Victime de viol dans l’Église, je demande à l’Église de soutenir nos demandes de réforme de la justice »
tribune
Marie
Vicitime de viol dans l'Eglise
Marie, victime de viol dans l’Église, demande à l’institution d’utiliser « sa position de lobby » pour soutenir les demandes « de réformes légales et judiciaires en matière de violences sexuelles ». Selon elle et d’autres victimes avec lesquelles elle a échangé, notre système judiciaire ne serait pas adapté au cas particulier des violences sexuelles.
Marie, le 28/06/2022 à 12:55
Lecture en 3 min.
« Victime de viol dans l’Église, je demande à l’Église de soutenir nos demandes de réforme de la justice »
Victime de viol dans l’Église, Marie demande à l’institution de soutenir une réforme du système judiciaire.
PAULUS N. RUSYANTO/CREATIVA IMAGES - STOCK.ADOBE.CO
Je suis une victime de viol dans l’Église. Mon long chemin de reconstruction est aujourd’hui dominé par mon difficile combat judiciaire, et je demande à l’Église de m’aider et d’aider les autres victimes des violences commises en son sein dans notre recherche de justice.
L’Église sait avoir une position de lobby ou simplement promouvoir sa doctrine sociale sur les sujets qu’elle veut, comme la bioéthique, l’écologie ou l’accueil des migrants. Elle a encore une certaine influence à l’Assemblée nationale sur ces questions, notamment auprès de partis peu engagés sur la répression des violences sexuelles. Je lui demande donc de soutenir également les demandes de réformes légales et judiciaires en matière de violences sexuelles.
Notre demande de réforme
Comme beaucoup d’autres victimes de violences sexuelles, dans l’Église et ailleurs, j’ai constaté que notre société a un grand besoin de réforme en la matière. La première fois que j’ai été voir une avocate, elle m’a accueillie en m’informant que je n’avais aucune chance d’obtenir justice, tout simplement parce que seulement 2 % des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation pénale. La raison en est un « manque de preuves » dont la définition est bien moins objective que l’expression peut le laisser penser.
À lire aussiViolences sexuelles : « Nous allons tous être confrontés à des vécus d’effondrement »
Les autres victimes de viol que je connais et moi-même disposons de preuves : des aveux écrits, des examens gynécologiques attestant du viol… Mais cela ne suffit pas en cour criminelle. Même lorsque le violeur reconnaît les faits devant la police, cela ne suffit pas. Au mieux, vous aurez une condamnation en correctionnelle, et encore, rarement.
Cela s’explique par les cas de figure qui ont servi à construire notre système judiciaire, mais qui appliqués au cas des agressions sexuelles aboutissent à ne pratiquement jamais condamner les coupables. Pour le dire en bref, notre système judiciaire est conçu pour condamner des assassins ou des cambrioleurs, mais pas des violeurs.
Une loi qui a su s’adapter
Or, la loi française a déjà adapté ses principes dans d’autres domaines où ils étaient inefficaces, comme dans le droit du travail. Étant donné l’inégalité du rapport de force entre un employé et un employeur, pour prouver certains délits comme une « discrimination à l’embauche », on ne demande désormais aux victimes que de présenter des « faisceaux de preuves ». Ce principe permet de faciliter l’établissement de la preuve pour les victimes, et c’est au mis en cause de démontrer son innocence.
À lire aussiViolences sexuelles : faut-il autoriser les victimes à faire appel ?
Introduire ce principe dans un cadre pénal ne saurait bien sûr se faire sans précaution, mais tous les connaisseurs disent que loin d’autoriser des accusations sans fondement, ces aménagements bien conçus donnent simplement aux victimes les moyens de se défendre dans des domaines où établir la charge de la preuve est particulièrement difficile. Son application aux crimes sexuels devrait bien sûr être entourée de conditions (relation hiérarchique entre la victime et le mis en cause, minorité de la victime, etc.).
La véritable réparation : soutenir nos demandes de réforme
Violée en Église, j’ai été particulièrement touchée par le rapport de la Ciase qui a mis en lumière la nature et l’amplitude des crimes que nous avons subis. Je suis touchée aussi par la volonté de réforme qu’ont montrée les autorités de l’Église de France à la suite de ce rapport.
Mais ce n’est pas de l’instance de réparation mise en place par la Conférence des évêques de France que j’ai besoin aujourd’hui. Parce que ni des excuses ni des compensations financières n’apaiseront réellement la torture que c’est de survivre à un viol. Seule la justice le peut. La véritable réparation serait donc pour l’Église de soutenir les victimes dans leurs combats judiciaires et surtout de soutenir les demandes de réformes légales que les victimes appellent de leurs vœux depuis des années. De plus, les victimes potentielles d’abus sexuels ne seront réellement protégées que quand leurs bourreaux sauront qu’ils risquent de la prison ferme.
À lire aussi« Jean-Marc Sauvé s’est saisi du lourd manteau que je portais depuis des années »
L’Église a acquis, avec ces 330 000 abus sexuels, une certaine expérience en la matière ; or elle invoque précisément son « expertise en humanité » lorsqu’elle entend promouvoir sa doctrine sociale auprès de toute la société. Je lui demande donc d’utiliser l’expertise des victimes parmi le peuple de Dieu pour réaliser certains de ses principaux objectifs sur terre : rendre la société plus juste et protéger les femmes, les enfants et toutes les victimes de violences sexuelles.
Y convertir une partie de la société
Si l’Église se faisait la défenseuse des combats pour améliorer la justice dans les affaires de violences sexuelles, elle pourrait aussi influer sur tous les catholiques pratiquants, dont certains travaillent dans la justice, la police ou sont à même de rédiger des règlements intérieurs d’entreprises. En se convertissant à ce combat, l’Église y convertirait aussi une partie de la société.
Et je crois que l’Église ne sera légitime pour demander pardon que lorsqu’elle aura entamé cette démarche pour la justice.
Il y a un psaume qui m’habite depuis que j’ai porté plainte : « Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice. » Je crois sincèrement que Dieu répond, et je supplie l’Église de faire de même.
Archive vidéoAbus sexuels dans l’Église : les catholiques face au choc
https://www.la-croix.com/Debats/Victime ... 1201222365