Spoliation des gens du voyage : un procès pour l'histoire

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Spoliation des gens du voyage : un procès pour l'histoire

Ecrit le 08 sept.20, 20:18

Message par medico »

Spoliation des gens du voyage : un procès pour l'histoire


Soutenue par deux associations, Henriette Théodore, 88 ans, saisit le Conseil d'État et demande justice, pour ses proches et la communauté tsigane.

Par Nicolas Bastuck
Publié le 08/09/2020 à 11:09 | Le Point.fr


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Plaque commémorative installée sur les ruines d'un camp d'internement de Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, à Montreuil-Bellay. :copyright: DAMIEN MEYER / AFP



C'est une petite femme de 88 ans, cheveux courts et visage chiffonné par les années, joviale bien que peu diserte. « Elle pourrait être notre grand-mère à tous », sourit son avocat, Me Olivier Le Mailloux, qui salue son « grand courage ».
De son enfance sous l'Occupation, Henriette Théodore a conservé une méfiance viscérale de l'administration ; la crainte de tout ce qui peut incarner, de près ou de loin, le pouvoir établi. Pourtant, mercredi 9 septembre, elle fera le voyage jusqu'à Paris pour affronter, « les yeux dans les yeux », les juges du Conseil d'État – la plus haute juridiction administrative française –, défiant le décorum, le jargon compliqué du droit public, le Covid – elle souffre d'insuffisance cardiaque.



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Aux côtés de l'Union de défense active des forains (Udaf) et de l'association France Liberté voyage, elle viendra réclamer justice et demander réparation. Au nom de tous les siens, pour les Tsiganes. La Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) et le Défenseur des droits seront avec elle pour défendre « les principes constitutionnels d'égalité et de fraternité ».




« Exclusion »

Juridiquement, leur action prend la forme d'un « recours en excès de pouvoir » contre un décret du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation, « intervenues du fait des législations antisémites en vigueur sous l'Occupation ». Il ne s'agit pas, bien sûr, de contester la légitimité, pour les juifs français, pourchassés, spoliés et exterminés durant les années sombres, d'obtenir réparation. Mais de dénoncer l'exclusion des Tsiganes et des membres de la communauté des gens du voyage de toute possibilité d'être, eux aussi, indemnisés.
La commission, dont il est question dans le décret attaqué, avait été créée dans la lignée du discours historique prononcé, quatre ans plus tôt, par le président Chirac, et reconnaissant la responsabilité des autorités françaises dans les persécutions dont la communauté juive fut victime, durant la Seconde Guerre mondiale. En 1999, une instance était ainsi créée auprès du Premier ministre pour « examiner les demandes formulées par les victimes ou leurs ayants droit, pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens, intervenues – la précision a son importance – du fait des législations antisémites prises par l'occupant ou les autorités de Vichy ».

La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité est grande.




En 2006, cette instance a rejeté la demande d'indemnisation d'une famille tsigane, privée de ses biens avant d'être internée, considérant que « les persécutions subies par les membres de cette communauté n'entraient pas dans le champ d'application du décret de 1999 ».
Dix ans plus tard, le 26 octobre 2016, le président Hollande, à l'occasion d'un hommage national aux nomades internés en France à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), admettait à son tour la responsabilité de l'État français dans les crimes, déportations, consignations de biens dont furent victimes les Tsiganes et les gens du voyage. « Eh bien, voilà, nous y sommes : la République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité est grande ! » avait lancé solennellement le chef de l'État.

« Rupture d'égalité »

S'appuyant sur cette reconnaissance au plus haut niveau, les requérants invoquent aujourd'hui une « rupture d'égalité » dans le processus d'indemnisation, « alors que s'éteignent les derniers survivants et que rien n'a été prévu par l'État pour leur restituer leurs biens », comme le souligne Me Le Mailloux.



Ce n'est pas la première fois que la communauté des gens du voyage tente d'obtenir réparation des préjudices subis par les plus anciens d'entre eux. Jusqu'ici, la commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation a, systématiquement, rejeté leurs demandes, alors même que « la reconnaissance de (leurs) persécutions, internements et spoliations (…) ouvre droit à réparation », soutient le Défenseur des droits dans ses observations. Selon lui, « exclure ces victimes du dispositif d'indemnisation des crimes racistes perpétrés sous l'Occupation », en l'absence d'autre mécanisme de réparation, est une « injustice » d'autant plus inacceptable qu'elle est « fondée sur l'origine ethnique ».

Le soutien de la Licra

C'est également ce que dénonce la Licra, dans un « mémoire en intervention » qui invoque « une rupture d'égalité » mais encore « une atteinte au principe de fraternité », reconnue depuis une décision du 6 juillet 2018 comme principe à valeur constitutionnelle – la fraternité renvoyant notamment à « une exigence de solidarité ».
« En Europe, plus de 50 000 Tsiganes, nomades, roms et forains ont péri dans les camps de concentration », rappelle la Ligue. « Les gens du voyage ont constitué la seconde population à avoir subi l'extermination la plus importante ». Selon elle, ces persécutions et déportations se sont inscrites dans le cadre d'« une politique globale », aussi bien en Allemagne qu'en France où elles ont été « systématiques », soutient l'association, qui cite dans son mémoire au Conseil d'État des travaux d'historiens et différents textes scélérats du régime de Vichy : sur « l'interdiction de circulation des nomades » (décret-loi du 6 avril 1940) et leur assignation à résidence sous la surveillance de la police française (circulaire du ministre de l'Intérieur du 29 avril 1940) ; sur l'interdiction des professions ambulantes (ordonnance du 22 novembre 1940) et l'internement des nomades de la zone occupée (ordonnance du 4 octobre 1940).
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« Au total, environ 6 500 Tsiganes ont été internés dans les camps installés par les autorités de Vichy, soit la moitié de la population de cette communauté présente en France en 1939 », rappelle la Licra. Son avocat, Me Adrien Albinet, n'hésite pas à conclure en ces termes : « En réalité, il n'existe aucune différence de nature ni de degré entre les persécutions et spoliations subies par les Tsiganes, nomades et forains et par les juifs de France. » Si différence il y a, « elle tient au nombre de personnes concernées », soutient la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme. Dès lors, conclut son conseil, les gens du voyage « ne sauraient légalement être exclus du champ d'application du décret de 1999, à présent que le caractère systématique des persécutions et spoliations commises à leur encontre, durant l'Occupation, est connu, et reconnu par l'État français ».

Le silence de l'État

Ces arguments ont laissé de marbre le secrétaire général du gouvernement, qui, sous la plume du conseiller d'État Édouard Crépey, a conclu au rejet de la requête de Mme Théodore et des associations qui l'accompagnent dans son combat. « C'est au titre de la singularité des personnes regardées comme juives qu'ont été prises par l'État un ensemble de mesures de compensation », a-t-il conclu sèchement. Le rapporteur public, censé « éclairer la juridiction », devrait se prononcer dans le même sens, au cours des débats prévus mercredi.
« Quelle injustice ! Ma cliente avait 8 ans quand elle fut internée avec sa famille, au camp de Coudrecieux, puis à Montreuil-Bellay et Jargeau », s'indigne son avocat. « On leur a demandé d'abandonner leur roulotte et tous leurs effets, marchandises et vêtements. Son père, marchand ambulant, a dû se plier aux travaux forcés dans une usine Renault ; sa mère, de santé plus précaire, a dû se résoudre à se séparer de ses enfants, placés sans aucun motif légitime auprès de l'Assistance publique. Cette famille a connu la faim, le froid, les barbelés et la mort – Henriette a perdu un frère, mort à l'âge d'un an, emporté par la malnutrition. Quand ils ont enfin été libérés, en 1946, deux ans après la libération de Paris, ils n'avaient plus que la peau sur les os ; ils sont ressortis une main devant, une main derrière », rapporte Me Le Mailloux, qui ne « (s)'explique pas pourquoi l'État et le président Macron s'obstinent à rester silencieux, sur cette tragédie historiquement établie ».

Rien ne leur a été restitué, ils doivent être indemnisés.

« La France de Vichy, mais aussi la République, rétablie en 1944, est responsable de ce crime qui a perduré deux ans de plus », s'indigne cet avocat marseillais, qui évoque encore le « convoi Z » du 15 janvier 1944, transportant vers Auschwitz 351 personnes, dont 145 Tsiganes. « Il a existé, comme pour nos compatriotes juifs, une volonté meurtrière et barbare de l'occupant, aidé par l'administration française appliquant une politique raciale, ayant conduit à l'extermination et au crime contre l'humanité », plaidera-t-il mercredi. « Au moment de leur arrestation, tous – nomades, forains, gens du cirque, musiciens, marchands d'oiseaux et fabricants de corbeilles – ont dû abandonner le peu de biens qu'ils possédaient. Nul n'a retrouvé le moindre effet personnel ; rien ne leur a été restitué. Ils doivent être indemnisés. »
« Deux solutions permettraient de réparer cet oubli », estime-t-il. « Ou le décret sur l'indemnisation des spoliations ajoute le terme "anti-tsigane" à sa référence aux "législations antisémites" ; ou il supprime toute référence. » « Cette dernière solution ouvrirait la voie à l'indemnisation d'autres victimes de Vichy et de l'occupant nazi : les homosexuels, les handicapés, les francs-maçons… Mais ceci est une autre histoire », souffle l'avocat d'Henriette Théodore, épouse Tranchard, née le 9 août 1932, de nationalité française, qui, jusqu'à son dernier souffle, se battra pour que justice soit rendue aux siens.
(Isaïe 30:15) Votre force résidera en ceci : dans le fait de rester calmes et [aussi] dans la confiance . AM - JW - Les Témoins de Jéhovah

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Re: Spoliation des gens du voyage : un procès pour l'histoire

Ecrit le 09 sept.20, 04:08

Message par Estrabolio »

Oui malheureusement comme on dit "le sang sèche vite en entrant dans l'histoire" et les états oublient vite les erreurs du passé :(

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