Fin du conflit judéo-chrétien?
La nouvelle lecture de Shmuel Trigano
Dans un début de siècle marqué par des tensions politiques et militaires, par des menaces de guerre, par l'ombre du terrorisme, nombreux sont les historiens, philosophes, sociologues, théologiens et journalistes qui s'interrogent sur la réalité et la fiction d'un choc de civilisations opposant un nouvet Islam revendicatif aux sociétés modernes d'inspiration chrétienne ou, selon un euphémisme qui a la vie dure, judéo-chrétienne. Islam contre chrétienté, judaisme contre Islam, christianisme contre judaïsme: l'histoire de l'humanité est traversée de part en part par les conflits, parfois doctrinaux, parfois sanglants, entre les confessions issues du tronc abrahamique. Dans l'historique de ces oppositions, le conflit judéo-chrétien occupe une place douloureusement privilégiée: affrontement entre une religion-mère qui persiste dans son parcours singulier, dans sa conscience d'une mission spécifique, dans sa volonté de vivre et de poursuivre son aventure spirituelle unique, et une religion-fille revendiquant l'héritage véritable de l'antique Israël et contemplant la Synagogue comme un vestige d'un passé glorieux perdu, comme une ruine du vieil édifice détruit, Au coeur de cette polémique qui commence au milieu du premier siècle, avec la confrontation des Pharisiens et des Juifs gagnés à la nouvelle foi hazaréenne, une question primordiale ne cessera de se poser à travers les siècles et qui perdurera jusqùau XXe siècle: qui est l'élu ? Question d'autant plus cruciale que dire le nom de l' élu, proclamer la mission du peuple de Dieu, revient aussi à désigner, en le stigmatisant, l'exclu, celui qui n'a pas, ou n'a plus de role dans l'économie du salut divin pour les hommes. C'est à ce couple d'opposés de l'histoire religieuse que Shinuel Trigano consacre son nouvel essai, au titre égigmatique : " LE(xc)lu : Entre Juifs et Chrétiens " (Paris, Editions, Denoël, 2003,292p). LE(xc)lu, étrange et significatif jeu de mot, désigne la figure d'Israël dans le regard christologique : Israël élu de Dieu, Israël exclu par Dieu. Mais la perception négative et négatrice du judaisme connaît, au XXe siècle, des mutations profondes. Pour Trigano, c'est l'histoire elle-même qui semble provoquer, par ses bouleversements inédits, ces changements de doctrine. Car le christianisme s'était nourri, au cours des siècles, de la conviction que le judaïsme était une relique (un " fossile " disait l'historien britannique contemporain Arnold Toynbee) : la ruine de l'ancien royaume de Judée, la dispersion des exilés judéens à travers le monde connu, la désolation de la Terre promise, étaient les signes de la punition infligée par la Providence au " peuple à la nuque raide" qui avait refusé la personne du Christ, le Sauveur annoncé par les Écrirures. Or, souligne Trigano, " la création de l'État d'Israël, le rassemblement des exilés à Sion, la reviviscence du désert ont infligé un démenti objectif à l'idée que l'histoire de l'Israël historique érait morte pour laisser place à l'Israël catholique ", c'est-à-dire à l'Église Universelle remplaçant l'ancienne nation israélite dans son rôle de peuple élu. De nos jours, le dialogue entre judaïsme et christianisme est entré dans une sphère post-moderne, loin des illusions de l'époque des Lumières sur la naissance d'une civilisation rationnelle et éclairée. Mais, le regard négatif porté par le monde chrétien sur le judaïsme a-t-il disparu vraiment ? L'ancien argumentaire des polémistes chrétiens dans leurs disputations théologiques avec les savants juifs a, certes, quitté le devant de la scène intellectuelle. ..pour être remplacé, ça et là, dans certains cercles modernistes, universalistes et humanistes d'inspiration chrétienne, par des discours où Trigano décèle une vision dévalorisante, critique et péjorative du judaïsme. Parmi les mécanismes épistémologiques de certe nouvelle pensée dévalorisante, Trigano identifie une " absorption intégratrice ", où les Juifs sont, paradoxalement, loués comme le laboratoire des idées du furur, un furur qui s'accomplit pleinement dans le christianisme. Le lecteur lira avec beaucoup d'intérêt le passage que Trigano consacre à la " passionification de la Shoah ", le peuple juif: victime de la barbarie nazie étant identifié au Christ la Croix du Golgotha. Trigano juge sévèrement (et cela, je le crois, à, juste titre), cette théologie apparemment apologétique où le Juif cesse d'être le déchu parce qu'il n'a pas reconnu le Christ. ..pour devenir le " Juif reconnu en Jésus ", méconnu dans sa souffrance existentielle et dans sa dimension historique.
Non, le malentendu judéo-chrétien n'a pas disparu. Malgré la richesse et la profondeur du dialogue entre judaïsme et christianisme au cours des dernières cinquante années, le poids d'une longue histoire de perceptions passionnelles et soupçonneuses est toujours là, car avec un ancien Pharisien nommé Saül de Tarse, devenu plus tard saint Paul, commence un terrible malentendu face au judaïsme qui perdure dans toute l'histoire occidentale. La réflexion de Shmuel Trigano, érudite et engagée, est une invitation aux croyants, juifs et chrétiens, à explorer ensemble le passé et le présent, pour construire, au-delà du mépris et du soupçon, une nouvelle civilisation de la foi.
Franklin Rausky
Actualité Juive N° 789 du 20/03/03
L'E(xc)lu : Entre Juifs et Chrétiens (Paris, Ed. Denoel)
L'E(xc)lu : Entre Juifs et Chrétiens (Paris, Ed. Denoel)
Ecrit le 11 oct.05, 03:54-
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