentielle. Marine Le Pen, en revanche, l'a utilisé sur des affiches en 2016.
29 SEP. 2015
#12 : Une analyse orientée des grandes avancées sociales
« Les lois sociales les plus importantes furent établies par des conservateurs, comme Bismarck, Napoléon III, De Gaulle. Une historienne a récemment rappelé dans un livre iconoclaste nombre de lois sociales qu'on devait au régime de Vichy. »
POURQUOI C'EST DISCUTABLE
Eric Zemmour a raison sur un point : les gouvernements de gauche n'ont pas, dans l'Histoire, le monopole des lois sociales. Mais il passe un peu vite sur celles qui seraient « les plus importantes ».
Le livre « iconoclaste » auquel il fait référence est L'Héritage de Vichy (Armand Colin) un ouvrage dans lequel la germaniste Cécile Desprairies liste 100 mesures prises sous Pétain et qui n'ont pas été abolies à la Libération. Parmi elles, on trouve les comités d'entreprise (CE) ou encore les tickets repas. Pas toujours des mesurettes, mais pas forcément les plus grandes révolutions du droit social français.
Déterminer les « lois sociales les plus importantes » est forcément subjectif, mais on peut tout de même en citer quelques exemples, qui montrent qu'elles ne sont pas l'apanage d'une tendance politique : la création des prud'hommes (sous Napoléon Bonaparte en 1806), la loi des huit heures de travail par jour (sous Georges Clemenceau en 1919), la semaine de quarante heures et les congés payés (sous le Front populaire en 1936), la reconnaissance du droit de grève dans la Constitution (sous le gouvernement provisoire en 1946) ou encore la cinquième semaine de congés payés (sous François Mitterrand en 1981).
16 JUIN 2016
#13 : Un bilan sélectif de l'état d'urgence
« L'état d'urgence avec Hollande, c'est comme s'il n'y avait pas d'état d'urgence. Les manifestations, les grèves, les violences, les attentats : tout est comme avant l‘état d‘urgence. C'est le mot qui change. Ou plutôt ne change rien (...) On peut immobiliser des trains, des métros, des avions. On peut accumuler des poubelles dans les rues sans les ramasser. On peut attaquer l'hôpital Necker comme une diligence dans un western. On peut se battre à coups de chaise dans les rues de Marseille. On peut transformer Paris en pétaudière. On ne risque rien, ni l'interdiction ni la réquisition. Et on ne parle même pas d'arrestation. »
POURQUOI C'EST DISCUTABLE
Eric Zemmour s'indigne du fait que les manifestations contre la loi travail aient pu avoir lieu, occasionnant des heurts et du vandalisme, en plein état d'urgence. Il applique le même raisonnement aux hooligans et à leurs bagarres en marge de la coupe d'Europe ; et ajoute pour faire bonne mesure les grèves d'éboueurs qui ont marqué également la protestation contre la loi travail.
Mais il oublie sciemment de nuancer son propos : « Près d'un millier de personnes ont été arrêtées en marge des manifestations contre la loi travail », titrait Le Figaro, à la fin du mois d'avril. Des manifestations ont été interdites, notamment à Rennes le 14 mai contre les violences policières. La manifestation du 23 juin à Paris, au lendemain de sa chronique, après avoir été interdite, s'est finalement tenue dans un périmètre très restreint.
Quant aux dégradations à l'hôpital Necker en juin 2016, il faut rappeler qu'elles se résumaient à des vitres cassées par quelques casseurs.
Lire aussi : Loi travail : près de 1000 personnes ont été arrêtées depuis deux mois
27 OCT. 2015
#14 : Un chiffre choc sur les banlieues livré sans source, ni contexte
Selon Eric Zemmour, la politique de la ville, c'est « 90 milliards dépensés en quarante ans, plus de quarante milliards rien que pour le plan Borloo mais ces chiffres énormes sont trois fois rien pour 10 % de la population du pays. »
POURQUOI C'EST PLUS COMPLIQUÉ
Dans cette chronique, Eric Zemmour s'élève contre l'idée selon laquelle rien n'aurait été fait depuis des dizaines d'années pour les banlieues françaises, ironisant sur le chiffre des dépenses engagées à l'appui, qu'il juge élevé. Mais, comme souvent, le chroniqueur ne donne pas la source du montant qu'il cite. Ces 90 milliards sur quarante ans sont-ils vraiment « énormes » ? Que représentent-ils ? Sans source ni contexte, ces chiffres impressionnants font effet d'arguments d'autorité. Mais la réalité est souvent plus complexe, comme le montre cet exemple.
Les 90 milliards en question sont cités par le criminologue Xavier Raufeur dans une chronique du Nouvel Economiste en 2010. On y lit que la politique de la ville aurait coûté « selon les chiffres, tous officiels », « quelque 50 milliards d'euros de 1989 à 2002 - et de 2003 à 2012, le plan Borloo lui consacrera encore quelque 40 milliards supplémentaires. » Contacté, Xavier Raufeur précise que ces chiffres sont une estimation personnelle.
En réalité, la politique de la ville a un coût difficile à évaluer, comme l'explique la Cour des comptes dans un rapport publié en 2012, puisque seule une partie des dépenses est identifiée dans une enveloppe budgétaire à part dans le budget de l'Etat. Nous n'avons pas retrouvé de chiffres officiels globaux à ce sujet. A titre indicatif, environ 409 millions d'euros ont été dépensés par l'Etat pour la « politique de la ville » en 2015, selon le rapport d'activité budgétaire, sur un budget total d'environ 373 milliards d'euros (soit environ 0,1 % du budget de l'Etat).
Par ailleurs, les 40 milliards d'euros du « plan Borloo » ne sont pas entièrement déboursés par l'Etat. Environ 12 milliards viennent de subventions publiques, le reste provenant de collectivités locales, bailleurs privés ou bailleurs sociaux (HLM).
12 JAN. 2016
#15 : Une solution trop simpliste au débat sur la déchéance de nationalité
« On oublie que la déchéance de nationalité est déjà prévue par la loi ; que la République ne tremblait pas pour viser les esclavagistes, après l'abolition de l'esclavage en 1848, ou pour sanctionner Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste, qui refusa de servir dans l'armée française après le pacte germano-soviétique. On ne veut pas voir que la révision constitutionnelle menace seulement ceux qui seraient condamnés pour terrorisme, tandis que la loi visait tout “Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger”. La révision constitutionnelle ne permettra de toucher que quelques individus, tandis que la loi permettrait de déchoir les milliers de Français ayant rallié l'Etat islamique. »
POURQUOI C'EST PLUS COMPLIQUÉ
Eric Zemmour fait allusion à l'article 23-7 du code civil, qui dit que « Le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'Etat, avoir perdu la qualité de Français », sans poser la condition de la double nationalité. A ne pas confondre avec l'article 25, qui prévoit la déchéance de nationalité pour les binationaux qui ne sont pas nés français dans certains cas.
L'article 23-7 est une disposition qui reste présente dans notre droit, mais n'a plus été utilisée depuis 1967. Elle a en fait été utilisée à 523 reprises entre 1949 et 1967, principalement pour des collaborateurs franco-allemands ou franco-italiens, mais aussi des « insoumis » condamnés par la justice militaire ou des communistes, pour certains partis à l'Est.
Appliquer cette notion aux terroristes de l'organisation Etat islamique reviendrait à reconnaître au groupe la qualité d'Etat, de manière implicite. Patrick Weil, historien spécialiste de la nationalité et Jules Lepoutre, doctorant en droit public, estiment donc dans une tribune publiée par Le Monde en décembre 2015 qu'appliquer cet article aux Français qui combattent pour l'organisation Etat islamique supposerait d'amender l'article du code civil en question.
Par ailleurs, l'application d'un tel dispositif à l'encontre de centaines de Français djihadistes ne serait pas aussi automatique qu'Eric Zemmour semble le croire. Plusieurs décisions basées sur l'article 23-7 du code civil ont fait l'objet d'annulations par le Conseil d'Etat.
14 JUIN 2016
#16 : Une histoire du football largement revisitée