Lors de sa dernière tournée d’inspection sur le site de la célèbre université de Bab Ezzouar à Alger, Abdelaziz Bouteflika a affiché sa nostalgie d’un passé récent qui vit notre école coller aux normes universelles de fonctionnement.
« Pendant les années 1970, l’Algérie était en tête des pays du Tiers-Monde. Nous avons beaucoup de retard à rattraper. » Cette phrase résume à elle seule le recul abyssal de l’école algérienne. Les opposants au rapport de la Commission Benzaghou ne pourront pas la contredire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes .
En septembre 1981, l’Algérie lançait en grande pompe la généralisation de la Révolution scolaire et éducative (RSE) qui venait compléter les trois R de triste mémoire. Les enfants qui avaient six ans à l’époque (1981) ont présenté leur examen du baccalauréat en juin I992. Etant donné que cette trouvaille de Napoléon - le bac, symbole de la France jacobine a vu le jour en 1806 - reste la seule mesure pour évaluer le rendement de l’école, allons chercher dans les archives du ministère de l’Education nationale.
Dès cette année-là (1992) et celles d’après, le taux d’échec au bac n’est pas descendu des cimes de l’indigence : 90% d’échec ou si vous voulez 10% de reçus. Le ministre de l’époque avait précisé que sur ces dix bacheliers (sur 100), seuls deux l’ont eu avec la moyenne classique (10/20).
Une Berezina à grands coups de milliards de dinars que ni le Tchad ni le Rwanda n’ont connu au plus fort de leurs guerres civiles. Que s’était-il passé pour que nos enfants sombrent de la sorte ? Serait-ce un complot de l’étranger ou la main invisible de la promotion lacoste pour reprendre les accusations en vogue chez les ultras nationalistes ? Pourtant, ces élèves ont reçu un enseignement totalement algérianisé, arabisé et islamisé.
Les concepteurs de la RSE la voulait une gomme à effacer toute trace de l’école coloniale. A commencer par l’idiome de Victor Hugo. A titre de comparaison, le bac de juin 1971 atteignait le score-record de 51,25% de réussite. Les élèves de terminale, de cette année, avaient tous suivi leurs études de base dans l’école coloniale - ils sont rentrés en première année d’école primaire en 1957. Qu’on ne vienne pas nous dire que ce sont des enfants de caids ou de bachagha : les bacheliers de 1971 sont issus en majorité des familles socialement défavorisées. Explication.
Ces bacheliers de 1971 n’ont pas connu d’enseignants handicapés sur le plan linguistique. Leurs enseignants de mathématiques, de physique et de sciences naturelles travaillaient dans un relatif confort intellectuel. Ils utilisaient la langue avec laquelle ils ont été formés et qu’ils maîtrisaient. A l’époque, les filières maths élémentaires et sciences étaient à leur apogée dans nos lycées. Elles alimentèrent de brillantes carrières universitaires, ici et à l’étranger.
1981 : l’année noire
Quant aux écoliers des années 1980, candidats au bac des années 1990 et 2000, ils ont - pour leur malheur - hérité d’un encadrement (en maths, physique et sciences) estropié sur le plan linguistique. En effet, de brillants enseignants de collège et de lycée furent sommés manu-militari de changer de langue de travail.
Ils n’eurent même pas le temps de se familiariser avec la nouvelle graphie. En avril 1981, le ministre en charge de la Révolution scolaire et éducative intima l’ordre d’enseigner dès septembre de cette année les matières scientifiques en arabe. Une décision prise dans la précipitation et sans aucune préparation psychologique, pédagogique, matérielle ou autre.
Des scènes insoutenables eurent pour cadre les salles de profs des établissements d’Algérie. Leur impuissance face à l’injustice qui leur était imposée arracha à certains enseignants des larmes de désespoir. Parmi eux des enfants d’émigrés et des personnes âgées qui ignoraient la langue d’El Moutannabi.
Et dire qu’ils étaient performants du temps où ils enseignaient avec la langue française. Une autre aberration naquit dans le sillage de la RSE : ces pauvres enseignants se virent dans l’obligation d’utiliser les symboles scientifiques algérianisés. Les résultats ne se firent pas attendre. Leur rendement professionnel prit la pente savonneuse de la précipitation vers la médiocrité. Ce sont leurs élèves qui payèrent les frais. Les 10% de réussite au bac de 1992 et les scores cadavériques ultérieurs constitueront la belle récolte de la RSE.
Parmi ces enseignants handicapés, beaucoup sont en activité en 2005. Les nouvelles générations d’enseignants (dans ces disciplines) ont été formées par ces aînés handicapés. Ils traînent malgré eux les défauts (et les qualités) de leurs maîtres et, surtout, ils sont les produits de cette fameuse RSE. La transmission des mœurs professionnelles est chose connue en pédagogie scolaire.
Derrière le bureau et face au tableau vert - le noir a disparu - la langue arabe est toujours malmenée contaminant par là les autres matières telles que les maths, la physique et les sciences naturelles.
Il ne s’agit pas pour nous d’accabler les enseignants : ils ne sont pas responsable du sort peu enviable réservé à ces disciplines scolaires de base : l’arabe, les mathématiques, la physique et les sciences naturelles. Comment ne pas évoquer la superbe étude du défunt Mohamed Benaïssa, universitaire physicien et ancien cadre du MEN. Dans une analyse fouillée des manuels scolaires et des épreuves de physiques (au bac session 1995), il aboutit à la conclusion suivante : les manuels et les épreuves distribués aux lycéens sont truffés de fautes graves - et pas seulement de saisie. Il a mis en relief la confusion dans les concepts scientifiques car mal traduits du français vers l’arabe.
Ces erreurs auraient-elles existé si les rédacteurs avaient utilisé la langue qu’ils maîtrisent le mieux ? A noter que ces rédacteurs se recrutent parmi les promotions d’enseignants victimes de la RSE. Il serait intéressant d’élargir ce type d’enquête aux autres disciplines exposées à des risques identiques, notamment les maths, la chimie et les sciences naturelles. On y arrivera, le jour où l’Algérie se dotera de laboratoires de psycho-pédagogie performants. A ce jour, ils n’existent pas. Il paraît qu’ils reviennent trop chers. C’est avec ces concepts malmenés et ces erreurs scientifiques que des générations d’élèves algériens sont gavés sans que le holà soit mis pour arrêter à ce qui s’apparente à un empoisonnement à petites doses.
Aux dernières nouvelles, il n’y a pas que ces manuels de physique qui véhiculent des inepties. L’actuel ministre de l’Education nationale a reconnu l’existence d’erreurs dans des manuels scolaires. Il a voulu calmer les appréhensions des parents en affirmant que les enseignants corrigeront d’eux-mêmes. Des enseignants qui sont par ailleurs qualifiés d’incompétents. Comprenne qui pourra.
De la phobie à la roqia
Cette politique aveugle, menée avec passion dès la fin des années 1970, a engendré des dégâts collatéraux qui minent la société dans son ensemble. Nos élèves sont touchés par une phobie des mathématiques qui leur fait déserter les filières scientifiques dans les lycées. Leur orientation vers ces classes d’élite est vécue sous l’angle de la peur de l’échec programmé. Ils n’ont pas tort quand on voit les taux d’échec aux « bacs » scientifiques et la déperdition impressionnante en première année d’université filière technologie.
A Bab Ezzouar, ce sont 80% de redoublement (statistiques de 1998). La francisation de ces matières scientifiques au niveau de l’université a eu pour conséquence de transposer, dans les amphithéâtres, les dérives pédagogiques et didactiques du système scolaire. Encore une autre aberration. Au sein de la société, ces trois décennies de RSE a affaibli la propagation de la culture scientifique. Elle sera remplacée par le fatalisme et le « paranormal ». En Algérie, la roqia (le désenvoûtement) symbole du Moyen-Age revient en force à l’amorce du troisième millénaire. Elle bénéficie de la publicité de notre média lourd et envahie les mœurs universitaires avec ses officiants et ses apprenants. Peut-on s’étonner du coma scientifique dans lequel est plongé notre pays lorsque des douktours et des « pi- ashe - di » (PHD) attribuent des caractéristiques scientifiques à des pratiques aussi farfelues et tordues que la roqia et le coup d’Etat (à l’intérieur d’un parti politique) ?
Tant que les réflexes idéologiques à l’origine de ces inepties pédagogiques ne sont pas effacés de l’esprit des décideurs, la Précipitation aura de beaux jours devant elle sur les planches du théâtre de la Réforme... des mentalités.
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