Parmi les nombreux problèmes que posent les systèmes de traduction automatique, la prise en charge des noms propres peut interpeller. Le cas du nom par excellence est encore plus singulier, car, pour des raisons illégitimes, il dépasse les cadres linguistiques ordinaires.
Prenez la traduction de la phrase suivante :
May Jehovah bless you de l’
anglais vers le
français. Google Translate retourne la proposition suivante :
Que l’Eternel te bénisse. Le nom divin
Jehovah est remplacé par un vocable bien connu des Français, l’Eternel – sans accent bizarrement.
Mais la forme l’Eternel pose des problèmes car :
- – ce n’est pas, à la base, un nom propre, mais un adjectif destiné à servir de substitut euphémistique,
– et c’est une forme élaborée sur la base d’une exégèse d’Exode 3.14 – le fameux אהיה אשר אהיה – qui est discutable.
Discutable car le verset n’évoque pas l’existence
infinie ou
éternelle. En effet, אהיה signifie
Je serai. Il peut aussi s’entendre au présent,
Je suis, mais cela ne colle pas au contexte : en effet, Dieu déclare qu’il sera
avec Moïse dans toutes les étapes de la sortie d’Egypte (Ex. 3.12, אהיה עמך).
Et surtout discutable parce qu’
on ne traduit pas les noms propres !
Prenez le nom
Didier. Il vient, dit-on, du latin
desiderium, qui signifie
désir. Aurait-on idée de le traduire en anglais par
Desire ? Sans doute pas. Pour le nom divin, il en va de même : on pense qu’Exode 3.14 fournit un indice sur la signification étymologique du tétragramme, et on tente de s’en servir pour traduire le nom divin. Mais
1) il n’est pas certain qu’Exode fournisse l’étymologie du Nom (je reviendrai sur ce point à l’occasion ; il se peut qu’il y ait là un
déni de réponse au profit d’une cause plus imminente ; voire même, un jeu de mots), et
2) les noms propres ne se traduisent pas, ils se
transcrivent.
Certes les conventions de transcriptions varient d’un pays à l’autre, puisque les exigences linguistiques d’une langue ne sont pas comparables à telle autre langue. Cependant, il faut partir de la forme exacte d’un nom avant de pouvoir le transcrire. Pour le nom divin, il n’est pas possible de penser qu’un
Yahweh en hébreu donnerait un
Jéhovah en français, et puis que, à la faveur des langues, la forme évoluerait phonétiquement (par exemple, pour donner
Geova en italien).
Pour illustrer ce point, revenons à Google Translate, qui est moins bête qu’il n’y paraît au premier abord.
Dans notre second exemple, la phrase
John is not translated, unlike Jehovah, vous constatez que John n’a pas été traduit par son équivalent conventionnel « Jean », contrairement au nom divin. Il n’est donc pas possible de considérer que Google considère
l’Eternel comme un équivalent conventionnel (nom propre) du nom divin. Si d’ailleurs vous cliquez sur le vocable Eternel, vous constatez qu’il connaît aussi les autres formes, dont la bonne « Jéhovah ». Vous pouvez même lui suggérer qu’elle est meilleure, et ainsi participer à l’amélioration de l’outil.
L’exemple qui précède illustre ce même point :
Jacques est ordinairement rendu en anglais par
James. Cependant, comme je l’ai signalé, il est absurde de vouloir traduire un nom propre. Le mieux est, dans la mesure du possible, de le laisser tel quel – si la langue cible le permet. Ou alors, de le transcrire phonétiquement. Ainsi
Jéhovah donne bien
Geova en italien, mais… pas depuis la forme hypothétique
Yahweh. Seulement depuis une forme telle que
Yehowah.
Si l’on tente l’expression « Que Jéhovah te bénisse ! » ( יברכך יהוה) telle que trouvée en Ruth 2.4, en partant donc depuis l’hébreu comme langue source, les résultats deviennent incohérents. En anglais, nous obtenons « The LORD », et en grec « ο Κύριος », c’est-à-dire « le Seigneur » dans les deux cas.
Mais il est facile de constater que, en sens inverse, l’équivalent correct du Nom est bien fourni :
Ainsi quand on prend le français comme langue source, on obtient bien en anglais
Jehovah, et en grec
ο Ιεχωβά…
Ces incohérences ne doivent pas occulter l’intérêt de ce type d’outil, qui procèdent d’une réelle ingéniosité. Il faut toutefois toujours être conscient des limites inhérentes au passage d’une langue à l’autre.