L’entrée de ‘Umar ibn al-Khattâb dans Jérusalem – Extrait “La conquête de l’Egypte”
Après avoir consulté les membres de la Shûra, ‘Umar ibn al-Khattâb décida de venir à Jérusalem. Les dignitaires chrétiens vinrent à sa rencontre dans le campement musulman à l’extérieur de la ville, puis ils firent ouvrir les portes. Les soldats musulmans entrèrent dans la ville derrière leur Calife. Les habitants de Jérusalem découvrirent alors avec étonnement le chef des Musulmans dans de modestes vêtements. Puis en présence de ‘Amr ibn al-Âs, Khalid ibn al-Walîd et Abd al-Rahmân ibn ‘Awf[1], ‘Umar et les dignitaires chrétiens firent rédiger le texte suivant :
Par le nom d’Allah, miséricordieux par essence et par excellence. Voici les droits qu’accordent le serviteur d’Allah, ‘Umar, Prince des croyants, à la population d’Ilia. Il leur offre la protection de leurs personnes et de leurs biens, de leurs Églises et de leurs croix. Il promet la sécurité à leurs malades et à leurs bien-portants, ainsi qu’à l’ensemble de leur communauté. Il assure également que leurs bâtiments religieux ne seront point occupés, ni détruits, que ni leurs annexes, ni leurs croix et ni leurs biens ne seront confisqués et qu’ils ne seront jamais contraints d’abandonner leur religion ou de subir de vexations. De plus, ils ne seront pas forcés à cohabiter avec les Juifs.
La communauté d’Ilia, quant à elle, devra s’acquitter du montant de la Jizya, à l’instar des autres villes [de Palestine]. Ils s’engageront à repousser les Byzantins et les brigands. Ceux d’entre eux [Byzantins ou brigands] qui désireront partir [rejoindre l’empire byzantin], la sûreté de leurs personnes et de leurs biens sera assurée jusqu’à ce qu’ils rejoignent leur pays d’accueil [ma-mana]. Quant à ceux qui voudront y résider [à Jérusalem], ils jouiront eux aussi de la sûreté de leurs personnes et de leurs biens à condition qu’ils s’acquittent de la Jizya comme le font les habitants d’Ilia […] Ce texte repose sur le pacte d’Allah, et au nom de Son messager, des califes et des croyants, tant que la Jizya sera versée[2].
Dans ce texte rédigé en arabe, on remarquera qu’il n’est pas question de la ville de Jérusalem (al-Quds), mais d’Ilia qui est la prononciation arabe d’Aelia Capitolina. C’est par abus de langage que nous parlons aujourd’hui de « conquête de Jérusalem » car en effet, ce n’est pas Jérusalem que les Musulmans ont conquise, puisque cette ville n’existait plus depuis cinq cents ans. La « vraie » Jérusalem avait été détruite et rasée par les troupes du général Titus en l’an 70 à l’issue de la première guerre judéo-romaine, conformément à la Sunna divine, toute Cité est amenée à être détruite ou anéantie :
{Il n’est nulle Cité, que Nous n’anéantirons avant la fin des temps, ou que Nous châtierons d’un terrible châtiment} (Coran 17.58).
Le chroniqueur juif Flavius Josèphe rappelait en ces termes la fin de Jérusalem en l’an 70 :
Quand l’armée n’eut plus rien à tuer ni à piller, faute d’objets où assouvir sa fureur, César lui donna aussitôt l’ordre de détruire toute la ville et le Temple, en conservant cependant les tours les plus élevées, celles de Phasaël, d’Hippicos, de Mariamme, et aussi toute la partie du rempart qui entourait la ville de la cité de l’ouest. Ce rempart devait servir de campement à la garnison laissée à Jérusalem ; les tours devaient témoigner de l’importance et de la force de la ville dont la valeur romaine avait triomphé. Tout le reste de l’enceinte fut si bien rasé par la sape que les voyageurs, en arrivant là, pouvaient douter que ce lieu eût jamais été habité. Telle fut la fin de Jérusalem, cité illustre, célèbre parmi tous les hommes, victime de la folie des factieux. »[3]
Cette destruction de Jérusalem en 70 est évoquée dans la sourate 17 :
{Profanant votre Temple comme ils l’avaient fait la première fois et détruisant tout ce qui fut élevé} (Coran 17.7).
Après la destruction de Jérusalem, les Romains interdirent aux Juifs de s’y rendre. Le site resta ainsi inoccupé pendant près de soixante ans. Après la deuxième révolte juive de 135 violemment réprimée par les Romains, l’empereur Hadrien ordonna la construction d’une autre ville à proximité de l’ancienne Jérusalem. Appelée Aelia Capitolina, cette nouvelle ville était entièrement gréco-romaine et païenne. Elle était habitée par les familles de légionnaires romains et comprenait aussi une importante communauté grecque.
La ville que les troupes musulmanes encerclent quelques siècles plus tard, en l’an 637[4], n’est donc pas Jérusalem dont il ne restait presque rien, mais bien la cité romaine d’Aelia Capitolina. Comme Ilia s’était agrandie, elle avait fini par englober les anciens vestiges de Jérusalem que les Musulmans appelaient Bayt al-Maqdis.
Selon le dogme des Chrétiens pauliniens, l’ancienne Jérusalem et le Temple de Salomon étaient maudits et ne revêtaient aucune importance religieuse. Les lieux considérés comme saints par les Chrétiens se résumaient aux endroits où Jésus était censé avoir été torturé (chemin de croix), crucifié (jardin du Golgotha, Calvaire), enterré pendant trois jours (Saint Sépulcre) et enfin le lieu de la résurrection. Ces lieux se situaient tous en dehors de l’ancienne Jérusalem.
Il est d’ailleurs très significatif que le dogme trinitaire rejette violemment la vraie Jérusalem, et vénère des endroits de mort extérieurs à la ville antique. Quand l’empire romain a adopté le christianisme au IVe siècle, les Chrétiens ont entrepris de retrouver ces sites pour en faire des lieux de culte. Mais comme il était impossible de déterminer avec exactitude les lieux trois siècles après les faits, ils se réapproprièrent les Temples gréco-romains en plein cœur d’Aelia Capitolina.
En 325, le concile de Nicée invita l’empereur Constantin à détruire les temples païens d’Aelia. Constantin fit alors bâtir les premiers édifices religieux chrétiens. Le Calvaire remplaça le Capitole où avaient été placés des autels dédiés aux dieux romains Jupiter, Junon, Minerve ou encore Aphrodite[5]. En l’an 385, Saint Jérôme prétendit que le « lieu de la Résurrection » se situait probablement sous la statue de Jupiter et de Vénus et des églises furent donc bâties sur ces lieux.
Le choix du clergé chrétien d’adopter le centre de la ville d’Aelia et les lieux de cultes païens symbolisait à la fois la continuité avec le paganisme romain, et la rupture nette et radicale avec la tradition monothéiste abrahamique et israélite incarnée par le Temple et Jérusalem.
Mais quand ‘Umar entra dans la ville, les édifices chrétiens qu’il y trouva étaient neufs. Ils avaient été reconstruits et augmentés par Héraclius après sa victoire sur les Perses en 630. Certains n’étaient même pas encore achevés. C’est à ces bâtiments auxquels les Chrétiens tenaient tant, que fait allusion le pacte de Dhimma : « Il assure également que leurs bâtiments religieux ne seront point occupés, ni détruits, que ni leurs annexes, ni leurs croix et ni leurs biens ne seront confisqués ».
‘Umar arpentait les rues, accompagné de Ka’b al-Ahbâr qui était un juif converti à l’Islam. Les membres du clergé chrétien leur firent visiter les lieux saints de leur liturgie. Arrivé devant l’église de la Résurrection, ‘Umar désirait prier, mais il pria à l’extérieur pour éviter que les Musulmans ne prennent prétexte de cela, pour réquisitionner cette Église dans le futur et la transformer en Mosquée. Après cela, ‘Umar se dirigea vers le Mont du Temple où trônaient les vestiges laissés par l’armée de Titus. Il s’approcha du Rocher où le Prophète Muhammad (ﷺ) avait débuté son ascension nocturne (al-Mi’râj).
Ce site, qui était le cœur de la vraie Jérusalem, avait été laissé à l’abandon par les Chrétiens. Sous les ordres d’Héraclius en personne, les eaux usées de la ville avaient été dirigées vers le lieu sacré. Ils avaient choisi le Mont du Temple comme décharge et l’avaient rempli de détritus, comme pour montrer leur désaveu des pratiques judaïques, et pour, disaient-ils, accomplir la prophétie des Évangiles qui avaient annoncé la destruction du Temple :
Les jours viendront où il ne restera pas une seule pierre posée sur une autre de ce que vous voyez-là ; tout sera renversé. [Evangile de Luc, 21/6]
Ils oubliaient cependant que Jésus avait également annoncé que la période de punition des Juifs et de domination païenne sur Jérusalem n’aurait qu’un temps :
Il y aura une grande détresse dans ce pays et la colère de Dieu se manifestera contre ce peuple. Ils seront tués par l’épée, ils seront emmenés prisonniers parmi toutes les nations, et les païens piétineront Jérusalem jusqu’à ce que le temps qui leur est accordé soit écoulé. [Evangile de Luc, 12/24]
Ce temps semblait effectivement écoulé le jour où ‘Umar entra dans la ville. En voyant le Rocher entouré d’immondices laissés par les Chrétiens, ‘Umar demanda à Ka’b :
-« Où pourrai-je accomplir la prière ? »
-« Derrière le Rocher ! »
-« Comme le font les Juifs ?! Non, nous prierons comme le faisait notre Prophète, donc devant le Rocher. »[6]
Puis ‘Umar retira sa cape et commença à déblayer les lieux, redonnant vie à ce lieu profané depuis des siècles. Les Musulmans qui étaient avec lui firent de même et commencèrent à nettoyer ce qui devait devenir le Haram ash-Sharîf (Esplanade des Mosquées). C’est à cet endroit qu’il fit construire la Mosquée d’al-Aqsa[7].
Les Juifs furent de nouveau autorisés à entrer dans Jérusalem pour accomplir leurs rites sur les vestiges du Temple. La destruction en 70 du Temple et de Jérusalem, avait été le point de départ d’un terrible châtiment infligé aux Juifs. Dans la sourate de l’Ascension nocturne (17), ce châtiment est présenté comme une réponse à « la deuxième corruption » des Juifs dans l’histoire incarnée par leur rejet de Jésus. Cet événement a effectivement ouvert un cycle de persécutions, car non seulement le centre de leur liturgie avait été détruit, mais ils ont été déportés, tués en grand nombre, soumis en esclavage et exilés.
Par la suite, quand les Chrétiens ont pris le pouvoir dans l’empire romain, ils ont perpétué les persécutions et les vexations contre eux. Le jour où ‘Umar entra dans la ville, un cycle de cinq cent années de persécution se terminait pour les Juifs. Partout où l’Islam prenait le contrôle, le Dhimma mettait Chrétiens et Juifs à égalité. A Jérusalem, le Calife ‘Umar autorisa les Juifs à venir se recueillir sur le mont du Temple, alors qu’ils n’avaient plus « droit de Cité » dans Jérusalem depuis l’époque de l’empereur Hadrien, et que les Chrétiens leur avaient interdit d’y prier et d’y accomplir leurs rites.
Pour les Juifs de l’époque, les conquêtes musulmanes furent effectivement vécues comme une délivrance. Certains Juifs considéraient même que ‘Umar, en ordonnant de bâtir la Mosquée d’al-Aqsa sur le mont du Temple, ne faisait que rebâtir le troisième temple de Salomon[8]. C’est ainsi qu’en entrant dans Jérusalem, ‘Umar accomplissait la promesse d’Allah dans le Coran. Après voir mentionné les grandes phases de l’histoire des Juifs, puis la destruction de Jérusalem et du Temple, la sourate 17 évoque la « miséricorde » à venir envers les Juifs :
{Profanant votre Temple comme ils l’avaient fait la première fois et détruisant tout ce qui fut élevé * Mais sans doute votre Seigneur vous fera miséricorde} (Coran 17.7-8)
Le temps des persécutions, de l’exil et de la destruction de leurs lieux saints était maintenant écoulé. Ils pouvaient de nouveau entrer dans la ville sainte et y prier. Cependant, cette promesse était associée à une menace :
{Peut-être que votre Seigneur vous fera miséricorde. Mais si vous revenez, Nous recommencerons} (Coran 17.8)
A. Soleiman al-Kaabi
Extrait de “La conquête de l’Egypte et l’art de la guerre d”amr ibn al-‘Âs” – 2014
Selon certaines versions, Mu’âwiya ibn abî Sufiân était également présent.
Texte rapporté par Tabari dans ses chroniques (436-4).
Le texte original est disponible en annexe du livre.
Flavius JOSEPHE. Guerre des Juifs. LIVRE VII, 1.
Josèphe attribue la responsabilité de la destruction de Jérusalem aux « factieux », c’est-à-dire aux Juifs qui se sont rebellés contre Rome, car lui-même était un Juif qui avait fait le choix de collaborer avec l’empire romain.
[4] Mantran. L’Expansion musulmane, p102
[5] Selon le témoignage d’Eusèbe de Césarée : EUSEBE, de Césarée. La vie de Constantin
[6] Il voulait dire que les Musulmans ne pouvaient prendre le Rocher comme Qibla comme le font les Juifs en priant face au Rocher, mais dos au Rocher en direction de La Mecque.
[7] La mosquée construite par ‘Umar était un bâtiment très modeste. Elle a été en réalité rebâtie quelques décennies plus tard sous le règne du calife omeyade Abdul-Mâlik (690). Mantran. L’expansion musulmane. p39. As-Sallâbî p 570
[8] “The Masjid al Aqsa, Al-Aqsa Mosque was the reconstructed Third Temple. Heraclius was Armilos, the anti-Christ, and he had been vanquished. A nation of the faithful which included Jews, and those who kept the seven laws, the Muslims, were now creating a new order.”
“The Persian conquest of Jerusalem in 614CE compared with Islamic conquest of 638CE. Its Messianic nature and the role of the Jewish Exilarch” By Ben Abrahamson and Joseph Katz
écrit par yacoub , le juif tunisien
http://www.forum-religion.org/islamo-ch ... 57779.html