Bon, je laisse Homère à ses petits calculs et je vous propose une vraie démarche historique.
Je vais citer plusieurs historiens et personnages comme Thucydide, Polygnote, Eusèbe de Césarée, Plutarque, Aristote, etc....
La méthode est simple, exploiter tous les détails souvent communs que ces historiens et témoins du passé ont fourni dans leurs écrits sur deux événements précis, l'arrivée de Thémistocle en Asie suite à son ostracisation, et sa première entrevue avec le roi Perse du moment.
Il faut déjà poser les bases de nos recherches.
A cette époque là, les Perses et les Grecs sont en conflit quasiment permanent. Thémistocle, un général grec a permis la victoire de Salamine, en -480 ce qui en a fait un héros pour les grecs et un ennemi redouté pour les Perses.
Cependant, le vent tourne pour ce général qui est accusé de trahison par son camp, ce qui l'oblige à se sauver pour tenter un exil auprès de Perses. Thémistocle joue gros car apparemment il n'a pas trahi et les Perses gardent de sérieuses raisons de lui faire payer la lourde défaite qu'ils lui doivent.
De nombreux historiens ont écrit, à l'époque et jusqu'au premier siècle, sur les péripéties de cet exil de Thémistocle et il apparaît qu'une différence semble les séparer. Les uns affirment que Thémistocle a rencontré Artaxerxés, et les autres citent Xerxès.
En fait, et vous allez pouvoir le constater, leurs positions ne sont pas aussi éloignées que cela.
Voici le témoignage de Thucydide.
- CXXXV
Une ambassade lacédémonienne vint accuser, devant les Athéniens, Thémistocle du même crime de médisme que Pausanias. Les Lacédémoniens disaient en avoir trouvé les preuves au cours de l'enquête menée sur Pausanias il fallait donc que Thémistocle fût puni d'une manière identique. Celui-ci avait subi l'ostracisme et résidait à Argos, tout en faisant des séjours dans le reste du Péloponnèse. Les Athéniens firent droit à la demande des Lacédémoniens et envoyèrent, de concert avec les gens chargés de cette mission, des hommes pour se saisir de Thémistocle en quelque lieu qu'ils le trouvassent.
CXXXVI. - Thémistocle, informé à temps, quitta le Péloponnèse pour se réfugier chez les Corcyréens, dont il avait reçu le titre d'évergète (111). Mais ceux-ci prétextèrent qu'en le gardant ils s'attireraient l'inimitié des Lacédémoniens et des Athéniens. Aussi le firent-ils passer sur le continent en face de leur île. Traqué par ses poursuivants toujours à l'affût des lieux de sa retraite, il se vit contraint, dans la situation critique où il se trouvait, de chercher asile auprès d'Admète, roi des Molosses, qui n'était pas de ses amis. Admète était absent. Thémistocle se présenta en suppliant devant sa femme qui lui recommanda de prendre dans ses bras son enfant et de s'asseoir auprès du foyer. Admète revint peu de temps après. Thémistocle se fit connaître et déclara que, même pour s'être opposé autrefois aux demandes adressées par ce prince aux Athéniens, il ne méritait pas qu'on se vengeât d'un exilé ; pour l'instant un homme beaucoup moins puissant qu'Admète pouvait lui nuire gravement ; mais la générosité consistait à ne se venger que des égaux et sur un pied d'égalité. D'ailleurs lui, Thémistocle, ne s'était opposé aux demandes d'Admète que sur un point important sans doute, mais non capital ; mais si le roi le livrait, il risquait de perdre la vie, ajouta-t-il en lui donnant les noms et les raisons de ses poursuivants.
CXXXVII. - A ces mots le roi releva Thémistocle qui continuait à tenir l'enfant dans ses bras ; c'est le genre de supplication le plus émouvant. Peu de temps après les Lacédémoniens et les Athéniens arrivèrent et, malgré leur insistance, Admète se refusa à livrer Thémistocle. Comme celui-ci avait manifesté son désir de se rendre auprès du Roi, il le fit conduire par terre jusqu'à Pydna, ville d'Alexandre située sur l'autre mer. Là Thémistocle trouva un vaisseau marchand qui se rendait en Ionie ; il y prit place. Mais la tempête poussa le navire dans la direction du camp des Athéniens, qui assiégeaient Naxos. Craignant d'être pris, il révéla au patron du navre son identité ignorée jusque-là et lui dit les raisons de son exil. Au cas où l'autre le livrerait, ajouta-t-il, il dirait qu'il s'était lassé acheter pour le conduire. La sécurité exigeait que nul ne sortît du navire, jusqu'à ce qu'on pût reprendre la mer. S'il y consentait, Thémistocle n'oublierait pas ce bienfait et le récompenserait dignement. Le patron s'exécuta, mouilla au large un jour et une nuit, au-dessus du camp athénien, puis atteignit Ephèse. Thémistocle, pour montrer sa gratitude, lui donna une somme d'argent, car il en reçut d'Athènes par l'entremise de ses amis et d'Argos où il en avait déposé. Un Perse de la côte le conduisit dans le haut pays ; de là il adressa au Roi Artaxerxès, fils de Xerxès, qui venait de monter sur le trône, une lettre ainsi conçue « Moi, Thémistocle, je viens auprès de toi. Plus qu'aucun Grec, j'ai fait du mal à votre maison, tant que j'ai dû combattre ton père qui m'attaquait ; mais je lui ai fait encore plus de bien au moment de la retraite, quand je fus en sécurité et lui en danger. Tu me dois de la reconnaissance - il rappelait ainsi l'annonce du départ des Grecs et la destruction des ponts qu'il avait empêchée, après avoir fait semblant de l'exécuter -. Et maintenant je viens auprès de toi avec la conviction de pouvoir te rendre d'importants services, poursuivi par les Grecs en raison de ton amitié. Je désire attendre un an pour te faire connaître de vive voix ce qui m'amène vers toi. »
CXXXVIII. - Le Roi, dit-on, admira la résolution de Thémistocle et accepta ses propositions. Thémistocle, pendant son année d'attente, apprit, autant qu'il put, la langue perse et s'initia aux usages du pays. Un an après, il vint à la cour du Roi et y acquit une considération et une autorité que n'avait jamais eues aucun Grec ; il les devait à l'estime dont il avait joui précédemment, à l'espoir qu'il avait fait naître chez le Roi de lui soumettre le monde grec et surtout aux preuves manifestes de son intelligence. Car Thémistocle, qui avait montré toute la puissance de ses dons naturels, provoquait particulièrement sur ce point l'admiration. Ses qualités d'intuition, sans l'aide d'aucune étude préalable ou subséquente, le mettaient à même de juger excellemment, sans longue réflexion, des circonstances présentes ; quant à l'avenir, il en prévoyait merveilleusement les conséquences les plus lointaines. Pour les problèmes qui lui étaient familiers, il excellait à les exposer en détail ; pour ceux qui lui étaient étrangers, il était capable d'en juger d'une manière suffisante. Il discernait parfaitement le fort et le faible des questions encore obscures. En bref, par ses dons naturels et la promptitude de son intelligence, il trouvait sur-le-champ, pour tous les sujets, la solution adéquate. Il tomba malade et mourut. Quelques-uns prétendent même qu'il s'empoisonna volontairement, parce qu'il ne se sentait pas en état d'accomplir les promesses qu'il avait faites au Roi. Son tombeau se trouve à Magnésie d'Asie, sur la place publique. Il gouvernait cette contrée, le Roi lui ayant donné Magnésie pour son pain - ville qui rapportait annuellement cinquante talents -, Lampsacos pour son vin - territoire qui passait alors pour le plus riche vignoble - et Myunte pour sa table. On dit que, selon ses volontés, ses parents rapportèrent ses ossements dans sa patrie et qu'ils furent inhumés, à l'insu des Athéniens, en Attique. L'inhumation en était interdite, car il avait été banni pour trahison. Ainsi finirent le Lacédémonien Pausanias et l'Athénien Thémistocle (112), les hommes les plus éminents de leur temps.
Examen des marqueurs que nous utiliserons.
Dans le voyage vers son exil, Thémistocle passe près de Naxos, alors assiégée par les Athéniens. Arrivé en Perse il demande une audience au roi Artaxerxés qui accepte de le recevoir un an plus tard.
Voici le témoignage de Plutarque.
- Thucydide et Charon de Lampsaque (64) disent que Thémistocle n’arriva en Perse qu’après la mort de Xerxès, et que c’est au fils de Xerxès qu’il se présenta. Éphore (65), 289 Dinon (66), Clitarque (67) Héraclide, et plusieurs autres encore, assurent qu’il parut devant Xerxès lui-même. Mais le sentiment de Thucydide semble s’accorder davantage avec les tables chronologiques, dressées, du reste, elles aussi, avec peu de fidélité. Thémistocle donc, quand il se vit au moment critique, s’adressa d’abord à Artaban, chef d’un corps de mille hommes. Il dit à Artaban qu’il était Grec de nation, et qu’il désirait entretenir le roi d’affaires d’une haute importance, et que le roi lui-même avait fort à cœur. « Étranger, répondit Artaban, les lois des hommes ne sont point partout les mêmes. Ce qui est beau pour les uns ne l’est pas pour les autres ; mais il est beau à tout homme quelconque de respecter et de maintenir les lois de son pays. Vous autres, vous estimez, dit-on, au-dessus de tout, la liberté et l’égalité : pour nous, entre tant de belles lois que nous avons, la plus belle, à nos yeux, c’est celle qui nous ordonne d’honorer le roi, et d’adorer en lui l’image du dieu qui conserve toutes choses. Si donc tu veux t’accommoder à nos usages, et l’adorer, il t’est loisible, comme à nous, de le voir et de l’entretenir. Si telles ne sont pas tes dispositions, tu ne lui pourras parler que par des intermédiaires ; car c’est la coutume, en Perse, que nul ne reçoit audience du monarque, sans l’avoir adoré. » A ces observations d’Artaban, Thémistocle répliqua : « Je suis venu, ô Artaban ! pour augmenter la gloire et la puissance du roi. Oui, j’obéirai à vos lois, puisque telle est la volonté du dieu qui a élevé si haut la fortune des Perses ; bien plus, le roi verra, par mon aide, s’augmenter le nombre de ses adorateurs. Ainsi donc, qu’il n’y ait là aucun obstacle à l’entretien que je veux avoir avec lui. — Mais, dit Artaban, sous quel nom te faut-il annoncer ? car tes sentiments n’ont rien d’un homme vulgaire. — Quant à 290 mon nom, repartit Thémistocle, personne, Artaban, ne le saura avant le roi. » Tel est le récit de Phanias. Ératosthène (68), dans son ouvrage sur la Richesse, ajoute que ce fut une femme érétrienne, concubine d’Artaban, qui recommanda Thémistocle à celui-ci, et qui ménagea leur entrevue.
Quand on l’eut introduit devant le roi, il l’adora, et il se tint en silence jusqu’à ce que l’interprète eût reçu l’ordre de lui demander qui il était. L’interprète fit la question ; et Thémistocle répondit : « Je suis, ô roi, Thémistocle l’Athénien. Banni et persécuté par les Grecs, je viens chercher asile près de toi. J’ai fait bien du mal aux Perses ; mais je leur ai fait plus de bien encore, en empêchant qu’on les poursuivît ; quand la Grèce était sauvée, et mon pays hors de danger, il m’était bien permis de vous rendre quelque service. Aujourd’hui, mes sentiments sont conformes à ma fortune ; et je viens également disposé ou à recevoir tes bienfaits, si ton ressentiment est calmé, ou à le détourner, s’il subsiste encore. Mes ennemis te seront témoins des services que j’ai rendus aux Perses : que mon malheur te serve donc à faire éclater ta vertu, plutôt qu’à satisfaire ta vengeance. Choisis, ou de sauver la vie à un suppliant, qui vient se livrer à toi, ou de perdre un ennemi déclaré des Grecs.
Vous remarquerez que Plutarque fait le même choix que Thucydide, il pense que Thémistocle a rencontré Artaxerxés.
Vous remarquerez la phrase :
"Thucydide et Charon de Lampsaque disent que Thémistocle n’arriva en Perse qu’après la mort de Xerxès, et que c’est au fils de Xerxès qu’il se présenta."
La tournure de la phrase semble indiquer que Thémistocle pensait rencontrer Xerxes et qu'il arriva trop tard, après sa mort, pour rencontrer Artaxerxés, son fils.
Thémistocle a entretenue une correspondance avec un certain Polygnote . Dans sa seconde lettre il écrit qu'arrivé à Ephèse, il a fait les démarches pour rencontrer Xerxès. Vous lisez bien Xerxès. Ce roi est donc toujours en vie quand Thémistocle arrive à Ephèse et formule sa demande d'audience. La suite de cette lettre raconte l'entrevue et reproduit un dialogue avec le roi qui le reçoit.
- "Tu es venu, ô Thémistocle, toi que les Mèdes regardent comme la cause de ce que ni moi ni mon père ne régnons sur les Héllènes".
La réponse de Thémistocle montre qu’il s’adressa bien à Artaxerxès et non à Xerxès qui venait de mourir :
- "Nous nous sommes mis sous ta protection, ô roi, en fuyant la mort, car les Grecs voulaient nous punir des services que nous avons rendus à ton père"
Qu'est ce que cela signifie pour un historien ?
Thémistocle explique que la raison de son exil consiste à avoir rendu des services au père du roi qu'il a en face de lui.
La trahison supposée de Thémistocle ne peut pas avoir concerné Darius, mort en -486, puisque Thémistocle est toujours général grec en -480 lorsqu'il emporte la victoire célébrissime de Salamine sur les Perses.
S'il est accusé, à tort ou à raison, d'avoir rendu des services au père du roi qu'il a en face de lui, ce ne peut-être qu'après -480 et donc qu'après la mort de Darius, mort en -486.
Il a donc en face de lui Artaxerxés qui parle de son père.
Voilà la raison pour laquelle le rapprochement est possible entre tous les historiens qui se disputent sur la date de la rencontre entre Thémistocle et un roi Perse.
Thémistocle souhaitait rencontrer Xerxès mais celui-ci est mort après avoir reçu la lettre de Thémistocle qui va donc rencontrer son fils, Artaxerxés.
Vous avez sans doute lu dans le texte de Thucydide un détail qui vaut de l'or ici :
et là il adressa au Roi Artaxerxès, fils de Xerxès, qui venait de monter sur le trône
Les deux avis divergeants des historiens de l'époque se rejoignent énormément avec cette phrase.
Les uns pensent que Xerxès vivait encore (Diodore), les autres qu'il venait juste de mourir (Thucydide) , et un troisième harmonise tout cela (lettres de Thémistocle): Thémistocle veut rencontrer Xerxès qui meurt entre temps ce qui fait qu'il rencontre Artaxerxés.
Mais tout cela aurait pu se passer en -465 av JC.
Je fais une pause pour reprendre sur la datation de cet événement.