Seleucide a écrit :
Parce qu'il est naïf, libertaire, utopiste, permissif et décadent que de moralement condamner les massacres, assassinats, guerres et autre exactions, qu'elles soient accomplies par le prophète ou par certains acteurs de la Bible ?
Au passage : nous n'avons pas attendu la venue du Christ pour savoir que le meurtre, les conquêtes et les massacres qui en sont corollaires sont intrinsèquement des actes mauvais. Si ces actes sont intrinsèquement mauvais, ils le sont aussi bien pour le prophète que pour Moïse. Il n'y a pas de relativisme moral temporel qui vaille dans la mesure où la loi naturelle, donnée fondamentale de théologie morale chrétienne, est inhérente à la nature humaine. Contrairement à toi, je n'ai aucun problème à blâmer les actes de l'un comme de l'autre. Ils sont mauvais dans tous les cas.
Blâmer Moïse, c'est remettre en cause sa prophétie, douloureux cas de conscience, en sachant que personne n'a ici contester les douleurs de la guerre, mais c'est aussi valable pour les guerres humaniste post-Révolution et anti-cléricales :
L’approche philosophique du djihad, selon ibn Taïmiya
L’être humain décèle en lui trois forces nécessaires à sa survie : la raison, la colère, et les passions. La première, qui le distingue des autres espèces et qu’il partage avec les anges, est la plus noble. L’homme est pourvu de la raison et des envies, tandis que l’animal jouit des envies sans la raison, et l’ange détient une raison, mais sans envie. Quand la raison domine, on a plus de mérite que les gardiens du ciel et quand on succombe à ses désirs, on tend vers la nature animale. La colère grâce à laquelle on pare les dangers, prend la seconde place d’importance, devant les désirs qui servent à accaparer les choses utiles.
Il existe donc deux types d’instinct qui vont moduler le comportement et qui sont antagonistes : l’instinct d’attirance qui va engendrer l’amour, la volonté, etc. et l’instinct de rejet, d’éloignement qui provoque la haine, l’aversion, la répugnance, etc.
L’attirance et la répulsion sont communes à l’animal et à l’homme, mais seul ce dernier est doté de la raison, de la foi, de la spiritualité et du libre-arbitre. La mécréance entre dans cet ensemble et est donc spécifique à l’être doué de la parole. On ne parle pas de mécréance pour les créatures non douées de raison ni des pulsions.
La mécréance est une corruption de la raison, de la même façon que le meurtre est une corruption de la colère, et que l’adultère est une corruption de l’amour et des plaisirs. Nous avons affaire ici aux trois principaux péchés capitaux, si l’on sait que la mécréance remet en cause la raison qui explique la présence de l’homme sur terre, et qui n’est autre que l’adoration du Dieu unique ; le meurtre détériore le maintien du corps et de l’individu présent, et l’adultère perturbe le maintien de l’espèce et de l’individu futur, d’où l’ordre décroissant de gravité : la mécréance, le meurtre, et l’adultère.
Pour expliquer cet ordre sous un autre angle, nous pouvons dire que la mécréance corrompt l’âme et le cœur ; le meurtre corrompt son enveloppe, le corps, et l’adultère s’attaque à ce qui maintient son existence et sa pérennité ; il est donc plus grave de s’attaquer à l’existence effective qu’à l’existence potentielle. Au demeurant, l’homosexualité est pire que l’adultère.
Ibn Taïmiya considère que les Arabes, les Romains, et les Perses sont les nations qui incarnent le mieux les valeurs humaines, en regard des trois forces que nous venons de citer. Les autres ethnies (les Turcs, les peuples du Soudan, etc.) s’inscrivent au second plan. Ces trois nations méritaient donc de s’accaparer le Croissant fertile, la « terre du milieu » dans toute sa largeur et sa longueur. Si les Arabes ont un ascendant pour la raison, l’éloquence, et la parole, les Romains penchent plus vers les plaisirs notamment du ventre et de la chaire, tandis que la colère, le pouvoir, un fort « patriotisme » ou la défense des siens sont les valeurs qui prévalent chez les Perses.
Ces ascendants, qui touchent indistinctement les gens des villes et des campagnes, permettent de classer ces trois nations entre elles : d’abord, les Arabes, puis les Perses (la colère étant plus précieuse que l’amour) qui viennent devant les Romains.
Le savoir, la foi, et l’intelligence représentent la raison à son paroxysme, tandis que le courage incarne la colère dans toute sa plénitude ; la sagesse, qui a pour alter égo la générosité est le degré le plus élevé du courage ; et la chasteté reflète le summum de l’amour et des désirs.
Un homme modéré associe à la fois la générosité et la chasteté, le courage et la sagesse. La générosité est synonyme de douceur, de tendresse, tandis que le courage relève de la dureté et de la rudesse. La victoire est le fruit de la colère, et l’amour récolte la richesse ; la victoire et la richesse, ces deux piliers de la civilisation, sont souvent juxtaposés dans les textes scripturaires et dans la Littérature d’origine diverse.
Pour parachever ce tableau d’ensemble, il manque un élément et non des moindres : la justice qui vient harmoniser, ajuster les trois vertus pratiques : la générosité, le courage, et la chasteté. Celle-ci, la justice, joue le rôle de modérateur afin d’éviter les excès en tout genre.
Les trois forces inhérentes servent également de marqueur qui trace les frontières entre les adeptes des trois grandes religions : les musulmans, les juifs, et les chrétiens.
Les premiers se caractérisent par la raison, le savoir et la modération ; la Parole d’Allah a généré la lumière de la connaissance à la nation du milieu.
Les juifs sont peu portés vers les plaisirs ; cette particularité s’est manifestée dans la Loi qui interdit certains aliments et vêtements, et qui enjoint à la dureté et à la force. L’Ancien Testament met plus souvent l’accent sur leur cœur dur que sur les péchés de la chaire et du ventre. À l’inverse, le Nouveau Testament bannit la vendetta aux chrétiens peu enclins à la colère, mais qui ont un goût prononcé pour les jouissances éphémères. Cela explique l’abrogation de certains éléments interdits ; et leur attrait pour les mets et les loisirs de toute sorte fait cruellement défaut aux hébreux. Les adeptes de Jésus sont beaucoup plus sensibles et magnanimes que les fils d’Israël ; la pitié et la tendresse inondent leur cœur perméable aux péchés charnels (dans le sens épicurien du terme). Ils sont beaucoup plus réceptifs aux commandements bibliques qui vantent les vertus de la victoire que celles de la richesse.
Dans les rangs musulmans, nombre de soufis et de légistes ont des affinités avec les mœurs chrétiennes (‘isâwiya) qui ne sont pas toujours frappées du sceau de la légitimité. Coureurs de jupons invétérés, pédophiles en puissance, ils se laissent emportés par les chants liturgiques. Or, les légistes sont plus animés par l’ascendant juif (mûsawiya) qui fait d’eux de redoutables et opiniâtres polémistes. La piété étant loin d’être leur qualité première, ils se laissent dominer par l’orgueil qui transforme leurs joutes verbales en de véritables dialogues de sourd.
L’amour est la principale force d’attraction, et la haine est la source de la force de répulsion (la colère et la haine vont de paire). L’amour et la haine sont donc à l’origine de tous les sentiments. Le don provient de l’amour qui est mu par un élan de générosité, la protection et la défense des personnes et des biens émanent de la colère. Celle-ci est probablement une forme particulière de haine qui se traduit sous la forme de l’agressivité déclenchée par l’envie d’assouvir un sentiment de vengeance, de soulagement. Cette colère particulière s’oppose, aux yeux de certains théologiens du kalâm, à la répulsion, mais en règle générale, la colère répulsive est le contraire de la force d’attraction qui enclenche l’amour.
C’est grâce à la force d’attraction que le fidèle se soumet à ses obligations religieuses, et c’est la force de répulsion qui l’éloigne des interdits. L’amour pousse à répandre le bien et à l’encourager, et la haine incite à prohiber le mal et à mettre en garde contre ses méfaits. L’instinct de colère a un effet dissuasif et assure la justice et la sécurité au sein des sociétés, notamment au niveau des trésors publics et des tribunaux. L’excellence et la charité sont le fruit de l’instinct d’attraction.
Repousser le mal procure une sensation de bien-être que chérit la nature humaine et que corrobore la religion. La crainte d’Allah, par exemple, tient une grande place dans les textes qui promettent à ses tenants la meilleure récompense ici-bas et dans l’au-delà. Et, par nature, les hommes, particulièrement ceux qui détiennent les richesses, encensent ceux parmi eux qui les sauvent d’un danger ou d’un ennemi, en sachant que la réciproque est moins vraie. La richesse ne peut, en tout état de cause, s’épanouir sans la force, qui, elle, jouit d’une plus grande autonomie. Ce constat reste, malgré tout, aléatoire, et il serait plus juste de dire que si la richesse est plus aimée, la force est plus respectée.
Ainsi, repousser le mal procure un bien-être grâce à la colère, qui, comme nous l’avons vu, est prépondérante à l’amour. Les patrimoines culturels prisent avec entrain leurs glorieux héros et louent avec emphase leurs fastes, eux qui bravent les dangers, et qui cristallisent la haine de l’ennemi, à la grande admiration du peuple. Les nantis, moins exposés au péril, jouissent d’une moins grande popularité.
Or, cette thèse ne résiste pas à la critique, car, la force d’attraction est sollicitée pour obtenir les choses convoitées, et leur privation crée une frustration. Par ailleurs, il n’est pas évident que la répulsion soit plus forte, étant donné qu’en principe, l’attraction s’inscrit en amont ; c’est quand on aspire à des bienfaits qu’on cherche à repousser leurs méfaits. De ce point de vue, la répulsion, qui n’est qu’une réaction à une situation, se met au service de l’attraction qui est une fin en soi.
La répulsion n’a donc pas toujours lieu d’être, contrairement à l’amour, le moteur de l’existence et des aspirations. La haine n’est que l’instrument à même de mettre le sentiment positif dans les meilleures conditions. D’où le hadîth : « Lorsqu’Allah fit la création, Il écrivit dans un livre qui se trouve auprès de Lui au-dessus du Trône : « Ma Miséricorde devance Ma Colère. » »[1] Le mal n’est pas imputé aux Noms et Attributs du Tout-Puissant, mais uniquement à Ses actions.
Par ailleurs, la piété est précieuse dans le sens où elle s’érige comme un rempart devant toutes les incursions qui mettent à mal la nature saine de l’homme dont l’instinct le dirige vers le Seigneur des cieux et de la terre, sans dépenser le moindre effort. C’est pourquoi, la mission des prophètes ne s’encombraient pas d’expliquer à leurs peuples que Dieu existe, puisque tout le monde le sait, mais l’accent était mis sur l’obligation de Lui vouer le culte exclusif qu’Il ne partage avec aucune créature. Le monothéisme met à contribution les deux forces innées : l’amour de l’unicité et la haine de l’association. Cette dualité qui est en parfaite adéquation avec la nature humaine matérialise l’essence de la religion.
Les sociétés s’organisent autour d’une politique qui réprime l’injustice (ex. : l’usure) et qui prônent les échanges productifs et la solidarité citoyenne (ex. : l’aumône légale).
Deux catégories d’individus se sont égarées à l’égard de l’amour qui est à l’origine de tout acte religieux. D’un côté, nous avons les mûsawites (les théologiens du kalam et les légistes) qui, pour des raisons scolastiques, renient l’Attribut de l’Amour imputé au Très-Haut, et qui, fort de leurs élucubrations intellectuelles, négligent les actes : faites ce que je vous dis, et non pas ce que je fais !
En parallèle, pointent les îsâwites (les soufis et les ascètes) qui partagent leur amour entre la divinité absolue et de vulgaires créatures (le culte des saints) ; leur amour est aussi parasité par des pulsions perverses (les chants liturgiques, les femmes, les imberbes, etc.). D’autre part, ils arborent de l’aversion envers le sentiment légitime de haine en Dieu, et affiche un laxisme outrancier qu’ils traduisent par un manque d’entrain flagrant à répandre la morale.
Les mûsawites et les îsâwites sont les deux faces d’une même pièce avec d’un côté les égarés qui privilégie l’amour à la haine ; ceux-ci sont mus par une bonne volonté et un sentiment positif débordant qu’ils ne savent pas maitriser en raison de leur manque de culture prophétique. Ils sombrent donc dans l’excès par la fenêtre de l’amour en s’imprégnant du paganisme, et d’ascétisme hérétique (les plus extrémistes se retirent de la société pour s’enfermer dans une vie monacale). Ils vacillent entre l’amour légitime et l’amour hérétique. Ils aiment à la fois le vrai et le faux. Les seconds, qui sacrifient l’amour au profit de la haine, sont frappés par la colère divine. Imprégné de l’héritage prophétique, ils ne mettent pas leur érudition au service du culte, et n’éprouvent aucun élan pour la dévotion. Ils n’aiment ni le vrai ni le faux.
Les uns ont le mérite d’aimer et de reconnaitre la vérité, et les autres de détester et de contester le faux !
Entre les deux, la voie du milieu…[2]
Rapporté par el Bukhârî (n° 3194), et Muslim (n° 2571).
Majmû’ el fatâwâ (15/428-441).