Victor Brochard était un prestigieux prof d'histoire de la philo, son ouvrage sur les sceptiques grecs est resté classique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Brochard
On peut résumer la thèse: si on comprend bien le xtianisme , ce lui-ci est spinoziste, ou pointe vers la vérité supérieure du spinozisme; la religion est très bonne pour spinoza, si on la purifie elle exprime de facon concrète et imagée le spinozisme plus abstrait, et elle a son existence propre, distincte. On aura semblable scénario avec Hegel, qui place la philo au dessus de la religion, la seconde , bonne, devant se soumettre à la première, plus parfaite.
Malgré des différences on peut noter de grandes ressemblances entre le Dieu religieux et le Dieu spinoziste; cependant le plus intéressant réside dans les citations, assez fortes merci, du Traité de Spinoza.
LE DIEU DE SPINOZA
Il est difficile, quand on passe de la lecture de l’Éthique à celle du Traité théologico-politique, de se défendre d’un sentiment de surprise et de ne pas éprouver quelque embarras. Dans le dernier de ces ouvrages, en effet, Dieu nous est représenté comme communiquant avec les hommes par l’intermédiaire des prophètes et de Jésus-Christ. Il s’intéresse à leur sort, il dirige leurs destinées, en un mot, c’est le Dieu de la tradition judéo-chrétienne, ou, pour me servir d’une expression qui n’est pas du langage de Spinoza, mais que je demande la permission d’employer parce qu’elle est plus commode et plus claire, c’est un Dieu personnel. Je suis loin de prétendre que cette conception soit en contradiction avec celle de l’Éthique, et même le présent travail a pour objet de mettre en lumière l’identité de doctrine entre les deux principaux ouvrages de Spinoza. Mais on accordera sans doute que le Dieu du Traité n’apparaît pas au premier coup d’œil comme identique à la substance infinie, au Dieu immuable et impassible tel qu’il est défini dans l’Éthique. Il n’y a pas lieu pour expliquer cette différence d’invoquer des dates, de supposer que les deux livres aient été composés à des époques différentes et que le philosophe ait modifié ses opinions aux divers moments de sa vie. Tous deux, en effet, appartiennent à la même période, le Traité ayant été publié en 1670 et l’Éthique en 1676. Il ne saurait être douteux, d’ailleurs, pour aucun lecteur attentif que, au moment où il écrit le Traité, Spinoza ne soit en pleine possession de sa pensée. Il fait des allusions à la doctrine de l’Éthique, et, sur bien des points, la thèse qu’il soutient est en complet accord avec celle qui règne dans le dernier de ces ouvrages. D’autre part, on trouve dans l’Éthique, ainsi que nous le montrerons plus loin, divers passages qui se rattachent visiblement aux opinions exprimées dans le Traité. Il faut donc, si l’on veut exactement démêler la pensée du philosophe, se faire de la divinité une conception assez large et assez compréhensible pour convenir à la fois au Dieu de l’Éthique et à celui du Traité. C’est cette idée que nous voudrions essayer de dégager. Indépendamment de l’intérêt qu’elle présente par elle-même, une telle recherche nous donnera peut-être l’occasion de mettre en lumière un aspect du système de Spinoza, quelquefois méconnu, oublié ou laissé dans l’ombre. Il ne sera pas inutile, sans doute, de rappeler sommairement le point de vue si original et si curieux où se place Spinoza dans le Traité théologico-politique. Il faudra ensuite résumer la théorie de la divinité qui est formulée dons l’Éthique.
I
Dans le Traité théologico-politique, Spinoza traite un sujet dont on peut dire qu’il a préoccupé à des degrés différents tous les philosophes modernes : les rapports de la raison et de la foi. La solution qu’il donne de ce problème est à la fois très nette et très hardie. La raison et la foi ont chacune son domaine séparé ; la raison, à l’aide de la lumière naturelle et des idées claires et distinctes, nous permet de comprendre la réalité, de connaître les vérités éternelles ; elle nous apprend que Dieu est un être absolument infini et parfait, en qui l’entendement et la volonté ne font qu’un et dont toutes les manières d’être se développent en vertu d’une nécessité absolue. La foi « consiste à savoir sur Dieu ce qu’on n’en peut ignorer sans perdre tout sentiment d’obéissance à ses décrets et ce qu’on en sait par cela seul qu’on a ce sentiment d’obéissance ». Ainsi la foi nous représente la divinité comme ayant une volonté libre. C’est un chef, un législateur ou un roi qui édicte des lois ou des décrets auxquels les hommes sont tenus de se soumettre sans les comprendre. Elle a pour objet uniquement l’obéissance et la piété. Entre la raison et la foi il n’y a pas, pour nous du moins, de passage possible, la seconde ne se déduit pas de la première. « Je soutiens d’une manière absolue que la lumière naturelle ne peut découvrir ce dogme fondamental de la théologie ou du moins qu’il n’y a personne qui l’ait démontré et conséquemment que la révélation était d’une indispensable nécessité. » « Par où j’entends que ce n’est point la raison, mais la révélation seule qui peut démontrer qu’il suffit pour le salut ou la béatitude d’embrasser les décrets divins à titre de lois et de commandements, sans qu’il soit nécessaire de les concevoir à titre de vérités éternelles ». Ce n’est pas que dans l’absolu et pour une intelligence plus puissante que la nôtre ce passage ou cette déduction soit tout à fait impossible. Dans un texte fort curieux du Traité, Spinoza en admet expressément l’intelligibilité. « Bien qu’il soit aisé de comprendre que Dieu se puisse communiquer immédiatement aux hommes, puisque sans aucun intermédiaire corporel il communique son essence à notre âme, il est vrai néanmoins qu’un homme, pour comprendre par la seule force de son âme des vérités qui ne sont point contenues dans les premiers principes de la connaissance humaine et n’en peuvent être déduites, devrait posséder une âme bien supérieure à la nôtre et bien plus excellente. Aussi je ne crois pas que personne ait jamais atteint ce degré de perfection, hormis Jésus-Christ, à qui furent révélés immédiatement sans paroles et sans visions ces décrets de Dieu qui mènent l’homme au salut. » La légitimité de la foi est fondée uniquement sur un fait historique qui est la Révélation. [ 335] La Révélation elle-même a été transmise par les prophètes, et ceux-ci se distinguent par un triple caractère : d’abord la vivacité de leur imagination, puis les signes qu’ils ont donnés, enfin la pureté de leurs mœurs. Les signes ou preuves varient, d’ailleurs, selon les auditeurs auxquels ils s’adressaient et aussi selon le tempérament, l’éducation ou l’intelligence des prophètes
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Il y a donc deux sortes de certitudes, l’une mathématique ou rationnelle, l’autre morale, indépendantes l’une de l’autre, légitimes toutes deux, quoique de valeur différente : « Par [336] choses concevables je n’entends pas seulement celles qui se démontrent d’une façon rigoureuse, mais aussi celles que notre esprit peut embrasser avec une certitude morale, et que nous concevons sans étonnement, bien qu’il soit impossible de les démontrer. Tout le monde conçoit les propositions d’Euclide avant d’en avoir la démonstration. De même les récits historiques, soit qu’ils se rapportent au passé ou à l’avenir, pourvu qu’ils soient croyables. Les institutions des peuples, leur législation, leurs mœurs, voilà des choses que j’appelle concevables et claires, quoiqu’on n’en puisse donner une démonstration mathématique. »
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De même qu’il y a deux certitudes, il y a deux puissances distinctes et entièrement indépendantes l’une de l’autre, la philosophie et la théologie, nous tenons pour une vérité inébranlable que la théologie ne doit pas relever de la raison ni la raison de la théologie, mais que chacune est souveraine dans son domaine. De même encore il y a deux manières d’arriver à la béatitude et d’assurer son salut. Le philosophe y parvient en conformant sa conduite à la raison, c’est-à-dire en comprenant que la vertu est le suprême bien, en domptant ses passions, en observant la justice, la charité, et en aimant son prochain comme lui-même. Les autres hommes atteignent le même but en obéissant aux préceptes de la religion ou aux règles de la piété. Par des chemins différents ils arrivent aux mêmes points, pour des raisons différentes ils accomplissent les mêmes actions.
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Quant à ceux qui ne pratiquent la vertu ni par connaissance vraie ni par obéissance à la foi, il a pour eux des paroles sévères et il les met en quelque sorte hors de l’humanité. « Il résulte de nos principes qu’un homme qui ne connait pas l’Écriture et n’est pas non plus éclairé sur les grands objets de la foi par la lumière naturelle, un tel homme est, je ne dis pas un impie, un esprit rebelle, mais quelque chose qui n’a rien d’humain, presque une brute, un être abandonné de Dieu. » Ainsi le philosophe et le croyant, par des chemins différents, arrivent au même résultat, l’un parce qu’il connaît avec évidence la vertu et le vrai bien, l’autre parce que, sans comprendre, mais par obéissance, il applique les mêmes préceptes.
A y regarder de près, en effet, la religion révélée exprime sous une autre forme les mêmes vérités que la science découvre par la lumière naturelle. La plupart des hommes ne sauraient s’élever à la connaissance vraie, leur esprit est trop faible, les passions par lesquelles ils dépendent du reste de la nature ont trop d’ascendant sur leur âme pour qu’ils puissent [338] se placer au véritable point de vue et apercevoir l’enchaînement des causes naturelles. Il fallait donc, ou les abandonner à eux-mêmes, ou, par un moyen détourné, les amener au même résultat. C’est pourquoi Dieu leur a révélé la religion. La religion présente comme des décrets édictés par un législateur ou un roi les vérités qui résultent nécessairement de l’essence de Dieu. Elle remplace l’intelligence par l’obéissance, l’amour par la soumission et la piété ; mais, dans un cas comme dans l’autre, c’est la même vérité qui est enseignée sous deux formes différentes. La loi morale est l’équivalent de la loi naturelle, elle est la loi naturelle exprimée en un autre langage proportionné à la faiblesse humaine, mise à la portée de ceux qui n’ont pas le loisir ou le moyen d’approfondir la connaissance véritable. « Pour ce qui est de la loi divine naturelle dont le souverain précepte est, selon moi, qu’il faut aimer Dieu, je lui ai donné le nom de loi dans le même sens où les philosophes appellent de ce nom les règles universelles selon lesquelles toutes choses se produisent dans la nature ». Mais, d’autre part, « tous les moyens nécessaires pour atteindre la fin suprême des actions humaines, je veux dire Dieu en tant que nous en avons l’idée, peuvent très bien s’appeler des commandements de Dieu, puisque l’emploi de ces moyens nous est, en quelque sorte, prescrit par Dieu même, en tant qu’il existe dans notre âme, et par conséquent la règle de conduite qui se rapporte à cette fin peut aussi bien recevoir le nom de loi divine ». Comme en Dieu l’entendement et la volonté sont une même chose et ne diffèrent que par rapport à notre pensée, on peut dire également qu’il entend les vérités éternelles, ou qu’il les prescrit comme des commandements. Ainsi « Adam comprit la révélation non pas comme vérité éternelle et nécessaire, mais comme une loi, je veux dire comme un commandement suivi de récompense ou de punition, non par la nécessité même et la nature de l’acte accompli, mais seulement par le vouloir d’un prince et par son autorité absolue ».
Il est à peine besoin de remarquer qu’en formulant cette [ 339] doctrine Spinoza ne raisonne pas comme ceux qui disent qu’il faut une religion pour le peuple. Il n’y a dans sa pensée aucun scepticisme ; il ne considère pas les préceptes religieux comme des moyens de gouvernement inventés par les politiques. Il ne croit pas que les sévères maximes de la morale, prescrites par la religion, soient bonnes seulement pour les simples, et que les habiles puissent se mettre au-dessus d’elles et se dispenser de les observer. Ce ne sont pas les hommes qui ont inventé la religion, c’est Dieu lui-même qui la leur a révélée, parce qu’il a voulu mettre à la portée de tous et proportionner à la faiblesse d’esprit du vulgaire la vérité accessible seulement à un petit nombre d’intelligents. « Le peuple dont le génie grossier est incapable de percevoir les choses d’une façon claire et distincte ne peut absolument se passer des récits (de l’Écriture) ».
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s’agit ici d’un point si important qu’il faut citer les paroles mêmes de Spinoza : « A Jésus-Christ furent révélés immédiatement, sans paroles et sans visions, ces décrets de Dieu qui mènent l’homme au salut : Dieu se manifeste donc aux apôtres par l’âme de Jésus-Christ comme il avait fait à Moïse par une voix aérienne… On peut dire aussi dans ce même sens que la sagesse de Dieu, j’entends une sagesse plus qu’humaine, s’est revêtue de notre nature dans la personne de Jésus-Christ et que Jésus-Christ a été la voie du salut… c’est d’âme à âme que Jésus communiquait avec Dieu. » – « Il faut admettre que le Christ, bien qu’il paraisse, lui aussi, avoir prescrit les lois, au nom de Dieu, comprenait les choses dans leur vérité d’une manière adéquate, car le Christ a moins été un prophète que la bouche même de Dieu. C’est par l’âme du Christ (nous l’avons prouvé au chapitre Ier) que Dieu a révélé au genre humain certaines vérités, comme il avait auparavant fait aux Juifs par l’intermédiaire des anges, par une voix créée, par des visions, etc
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Toutefois il ne faut pas ici se laisser duper par les apparences ni jouer sur les mots. Spinoza n’est pas un croyant, puisqu’il met la foi au-dessous de la raison, puisqu’il considère la révélation comme une transposition de la vérité mise à la portée des simples. La foi est une connaissance inadéquate, et, selon l’esprit et la lettre même de sa doctrine, l’idée inadéquate ne diffère guère de l’erreur.
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Toutefois, sans soutenir que Spinoza a professé aucune religion positive, il ne semble pas impossible qu’il ait admis la révélation comme un fait historique attesté par l’expérience et fondé sur une certitude morale
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. Il admet aussi la révélation, et en ce sens il est chrétien, mais en l’expliquant à sa manière. Il est à remarquer, en effet, que, même dans les deux lettres que nous venons de citer et où il prend surtout à partie les dogmes de l’Église romaine, il ne conteste pas la révélation chrétienne. Dans la lettre à Oldenburg, il fait une différence entre la superstition fondée sur l’ignorance et la religion fondée sur la sagesse. « Pour vous montrer, dit-il, encore plus ouvertement ma pensée sur le troisième point, je dis qu’il n’est pas absolument nécessaire de connaître le Christ selon la chair ; mais il en est tout autrement si on parle de ce Fils de Dieu, c’est-à-dire de cette éternelle sagesse de Dieu qui s’est manifestée en toutes choses, et principalement dans l’âme humaine, et, plus encore que partout ailleurs, dans Jésus-Christ. Sans cette sagesse nul ne peut parvenir à l’état de béatitude, puisque c’est elle seule qui nous enseigne ce que c’est que le vrai et le faux, le bien et le mal. Et comme cette sagesse, ainsi que je viens de le dire, s’est surtout manifestée par Jésus-Christ, ses disciples ont pu la prêcher telle qu’elle leur a été révélée par lui, et ils ont montré qu’ils pouvaient se glorifier d’être animés de l’esprit du Christ plus que tous les autres hommes. »
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[Sur une duplicité possible de Spinoza]
Surtout, on ne s’expliquerait pas le ton toujours très respectueux sur lequel il parle de la révélation religieuse en général. Peut-on supposer qu’il n’ait pas cru sincèrement à la réalité de la révélation, le philosophe qui a écrit cette page ? « Ce n’est pas un effet du hasard que la parole de Dieu dans les prophètes s’accorde parfaitement avec cette même parole qui se fait entendre en nous… Ainsi ce fondement de toute la théologie et de l’Écriture, bien qu’il ne puisse être établi par raisons mathématiques, peut être néanmoins accepté par un esprit bien fait, car ce qui a été confirmé par le témoignage de tant de prophètes, ce qui est une source de consolation pour les simples d’esprit, ce qui procure de grands avantages à l’État, ce que nous pouvons croire absolument sans risque ni peine, il y aurait folie à le rejeter par ce seul prétexte que cela ne peut être démontré mathématiquement, comme si, pour régler sagement la vie, nous n’admettions comme vraies que des propositions qu’aucun doute ne peut atteindre, ou comme si la plupart de nos actions n’étaient pas très incertaines et pleines de hasard. » « … Mais avant d’aller plus loin, je veux marquer ici expressément (quoique je l’aie déjà fait) l’utilité et la nécessité de la sainte Écriture ou de la révélation, que j’estime très grandes ; car, puisque nous ne pouvons, par le seul secours de la lumière naturelle, comprendre que la simple obéissance soit la voie du salut, puisque la révélation seule nous apprend que cela se fait par une grâce de Dieu toute particulière que la raison ne peut atteindre, il s’ensuit que l’Écriture a apporté une bien grande consolation aux mortels. Tous les hommes, en effet, peuvent obéir ; mais il y en a bien peu, si vous les comparez à tout le genre humain, qui acquièrent la vertu en ne suivant que la direction de la raison, à ce point que, sans le témoignage de l’Écriture, nous douterions presque du salut de tout le genre humain. »
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En dernière analyse, le Dieu de Spinoza est un Dieu personnel. Il reste maintenant à savoir comment tout cela s’accorde avec les textes de l’Éthique.
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il n’y a pas dans l’Éthique une seule ligne qui contredise directement ou expressément l’interprétation que nous venons de résumer.
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Rien peut être n’a paru décisif pour établir le caractère impersonnel du Dieu de Spinoza que sa conception de la matière. Il dit en propres termes que Dieu est la cause immanente du monde et non pas la cause transitive.
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. Il reste seulement à savoir si, en s’exprimant ainsi, Spinoza a cru qu’une telle conception excluait de la nature divine la conscience de soi, la distinction d’avec le monde, et la liberté en quelque sens que ce soit. Les textes qu’on a lus ci-dessus établissent clairement qu’il n’a pas aperçu cette incompatibilité.
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- bien qu’identique au monde, Dieu se distingue de lui comme la cause de ses effets et la substance de ses modes. Il prend conscience de lui. Il y a une différence entre la nature naturante et la nature naturée.
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un curieux passage d’une de ses lettres, écrite après la composition de l’Éthique : « N’allez pas croire que je nie l’utilité des prières ; car mon esprit est trop borné pour déterminer tous les moyens dont Dieu se sert pour amener les hommes à l’aimer, c’est-à-dire à faire leur salut. Mon sentiment n’a donc rien de nuisible, et tout au contraire il est pour tout homme, dégagé de superstition puérile et de préjugés, le seul moyen de parvenir au comble de la béatitude. »
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Dans une autre lettre, Spinoza se déclare incapable de démontrer mathématiquement que l’Écriture est la parole de Dieu révélée comme elle l’est, en effet. « Je ne puis donner de cette vérité une démonstration mathématique sans le secours d’une révélation divine ; c’est pourquoi je me suis exprimé de cette sorte. Je crois, mais je ne sais pas mathématiquement tout ce que Dieu a révélé aux prophètes. En effet, je crois fermement, mais sans le savoir d’une façon mathématique, que les prophètes ont été les conseillers intimes de Dieu et ses fidèles ambassadeurs. » Sans sortir de l’Éthique même, plusieurs passages nous montrent que la pensée du philosophe est au fond la même que dans le Traité théologico-politique. La doctrine du Traité théologico-politique sur le rôle des prophètes, de Moïse et de Jésus-Christ est expressément indiquée dans le Scholie de la Proposition LXVIII de la IVe partie. La définition qu’il donne de la religion et de la piété dans le Scholie I de la Proposition XXXVII, partie IV, s’accorde pleinement avec l’esprit et la lettre de ce dernier ouvrage. « Tout désir, toute action dont nous sommes nous-mêmes la cause, en tant que nous avons l’idée de Dieu, je les rapporte à la religion. J’appelle piété le désir de faire le bien dans une âme que la raison conduit. »
Il paraît donc que le Dieu de Spinoza est beaucoup moins différent qu’on ne l’a cru quelquefois du Dieu de la tradition judéo-chrétienne
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Après tout, il n’y a peut-être pas un abîme entre la conception qui considère tous les êtres finis comme des modes de la substance, si d’ailleurs ces modes sont distincts les uns des autres et de la substance elle-même, et la conception cartésienne qui considère ces mêmes êtres comme des effets distincts sans doute de leur cause, mais dépendants d’elle de telle sorte qu’ils n’existent à chaque moment que par son concours toujours présent et continué de telle sorte que tous leurs actes présents et futurs puissent être rigoureusement prévus par elle.
On peut ajouter les 7 dogmes de la religion universelle ("catholique" au sens etymologique), dit credo minimum, précisés par Spinoza:
1 Il existe un Dieu, c’est-à-dire un être suprême, souverainement juste et miséricordieux, autrement dit modèle de la vie vraie. […]
2 Dieu est unique. […]
3 il est présent partout […]
4 il a sur toutes choses droit et pouvoir suprême et il ne fait rien sous la contrainte d’un droit mais il agit toujours par bon plaisir absolu et grâce singulière […]
5 le culte de Dieu et l’obéissance à Dieu consistent uniquement dans la justice et la charité, c’est-à-dire dans l’amour envers le prochain.
6 tous ceux qui obéissent à Dieu en suivant cette règle de vie sont sauvés, et eux seuls ; quant aux autres, qui vivent sous l’empire des plaisirs, ils sont perdus […]
7 enfin Dieu remet leurs péchés à ceux qui se repentent […] celui qui croit fermement que Dieu, en vertu de sa miséricorde et de sa grâce, par lesquelles il dirige toutes choses, remet les péchés des hommes, et qui pour cette raison brûle d’un plus grand amour pour Dieu, celui-là connaît vraiment le Christ selon l’Esprit et le Christ est en lui24.
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Voici une présentation du Prof. Victor Delbos, bien connu de tous les étudiants de Kant:
CE QU’EN DIT L’ÉDITEUR
Dans leur première livraison de la réédition complète des Etudes de philosophie ancienne et de philosophie moderne (1912) de Victor Brochard, les éditions Manucius reprennent les chapitres consacrés à Spinoza (chapitres IV et V). Son ami Victor Delbos les présente ainsi : "A un fantôme de spinozisme, créé, semble-t-il, tout juste pour être exorcisé, il voulait substituer l'image exacte du spinozisme réel, qui, selon lui, ne méconnaissait ni l'individualité des âmes, ni même en un sens la personnalité de Dieu. Au lieu de ramener l'inspiration du Traité théologico-politique aux démonstrations de l'Ethique, par surcroît très étroitement et inexactement comprises, il élargissait la signification de l'Ethique de façon à lui faire ratifier telles quelles les formules du Théologico-politique, à lui faire admettre l'existence du Dieu personnel, du Dieu même de la tradition juive. Et du même coup, il montrait comment le spinozisme recouvre d'une forme moderne une synthèse de conceptions juives et de conceptions grecques déjà constituée par Philon et propagée par le courant néo-platonicien qui traverse tout le Moyen Age".