Résumé :
Ce livre paru en 1905, sous le titre original « Erkenntnis und Irrtum », a été écrit par le physicien Allemand Ernst Mach. Il traite principalement la psychologie de la recherche scientifique, les processus suivant lesquelles se forment les pensées et les jugements, ainsi que les circonstances d’erreurs. Il cherche, à travers des exemples des méthodes de recherche des savants, les méthodes et les manières dont la science est construite.
LA
CONNAISSANCE
ET L’ERREUR
traduction de Marcel DUFOUR
PREFACE
La science ne peut espérer atteindre le réel et il n’existe que ce qui peut être observé et exprimé sous la forme de lois expérimentales.
La science ne progresse valablement que mûe par la recherche d’une économie de pensée.
Mach envisage la vie psychique, et notamment le travail scientifique, comme un aspect de la vie organique, et il en cherche l’origine profonde dans les exigences biologiques.
Pour lui, les premières fonctions psychiques ont leur source dans l’économie de l’organisme tout comme les mouvements et la digestion.
Nos sensations nous apparaissent comme le fondement unique de ce que nous savons; il est donc important de les analyser soigneusement.
Le Moi et le Monde extérieur sont des constructions empiriques et non pas des notions métaphysiques.
Nous appelons ce qui est immédiatement donné à tous le Physique, et ce qui n’est immédiatement donné qu’à un seul le Psychique.
L’observation seule nous apporte la conviction que les sensations d’un homme sont en relation avec celles des autres hommes et qu’il y a un monde physique commun.
Si tous les hommes avaient des hallucinations identiques, nous n’aurions pas de moyen de reconnaître ces hallucinations comme telles, et nous pourrions dire, d’une façon paradoxale et pourtant exacte, que notre concept ou monde extérieur résulte de ces hallucinations communes en rapport de dépendance régulière les unes avec les autres.
Nous avons ainsi distingué le domaine physique et le domaine psychique, mais il faut bien remarquer que ces deux domaines sont formés des mêmes éléments, les sensations, et qu’il n’y a pas entre eux opposition absolue.
Le but de la science est de mettre de l’ordre dans les données sensibles, de chercher avec toute l’économie de pensée possible les relations de dépendance qui existent entre les sensations, et de réaliser une construction aussi uniforme que possible pour nous éviter la fatigue intellectuelle.
Une connaissance scientifique comporte la description, c’est-à-dire l’imitation mentale d’un fait, et cette description doit pouvoir remplacer l’expérience et l’économiser.
La science s’édifie peu à peu par l’adaptation progressive des idées aux faits et des idées entre elles.
On peut à bon droit qualifier d’économique le procédé qui permet d’embrasser facilement tous ces faits et de les reproduire mentalement.
Cette double adaptation des idées aux faits et des idées entre elles se trouve réalisée par divers processus dont M. Mach a étudié tout spécialement le développement historique pour diverses branches de la physique, notamment par l’expérimentation mentale et l’expérimentation physique.
La relation de cause à effet, qui a joué un grand rôle dans le développement de la science, est insuffisante et imprécise; il y a grand avantage à la remplacer par la notion de fonction, qui est d’une application beaucoup plus générale.
Le but de la science est donc d’exprimer les faits de la façon la plus économique et la plus simple pour nous permettre de prévoir dans une certaine mesure ce qui va se passer, et de compléter mentalement des faits incomplètement connus.
Le but de la science n’est pas de chercher le réel, car, à supposer que l’on veuille attribuer à la nature la propriété de donner des résultats identiques dans des circonstances identiques, on ne saurait y trouver les circonstances identiques: «la nature n’est là qu’une fois», et les cas identiques n’existent que dans notre représentation schématique.
Sans être philosophe le moins du monde, sans même en accepter le nom, le savant à le besoin impérieux d’examiner les méthodes par lesquelles il acquiert ou étend ses connaissances.
Le savant pourra se déclarer satisfait s’il reconnaît que l’activité psychique consciente du chercheur est une modification méthodiquement expliquée, aiguisée et affinée de l’activité instinctive des animaux et des hommes, activité qui intervient journellement dans la vie à l’état de nature et dans la civilisation.
Je dis avec Schuppe: le pays du transcendant m’est fermé, et, en outre, je déclare ouvertement que ses habitants ne peuvent nullement exciter ma curiosité scientifique.
Je ne songe pas à introduire de philosophie nouvelle dans les sciences de la nature, mais j’en voudrais séparer une ancien philosophie vieillie, et cet effort a d’ailleurs été mal pris par plus d’un savant.
Parmi les nombreux dogmes philosophiques qui ont vu le jour dans le cours du temps, il y en a beaucoup que les philosophes eux-mêmes ont reconnus pour des erreurs, ou exposés d’une façon si claire qu’ils peuvent aisément être reconnus comme tels par toute personne prévenue.
Rencontrant dans les sciences une critique moins attentive, ces dogmes y ont subsisté plus longtemps: ils sont inutiles, ils créent même de pseudo-problèmes dangereux et oiseux; il n’y a rien de mieux à faire qu’à les mettre de côté.
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La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
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La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 15 août23, 14:34
Modifié en dernier par J'm'interroge le 16 août23, 22:00, modifié 2 fois.
La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
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Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 16 août23, 02:24à mon avis, l'erreur est fondamentale en science.
Unir l'humanité. Un seul Dieu. Les grandes religions de Dieu. Femmes, hommes sont égaux. Tous les préjugés sont destructeurs et doivent être abandonnés. Chercher la vérité par nous-mêmes. La science et la religion en harmonie. Nos problèmes économiques sont liés à des problèmes spirituels. La famille et son unité sont très importantes.
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Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 16 août23, 21:56.
CHAPITRE I - CHAPITRE I - SCIENCE SCIENCE SCIENCE ET PHILOSOPHIE ET PHILOSOPHIE ET PHILOSOPHIE
Dans des conditions simples, constantes et favorables, les animaux vivants inférieurs s’adaptent aux circonstances par des réflexes innés, et cela suffit généralement à assurer pendant un certain temps la conservation de l’individu et de l’espèce. Dans des conditions plus compliquées et moins constantes, l’animal ne résiste que s’il est capable de s’adapter à des modifications plus considérables du milieu. Il lui faut pour cela voir de plus loin dans l’espace et le temps; il y arrive d’abord grâce à des organes des sens plus parfaits, et, par suite de l’accroissement des besoins, l’intelligence se développe davantage.
En fait, un être vivant, ayant de la mémoire, possède au point de vue psychique un champ d’action plus étendu que ce que ses sens lui permettent d’atteindre directement dans l’espace et dans le temps. Ce qui assurait à l’homme primitif un avantage quantitatif sur les animaux avec lesquels il vivait, c’était tout simplement la puissance de sa mémoire individuelle, soutenue progressivement par les souvenirs mis en commun des ancêtres et de la race.
Chez la plupart des hommes, le rôle de l’intelligence est de compléter par la pensée un fait partiellement observé.
-Le chasseur se représente les habitudes du gibier qu’il épie pour y conformer sa façon de chasser.
-L’agriculteur songe aux sols convenables, au temps opportun pour les semailles, à l’époque de la maturité d’une plante qu’il veut cultiver.
L’achèvement par la pensée d’un fait donné en partie seulement est un trait commun à la pensée vulgaire et à l’esprit scientifique.
-Galilée cherche tout simplement à se représenter tout le cours du mouvement d’une pierre lancée dans une direction donnée avec une vitesse initiale donnée.
Si on jette un regard en arrière, on voit que le progrès scientifique est
dû à une correction continue de la pensée vulgaire.
La représentation des faits par la pensée, ou l’adoption des pensées aux faits nous permet, si des faits n’ont été observés que partiellement, de prévoir les éléments qui les complètent, dans la mesure où leur complément se trouve déterminé par ce que nous connaissons déjà. Les caractères des faits sont liés entre eux, et c’est en cela que consiste leur détermination.
Ces caractères des faits sont le point de départ de la pensée. La pensée vulgaire, comme la pensée scientifique à son début, doit se contenter d’une adaptation très grossière des idées aux faits, et il n’y a pas encore entre ces idées une concordance parfaite. (modifié)
Pour compléter notre satisfaction intellectuelle, il faut en outre adapter nos pensées les unes aux autres. Ce dernier effort, qui est l’épuration logique de la pensée, mais qui dépasse de beaucoup ce but, est, par excellence, le caractère distinctif de la science par opposition avec la pensée vulgaire. Effectivement, celle-ci s’applique presque uniquement à la réalisation de buts pratiques, et cela lui suffit.
Tous les individus, à l’éveil de leur pleine conscience, trouvent toute faite en eux-mêmes une vue du monde à laquelle ils n’ont pas volontairement contribué. Chacun la reçoit comme un don de la nature et de la civilisation. Tout penseur doit forcément prendre cette image comme point de départ, la développer et la corriger, en mettant à profit les expériences de ses devanciers et en évitant de son mieux leurs erreurs: bref, il doit s’orienter lui-même et n’avancer qu’avec prudence.
En quoi consiste cette vue du monde? Je me trouve dans l’espace, entouré de différents corps qui y sont mobiles. Certains de ces corps sont inanimés. Les autres sont des plantes, des animaux ou des hommes. Mon corps, mobile lui aussi dans l’espace, est pour moi un objet visible, tangible, sensible, qui occupe une partie de l’espace et s’y trouve comme les autres corps à côté et en dehors d’eux. Mon corps se distingue des corps des autres hommes par des caractères individuels, et son contact donne naissance à des impressions spéciales que je n’éprouve pas quand d’autres corps se touchent. De plus, il n’est pas, comme le corps des autres hommes, complètement visible pour mon œil; il m’apparaît sous une perspective toute particulière et je ne puis voir les autres corps du même point de vue. Il en est de même pour le sens du tact et pour les autres sens. Par exemple, j’entends ma voix tout autrement que la voix des autres hommes.
J’ai des souvenirs, des espérances, des craintes, des instincts, des désirs, des volitions, etc. que je trouve en moi sans les faire, pas plus que je ne donne l’existence aux corps qui m’entourent. Mais à ces volontés se rattachent des mouvements d’un certain corps qui, par ce fait, comme par ce que j’ai dit plus haut, se caractérise comme mon corps. Par une analogie irrésistible, je pense que, aux corps d’hommes et d’animaux, se rattachent des souvenirs, des espérances, des craintes, des volitions, des instincts et de désirs analogues à ceux qui sont rattachés à mon corps. D’après la manière d’agir des autres hommes, je suis encore forcé d’admettre que pour eux, mon corps et les corps sont aussi immédiatement présents que le sont pour moi, leurs corps et les autres corps. Par contre mes souvenirs, mes désirs, etc., ne sont pour eux que la conclusion d’un raisonnement par analogie, comme le sont pour moi leurs souvenirs, leurs désirs, etc.
On peut appeler le physique tout ce qui dans l’espace est immédiatement donné à tous; d’autre part, on appellera provisoirement le psychique ce qui n’est immédiatement donné qu’a un seul, et qui, pour les autres, n’est connu que par analogie. Le moi (au sens étroit) d’un individu désignera l’ensemble de ce qui n’est immédiatement donné qu’à lui.
Autour de moi, dans l’espace, les choses que je peux observer dépendent les unes des autres. Une aiguille magnétique se déplace dès que j’en approche suffisamment près un autre aimant. Un corps s’échauffe près du feu et se refroidit au contact d’un morceau de glace. La flamme d’une lampe rend visible une feuille de papier dans l’obscurité. La conduite des autres hommes me force à admettre que leurs perceptions ressemblent aux miennes. Nous avons le plus grand intérêt à savoir comment les phénomènes dépendent les uns des autres, aussi bien dans le but pratique de satisfaire nos besoins, que au point de vue théorique, pour prévoir par la pensée la suite d’une observation incomplète.
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CHAPITRE I - CHAPITRE I - SCIENCE SCIENCE SCIENCE ET PHILOSOPHIE ET PHILOSOPHIE ET PHILOSOPHIE
Dans des conditions simples, constantes et favorables, les animaux vivants inférieurs s’adaptent aux circonstances par des réflexes innés, et cela suffit généralement à assurer pendant un certain temps la conservation de l’individu et de l’espèce. Dans des conditions plus compliquées et moins constantes, l’animal ne résiste que s’il est capable de s’adapter à des modifications plus considérables du milieu. Il lui faut pour cela voir de plus loin dans l’espace et le temps; il y arrive d’abord grâce à des organes des sens plus parfaits, et, par suite de l’accroissement des besoins, l’intelligence se développe davantage.
En fait, un être vivant, ayant de la mémoire, possède au point de vue psychique un champ d’action plus étendu que ce que ses sens lui permettent d’atteindre directement dans l’espace et dans le temps. Ce qui assurait à l’homme primitif un avantage quantitatif sur les animaux avec lesquels il vivait, c’était tout simplement la puissance de sa mémoire individuelle, soutenue progressivement par les souvenirs mis en commun des ancêtres et de la race.
Chez la plupart des hommes, le rôle de l’intelligence est de compléter par la pensée un fait partiellement observé.
-Le chasseur se représente les habitudes du gibier qu’il épie pour y conformer sa façon de chasser.
-L’agriculteur songe aux sols convenables, au temps opportun pour les semailles, à l’époque de la maturité d’une plante qu’il veut cultiver.
L’achèvement par la pensée d’un fait donné en partie seulement est un trait commun à la pensée vulgaire et à l’esprit scientifique.
-Galilée cherche tout simplement à se représenter tout le cours du mouvement d’une pierre lancée dans une direction donnée avec une vitesse initiale donnée.
Si on jette un regard en arrière, on voit que le progrès scientifique est
dû à une correction continue de la pensée vulgaire.
La représentation des faits par la pensée, ou l’adoption des pensées aux faits nous permet, si des faits n’ont été observés que partiellement, de prévoir les éléments qui les complètent, dans la mesure où leur complément se trouve déterminé par ce que nous connaissons déjà. Les caractères des faits sont liés entre eux, et c’est en cela que consiste leur détermination.
Ces caractères des faits sont le point de départ de la pensée. La pensée vulgaire, comme la pensée scientifique à son début, doit se contenter d’une adaptation très grossière des idées aux faits, et il n’y a pas encore entre ces idées une concordance parfaite. (modifié)
Pour compléter notre satisfaction intellectuelle, il faut en outre adapter nos pensées les unes aux autres. Ce dernier effort, qui est l’épuration logique de la pensée, mais qui dépasse de beaucoup ce but, est, par excellence, le caractère distinctif de la science par opposition avec la pensée vulgaire. Effectivement, celle-ci s’applique presque uniquement à la réalisation de buts pratiques, et cela lui suffit.
Tous les individus, à l’éveil de leur pleine conscience, trouvent toute faite en eux-mêmes une vue du monde à laquelle ils n’ont pas volontairement contribué. Chacun la reçoit comme un don de la nature et de la civilisation. Tout penseur doit forcément prendre cette image comme point de départ, la développer et la corriger, en mettant à profit les expériences de ses devanciers et en évitant de son mieux leurs erreurs: bref, il doit s’orienter lui-même et n’avancer qu’avec prudence.
En quoi consiste cette vue du monde? Je me trouve dans l’espace, entouré de différents corps qui y sont mobiles. Certains de ces corps sont inanimés. Les autres sont des plantes, des animaux ou des hommes. Mon corps, mobile lui aussi dans l’espace, est pour moi un objet visible, tangible, sensible, qui occupe une partie de l’espace et s’y trouve comme les autres corps à côté et en dehors d’eux. Mon corps se distingue des corps des autres hommes par des caractères individuels, et son contact donne naissance à des impressions spéciales que je n’éprouve pas quand d’autres corps se touchent. De plus, il n’est pas, comme le corps des autres hommes, complètement visible pour mon œil; il m’apparaît sous une perspective toute particulière et je ne puis voir les autres corps du même point de vue. Il en est de même pour le sens du tact et pour les autres sens. Par exemple, j’entends ma voix tout autrement que la voix des autres hommes.
J’ai des souvenirs, des espérances, des craintes, des instincts, des désirs, des volitions, etc. que je trouve en moi sans les faire, pas plus que je ne donne l’existence aux corps qui m’entourent. Mais à ces volontés se rattachent des mouvements d’un certain corps qui, par ce fait, comme par ce que j’ai dit plus haut, se caractérise comme mon corps. Par une analogie irrésistible, je pense que, aux corps d’hommes et d’animaux, se rattachent des souvenirs, des espérances, des craintes, des volitions, des instincts et de désirs analogues à ceux qui sont rattachés à mon corps. D’après la manière d’agir des autres hommes, je suis encore forcé d’admettre que pour eux, mon corps et les corps sont aussi immédiatement présents que le sont pour moi, leurs corps et les autres corps. Par contre mes souvenirs, mes désirs, etc., ne sont pour eux que la conclusion d’un raisonnement par analogie, comme le sont pour moi leurs souvenirs, leurs désirs, etc.
On peut appeler le physique tout ce qui dans l’espace est immédiatement donné à tous; d’autre part, on appellera provisoirement le psychique ce qui n’est immédiatement donné qu’a un seul, et qui, pour les autres, n’est connu que par analogie. Le moi (au sens étroit) d’un individu désignera l’ensemble de ce qui n’est immédiatement donné qu’à lui.
Autour de moi, dans l’espace, les choses que je peux observer dépendent les unes des autres. Une aiguille magnétique se déplace dès que j’en approche suffisamment près un autre aimant. Un corps s’échauffe près du feu et se refroidit au contact d’un morceau de glace. La flamme d’une lampe rend visible une feuille de papier dans l’obscurité. La conduite des autres hommes me force à admettre que leurs perceptions ressemblent aux miennes. Nous avons le plus grand intérêt à savoir comment les phénomènes dépendent les uns des autres, aussi bien dans le but pratique de satisfaire nos besoins, que au point de vue théorique, pour prévoir par la pensée la suite d’une observation incomplète.
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La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 17 août23, 00:27C'est super intéressant !
J'attends la suite avec grande impatience.
Merci beaucoup de nous faire connaître cet homme, c'est un véritable génie.
J'en avais déjà entendu parler, mais je n'avais jamais pris la peine de m'intéresser à ce qu'il avait écrit.
Bien à toi.
J'attends la suite avec grande impatience.
Merci beaucoup de nous faire connaître cet homme, c'est un véritable génie.
J'en avais déjà entendu parler, mais je n'avais jamais pris la peine de m'intéresser à ce qu'il avait écrit.
Bien à toi.
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Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 17 août23, 08:30.
Ça vient.
Tous les jours je vais essayer.
@+
______________________
Ajouté 5 heures 7 secondes après :
...
En étudiant la dépendance relative des corps entre eux, je puis considérer les corps des hommes et des animaux, comme des corps sans vie, tant que je fais abstraction de ce que je tire l’analogie.
Par contre, je remarque que mon corps exerce toujours sur mes perceptions une influence essentielle.
Les éléments de ce que je perçois dans l’espace dépendent, en général, les uns des autres; mais ils sont liés d’une façon plus spéciale à ce qui est mon corps, et cela est vrai, mutatis mutandis, pour les perceptions de chacun. Si nous attribuons à cette relation spéciale de toutes nos perceptions et de notre corps une valeur exagérée, si nous négligeons par là toutes les autres relations, nous arrivons facilement à considérer toutes nos perceptions comme un pur produit de notre corps, à tenir tout pour subjectif.
La physiologie, qui, au fur et à mesure qu’elle se développe, s’appuie de plus en plus sur la physique, peut expliquer les conditions subjectives d’une perception.
Je puis ramener l’ensemble de mes perceptions physiques à des éléments tels que : des couleurs, des sons, des pressions, des odeurs, des espaces, des durées, etc. Ces éléments dépendent de circonstances extérieures à mon corps, et de circonstances intérieures à mon corps: ce sont des sensations.
Les sensations de mon voisin ne me sont pas connues immédiatement, mes sensations ne sont pas immédiatement connues de mon voisin, et je suis autorisé à regarder ces éléments dans lesquels j’ai décomposé le physique, comme étant aussi les éléments du psychique. Le physique et le psychique contiennent donc des éléments communs et ne sont pas l’un en face de l’autre en opposition absolue, comme on le croit généralement. Cela deviendra plus clair encore si nous montrons que souvenirs, représentations, sentiments, volontés et concepts sont formés de traces laissées par les sensations, et qu’ils peuvent dès lors être comparés aux sensations.
Il n’y a pas de savant isolé: tous ont des buts pratiques, tous apprennent quelque chose des autres, tous travaillent à l’orientation des autres.
Nos perceptions physiques nous exposent à nombre d’erreurs ou d’illusions. Un bâton plongé obliquement dans l’eau est vu brisé, et un observateur, qui ne serait pas au courant, pourrait croire qu’au toucher aussi ce bâton paraîtrait brisé. Un miroir concave donne une image qui nous paraît saisissable. Un objet vivement éclairé nous paraît blanc, et nous sommes étonnés de le trouver noir à un éclairage moins vif. La silhouette d’un tronc d’arbre dans l’obscurité nous rappelle la forme d’un homme, et nous croyons avoir cet homme devant nous. Toutes les illusions de ce genre sont dues à ce que nous ignorons les circonstances dans lesquelles une perception se produit ou que nous n’y faisons pas attention, à ce que nous les supposons autres qu’elles ne sont réellement.
Notre imagination complète ce que nous fournit l’expérience de la façon qui nous est la plus habituelle, et fausse quelquefois, par cela même, nos perceptions. Ainsi ce qui conduit à opposer l’apparence à la réalité, le phénomène et la chose, c’est la confusion des perceptions produites par les circonstances les plus différentes avec des perceptions produites par des circonstances parfaitement déterminées.
L’insuffisance de la pensée vulgaire a engendré l’antagonisme entre le phénomène et la chose; cette conception s’est introduite en philosophie, et la philosophie a du mal à s’en débarrasser. La monstrueuse et inconnaissable chose en soi, cachée derrière les phénomènes est la sœur jumelle de la chose vulgaire.
Mais alors en quoi peut nous intéresser quelque chose d’inconnaissable, situé en dehors des limites du moi, que nous ne pourrons jamais franchir ?
Considérons les éléments rouge, vert, chaud, froid, etc.: quel que soit leur nom, ils sont immédiatement donnés. Ils dépendent d’élément extérieurs à la limite corporelle (éléments physiques) et d’éléments intérieurs à cette limite (éléments psychiques); mais, dans les deux cas, ils sont toujours les mêmes, ce sont toujours des données immédiates. Les choses étant ainsi posées simplement, la question de l’apparence et de la réalité n’a plus de sens. Nous avons devant nous à la fois les éléments du monde réel et les éléments du moi. La seule chose qui puisse nous intéresser, en dehors de cela, c’est la dépendance fonctionnelle (au sens mathématique) de ces éléments entre eux. On peut toujours appeler cette dépendance des éléments une chose, mais ce n’est pas une chose inconnaissable. Toute observation nouvelle, toute proposition scientifique nous fait avancer dans la connaissance de cette chose.
Si nous considérons sans préjugé le moi étroit, il apparaît lui aussi comme une dépendance fonctionnelle des éléments; seulement par sa forme, cette dépendance diffère de celles que nous sommes habitués à rencontrer dans le domaine du physique. Les représentations ne se comportent pas comme les éléments du physique, elles sont liées les unes aux autres par des associations, etc. Nous n’éprouvons pas le besoin d’avoir derrière ce mécanisme quelque chose d’inconnu et d’inconnaissable qui ne nous aiderait en rien à la mieux comprendre.
Concernant le moi, il y a toujours quelque chose de presque inexploré: c’est notre corps. Mais toute nouvelle observation psychologique ou physiologique nous fait mieux connaître le moi. Nous devons déjà d’importants renseignements à la psychologie introspective, à la psychologie expérimentale, à l’anatomie du cerveau, et à la psychopathologie, qui vont à la rencontre de la physique (au sens le plus large) pour se compléter avec elle en une connaissance plus pénétrante du monde.
Nous pouvons espérer que tous les problèmes rationnels deviendront de plus en plus susceptibles de recevoir une réponse.
On cherche la relation réciproque des représentations changeantes dans l’espoir de saisir les phénomènes psychiques, les événements et actes de sa propre vie. Mais celui qui, au bout de son étude a encore besoin d’un sujet agissant et pensent, ne remarque pas qu’il eût pu épargner toute sa peine, car il est revenu à son point de départ. La situation rappelle l’histoire du paysan qui se faisait expliquer les machines à vapeur d’une fabrique et finissait par demander où étaient les chevaux par lesquels ces machines étaient mises en mouvement. Il n’y a pas longtemps qu’on commence à se familiariser avec une psychologie sans âme.
Si nous excluons ce dont la recherche n’a aucun sens, nous n’en verrons apparaître que plus nettement ce que nous pouvons réellement atteindre par les sciences particulières : toutes les relations et les différents modes de relations des éléments entre eux.
Des groupes de tels éléments peuvent toujours être désignés comme choses (comme corps); mais on voit bien qu’à proprement parler, il n’existe pas de chose isolée.
Seulement, si nous considérons les liaisons les plus frappantes et les plus fortes, en négligeant les autres, nous acceptons en commençant, pour une étude provisoire, la fiction des choses isolées.
C’est aussi sur une différence de degrés des dépendances que repose l’opposition du monde et du moi. Il n’existe pas plus de moi isolé que de chose isolée. Chose et moi sont des fictions provisoires de même espèce.
Nos considérations n’apportent au philosophe que peu de chose ou rien. Elles ne se proposent pas de résoudre une ou sept ou neuf énigmes de l’Univers. Elles conduisent seulement le savant à écarter les pseudo-problèmes qui le troublent, et elles laissent le reste à la recherche positive.
Ce que nous offrons immédiatement n’est qu’une règle négative pour la recherche scientifique, règle dont n’a pas à se préoccuper le philosophe, qui déjà connaît ou croit connaître des bases sûres pour une conception du monde.
L’exposé que nous faisons doit être jugé d’abord au point de vue scientifique; mais pourtant le philosophe peut y appliquer sa critique et modifier nos idées selon ses besoins ou les rejeter complètement.
Il est sans importance, pour le savant, que ses représentations s’accordent ou non avec tel ou tel système philosophique; l’essentiel est qu’il puisse les prendre avec avantage comme point de départ de ses recherches.
La façon de penser et de travailler du savant est, en effet, très différente de celle du philosophe. N’ayant pas la bonne fortune de posséder d’inébranlables axiomes, le savant s’est habitué à considérer comme provisoires ses idées et ses principes les plus sûrs et les mieux fondés, et il est toujours prêt à les modifier à la suite de nouvelles expériences. En fait, cette attitude peut seule rendre possibles les progrès sérieux et les grandes découvertes.
Au début, il était beaucoup plus facile de rechercher à peu près et en gros la dépendance réciproque de complexes entiers d’éléments (de corps). Dans ce travail, le hasard, les besoins pratiques, les connaissances déjà acquises ont joué un grand rôle : ils ont rendu certains éléments plus importants et ont dirigé l’attention sur eux tandis que d’autres éléments restaient, au contraire, dans l’ombre.
Chaque savant, pris isolément, est toujours en plein développement ; il doit rattacher les connaissances qu’il a acquises au connaissances moins étendues de ses devanciers mais il ne peut les compléter et les corriger que selon son idéal. Il applique avec reconnaissance à ses propres recherches les aides et les indications que contiennent les travaux antérieurs. Il ajoute souvent aussi, et, sans le remarquer, les erreurs de ses prédécesseurs et de ses contemporains aux siennes propres.
Aujourd’hui nous semblons revenir à un point de vue primitif, pour donner à la recherche une nouvelle orientation sur des voies meilleures ; mais c’est une naïveté artificielle, qui ne supprime pas les avantages acquis au cours d’une longue civilisation et qui, au contraire, applique des vues supposant des pensées très mûries en physique, en physiologie et en psychologie.
C’est seulement ainsi qu’on peut imaginer la réduction aux éléments. Il s’agit d’un retour aux points de départ de la recherche avec des aperçus plus profonds et plus riches. Il faut avoir atteint un certain développement psychique avant de pouvoir commencer l’étude scientifique.
Mais aucune science ne peut employer dans leur confusion les concepts vulgaires. La science doit remonter à leurs sources, à leurs origines, pour ensuite les former d’une manière mieux déterminée et plus correcte. Cela ne devait-il être interdit qu’à la psychologie et à la théorie de la connaissance ?
Pour étudier une multiplicité d’éléments dépendant les uns des autres d’une façon compliquée, nous n’avons à notre disposition qu’une seule méthode : la méthode des variations. Elle consiste à étudier pour chaque élément la variation qui se trouve liée à la variation de chacun des autres éléments. Il importe assez peu que ces variations se produisent d’elles-mêmes, ou que nous les introduisions volontairement ; les relations seront découvertes par l’observation et par l’expérimentation. Même dans le cas où les éléments ne dépendraient les uns des autres que deux à deux, l’étude systématique de leurs relations serait déjà une tâche très ardue. Des considérations mathématiques montrent que, pour les combinaisons des objets trois à trois, quatre à quatre, etc., la recherche méthodique des relations deviendrait rapidement si difficile qu’elle serait pratiquement impossible.
En négligeant provisoirement les relations moins frappantes, en s’occupant d’abord des relations les plus frappantes, on rendra le travail beaucoup plus facile. Ces deux façons d’alléger la tâche ont été trouvées instinctivement, sous l’influence immédiate des besoins pratiques de l’homme et de son organisation psychique. Ce n’est que plus tard que les savants les ont employées consciemment, avec habileté et méthode.
Sans ces simplifications, qu’on peut toujours considérer comme des imperfections, la science n’aurait certainement pas pu s’accroître et se constituer. C’est un fil très embrouillé que l’on démêle, et, pour ce labeur, un heureux hasard a presque autant d’importance que l’habileté et l’acuité d’observation.
Le travail du chercheur est aussi passionnant que peut l’être, pour le chasseur, la poursuite d’un gibier peu connu dans des circonstances difficiles.
Pour étudier la dépendance de certains éléments, il convient de tenir aussi constants que possible certains autres éléments dont l’influence n’est pas douteuse, mais qui seraient pour la recherche une cause de trouble. Le travail se trouve ainsi grandement facilité.
La connaissance de la double dépendance de chaque élément à l’égard des éléments extérieurs et intérieurs à la limite du Moi étroit, conduit à étudier immédiatement les rapports réciproques des éléments extérieurs à cette limite et à laisser aussi constants que possible ceux qui sont intérieurs à elle, c’est-à-dire que le sujet ou les différents sujets, prenant part à l’observation, étudient dans des circonstances aussi constantes pour eux que possible, la relation entre l’éclairement d’un corps, sa température, ses mouvements, etc.
La science offre de nombreux exemples de division du travail pour des recherches faites dans des champs plus restreints.
Après ces remarques préliminaires, nous allons examiner de plus près les motifs directeurs de la recherche scientifique. Nous n’avons nullement la prétention d’être complet. Nous nous garderons, surtout, de la philosophie et des systématisations prématurées.
Nous parcourrons en promeneur attentif le domaine de la science et nous observerons, dans ses caractères particuliers, la conduite du savant.
Nous chercherons par quels moyens la connaissance de la nature a réellement progressé jusqu’à présent et comment elle a la perspective de progresser désormais.
L’activité pratique et la pensée populaire ont préparé instinctivement la façon d’agir du savant. Celui-ci n’a fait que les transporter dans le domaine scientifique, où elles ont fini par mûrir en une méthodologie consciente.
Nous n’avons nul besoin, pour être satisfait, de sortir de ce qui nous est empiriquement donné. Il nous suffira de ramener les caractères de la conduite du savant à des caractères que nous pouvons observer en fait et retrouver dans la vie ordinaire, et de prouver que cette conduite présente des avantages réellement pratiques.
Une étude générale de notre vie physique et psychique sera la base naturelle de notre tâche.
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Je n'y avais pas pensé mais voici le sommaire :
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
PRÉFACE
CHAPITRE I - SCIENCE ET PHILOSOPHIE
CHAPITRE II - ÉTUDE PSYCHOPHYSIOLOGIQUE
CHAPITRE III - MÉMOIRE, REPRODUCTION ET ASSOCIATION
CHAPITRE IV - RÉFLEXE, INSTINCT, VOLONTÉ, MOI
CHAPITRE V - LE DÉVELOPPEMENT DE L’INDIVIDU DANS LA NATURE ET LA SOCIÉTÉ
CHAPITRE VI - L’EXUBÉRANCE DES IDÉES
CHAPITRE VII - VÉRITÉ ET ERREUR
CHAPITRE VIII - LE CONCEPT
CHAPITRE IX - SENSATION, INTUITION, IMAGINATION
CHAPITRE X - ADAPTATION DES PENSÉES AUX FAITS ET DES PENSÉES ENTRE ELLES
CHAPITRE XI - L’EXPÉRIMENTATION MENTALE
CHAPITRE XII - L’EXPÉRIMENTATION PHYSIQUE ET SES GUIDES
CHAPITRE XIII - LA SIMILITUDE ET L’ANALOGIE MOTIFS DIRECTEURS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
CHAPITRE XIV - L’HYPOTHÈSE
CHAPITRE XV - LE PROBLÈME
CHAPITRE XVI - LA RELATION DE CAUSE À EFFET ET LA NOTION DE FONCTION
CHAPITRE XVII - EXEMPLES DE RECHERCHES DANS LES SCIENCES
CHAPITRE XVIII - PSYCHOLOGIE DE LA DÉDUCTION ET DE L’INDUCTION
CHAPITRE XIX - NOMBRE ET MESURE
CHAPITRE XX - L’ESPACE PHYSIOLOGIQUE ET L’ESPACE GÉOMÉTRIQUE
CHAPITRE XXI - LE TEMPS PHYSIOLOGIQUE ET LE TEMPS PHYSIQUE
CHAPITRE XXII - LE TEMPS ET L’ESPACE EN PHYSIQUE
CHAPITRE XXIII - SENS ET VALEUR DES LOIS SCIENTIFIQUES
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CHAPITRE II - CHAPITRE II - ÉTUDE PSYCHOPHYSIOLOGIQUE
L’adaptation progressive des pensées aux faits accroît notre expérience. L’adaptation des pensées entre elles constitue le système de pensées clair, ordonné, simplifié et sans contradictions que nous envisageons comme l’idéal de la science.
Mes pensées ne sont immédiatement accessibles qu’à moi, comme celles de mon voisin ne sont directement connues que de lui. Les pensées appartiennent au domaine psychique.
Ce n’est que quand elles entrent en relation avec le physique par le jeu de physionomie, les gestes, les paroles, les actions, que je puis, par analogie, hasarder une induction plus ou moins certaine sur les pensées de mon voisin, en prenant comme base mon expérience physique et psychique.
D’autre part, cette même expérience m’apprend aussi à reconnaître que mes pensées, ce qu’il y a en moi de psychique, dépendent de ce qui m’entoure physiquement, notamment de mon corps et de la conduite de mes voisins.
Décomposons un fait psychique en ses parties constituantes. Nous y trouvons d’abord ce que nous appelons «sensation», quand nous le considérons comme dépendant de notre corps (ouverture des yeux, direction du regard, etc.), et qui, dépendant d’autres conditions physiques (présence du soleil et de corps saisissables, etc.), est appelé caractère «des propriétés» des corps ; je veux dire le vert d’une pelouse, la résistance du sol sur lequel je marche, etc.
Des sensations telles que le chaud, le froid, la lumière, l’obscurité, les couleurs vives, l’odeur d’ammoniaque, le parfum des roses, etc., ne nous laissent pas indifférents en général, elles nous sont agréables ou désagréables, c’est-à-dire que notre corps réagit, vis-à-vis de ces sensations, par des mouvements plus au moins intenses de rapprochement ou d’éloignement, et ces mouvements, à leur tour, ne son pour l’introspection que des combinaisons de sensations.
Au début de la vie psychique, nous ne conservons un souvenir net et fort que des sensations auxquelles était attachée une réaction forte. Puis, d’une façon indirecte, d’autres sensations peuvent aussi rester dans la «mémoire» : indifférente en soi, la seule vue du flacon qui contient de l’ammoniaque en rappelle l’odeur, et cesse par là d’être indifférente.
L’ensemble des sensations éprouvées antérieurement, et conservées par le souvenir, agit maintenait à chaque nouvelle sensation. L’Hôtel de Ville, devant lequel je passe, ne serait pour moi qu’un arrangement de taches colorées dans l’espace, si je n’avais déjà vu beaucoup de bâtiments dont j’ai parcouru les couloirs et monté les escaliers.
Les souvenirs de sensations multiples forment, avec la sensation optique, un complexe beaucoup plus richement fourni, la perception, dont nous ne séparons qu’avec peine la pure sensation actuelle.
Si plusieurs personnes ont les mêmes choses sous les yeux, l’ «attention» de chacune d’elles est éveillée dans un sens différent : leurs idées actuelles sont dirigées d’une façon particulière par de forts souvenirs individuels.
Un ingénieur âgé se promène, dans une rue de Vienne, avec un fils de dix-huit ans et un gamin de cinq ans. Leurs rétines ont reçu les mêmes images. L’ingénieur n’a guère vu que les tramways, le jeune homme a particulièrement regardé les jolies filles, et l’enfant n’a peut être eu d’attention que pour les jouets, aux devantures des boutiquiers.
Des états organiques particuliers, innés ou acquis, interviennent ici. Les traces laissées dans la mémoire par des sensations antérieures déterminent essentiellement le sort psychique des complexes de sensations qui se produisent à nouveau ; elles s’y mêlent insensiblement s’attachent à la sensation et s’y fixent en la développant : nous les nommons représentations.
Ces représentations ne se distinguent des sensations que par leur force moindre, par leur fugacité et leur variabilité plus grandes, et par la façon dont elles se rattachent les unes aux autres (association). Elles ne constituent pas une autre espèce d’éléments en regard des sensations, elles paraissent être de même nature qu’elles.
À première vue, les sentiments, les affections, les dispositions : amour, haine, colère, crainte, abattement, tristesse, gaieté, etc., paraissent offrir de nouveaux éléments. Mais, si nous approfondissons l’étude de ces états nous y trouvons des sensations moins analysées, liées, à l’intérieur de la limite du Moi, à des éléments de l’espace moins bien définis, diffus et mal localisés ; elles caractérisent une certaine tendance qu’a notre corps à réagir dans une direction déterminée, tendance qui nous est connue par expérience, et qui, quand son intensité est suffisante, se manifeste par des mouvements d’attaque ou de fuite.
Notre réaction tend-t-elle vers un but connu auparavant par un mouvement d’attaque ou de défense conscient, et déterminé par un complexe de sensations, nous dirons que nous avons affaire à un acte volontaire.
Si je parle d’aller faire mon cours, si on m’annonce la visite d’un savant étranger, si un homme est désigné comme juste, je ne puis vraiment pas considérer les mots en italiques comme un complexe déterminé de sensations ou de représentations ; mais ces mots ont acquis, par un usage multiple et la propriété de décrire et de limiter les complexes correspondants, de telle sorte que, en tous cas, ma conduite, mon mode de réaction vis-à-vis de ces complexes est par là-même déterminé.
Des paroles qui ne pourraient absolument désigner aucun complexe de faits sensibles seraient tout à fait incompréhensibles et n’auraient aucun sens.
Ainsi, quand j’emploie les mots rouge, vert, rose, la représentation correspondante a déjà un rôle considérable.
Dans les concepts cités plus haut, ce rôle devient plus étendu ; il le devient bien plus encore dans les concepts scientifiques. En même temps, dans ces concepts, la limitation qui détermine notre mode de réaction à l’égard des complexes correspondants, gagne en précision.
La pensée vulgaire nous fait passer, d’une façon tout à fait continue, des représentations sensibles les plus déterminées à la pensée scientifique la plus abstraite.
Ce développement même qui rend possible l’usage de la parole est d’abord purement instinctif, et il ne trouve son plein effet que lors de l’application méthodique et consciente de la définition du concept scientifique et de la terminologie qui sert à le désigner.
La continuité, entre la représentation individuelle et le concept, et la présence de sensations à la base de toute vie psychique ne sont douteuses pour personne, malgré la grande distance qui sépare apparemment le concept de la représentation sensible concrète.
Il n’y a donc pas de sentiments, de volontés et de pensées isolés. La sensation, qui est à la fois physique et psychique, forme la base de toute vie psychique.
La pure introspection néglige absolument le corps et, par là, l’ensemble du physique dont il constitue une partie inséparable : elle ne peut servir de base à une psychologie suffisante. Considérons donc la vie organique et, en particulier, la vie animale comme un tout, et étudions-là tantôt au point de vue physique, tantôt au point de vue psychique. Choisissons des exemples où cette vie se manifeste sous des formes particulièrement simples.
Le papillon que ses ailes resplendissantes portent de fleur en fleur, l’abeille qui ramène à sa ruche le miel qu’elle a rassemblé avec zèle, nous offrent des images familières d’actions réfléchies et prudentes. Nous sentons que ces petits êtres nous ressemblent. Mais nous pouvons voir aussi le papillon se brûler en retournant toujours à la flamme, nous pouvons observer que l’abeille se précipite constamment en bourdonnant contre la vitre d’une fenêtre à demi-ouverte et nous la mettons dans un embarras désespéré, en déplaçant légèrement la porte de sa ruche.
Ces deux trais opposés de la vie animale, nous les trouvons tous deux manifestement exprimés dans notre propre nature. Les pupilles de nos yeux se rétrécissent machinalement à une lumière plus vive, et s’élargissent de même régulièrement selon le degré de l’obscurité, à note insu et sans que nous le voulions, tout comme les fonctions de digestion, de nutrition et de croissance s’accomplissent sans que nous y participions d’une façon consciente. Au contraire, si nous nous souvenons que le mètre, dont nous avons besoin pour le moment, se trouve dans le tiroir de la table, notre bras qui s’étend et ouvre ce tiroir, semble n’obéir, sans impulsions extérieures, qu’à notre commandement bien délibéré. Pourtant, la main qui s’est brûlée par hasard, le pied dont on chatouille la plante, se retirent, sans réflexion ni préméditation, même pendant le sommeil, et même chez un individu paralysé. Dans le mouvement des paupières, qui se ferment involontairement à l’approche soudaine d’un objet, et qui peuvent aussi se fermer et s’ouvrir volontairement, comme dans un nombre très considérable d’autres mouvements, ceux de la respiration et de la marche par exemple, ces deux traits caractéristiques s’échangent et se mêlent incessamment.
L’observation exacte faite sur nous-mêmes des processus que nous appelons délibération, décision, volonté, nous fait connaître un simple état de faits. Un événement sensible nous rappelle de multiples souvenirs : c’est, par exemple, la rencontre d’un ami qui nous invite à lui rendre visite, à l’accompagner chez lui. Ces souvenirs se réveillent, l’un après l’autre, s’échangent et se déplacent mutuellement. Nous nous rappelons la conversation spirituelle de l’ami, nous voyons son piano dans sa chambre et nous entendons son jeu excellent. Mais voilà qu’il nous vient à l’esprit que c’est aujourd’hui mardi, et que ce jour-là un monsieur tracassier a l’habitude de faire visite à notre ami ; nous remercions en déclinant l’invitation.
Quelque soit la manière dont puisse se précipiter notre décision, dans les cas les plus simples comme les plus compliqués, les souvenirs efficaces influencent nos mouvements d’une manière déterminée et provoquent les mouvements d’approche ou d’éloignement, tout comme les événements sensibles en question dont ils sont les traces. Nous ne sommes pas maîtres de choisir les souvenirs qui reviennent à la surface et qui remportent la victoire.
Dans nos actes volontaires, nous ne sommes pas moins automates que les organismes les plus simples. Il y a cependant chez ces automates une partie du mécanisme qui, par la vie même, éprouve constamment de petits changements: elle n’est visible que pour nous-mêmes, demeure cachée à l’observateur étranger, et ses rouages les plus fins peuvent même échapper à notre observation personnelle la plus attentive.
Aussi est-ce une portion beaucoup moins transparente et moins claire de la vie du monde, une relation beaucoup plus étendue dans l’espace et le temps qui se manifeste dans nos actions volontaires, et c’est pour cela qu’elles ne nous paraissent pas susceptibles d’être soumises au calcul.
Les organes des animaux inférieurs réagissent d’une façon relativement plus régulière et plus simple aux excitations. Toutes les circonstances qui entrent en jeu paraissent presque rassemblées en un seul point de l’espace et du temps, et l’on a très facilement ici l’impression d’automatisme.
Pourtant, si l’on observe avec plus de soin, on découvre ici encore des différences individuelles, les unes innées, les autres acquises. On constate de grandes différences dans la mémoire des animaux qui n’appartiennent pas au même genre ou à la même espèce. Les différences sont plus faibles entre individus de même espèce.
Le fait que nous autres hommes sommes portés à nous considérer comme quelque chose de si complètement différent des animaux, dont l’organisation est la plus simple, provient uniquement de la complication et de la variété des manifestations de notre vie psychique par opposition à celle de ces animaux.
La mouches dont les mouvements paraissent déterminés et guidés immédiatement par la lumière, l’ombre, l’odeur, etc., se repose toujours à la même place du visage après qu’on l’a chassée dix fois. Elle ne peut s’arrêter avant de tomber frappée sur le sol. Le mendiant, en quête du sou qui doit assurer sa vie quotidienne, dérange avec insistance le bourgeois sans souci et inerte dans son repos, jusqu’à ce qu’on le chasse avec une injure violente : ce ne sont tous les deux que des automates un peu moins simples.
Ce qui est bien déterminé, régulier, automatique, est le trait fondamental de la conduite des animaux et des hommes; mais, dans les deux cas, nous l’observons à des degrés si différents de complication et d’évolution que nous pouvons croire à deux ordres de motifs tout à fait distincts. Pour comprendre notre propre nature, il importe beaucoup que nous poursuivions l'étude de ce caractère déterministe aussi loin que nous le pourrons.
La constatation d’une absence de règle n’est, en effet, intéressante ni pratiquement, ni scientifiquement. Le progrès et la lumière ne se manifestent que dans la découverte d’une loi, pour des choses qu’auparavant on croyait dénuées de toute règle. L’hypothèse d’une âme agissant librement et sans loi, sera toujours difficile à réfuter parce que l’expérience montrera toujours un reste de faits non expliqués. Mais l’âme libre envisagée comme hypothèse scientifique, et toutes les études faites dans ce sens sont, à mon avis, des absurdités méthodologiques.
Il y a chez les hommes quelque chose qui nous apparaît spécialement comme libre, arbitraire et pouvant être soumis au calcul : c’est un voile léger qui flotte comme un souffle, comme un brouillard, et nous cache l’automatisme.
Nous voyons les hommes, pour ainsi dire, de trop près. L’image est surchargée d’un trop grand nombre de détails embarrassants et qui ne s’expliquent pas immédiatement. Si nous pouvions observer les hommes de plus loin, à vol d’oiseau, de la lune, les plus fins détails disparaîtraient avec les influences tenant aux souvenirs individuels, et nous ne verrions que des hommes qui, très régulièrement, grandissent, se nourrissent et se reproduisent.
Mais nous avons à notre disposition une méthode d’observation qui efface et ignore à dessein ce qui est individuel pour ne s’attacher qu’aux circonstances les plus essentielles, à celles dont la dépendance mutuelle est la plus forte : c’est la statistique.
En fait, les actes libres des hommes s’y montrent d’une régularité aussi bien déterminée que n’importe quel phénomène végétatif ou mécanique, pour lequel personne ne pense jamais à une influence psychique, à l’influence d’une volonté.
Le nombre des mariages et des suicides annuels dans un pays varie aussi peu, ou même moins que le nombre des naissances et des décès naturels. Et cependant, pour les premiers la volonté intervient beaucoup et pour les derniers, pas du tout.
On a toujours et partout cherché à figurer des êtres vivants par des automates et des machines, et on s’est efforcé de les expliquer de la sorte, au moins en partie. Citons seulement la colombe volante d’Archytas de Tarente et les canards de Vaucanson. Mais l’intelligence ne peut pas être remplacée de cette façon simple et mécanique. Les êtres vivants sont des automates sur lesquels tout le passé a exercé une influence; ils se modifient encore continuellement au cour du temps, naissent d’autres êtres auxquels ils sont semblables et peuvent à leur tour en engendrer de pareils.
C’est une tendance naturelle de chercher à imiter, à reproduire ce que l’on a compris. Le succès de l’entreprise donne la mesure dans laquelle on avait compris. Si nous considérons l’avantage que la fabrication moderne des machines a tiré de la construction des automates, si nous considérons les machines à calculer, les appareils de contrôle, les distributeurs automatiques, nous sommes en droit d’attendre des progrès plus considérables encore.
De notre point de vue, nous n’avons aucune raison de nous occuper davantage de l’opposition entre le physique et le psychique. Seule peut nous intéresser la connaissance de la dépendance mutuelle des éléments.
Que cette dépendance soit fixe, bien que compliquée et difficile à découvrir, notre raison nous la fait supposer à l’avance au début de notre étude. Toute l’expérience antérieure à nous, nous pousse à faire cette supposition; tous les nouveaux résultats de la science la corroborent; cela ressortira d’ailleurs encore plus nettement des études de détails qui vont suivre.
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Ça vient.
Tous les jours je vais essayer.
@+
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En étudiant la dépendance relative des corps entre eux, je puis considérer les corps des hommes et des animaux, comme des corps sans vie, tant que je fais abstraction de ce que je tire l’analogie.
Par contre, je remarque que mon corps exerce toujours sur mes perceptions une influence essentielle.
Les éléments de ce que je perçois dans l’espace dépendent, en général, les uns des autres; mais ils sont liés d’une façon plus spéciale à ce qui est mon corps, et cela est vrai, mutatis mutandis, pour les perceptions de chacun. Si nous attribuons à cette relation spéciale de toutes nos perceptions et de notre corps une valeur exagérée, si nous négligeons par là toutes les autres relations, nous arrivons facilement à considérer toutes nos perceptions comme un pur produit de notre corps, à tenir tout pour subjectif.
La physiologie, qui, au fur et à mesure qu’elle se développe, s’appuie de plus en plus sur la physique, peut expliquer les conditions subjectives d’une perception.
Je puis ramener l’ensemble de mes perceptions physiques à des éléments tels que : des couleurs, des sons, des pressions, des odeurs, des espaces, des durées, etc. Ces éléments dépendent de circonstances extérieures à mon corps, et de circonstances intérieures à mon corps: ce sont des sensations.
Les sensations de mon voisin ne me sont pas connues immédiatement, mes sensations ne sont pas immédiatement connues de mon voisin, et je suis autorisé à regarder ces éléments dans lesquels j’ai décomposé le physique, comme étant aussi les éléments du psychique. Le physique et le psychique contiennent donc des éléments communs et ne sont pas l’un en face de l’autre en opposition absolue, comme on le croit généralement. Cela deviendra plus clair encore si nous montrons que souvenirs, représentations, sentiments, volontés et concepts sont formés de traces laissées par les sensations, et qu’ils peuvent dès lors être comparés aux sensations.
Il n’y a pas de savant isolé: tous ont des buts pratiques, tous apprennent quelque chose des autres, tous travaillent à l’orientation des autres.
Nos perceptions physiques nous exposent à nombre d’erreurs ou d’illusions. Un bâton plongé obliquement dans l’eau est vu brisé, et un observateur, qui ne serait pas au courant, pourrait croire qu’au toucher aussi ce bâton paraîtrait brisé. Un miroir concave donne une image qui nous paraît saisissable. Un objet vivement éclairé nous paraît blanc, et nous sommes étonnés de le trouver noir à un éclairage moins vif. La silhouette d’un tronc d’arbre dans l’obscurité nous rappelle la forme d’un homme, et nous croyons avoir cet homme devant nous. Toutes les illusions de ce genre sont dues à ce que nous ignorons les circonstances dans lesquelles une perception se produit ou que nous n’y faisons pas attention, à ce que nous les supposons autres qu’elles ne sont réellement.
Notre imagination complète ce que nous fournit l’expérience de la façon qui nous est la plus habituelle, et fausse quelquefois, par cela même, nos perceptions. Ainsi ce qui conduit à opposer l’apparence à la réalité, le phénomène et la chose, c’est la confusion des perceptions produites par les circonstances les plus différentes avec des perceptions produites par des circonstances parfaitement déterminées.
L’insuffisance de la pensée vulgaire a engendré l’antagonisme entre le phénomène et la chose; cette conception s’est introduite en philosophie, et la philosophie a du mal à s’en débarrasser. La monstrueuse et inconnaissable chose en soi, cachée derrière les phénomènes est la sœur jumelle de la chose vulgaire.
Mais alors en quoi peut nous intéresser quelque chose d’inconnaissable, situé en dehors des limites du moi, que nous ne pourrons jamais franchir ?
Considérons les éléments rouge, vert, chaud, froid, etc.: quel que soit leur nom, ils sont immédiatement donnés. Ils dépendent d’élément extérieurs à la limite corporelle (éléments physiques) et d’éléments intérieurs à cette limite (éléments psychiques); mais, dans les deux cas, ils sont toujours les mêmes, ce sont toujours des données immédiates. Les choses étant ainsi posées simplement, la question de l’apparence et de la réalité n’a plus de sens. Nous avons devant nous à la fois les éléments du monde réel et les éléments du moi. La seule chose qui puisse nous intéresser, en dehors de cela, c’est la dépendance fonctionnelle (au sens mathématique) de ces éléments entre eux. On peut toujours appeler cette dépendance des éléments une chose, mais ce n’est pas une chose inconnaissable. Toute observation nouvelle, toute proposition scientifique nous fait avancer dans la connaissance de cette chose.
Si nous considérons sans préjugé le moi étroit, il apparaît lui aussi comme une dépendance fonctionnelle des éléments; seulement par sa forme, cette dépendance diffère de celles que nous sommes habitués à rencontrer dans le domaine du physique. Les représentations ne se comportent pas comme les éléments du physique, elles sont liées les unes aux autres par des associations, etc. Nous n’éprouvons pas le besoin d’avoir derrière ce mécanisme quelque chose d’inconnu et d’inconnaissable qui ne nous aiderait en rien à la mieux comprendre.
Concernant le moi, il y a toujours quelque chose de presque inexploré: c’est notre corps. Mais toute nouvelle observation psychologique ou physiologique nous fait mieux connaître le moi. Nous devons déjà d’importants renseignements à la psychologie introspective, à la psychologie expérimentale, à l’anatomie du cerveau, et à la psychopathologie, qui vont à la rencontre de la physique (au sens le plus large) pour se compléter avec elle en une connaissance plus pénétrante du monde.
Nous pouvons espérer que tous les problèmes rationnels deviendront de plus en plus susceptibles de recevoir une réponse.
On cherche la relation réciproque des représentations changeantes dans l’espoir de saisir les phénomènes psychiques, les événements et actes de sa propre vie. Mais celui qui, au bout de son étude a encore besoin d’un sujet agissant et pensent, ne remarque pas qu’il eût pu épargner toute sa peine, car il est revenu à son point de départ. La situation rappelle l’histoire du paysan qui se faisait expliquer les machines à vapeur d’une fabrique et finissait par demander où étaient les chevaux par lesquels ces machines étaient mises en mouvement. Il n’y a pas longtemps qu’on commence à se familiariser avec une psychologie sans âme.
Si nous excluons ce dont la recherche n’a aucun sens, nous n’en verrons apparaître que plus nettement ce que nous pouvons réellement atteindre par les sciences particulières : toutes les relations et les différents modes de relations des éléments entre eux.
Des groupes de tels éléments peuvent toujours être désignés comme choses (comme corps); mais on voit bien qu’à proprement parler, il n’existe pas de chose isolée.
Seulement, si nous considérons les liaisons les plus frappantes et les plus fortes, en négligeant les autres, nous acceptons en commençant, pour une étude provisoire, la fiction des choses isolées.
C’est aussi sur une différence de degrés des dépendances que repose l’opposition du monde et du moi. Il n’existe pas plus de moi isolé que de chose isolée. Chose et moi sont des fictions provisoires de même espèce.
Nos considérations n’apportent au philosophe que peu de chose ou rien. Elles ne se proposent pas de résoudre une ou sept ou neuf énigmes de l’Univers. Elles conduisent seulement le savant à écarter les pseudo-problèmes qui le troublent, et elles laissent le reste à la recherche positive.
Ce que nous offrons immédiatement n’est qu’une règle négative pour la recherche scientifique, règle dont n’a pas à se préoccuper le philosophe, qui déjà connaît ou croit connaître des bases sûres pour une conception du monde.
L’exposé que nous faisons doit être jugé d’abord au point de vue scientifique; mais pourtant le philosophe peut y appliquer sa critique et modifier nos idées selon ses besoins ou les rejeter complètement.
Il est sans importance, pour le savant, que ses représentations s’accordent ou non avec tel ou tel système philosophique; l’essentiel est qu’il puisse les prendre avec avantage comme point de départ de ses recherches.
La façon de penser et de travailler du savant est, en effet, très différente de celle du philosophe. N’ayant pas la bonne fortune de posséder d’inébranlables axiomes, le savant s’est habitué à considérer comme provisoires ses idées et ses principes les plus sûrs et les mieux fondés, et il est toujours prêt à les modifier à la suite de nouvelles expériences. En fait, cette attitude peut seule rendre possibles les progrès sérieux et les grandes découvertes.
Au début, il était beaucoup plus facile de rechercher à peu près et en gros la dépendance réciproque de complexes entiers d’éléments (de corps). Dans ce travail, le hasard, les besoins pratiques, les connaissances déjà acquises ont joué un grand rôle : ils ont rendu certains éléments plus importants et ont dirigé l’attention sur eux tandis que d’autres éléments restaient, au contraire, dans l’ombre.
Chaque savant, pris isolément, est toujours en plein développement ; il doit rattacher les connaissances qu’il a acquises au connaissances moins étendues de ses devanciers mais il ne peut les compléter et les corriger que selon son idéal. Il applique avec reconnaissance à ses propres recherches les aides et les indications que contiennent les travaux antérieurs. Il ajoute souvent aussi, et, sans le remarquer, les erreurs de ses prédécesseurs et de ses contemporains aux siennes propres.
Aujourd’hui nous semblons revenir à un point de vue primitif, pour donner à la recherche une nouvelle orientation sur des voies meilleures ; mais c’est une naïveté artificielle, qui ne supprime pas les avantages acquis au cours d’une longue civilisation et qui, au contraire, applique des vues supposant des pensées très mûries en physique, en physiologie et en psychologie.
C’est seulement ainsi qu’on peut imaginer la réduction aux éléments. Il s’agit d’un retour aux points de départ de la recherche avec des aperçus plus profonds et plus riches. Il faut avoir atteint un certain développement psychique avant de pouvoir commencer l’étude scientifique.
Mais aucune science ne peut employer dans leur confusion les concepts vulgaires. La science doit remonter à leurs sources, à leurs origines, pour ensuite les former d’une manière mieux déterminée et plus correcte. Cela ne devait-il être interdit qu’à la psychologie et à la théorie de la connaissance ?
Pour étudier une multiplicité d’éléments dépendant les uns des autres d’une façon compliquée, nous n’avons à notre disposition qu’une seule méthode : la méthode des variations. Elle consiste à étudier pour chaque élément la variation qui se trouve liée à la variation de chacun des autres éléments. Il importe assez peu que ces variations se produisent d’elles-mêmes, ou que nous les introduisions volontairement ; les relations seront découvertes par l’observation et par l’expérimentation. Même dans le cas où les éléments ne dépendraient les uns des autres que deux à deux, l’étude systématique de leurs relations serait déjà une tâche très ardue. Des considérations mathématiques montrent que, pour les combinaisons des objets trois à trois, quatre à quatre, etc., la recherche méthodique des relations deviendrait rapidement si difficile qu’elle serait pratiquement impossible.
En négligeant provisoirement les relations moins frappantes, en s’occupant d’abord des relations les plus frappantes, on rendra le travail beaucoup plus facile. Ces deux façons d’alléger la tâche ont été trouvées instinctivement, sous l’influence immédiate des besoins pratiques de l’homme et de son organisation psychique. Ce n’est que plus tard que les savants les ont employées consciemment, avec habileté et méthode.
Sans ces simplifications, qu’on peut toujours considérer comme des imperfections, la science n’aurait certainement pas pu s’accroître et se constituer. C’est un fil très embrouillé que l’on démêle, et, pour ce labeur, un heureux hasard a presque autant d’importance que l’habileté et l’acuité d’observation.
Le travail du chercheur est aussi passionnant que peut l’être, pour le chasseur, la poursuite d’un gibier peu connu dans des circonstances difficiles.
Pour étudier la dépendance de certains éléments, il convient de tenir aussi constants que possible certains autres éléments dont l’influence n’est pas douteuse, mais qui seraient pour la recherche une cause de trouble. Le travail se trouve ainsi grandement facilité.
La connaissance de la double dépendance de chaque élément à l’égard des éléments extérieurs et intérieurs à la limite du Moi étroit, conduit à étudier immédiatement les rapports réciproques des éléments extérieurs à cette limite et à laisser aussi constants que possible ceux qui sont intérieurs à elle, c’est-à-dire que le sujet ou les différents sujets, prenant part à l’observation, étudient dans des circonstances aussi constantes pour eux que possible, la relation entre l’éclairement d’un corps, sa température, ses mouvements, etc.
La science offre de nombreux exemples de division du travail pour des recherches faites dans des champs plus restreints.
Après ces remarques préliminaires, nous allons examiner de plus près les motifs directeurs de la recherche scientifique. Nous n’avons nullement la prétention d’être complet. Nous nous garderons, surtout, de la philosophie et des systématisations prématurées.
Nous parcourrons en promeneur attentif le domaine de la science et nous observerons, dans ses caractères particuliers, la conduite du savant.
Nous chercherons par quels moyens la connaissance de la nature a réellement progressé jusqu’à présent et comment elle a la perspective de progresser désormais.
L’activité pratique et la pensée populaire ont préparé instinctivement la façon d’agir du savant. Celui-ci n’a fait que les transporter dans le domaine scientifique, où elles ont fini par mûrir en une méthodologie consciente.
Nous n’avons nul besoin, pour être satisfait, de sortir de ce qui nous est empiriquement donné. Il nous suffira de ramener les caractères de la conduite du savant à des caractères que nous pouvons observer en fait et retrouver dans la vie ordinaire, et de prouver que cette conduite présente des avantages réellement pratiques.
Une étude générale de notre vie physique et psychique sera la base naturelle de notre tâche.
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Je n'y avais pas pensé mais voici le sommaire :
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
PRÉFACE
CHAPITRE I - SCIENCE ET PHILOSOPHIE
CHAPITRE II - ÉTUDE PSYCHOPHYSIOLOGIQUE
CHAPITRE III - MÉMOIRE, REPRODUCTION ET ASSOCIATION
CHAPITRE IV - RÉFLEXE, INSTINCT, VOLONTÉ, MOI
CHAPITRE V - LE DÉVELOPPEMENT DE L’INDIVIDU DANS LA NATURE ET LA SOCIÉTÉ
CHAPITRE VI - L’EXUBÉRANCE DES IDÉES
CHAPITRE VII - VÉRITÉ ET ERREUR
CHAPITRE VIII - LE CONCEPT
CHAPITRE IX - SENSATION, INTUITION, IMAGINATION
CHAPITRE X - ADAPTATION DES PENSÉES AUX FAITS ET DES PENSÉES ENTRE ELLES
CHAPITRE XI - L’EXPÉRIMENTATION MENTALE
CHAPITRE XII - L’EXPÉRIMENTATION PHYSIQUE ET SES GUIDES
CHAPITRE XIII - LA SIMILITUDE ET L’ANALOGIE MOTIFS DIRECTEURS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
CHAPITRE XIV - L’HYPOTHÈSE
CHAPITRE XV - LE PROBLÈME
CHAPITRE XVI - LA RELATION DE CAUSE À EFFET ET LA NOTION DE FONCTION
CHAPITRE XVII - EXEMPLES DE RECHERCHES DANS LES SCIENCES
CHAPITRE XVIII - PSYCHOLOGIE DE LA DÉDUCTION ET DE L’INDUCTION
CHAPITRE XIX - NOMBRE ET MESURE
CHAPITRE XX - L’ESPACE PHYSIOLOGIQUE ET L’ESPACE GÉOMÉTRIQUE
CHAPITRE XXI - LE TEMPS PHYSIOLOGIQUE ET LE TEMPS PHYSIQUE
CHAPITRE XXII - LE TEMPS ET L’ESPACE EN PHYSIQUE
CHAPITRE XXIII - SENS ET VALEUR DES LOIS SCIENTIFIQUES
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CHAPITRE II - CHAPITRE II - ÉTUDE PSYCHOPHYSIOLOGIQUE
L’adaptation progressive des pensées aux faits accroît notre expérience. L’adaptation des pensées entre elles constitue le système de pensées clair, ordonné, simplifié et sans contradictions que nous envisageons comme l’idéal de la science.
Mes pensées ne sont immédiatement accessibles qu’à moi, comme celles de mon voisin ne sont directement connues que de lui. Les pensées appartiennent au domaine psychique.
Ce n’est que quand elles entrent en relation avec le physique par le jeu de physionomie, les gestes, les paroles, les actions, que je puis, par analogie, hasarder une induction plus ou moins certaine sur les pensées de mon voisin, en prenant comme base mon expérience physique et psychique.
D’autre part, cette même expérience m’apprend aussi à reconnaître que mes pensées, ce qu’il y a en moi de psychique, dépendent de ce qui m’entoure physiquement, notamment de mon corps et de la conduite de mes voisins.
Décomposons un fait psychique en ses parties constituantes. Nous y trouvons d’abord ce que nous appelons «sensation», quand nous le considérons comme dépendant de notre corps (ouverture des yeux, direction du regard, etc.), et qui, dépendant d’autres conditions physiques (présence du soleil et de corps saisissables, etc.), est appelé caractère «des propriétés» des corps ; je veux dire le vert d’une pelouse, la résistance du sol sur lequel je marche, etc.
Des sensations telles que le chaud, le froid, la lumière, l’obscurité, les couleurs vives, l’odeur d’ammoniaque, le parfum des roses, etc., ne nous laissent pas indifférents en général, elles nous sont agréables ou désagréables, c’est-à-dire que notre corps réagit, vis-à-vis de ces sensations, par des mouvements plus au moins intenses de rapprochement ou d’éloignement, et ces mouvements, à leur tour, ne son pour l’introspection que des combinaisons de sensations.
Au début de la vie psychique, nous ne conservons un souvenir net et fort que des sensations auxquelles était attachée une réaction forte. Puis, d’une façon indirecte, d’autres sensations peuvent aussi rester dans la «mémoire» : indifférente en soi, la seule vue du flacon qui contient de l’ammoniaque en rappelle l’odeur, et cesse par là d’être indifférente.
L’ensemble des sensations éprouvées antérieurement, et conservées par le souvenir, agit maintenait à chaque nouvelle sensation. L’Hôtel de Ville, devant lequel je passe, ne serait pour moi qu’un arrangement de taches colorées dans l’espace, si je n’avais déjà vu beaucoup de bâtiments dont j’ai parcouru les couloirs et monté les escaliers.
Les souvenirs de sensations multiples forment, avec la sensation optique, un complexe beaucoup plus richement fourni, la perception, dont nous ne séparons qu’avec peine la pure sensation actuelle.
Si plusieurs personnes ont les mêmes choses sous les yeux, l’ «attention» de chacune d’elles est éveillée dans un sens différent : leurs idées actuelles sont dirigées d’une façon particulière par de forts souvenirs individuels.
Un ingénieur âgé se promène, dans une rue de Vienne, avec un fils de dix-huit ans et un gamin de cinq ans. Leurs rétines ont reçu les mêmes images. L’ingénieur n’a guère vu que les tramways, le jeune homme a particulièrement regardé les jolies filles, et l’enfant n’a peut être eu d’attention que pour les jouets, aux devantures des boutiquiers.
Des états organiques particuliers, innés ou acquis, interviennent ici. Les traces laissées dans la mémoire par des sensations antérieures déterminent essentiellement le sort psychique des complexes de sensations qui se produisent à nouveau ; elles s’y mêlent insensiblement s’attachent à la sensation et s’y fixent en la développant : nous les nommons représentations.
Ces représentations ne se distinguent des sensations que par leur force moindre, par leur fugacité et leur variabilité plus grandes, et par la façon dont elles se rattachent les unes aux autres (association). Elles ne constituent pas une autre espèce d’éléments en regard des sensations, elles paraissent être de même nature qu’elles.
À première vue, les sentiments, les affections, les dispositions : amour, haine, colère, crainte, abattement, tristesse, gaieté, etc., paraissent offrir de nouveaux éléments. Mais, si nous approfondissons l’étude de ces états nous y trouvons des sensations moins analysées, liées, à l’intérieur de la limite du Moi, à des éléments de l’espace moins bien définis, diffus et mal localisés ; elles caractérisent une certaine tendance qu’a notre corps à réagir dans une direction déterminée, tendance qui nous est connue par expérience, et qui, quand son intensité est suffisante, se manifeste par des mouvements d’attaque ou de fuite.
Notre réaction tend-t-elle vers un but connu auparavant par un mouvement d’attaque ou de défense conscient, et déterminé par un complexe de sensations, nous dirons que nous avons affaire à un acte volontaire.
Si je parle d’aller faire mon cours, si on m’annonce la visite d’un savant étranger, si un homme est désigné comme juste, je ne puis vraiment pas considérer les mots en italiques comme un complexe déterminé de sensations ou de représentations ; mais ces mots ont acquis, par un usage multiple et la propriété de décrire et de limiter les complexes correspondants, de telle sorte que, en tous cas, ma conduite, mon mode de réaction vis-à-vis de ces complexes est par là-même déterminé.
Des paroles qui ne pourraient absolument désigner aucun complexe de faits sensibles seraient tout à fait incompréhensibles et n’auraient aucun sens.
Ainsi, quand j’emploie les mots rouge, vert, rose, la représentation correspondante a déjà un rôle considérable.
Dans les concepts cités plus haut, ce rôle devient plus étendu ; il le devient bien plus encore dans les concepts scientifiques. En même temps, dans ces concepts, la limitation qui détermine notre mode de réaction à l’égard des complexes correspondants, gagne en précision.
La pensée vulgaire nous fait passer, d’une façon tout à fait continue, des représentations sensibles les plus déterminées à la pensée scientifique la plus abstraite.
Ce développement même qui rend possible l’usage de la parole est d’abord purement instinctif, et il ne trouve son plein effet que lors de l’application méthodique et consciente de la définition du concept scientifique et de la terminologie qui sert à le désigner.
La continuité, entre la représentation individuelle et le concept, et la présence de sensations à la base de toute vie psychique ne sont douteuses pour personne, malgré la grande distance qui sépare apparemment le concept de la représentation sensible concrète.
Il n’y a donc pas de sentiments, de volontés et de pensées isolés. La sensation, qui est à la fois physique et psychique, forme la base de toute vie psychique.
La pure introspection néglige absolument le corps et, par là, l’ensemble du physique dont il constitue une partie inséparable : elle ne peut servir de base à une psychologie suffisante. Considérons donc la vie organique et, en particulier, la vie animale comme un tout, et étudions-là tantôt au point de vue physique, tantôt au point de vue psychique. Choisissons des exemples où cette vie se manifeste sous des formes particulièrement simples.
Le papillon que ses ailes resplendissantes portent de fleur en fleur, l’abeille qui ramène à sa ruche le miel qu’elle a rassemblé avec zèle, nous offrent des images familières d’actions réfléchies et prudentes. Nous sentons que ces petits êtres nous ressemblent. Mais nous pouvons voir aussi le papillon se brûler en retournant toujours à la flamme, nous pouvons observer que l’abeille se précipite constamment en bourdonnant contre la vitre d’une fenêtre à demi-ouverte et nous la mettons dans un embarras désespéré, en déplaçant légèrement la porte de sa ruche.
Ces deux trais opposés de la vie animale, nous les trouvons tous deux manifestement exprimés dans notre propre nature. Les pupilles de nos yeux se rétrécissent machinalement à une lumière plus vive, et s’élargissent de même régulièrement selon le degré de l’obscurité, à note insu et sans que nous le voulions, tout comme les fonctions de digestion, de nutrition et de croissance s’accomplissent sans que nous y participions d’une façon consciente. Au contraire, si nous nous souvenons que le mètre, dont nous avons besoin pour le moment, se trouve dans le tiroir de la table, notre bras qui s’étend et ouvre ce tiroir, semble n’obéir, sans impulsions extérieures, qu’à notre commandement bien délibéré. Pourtant, la main qui s’est brûlée par hasard, le pied dont on chatouille la plante, se retirent, sans réflexion ni préméditation, même pendant le sommeil, et même chez un individu paralysé. Dans le mouvement des paupières, qui se ferment involontairement à l’approche soudaine d’un objet, et qui peuvent aussi se fermer et s’ouvrir volontairement, comme dans un nombre très considérable d’autres mouvements, ceux de la respiration et de la marche par exemple, ces deux traits caractéristiques s’échangent et se mêlent incessamment.
L’observation exacte faite sur nous-mêmes des processus que nous appelons délibération, décision, volonté, nous fait connaître un simple état de faits. Un événement sensible nous rappelle de multiples souvenirs : c’est, par exemple, la rencontre d’un ami qui nous invite à lui rendre visite, à l’accompagner chez lui. Ces souvenirs se réveillent, l’un après l’autre, s’échangent et se déplacent mutuellement. Nous nous rappelons la conversation spirituelle de l’ami, nous voyons son piano dans sa chambre et nous entendons son jeu excellent. Mais voilà qu’il nous vient à l’esprit que c’est aujourd’hui mardi, et que ce jour-là un monsieur tracassier a l’habitude de faire visite à notre ami ; nous remercions en déclinant l’invitation.
Quelque soit la manière dont puisse se précipiter notre décision, dans les cas les plus simples comme les plus compliqués, les souvenirs efficaces influencent nos mouvements d’une manière déterminée et provoquent les mouvements d’approche ou d’éloignement, tout comme les événements sensibles en question dont ils sont les traces. Nous ne sommes pas maîtres de choisir les souvenirs qui reviennent à la surface et qui remportent la victoire.
Dans nos actes volontaires, nous ne sommes pas moins automates que les organismes les plus simples. Il y a cependant chez ces automates une partie du mécanisme qui, par la vie même, éprouve constamment de petits changements: elle n’est visible que pour nous-mêmes, demeure cachée à l’observateur étranger, et ses rouages les plus fins peuvent même échapper à notre observation personnelle la plus attentive.
Aussi est-ce une portion beaucoup moins transparente et moins claire de la vie du monde, une relation beaucoup plus étendue dans l’espace et le temps qui se manifeste dans nos actions volontaires, et c’est pour cela qu’elles ne nous paraissent pas susceptibles d’être soumises au calcul.
Les organes des animaux inférieurs réagissent d’une façon relativement plus régulière et plus simple aux excitations. Toutes les circonstances qui entrent en jeu paraissent presque rassemblées en un seul point de l’espace et du temps, et l’on a très facilement ici l’impression d’automatisme.
Pourtant, si l’on observe avec plus de soin, on découvre ici encore des différences individuelles, les unes innées, les autres acquises. On constate de grandes différences dans la mémoire des animaux qui n’appartiennent pas au même genre ou à la même espèce. Les différences sont plus faibles entre individus de même espèce.
Le fait que nous autres hommes sommes portés à nous considérer comme quelque chose de si complètement différent des animaux, dont l’organisation est la plus simple, provient uniquement de la complication et de la variété des manifestations de notre vie psychique par opposition à celle de ces animaux.
La mouches dont les mouvements paraissent déterminés et guidés immédiatement par la lumière, l’ombre, l’odeur, etc., se repose toujours à la même place du visage après qu’on l’a chassée dix fois. Elle ne peut s’arrêter avant de tomber frappée sur le sol. Le mendiant, en quête du sou qui doit assurer sa vie quotidienne, dérange avec insistance le bourgeois sans souci et inerte dans son repos, jusqu’à ce qu’on le chasse avec une injure violente : ce ne sont tous les deux que des automates un peu moins simples.
Ce qui est bien déterminé, régulier, automatique, est le trait fondamental de la conduite des animaux et des hommes; mais, dans les deux cas, nous l’observons à des degrés si différents de complication et d’évolution que nous pouvons croire à deux ordres de motifs tout à fait distincts. Pour comprendre notre propre nature, il importe beaucoup que nous poursuivions l'étude de ce caractère déterministe aussi loin que nous le pourrons.
La constatation d’une absence de règle n’est, en effet, intéressante ni pratiquement, ni scientifiquement. Le progrès et la lumière ne se manifestent que dans la découverte d’une loi, pour des choses qu’auparavant on croyait dénuées de toute règle. L’hypothèse d’une âme agissant librement et sans loi, sera toujours difficile à réfuter parce que l’expérience montrera toujours un reste de faits non expliqués. Mais l’âme libre envisagée comme hypothèse scientifique, et toutes les études faites dans ce sens sont, à mon avis, des absurdités méthodologiques.
Il y a chez les hommes quelque chose qui nous apparaît spécialement comme libre, arbitraire et pouvant être soumis au calcul : c’est un voile léger qui flotte comme un souffle, comme un brouillard, et nous cache l’automatisme.
Nous voyons les hommes, pour ainsi dire, de trop près. L’image est surchargée d’un trop grand nombre de détails embarrassants et qui ne s’expliquent pas immédiatement. Si nous pouvions observer les hommes de plus loin, à vol d’oiseau, de la lune, les plus fins détails disparaîtraient avec les influences tenant aux souvenirs individuels, et nous ne verrions que des hommes qui, très régulièrement, grandissent, se nourrissent et se reproduisent.
Mais nous avons à notre disposition une méthode d’observation qui efface et ignore à dessein ce qui est individuel pour ne s’attacher qu’aux circonstances les plus essentielles, à celles dont la dépendance mutuelle est la plus forte : c’est la statistique.
En fait, les actes libres des hommes s’y montrent d’une régularité aussi bien déterminée que n’importe quel phénomène végétatif ou mécanique, pour lequel personne ne pense jamais à une influence psychique, à l’influence d’une volonté.
Le nombre des mariages et des suicides annuels dans un pays varie aussi peu, ou même moins que le nombre des naissances et des décès naturels. Et cependant, pour les premiers la volonté intervient beaucoup et pour les derniers, pas du tout.
On a toujours et partout cherché à figurer des êtres vivants par des automates et des machines, et on s’est efforcé de les expliquer de la sorte, au moins en partie. Citons seulement la colombe volante d’Archytas de Tarente et les canards de Vaucanson. Mais l’intelligence ne peut pas être remplacée de cette façon simple et mécanique. Les êtres vivants sont des automates sur lesquels tout le passé a exercé une influence; ils se modifient encore continuellement au cour du temps, naissent d’autres êtres auxquels ils sont semblables et peuvent à leur tour en engendrer de pareils.
C’est une tendance naturelle de chercher à imiter, à reproduire ce que l’on a compris. Le succès de l’entreprise donne la mesure dans laquelle on avait compris. Si nous considérons l’avantage que la fabrication moderne des machines a tiré de la construction des automates, si nous considérons les machines à calculer, les appareils de contrôle, les distributeurs automatiques, nous sommes en droit d’attendre des progrès plus considérables encore.
De notre point de vue, nous n’avons aucune raison de nous occuper davantage de l’opposition entre le physique et le psychique. Seule peut nous intéresser la connaissance de la dépendance mutuelle des éléments.
Que cette dépendance soit fixe, bien que compliquée et difficile à découvrir, notre raison nous la fait supposer à l’avance au début de notre étude. Toute l’expérience antérieure à nous, nous pousse à faire cette supposition; tous les nouveaux résultats de la science la corroborent; cela ressortira d’ailleurs encore plus nettement des études de détails qui vont suivre.
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La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
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Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 25 août23, 04:46.
CHAPITRE III - CHAPITRE III - MÉMOIRE, REPRODUCTION ET RE, REPRODUCTION ET RE, REPRODUCTION ET ASSOCIATION ASSOCIATION ASSOCIATION
Un fait sensible, formé des éléments A, B, C, D, évoque le souvenir d’un fait sensible antérieur formé des éléments A, K, L, M, c’est-à-dire que ce dernier fait est reproduit.
Puisque, en général, cela n’entraîne pas la reproduction de K, L, M, par B, C, D, nous pensons naturellement que cette réduction est amenée par l’élément commun A et dérive de lui. À la reproduction de A se rattache et s’associe celle des éléments K, L, M, simultanément (contiguïté dans le temps) offerts à nos sens auparavant, soit directement avec A, soit avec d’autres éléments déjà reproduits.
Cette unique loi d’association intervient toujours.
L’association a une grande importance biologique. C’est sur elle que reposent toutes les adaptations psychiques du milieu, toutes les expériences scientifiques.
Si le milieu où vivent des êtres ne se composait pas de parties demeurant au moins à peu près constantes, ou bien ne se laissait pas décomposer en éléments qui se répètent périodiquement, l’expérience serait impossible, et l’association inutile.
C’est seulement parce que un bruit, toujours le même, annonce à l’avance l’approche de l’ennemi ou la fuite de la proie, que la représentation associée peut servir à provoquer les mouvements correspondants de fuite ou d’attaque.
Une stabilité approximative rend l’expérience possible et inversement, si l’expérience est réellement possible, nous pouvons conclure à la stabilité du milieu/
Le succès justifie notre hypothèse de la stabilité, introduite méthodiquement pour édifier la science.
L’enfant nouveau-né est, comme un animal d’organisation inférieure, réduit à ses mouvement réflexes. D’une façon innée, il a l’instinct de téter, de crier quand il a besoin d’aide, etc. En grandissant, il acquiert les premières et les plus simples expériences par association, comme les animaux supérieurs. Il apprend à éviter comme douloureux le contact de la flamme et le choc d’un corps dur; il apprend à rattacher l’idée de saveur à la pomme qu’il voit, etc. Mais bientôt, par la richesse et la finesse de son expérience, il laisse tous les animaux loin derrière lui.
Il est très instructif d’observer la formation des associations sur de jeunes animaux, comme C.L. Morgan l’a fait systématiquement sur de petits poussins et canetons éclos dans une couveuse. Quelques heures après l’éclosion, les poussins sont déjà doués de mouvements réflexes convenablement appropriés. Ils courent, becquettent les objets qu’on leur offre et les atteignent avec sûreté. On voit même de petits perdreaux se sauver couverts encore en partie de la coquille de l’œuf. Au début, les petits poussins becquetaient tout, les caractères imprimés sur une feuille de papier, leurs propres pattes, leurs propres excréments. Mais dans ce dernier cas, le poussin rejetait aussitôt l’objet de goût mauvais, secouait la tête et nettoyait son bec en l’aiguisant sur le sol. L’animal agissait de même quand il avait saisi une abeille ou une chenille de goût désagréable. Mais il cessait bientôt de becqueter les objets qui ne lui étaient pas utiles. Les poussins ne font pas attention à un vase qui contient de l’eau, mais ils y boivent dès que, par hasard, en courant, ils y ont mis les pattes.
Les façons d’agir des poulets et des canards sont innées chez les jeunes animaux; ils les mettent en pratique sans aucun enseignement. Elles sont préparées par le mécanisme des mouvements, et il en est de même des cris. On distingue chez les poussins le cri du bien-être, quand ils se blottissent frileusement dans la main qu’on leur tend, le cri de l’effroi à la vue d’un gros scarabée noir, le cri de la solitude. Etc.
Chez ces animaux, l’établissement de certaines associations est mécaniquement préparé et inné, il peut être grandement favorisé et, facilité par une disposition anatomique; néanmoins les associations elles-mêmes ne sont pas innées, mais doivent être acquises par expérience individuelle.
Pour que ceci soit tout à fait exact, il faut n’appliquer le terme d’ «association» qu’à des représentations (conscientes). Si nous entendons par là, dans un sens plus large, qu’un phénomène organique en provoque un autre, qui a déjà eu lieu en même temps, la limite entre ce qui est inné (héréditaire), et ce qui est acquis par l’individu sera très difficile à tracer, et c’est bien ainsi qu’il faut que cela se passe pour que les acquisitions de l’espèce puissent être augmentées ou modifiées par l’individu.
De petits poussins élevés dans la couveuse ne font pas attention au gloussement de la poule et ne craignent ni le chat ni la buse. S’il est vrai que de tout petits chats encore aveugles félissent réellement, quand ils sont saisis par une main qui vient de caresser un chien, il faut tenir cette manifestation pour un réflexe de l’odorat. Les apparitions inaccoutumées effraient d’ailleurs facilement de jeunes animaux. Ainsi de jeunes poulets que l’on a nourri de petits vers avalent aussi de petits flocons de laine, mais restent inquiets devant un gros flocon. Chez beaucoup d’animaux, la crainte de ce qui est inaccoutumé et surprenant parait même être un des principaux moyens de défense.
Chez les animaux très développés on peut percevoir d’une façon plus frappante encore la formation d’associations, et en constater en même temps la solidité.
Je pus me convaincre aussi de la persistance des associations chez le chien. Rentrant sans être attendu à la maison paternelle, dans l’obscurité de la nuit et après neuf ans d’absence, je fus reçu par le chien avec un aboiement furieux; mais un seul appel me suffit pour obtenir de suite l’accueil le plus amical. Après cela, je ne tiens pas pour une exagération poétique l’histoire du chien d’Ulysse.
On ne saurait exagérer l’importance qu’a pour le développement psychique la comparaison d’un fait sensible A, B, C, D avec un autre fait sensible A, K, L, M reproduit mentalement. Ces différentes lettres peuvent d’abord indiquer des complexes entiers d’éléments. A sera, par exemple, un corps que nous avons une fois rencontré avec B, C, D, et que nous trouvons maintenant avec K, L, M, un corps qui se déplace sur un certain fond et qui par là même est reconnu comme une combinaison particulière relativement indépendante. Donnons maintenant aux différentes lettres la signification d’éléments différents (sensations).
Nous apprenons alors à les connaître comme des parties autonomes constitutives de nos impressions. L’orangé A ne se trouve pas seulement dans une orange, il se trouve aussi dans un morceau d’étoffe, une fleur ou un minéral, c’est-à-dire dans des complexes différents.
D’ailleurs, tout comme l’analyse, la combinaison, elle aussi, repose sur l’association. A sera par exemple l’aspect visuel d’une orange ou d’une rose, et K signifiera, dans le complexe reproduit, la saveur de l’orange ou le parfum de la rose. Nous associons aussitôt à l’image visuelle nouvelle, les propriétés déjà éprouvées auparavant.
Les représentations que nous avons des choses de notre entourage ne correspondent donc pas exactement aux impressions actuelles ; elles sont, en général, beaucoup plus riches.
Il y a des faisceaux de représentations associées qui proviennent de faits antérieurs, s’entremêlent aux sensations actuelles et déterminent notre conduite beaucoup plus largement que ces dernières seules ne pourraient le faire.
Nous ne voyons pas seulement une boule orange, Mais nous croyons percevoir un corps mou, parfumé, rafraîchissant et de saveur acide. C’est pour cela que nous pouvons, à l’occasion, être trompés par une boule de bois jaune.
Avec la durée de notre vie, augmentent la multiplicité et la richesse de notre expérience sensible, ainsi que le nombre et la variété des liaisons associatives. Et par là se produisent à la fois une décomposition progressive de cette expérience en ses éléments constitutifs et une formation progressive de nouvelles synthèses à partir de ces éléments.
Quand la vie intellectuelle est formée, nous pouvons aussi retenir, comme des faits sensibles, des complexes de représentations associés entre eux et se reproduisant mutuellement. Dans les complexes de représentations eux-mêmes interviennent de nouvelles analyses et de nouvelles synthèses, comme nous le montrent tous les romans et tous les travaux scientifiques, et comme tout penseur peut l’observer sur lui-même.
Bien que l’on ne puisse trouver qu’un seul principe de reproduction et d’association, le principe de simultanéité, le cours des idées prend néanmoins, dans divers cas, un caractère très différent.
Pendant la vie, la plupart des représentations se sont associées à beaucoup d’autres, et ces associations, orientées dans diverses directions, interfèrent et s’affaiblissent réciproquement.
Peut-on dire où et quand on a employé, vu employer ou appris à connaître une lettre déterminée, un mot, un concept, une façon de calculer ? Plus on les a employés souvent, et plus on est familiarisé avec eux, moins on est en état de répondre.
Le mot Schmidt est, même avec cette orthographe définie, lié de tant de façons aux spécialités et aux professions les plus variées, qu’il ne peut évoquer aucune association. Selon la direction actuelle de mes pensées, selon la nature actuelle de mon travail, il peut me rappeler un philosophe, un zoologiste, un historien, un archéologue, un constructeur de machines etc.
On peut même observer cela pour des noms très rares. Il m’est souvent arrivé de passer près d’une affiche d’extrait de viande Maggi et pourtant de ne songer qu’une seule fois à l’auteur de même nom d’un livre de mécanique intéressant pour moi : je pensais alors à la physique.
De même, la couleur bleue d’une étoffe pourra à elle seule ne rien suggérer à un adulte, tandis qu’elle rappellera peut-être à l’enfant le bleuet qu’il a cueilli hier.
Le nom de Paris peut me remettre en esprit les collections du Louvre, les physiciens et les mathématiciens célèbres de cette ville, ou encore ses fins restaurants, selon mes dispositions actuelles.
Considérons maintenant quelques types du cours des idées. Si, sans plan ni but, tout à fait à l’abri des dérangements extérieurs, par exemple par une nuit d’insomnie, je me laisse aller tout entier à mes pensées, j’arrive à tout embrouiller. Des situations tragiques et comiques, ressouvenirs ou inventions, alternent avec des idées scientifiques et des plans de travail, et il serait bien difficile de déterminer les petites contingences qui ont déterminé cette «libre imagination».
Les idées ne se succèdent guère autrement lorsque deux ou plusieurs personnes causent ensemble, sans contrainte, sauf qu’ici les pensées de plusieurs, individus s’influencent réciproquement.
Les sauts étonnants et les retours de la conversation amènent souvent avec surprise la question : mais comment en sommes-nous venus là ?
La fixation dés pensées par des paroles exprimées à haute voix et la présence de plusieurs observateurs facilitent ici la réponse, qui ne fait que rarement défaut.
En rêve, les idées prennent les chemins les plus surprenants. Mais le fil de l’association est dans ce cas tout particulièrement difficile à suivre, en partie parce que les souvenirs que laisse le rêve sont incomplets, en partie aussi, parce que les légères sensations du dormeur, sont souvent une cause de trouble.
Des situations vécues, des formes vues, des mélodies entendues en rêve, offrent souvent des bases très importantes à la création artistique ; mais le savant ne peut rattacher ses pensées à des rêves que dans des cas extrêmement rares.
La solution d’un logogriphe ou d’une énigme, celle d’un problème de construction géométrique ou technique, celle d’une question scientifique ou bien encore l’exécution d’un projet artistique, exigent un mouvement d’idées fait dans un but déterminé.
On cherche là quelque chose de nouveau, quelque chose qui, pour le moment, n’est encore que partiellement connu.
Ce mouvement d’idées, qui ne perd jamais de vue le but plus ou moins défini, est ce que nous appelons réflexion.
S’il y a devant moi une personne qui me propose une énigme ou un problème, ou si je suis assis à mon bureau, sur lequel je vois des traces de mes travaux en cours, par là-même s’impose à moi un ensemble de sensations qui remuent toujours mes pensées vers le but et les empêchent de vagabonder au hasard.
En soi, cette limitation extérieure des pensées n’est pas à négliger. Si, occupé à un travail scientifique, je finis par céder à la fatigue et je m’endors, ce guide extérieur, qui me pousse vers le but, me manque aussitôt ; mes idées se dispersent et abandonnent la route convenable. C’est bien pour cela que l’on trouve si rarement en rêve la solution des problèmes scientifiques.
Mais si l’intérêt involontaire, qui s’attache à la solution d’une question, est suffisamment intense, ces guides extérieurs sont tout à fait inutiles. Toutes les pensées, toutes les observations ramènent naturellement au but, parfois même pendant le rêve.
Quand on réfléchit, l’idée qu’on cherche doit remplir certaines conditions. Elle doit résoudre une énigme ou un problème, rendre possible une construction. Les conditions à remplir sont connues, l’idée qui les remplit ne l’est pas.
Pour expliquer le mode de mouvement des pensées qui mène à trouver ce qu’on cherche, prenons l’exemple d’une construction géométrique simple. La forme du processus est, en effet, la même dans tous les cas que nous envisageons ici, et il nous suffira d’un seul exemple pour les faire comprendre tous : soient deux droites perpendiculaire (a) et (b), coupées obliquement par une troisième (c) ; dans le triangle ainsi constitué, on propose d’inscrire un carré, dont deux sommets se trouvent respectivement sur (a) et sur (b) dont le troisième soit au point de rencontre de (a) et (b) et, le quatrième, sur (c). Nous cherchons à nous imaginer en place des carrés qui remplissent ces conditions. Si nous prenons un carré quelconque ayant un sommet au point de rencontre de a et b, et deux côtés, dirigés respectivement suivant (a) et suivant (b), trois sommets satisfont immédiatement aux conditions énoncées. Le quatrième sommet ne tombe pas exactement sur (c), il est en dehors ou en dedans du triangle en question.
Si, par contre on prend arbitrairement un sommet sur (c), et si l’on complète un rectangle en abaissant de ce point des perpendiculaires sur (a) et (b), le rectangle qu’on obtient n’est, en général, pas un carré. Mais on voit que l’on peut passer d’un rectangle à grands côtés verticaux à un rectangle à grands côtés horizontaux, en faisant varier la position d’un sommet pris sur c, et que, dans l’intervalle, il doit se trouver un rectangle dont les côtés sont égaux. On peut ainsi, dans la série des rectangles inscrits, chercher le carré avec toute l’approximation désirée.
Il y a un autre moyen. Si on part d’un carré, dont le quatrième sommet soit à l’intérieur du triangle, et si on imagine qu’il grandisse jusqu’à ce que ce sommet tombe à l’extérieur, il faut bien qu’à un certain moment ce sommet se soit trouvé sur la droite (c). Et on pourrait chercher, avec toute l’approximation désirée dans la série des carrés, celui qui est de la grandeur voulue.
Ces essais et ces tâtonnements précèdent naturellement la solution complète. La pensée vulgaire peut se contenter d’une solution suffisante dans la pratique. Mais la science exige la solution la plus courte, la plus générale et la plus claire. Nous obtenons cette solution, en partant de la considération des rectangles et des carrés, et en nous souvenant que tous les carrés inscrits ont pour diagonale commune la bissectrice de l’angle formé par les droites a et b: nous pouvons immédiatement compléter le carré cherché, à partir du point de rencontre de la bissectrice avec la droite (c).
Si simple que soit cet exemple, choisi à dessein, il met cependant en pleine lumière ce qui est essentiel dans toute solution de problème, l’expérimentation avec des pensées, avec des souvenirs, et montre clairement l’identité qui existe entre la solution d’un problème et la solution d’une énigme. L’énigme est résolue par une représentation possédant des propriétés correspondantes aux conditions A, B, C... L’association nous fournit des séries de représentations pour la propriété A, pour la propriété B, etc. L’élément (ou les éléments) appartenant à toutes les séries, où toutes ces séries se croissent, est la solution du problème. Voilà le type de processus de représentations qu’on appelle réflexion.
Ce qui précède met hors de doute l’importance que présentent pour toute la vie psychique les traces des souvenirs de faits sensibles que l’on peut reproduire et associer, et montre en même temps que les recherches psychologiques et physiologiques ne peuvent être séparées l’une de l’autre, puisque, déjà dans les éléments de la vie, le psychique et le psychique sont unis de la manière la plus étroite.
La possibilité de reproduire et d’associer des idées, forme aussi la base de la conscience. On aurait quelque peine à nommer conscience l’existence ininterrompue d’une impression invariable.
Hobbes disait déjà : Sentire semper idem et non sentire ad idem recidunt. On ne peut voir non plus ce qu’ajouterait l’hypothèse d’une énergie spéciale différente de toutes les autres énergies physiques, «l’énergie de la conscience». Cette supposition serait inutile et sans rôle en physique et ne ferait pas mieux comprendre quoique ce soit en psychologie.
La conscience n’est pas une qualité particulière (psychique), ou une classe de qualités qui se distinguent des qualités physiques ; elle n’est non plus une qualité particulière qui doive s’ajouter aux qualités physiques pour rendre conscient ce qui ne l’est pas.
L’introspection, aussi bien que l’observation d’autres êtres vivants auxquels nous devons attribuer une conscience analogue à la notre, nous apprend que la conscience a ses racines dans la reproduction et l’association et que le niveau de la conscience va de pair avec la richesse, la facilité, la rapidité, la vivacité et l’ordonnance de ces fonctions.
La conscience ne consiste pas dans une qualité spéciale mais dans une liaison spéciale de qualités données.
Il ne faut pas chercher à expliquer la sensation. Elle est quelque chose de si simple et de si fondamental qu’on ne peut réussir au moins aujourd’hui, à la ramener à quelque chose de plus simple encore.
La sensation isolée n’est d’ailleurs consciente ni inconsciente. Elle devient consciente quand elle prend sa place dans les événements du présent.
Tout trouble de la reproduction et de l’association est un trouble de la conscience, et celle-ci peut présenter tous les degrés, depuis la clarté jusqu’à l’inconscience absolue de l’individu qui dort sans rêves, ou qui est tombé en faiblesse.
Tout trouble temporaire ou durable de la coordination des fonctions cérébrales est en même temps un trouble temporaire ou durable de la conscience.
Des faits empruntés à l’anatomie comparée, à la physiologie, à la psychologie, nous forcent à admettre que l’intégrité des hémisphères cérébraux est la condition nécessaire de l’intégrité de la conscience.
Diverses régions de l’écorce cérébrale, reçoivent et gardent les traces de diverses excitations sensorielles; il y a des régions déterminées pour le sensations visuelles, d’autres pour les sensations acoustiques, d’autres pour les sensations tactiles, etc. Ces différents champs corticaux sont reliés entre eux d’une façon multiple, par les fibres d’association. Tout arrêt dans les fonctions d’une région quelconque de l’écorce cérébrale, et toute rupture d’une liaison entraîne des troubles psychiques.
Par exemple, l’idée d’orange est extraordinairement compliquée. Forme, couleur, saveur, parfum, consistance, etc., y sont étroitement unis d’une façon particulière. Si j’entends le nom «orange», la succession de ces sensations acoustiques amène comme au bout d’un fil le faisceau de ces représentation.
Ajoutez-y que le mot entendu appelle le souvenir des sensations que l’on éprouve en le prononçant, le souvenir des mouvements que l’on fait pour l’écrire, et l’image visuelle du mot écrit ou imprimé.
S’il y a aussi dans le cerveau un champ spécial optique, un champ spécial acoustique, un champ spécial tactile, des phénomènes particuliers doivent entrer en scène quand un de ces champs est exclu, que sa fonction est supprimée, qu’il n’es plus associé aux autres champs. En fait, on a observé de tels phénomènes. Si le champ optique ou acoustique fonctionne encore tandis que ses liaison associatives avec d’autres champs importants sont supprimées, il se produit une «cécité psychique» ou une «surdité psychique» que Munk a observées chez des chiens après des opérations portant sur le cerveau. Ces chiens voient, mais ne comprennent plus ce qu’ils voient ; ils ne reconnaissent pas l’échelle, le fouet, le geste qui les menace. Dans le cas de «surdité psychique», le chien entend, mais ne reconnaît plus l’appel familier, ne le comprend pas.
Les observations des physiologistes sont confirmées ou complétées par celles des psychopathologistes. L’étude des troubles du langage est sur ce point, particulièrement féconde.
La signification d’un mot consiste dans la masse des associations que ce mot éveille, et son emploi correct repose inversement sur la présence de ces associations.
Des troubles apportés à ces associations doivent se manifester ici d’une façon frappante.
Broca a reconnu l’importance du tiers postérieur de la troisième circonvolution frontale gauche pour le langage articulé ; le langage est perdu dans tous les cas où cette partie du cerveau est lésée.
L’aphasie peut encore être causée par un grand nombre de lésions différentes. Le malade se souvient par exemple des mots en tant qu’images sonores, il peut les écrire et ne peut les prononcer malgré la mobilité de langue, des lèvres, etc. ; l’image motrice du mot manque et n’est pas là pour déclencher les mouvements convenables.
Les images optiques ou motrices de l’écriture peuvent manquer aussi (agraphie).
Il peut arriver aussi que le mot prononcé ou écrit ne soit pas compris et ne réveille aucune association : c’est ce qu’on a nommé surdité verbale ou cécité verbale. Lordat a observé sur lui-même de cas de surdité et de cécité verbales ; il a pu en rendre compte après sa guérison. Il décrit avec émotion l’instant où, après de longues et tristes semaines, il regardait dans sa bibliothèque les mots «Hippocratis opera» sur le dos d’un livre et où il put de nouveau les lire et les comprendre.
D’après cette énumération sommaire, incomplète et trop brève, il est déjà possible de se figurer combien de voies de communication peuvent intervenir ici entre les champs sensoriels et moteurs.
Des troubles du langage de moindre importance, tels que les lapsus de la parole et de l’écriture, apparaissent à la suite d’une fatigue ou d’une distraction momentanées, même chez des hommes tout à fait sains.
Voici encore un cas de perte de la mémoire visuelle qui n’est pas moins remarquable. Une dame tombe subitement, puis on la prend pour une aveugle parce qu’elle ne reconnaît personne dans son entourage. Mais, en dehors d’une diminution du champ visuel qui s’améliore peu à peu, l’accident ne laisse comme trace que la perte de la mémoire visuelle, dont la patiente est parfaitement consciente. Elle fait cette remarque caractéristique: «Si j’en juge par mon état, l’homme voit plus avec le cerveau qu’avec l’œil ; l’œil n’est que le moyen de voir; car je vois tout clairement et distinctement, mais je ne reconnais pas ce que je vois, et je ne sais pas ce que ce peut être».
D’après les faits rapportés ci-dessus, on doit dire qu’il n’y a pas une seule mémoire, mais que la mémoire se compose d’un grand nombre de mémoires partielles, qui sont distinctes l’une de l’autre et peuvent se perdre isolément. À ces mémoires partielles correspondent diverses parties du cerveau, dont quelques-unes sont déjà aujourd’hui déterminées avec une certaine précision.
Les amnésies périodiquement variables sont remarquables au plus haut point. Après un long sommeil, une femme a oublié tout ce qu’elle avait appris. Il faut qu’elle réapprenne à lire, à écrire et à connaître son entourage. Quelques mois plus tard, elle retombe dans un profond sommeil. Réveillée, elle se retrouve en possession de ses souvenirs de jeunesse, comme avant le premier sommeil ; mais elle a oublié tout ce qui s’est passé entre ses deux crises de sommeil. À partir de là, les deux états de conscience et de mémoire alternent périodiquement tous les quatre ans. Il faut que les personnes qu’elle doit connaître d’une façon durable lui soient présentées dans les deux états.
À l’état de veille, on se rappelle très difficilement des rêves, même frappants, tandis que, inversement, pendant le rêve, les circonstances qui accompagnent l’état de veille nous échappent la plupart du temps tout à fait. Par contre, les mêmes situations se répètent souvent en rêve. Il y a un passage continu de la séparation tranchée des différents états de conscience jusqu’à l’effacement presque complet de leurs limites.
En somme, si, avec Hering, on attribue aux organismes la propriété de s’adapter de mieux en mieux aux circonstances qui se répètent, on reconnaît que ce que nous appelons habituellement mémoire est une manifestation partielle d’un phénomène organique général. C’est l’adaptation à des phénomènes périodiques, en tant qu’elle tombe dans le domaine de la conscience. Hérédité, instinct, etc., peuvent alors être considérés comme une mémoire dépassant l’individu.
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CHAPITRE III - CHAPITRE III - MÉMOIRE, REPRODUCTION ET RE, REPRODUCTION ET RE, REPRODUCTION ET ASSOCIATION ASSOCIATION ASSOCIATION
Un fait sensible, formé des éléments A, B, C, D, évoque le souvenir d’un fait sensible antérieur formé des éléments A, K, L, M, c’est-à-dire que ce dernier fait est reproduit.
Puisque, en général, cela n’entraîne pas la reproduction de K, L, M, par B, C, D, nous pensons naturellement que cette réduction est amenée par l’élément commun A et dérive de lui. À la reproduction de A se rattache et s’associe celle des éléments K, L, M, simultanément (contiguïté dans le temps) offerts à nos sens auparavant, soit directement avec A, soit avec d’autres éléments déjà reproduits.
Cette unique loi d’association intervient toujours.
L’association a une grande importance biologique. C’est sur elle que reposent toutes les adaptations psychiques du milieu, toutes les expériences scientifiques.
Si le milieu où vivent des êtres ne se composait pas de parties demeurant au moins à peu près constantes, ou bien ne se laissait pas décomposer en éléments qui se répètent périodiquement, l’expérience serait impossible, et l’association inutile.
C’est seulement parce que un bruit, toujours le même, annonce à l’avance l’approche de l’ennemi ou la fuite de la proie, que la représentation associée peut servir à provoquer les mouvements correspondants de fuite ou d’attaque.
Une stabilité approximative rend l’expérience possible et inversement, si l’expérience est réellement possible, nous pouvons conclure à la stabilité du milieu/
Le succès justifie notre hypothèse de la stabilité, introduite méthodiquement pour édifier la science.
L’enfant nouveau-né est, comme un animal d’organisation inférieure, réduit à ses mouvement réflexes. D’une façon innée, il a l’instinct de téter, de crier quand il a besoin d’aide, etc. En grandissant, il acquiert les premières et les plus simples expériences par association, comme les animaux supérieurs. Il apprend à éviter comme douloureux le contact de la flamme et le choc d’un corps dur; il apprend à rattacher l’idée de saveur à la pomme qu’il voit, etc. Mais bientôt, par la richesse et la finesse de son expérience, il laisse tous les animaux loin derrière lui.
Il est très instructif d’observer la formation des associations sur de jeunes animaux, comme C.L. Morgan l’a fait systématiquement sur de petits poussins et canetons éclos dans une couveuse. Quelques heures après l’éclosion, les poussins sont déjà doués de mouvements réflexes convenablement appropriés. Ils courent, becquettent les objets qu’on leur offre et les atteignent avec sûreté. On voit même de petits perdreaux se sauver couverts encore en partie de la coquille de l’œuf. Au début, les petits poussins becquetaient tout, les caractères imprimés sur une feuille de papier, leurs propres pattes, leurs propres excréments. Mais dans ce dernier cas, le poussin rejetait aussitôt l’objet de goût mauvais, secouait la tête et nettoyait son bec en l’aiguisant sur le sol. L’animal agissait de même quand il avait saisi une abeille ou une chenille de goût désagréable. Mais il cessait bientôt de becqueter les objets qui ne lui étaient pas utiles. Les poussins ne font pas attention à un vase qui contient de l’eau, mais ils y boivent dès que, par hasard, en courant, ils y ont mis les pattes.
Les façons d’agir des poulets et des canards sont innées chez les jeunes animaux; ils les mettent en pratique sans aucun enseignement. Elles sont préparées par le mécanisme des mouvements, et il en est de même des cris. On distingue chez les poussins le cri du bien-être, quand ils se blottissent frileusement dans la main qu’on leur tend, le cri de l’effroi à la vue d’un gros scarabée noir, le cri de la solitude. Etc.
Chez ces animaux, l’établissement de certaines associations est mécaniquement préparé et inné, il peut être grandement favorisé et, facilité par une disposition anatomique; néanmoins les associations elles-mêmes ne sont pas innées, mais doivent être acquises par expérience individuelle.
Pour que ceci soit tout à fait exact, il faut n’appliquer le terme d’ «association» qu’à des représentations (conscientes). Si nous entendons par là, dans un sens plus large, qu’un phénomène organique en provoque un autre, qui a déjà eu lieu en même temps, la limite entre ce qui est inné (héréditaire), et ce qui est acquis par l’individu sera très difficile à tracer, et c’est bien ainsi qu’il faut que cela se passe pour que les acquisitions de l’espèce puissent être augmentées ou modifiées par l’individu.
De petits poussins élevés dans la couveuse ne font pas attention au gloussement de la poule et ne craignent ni le chat ni la buse. S’il est vrai que de tout petits chats encore aveugles félissent réellement, quand ils sont saisis par une main qui vient de caresser un chien, il faut tenir cette manifestation pour un réflexe de l’odorat. Les apparitions inaccoutumées effraient d’ailleurs facilement de jeunes animaux. Ainsi de jeunes poulets que l’on a nourri de petits vers avalent aussi de petits flocons de laine, mais restent inquiets devant un gros flocon. Chez beaucoup d’animaux, la crainte de ce qui est inaccoutumé et surprenant parait même être un des principaux moyens de défense.
Chez les animaux très développés on peut percevoir d’une façon plus frappante encore la formation d’associations, et en constater en même temps la solidité.
Je pus me convaincre aussi de la persistance des associations chez le chien. Rentrant sans être attendu à la maison paternelle, dans l’obscurité de la nuit et après neuf ans d’absence, je fus reçu par le chien avec un aboiement furieux; mais un seul appel me suffit pour obtenir de suite l’accueil le plus amical. Après cela, je ne tiens pas pour une exagération poétique l’histoire du chien d’Ulysse.
On ne saurait exagérer l’importance qu’a pour le développement psychique la comparaison d’un fait sensible A, B, C, D avec un autre fait sensible A, K, L, M reproduit mentalement. Ces différentes lettres peuvent d’abord indiquer des complexes entiers d’éléments. A sera, par exemple, un corps que nous avons une fois rencontré avec B, C, D, et que nous trouvons maintenant avec K, L, M, un corps qui se déplace sur un certain fond et qui par là même est reconnu comme une combinaison particulière relativement indépendante. Donnons maintenant aux différentes lettres la signification d’éléments différents (sensations).
Nous apprenons alors à les connaître comme des parties autonomes constitutives de nos impressions. L’orangé A ne se trouve pas seulement dans une orange, il se trouve aussi dans un morceau d’étoffe, une fleur ou un minéral, c’est-à-dire dans des complexes différents.
D’ailleurs, tout comme l’analyse, la combinaison, elle aussi, repose sur l’association. A sera par exemple l’aspect visuel d’une orange ou d’une rose, et K signifiera, dans le complexe reproduit, la saveur de l’orange ou le parfum de la rose. Nous associons aussitôt à l’image visuelle nouvelle, les propriétés déjà éprouvées auparavant.
Les représentations que nous avons des choses de notre entourage ne correspondent donc pas exactement aux impressions actuelles ; elles sont, en général, beaucoup plus riches.
Il y a des faisceaux de représentations associées qui proviennent de faits antérieurs, s’entremêlent aux sensations actuelles et déterminent notre conduite beaucoup plus largement que ces dernières seules ne pourraient le faire.
Nous ne voyons pas seulement une boule orange, Mais nous croyons percevoir un corps mou, parfumé, rafraîchissant et de saveur acide. C’est pour cela que nous pouvons, à l’occasion, être trompés par une boule de bois jaune.
Avec la durée de notre vie, augmentent la multiplicité et la richesse de notre expérience sensible, ainsi que le nombre et la variété des liaisons associatives. Et par là se produisent à la fois une décomposition progressive de cette expérience en ses éléments constitutifs et une formation progressive de nouvelles synthèses à partir de ces éléments.
Quand la vie intellectuelle est formée, nous pouvons aussi retenir, comme des faits sensibles, des complexes de représentations associés entre eux et se reproduisant mutuellement. Dans les complexes de représentations eux-mêmes interviennent de nouvelles analyses et de nouvelles synthèses, comme nous le montrent tous les romans et tous les travaux scientifiques, et comme tout penseur peut l’observer sur lui-même.
Bien que l’on ne puisse trouver qu’un seul principe de reproduction et d’association, le principe de simultanéité, le cours des idées prend néanmoins, dans divers cas, un caractère très différent.
Pendant la vie, la plupart des représentations se sont associées à beaucoup d’autres, et ces associations, orientées dans diverses directions, interfèrent et s’affaiblissent réciproquement.
Peut-on dire où et quand on a employé, vu employer ou appris à connaître une lettre déterminée, un mot, un concept, une façon de calculer ? Plus on les a employés souvent, et plus on est familiarisé avec eux, moins on est en état de répondre.
Le mot Schmidt est, même avec cette orthographe définie, lié de tant de façons aux spécialités et aux professions les plus variées, qu’il ne peut évoquer aucune association. Selon la direction actuelle de mes pensées, selon la nature actuelle de mon travail, il peut me rappeler un philosophe, un zoologiste, un historien, un archéologue, un constructeur de machines etc.
On peut même observer cela pour des noms très rares. Il m’est souvent arrivé de passer près d’une affiche d’extrait de viande Maggi et pourtant de ne songer qu’une seule fois à l’auteur de même nom d’un livre de mécanique intéressant pour moi : je pensais alors à la physique.
De même, la couleur bleue d’une étoffe pourra à elle seule ne rien suggérer à un adulte, tandis qu’elle rappellera peut-être à l’enfant le bleuet qu’il a cueilli hier.
Le nom de Paris peut me remettre en esprit les collections du Louvre, les physiciens et les mathématiciens célèbres de cette ville, ou encore ses fins restaurants, selon mes dispositions actuelles.
Considérons maintenant quelques types du cours des idées. Si, sans plan ni but, tout à fait à l’abri des dérangements extérieurs, par exemple par une nuit d’insomnie, je me laisse aller tout entier à mes pensées, j’arrive à tout embrouiller. Des situations tragiques et comiques, ressouvenirs ou inventions, alternent avec des idées scientifiques et des plans de travail, et il serait bien difficile de déterminer les petites contingences qui ont déterminé cette «libre imagination».
Les idées ne se succèdent guère autrement lorsque deux ou plusieurs personnes causent ensemble, sans contrainte, sauf qu’ici les pensées de plusieurs, individus s’influencent réciproquement.
Les sauts étonnants et les retours de la conversation amènent souvent avec surprise la question : mais comment en sommes-nous venus là ?
La fixation dés pensées par des paroles exprimées à haute voix et la présence de plusieurs observateurs facilitent ici la réponse, qui ne fait que rarement défaut.
En rêve, les idées prennent les chemins les plus surprenants. Mais le fil de l’association est dans ce cas tout particulièrement difficile à suivre, en partie parce que les souvenirs que laisse le rêve sont incomplets, en partie aussi, parce que les légères sensations du dormeur, sont souvent une cause de trouble.
Des situations vécues, des formes vues, des mélodies entendues en rêve, offrent souvent des bases très importantes à la création artistique ; mais le savant ne peut rattacher ses pensées à des rêves que dans des cas extrêmement rares.
La solution d’un logogriphe ou d’une énigme, celle d’un problème de construction géométrique ou technique, celle d’une question scientifique ou bien encore l’exécution d’un projet artistique, exigent un mouvement d’idées fait dans un but déterminé.
On cherche là quelque chose de nouveau, quelque chose qui, pour le moment, n’est encore que partiellement connu.
Ce mouvement d’idées, qui ne perd jamais de vue le but plus ou moins défini, est ce que nous appelons réflexion.
S’il y a devant moi une personne qui me propose une énigme ou un problème, ou si je suis assis à mon bureau, sur lequel je vois des traces de mes travaux en cours, par là-même s’impose à moi un ensemble de sensations qui remuent toujours mes pensées vers le but et les empêchent de vagabonder au hasard.
En soi, cette limitation extérieure des pensées n’est pas à négliger. Si, occupé à un travail scientifique, je finis par céder à la fatigue et je m’endors, ce guide extérieur, qui me pousse vers le but, me manque aussitôt ; mes idées se dispersent et abandonnent la route convenable. C’est bien pour cela que l’on trouve si rarement en rêve la solution des problèmes scientifiques.
Mais si l’intérêt involontaire, qui s’attache à la solution d’une question, est suffisamment intense, ces guides extérieurs sont tout à fait inutiles. Toutes les pensées, toutes les observations ramènent naturellement au but, parfois même pendant le rêve.
Quand on réfléchit, l’idée qu’on cherche doit remplir certaines conditions. Elle doit résoudre une énigme ou un problème, rendre possible une construction. Les conditions à remplir sont connues, l’idée qui les remplit ne l’est pas.
Pour expliquer le mode de mouvement des pensées qui mène à trouver ce qu’on cherche, prenons l’exemple d’une construction géométrique simple. La forme du processus est, en effet, la même dans tous les cas que nous envisageons ici, et il nous suffira d’un seul exemple pour les faire comprendre tous : soient deux droites perpendiculaire (a) et (b), coupées obliquement par une troisième (c) ; dans le triangle ainsi constitué, on propose d’inscrire un carré, dont deux sommets se trouvent respectivement sur (a) et sur (b) dont le troisième soit au point de rencontre de (a) et (b) et, le quatrième, sur (c). Nous cherchons à nous imaginer en place des carrés qui remplissent ces conditions. Si nous prenons un carré quelconque ayant un sommet au point de rencontre de a et b, et deux côtés, dirigés respectivement suivant (a) et suivant (b), trois sommets satisfont immédiatement aux conditions énoncées. Le quatrième sommet ne tombe pas exactement sur (c), il est en dehors ou en dedans du triangle en question.
Si, par contre on prend arbitrairement un sommet sur (c), et si l’on complète un rectangle en abaissant de ce point des perpendiculaires sur (a) et (b), le rectangle qu’on obtient n’est, en général, pas un carré. Mais on voit que l’on peut passer d’un rectangle à grands côtés verticaux à un rectangle à grands côtés horizontaux, en faisant varier la position d’un sommet pris sur c, et que, dans l’intervalle, il doit se trouver un rectangle dont les côtés sont égaux. On peut ainsi, dans la série des rectangles inscrits, chercher le carré avec toute l’approximation désirée.
Il y a un autre moyen. Si on part d’un carré, dont le quatrième sommet soit à l’intérieur du triangle, et si on imagine qu’il grandisse jusqu’à ce que ce sommet tombe à l’extérieur, il faut bien qu’à un certain moment ce sommet se soit trouvé sur la droite (c). Et on pourrait chercher, avec toute l’approximation désirée dans la série des carrés, celui qui est de la grandeur voulue.
Ces essais et ces tâtonnements précèdent naturellement la solution complète. La pensée vulgaire peut se contenter d’une solution suffisante dans la pratique. Mais la science exige la solution la plus courte, la plus générale et la plus claire. Nous obtenons cette solution, en partant de la considération des rectangles et des carrés, et en nous souvenant que tous les carrés inscrits ont pour diagonale commune la bissectrice de l’angle formé par les droites a et b: nous pouvons immédiatement compléter le carré cherché, à partir du point de rencontre de la bissectrice avec la droite (c).
Si simple que soit cet exemple, choisi à dessein, il met cependant en pleine lumière ce qui est essentiel dans toute solution de problème, l’expérimentation avec des pensées, avec des souvenirs, et montre clairement l’identité qui existe entre la solution d’un problème et la solution d’une énigme. L’énigme est résolue par une représentation possédant des propriétés correspondantes aux conditions A, B, C... L’association nous fournit des séries de représentations pour la propriété A, pour la propriété B, etc. L’élément (ou les éléments) appartenant à toutes les séries, où toutes ces séries se croissent, est la solution du problème. Voilà le type de processus de représentations qu’on appelle réflexion.
Ce qui précède met hors de doute l’importance que présentent pour toute la vie psychique les traces des souvenirs de faits sensibles que l’on peut reproduire et associer, et montre en même temps que les recherches psychologiques et physiologiques ne peuvent être séparées l’une de l’autre, puisque, déjà dans les éléments de la vie, le psychique et le psychique sont unis de la manière la plus étroite.
La possibilité de reproduire et d’associer des idées, forme aussi la base de la conscience. On aurait quelque peine à nommer conscience l’existence ininterrompue d’une impression invariable.
Hobbes disait déjà : Sentire semper idem et non sentire ad idem recidunt. On ne peut voir non plus ce qu’ajouterait l’hypothèse d’une énergie spéciale différente de toutes les autres énergies physiques, «l’énergie de la conscience». Cette supposition serait inutile et sans rôle en physique et ne ferait pas mieux comprendre quoique ce soit en psychologie.
La conscience n’est pas une qualité particulière (psychique), ou une classe de qualités qui se distinguent des qualités physiques ; elle n’est non plus une qualité particulière qui doive s’ajouter aux qualités physiques pour rendre conscient ce qui ne l’est pas.
L’introspection, aussi bien que l’observation d’autres êtres vivants auxquels nous devons attribuer une conscience analogue à la notre, nous apprend que la conscience a ses racines dans la reproduction et l’association et que le niveau de la conscience va de pair avec la richesse, la facilité, la rapidité, la vivacité et l’ordonnance de ces fonctions.
La conscience ne consiste pas dans une qualité spéciale mais dans une liaison spéciale de qualités données.
Il ne faut pas chercher à expliquer la sensation. Elle est quelque chose de si simple et de si fondamental qu’on ne peut réussir au moins aujourd’hui, à la ramener à quelque chose de plus simple encore.
La sensation isolée n’est d’ailleurs consciente ni inconsciente. Elle devient consciente quand elle prend sa place dans les événements du présent.
Tout trouble de la reproduction et de l’association est un trouble de la conscience, et celle-ci peut présenter tous les degrés, depuis la clarté jusqu’à l’inconscience absolue de l’individu qui dort sans rêves, ou qui est tombé en faiblesse.
Tout trouble temporaire ou durable de la coordination des fonctions cérébrales est en même temps un trouble temporaire ou durable de la conscience.
Des faits empruntés à l’anatomie comparée, à la physiologie, à la psychologie, nous forcent à admettre que l’intégrité des hémisphères cérébraux est la condition nécessaire de l’intégrité de la conscience.
Diverses régions de l’écorce cérébrale, reçoivent et gardent les traces de diverses excitations sensorielles; il y a des régions déterminées pour le sensations visuelles, d’autres pour les sensations acoustiques, d’autres pour les sensations tactiles, etc. Ces différents champs corticaux sont reliés entre eux d’une façon multiple, par les fibres d’association. Tout arrêt dans les fonctions d’une région quelconque de l’écorce cérébrale, et toute rupture d’une liaison entraîne des troubles psychiques.
Par exemple, l’idée d’orange est extraordinairement compliquée. Forme, couleur, saveur, parfum, consistance, etc., y sont étroitement unis d’une façon particulière. Si j’entends le nom «orange», la succession de ces sensations acoustiques amène comme au bout d’un fil le faisceau de ces représentation.
Ajoutez-y que le mot entendu appelle le souvenir des sensations que l’on éprouve en le prononçant, le souvenir des mouvements que l’on fait pour l’écrire, et l’image visuelle du mot écrit ou imprimé.
S’il y a aussi dans le cerveau un champ spécial optique, un champ spécial acoustique, un champ spécial tactile, des phénomènes particuliers doivent entrer en scène quand un de ces champs est exclu, que sa fonction est supprimée, qu’il n’es plus associé aux autres champs. En fait, on a observé de tels phénomènes. Si le champ optique ou acoustique fonctionne encore tandis que ses liaison associatives avec d’autres champs importants sont supprimées, il se produit une «cécité psychique» ou une «surdité psychique» que Munk a observées chez des chiens après des opérations portant sur le cerveau. Ces chiens voient, mais ne comprennent plus ce qu’ils voient ; ils ne reconnaissent pas l’échelle, le fouet, le geste qui les menace. Dans le cas de «surdité psychique», le chien entend, mais ne reconnaît plus l’appel familier, ne le comprend pas.
Les observations des physiologistes sont confirmées ou complétées par celles des psychopathologistes. L’étude des troubles du langage est sur ce point, particulièrement féconde.
La signification d’un mot consiste dans la masse des associations que ce mot éveille, et son emploi correct repose inversement sur la présence de ces associations.
Des troubles apportés à ces associations doivent se manifester ici d’une façon frappante.
Broca a reconnu l’importance du tiers postérieur de la troisième circonvolution frontale gauche pour le langage articulé ; le langage est perdu dans tous les cas où cette partie du cerveau est lésée.
L’aphasie peut encore être causée par un grand nombre de lésions différentes. Le malade se souvient par exemple des mots en tant qu’images sonores, il peut les écrire et ne peut les prononcer malgré la mobilité de langue, des lèvres, etc. ; l’image motrice du mot manque et n’est pas là pour déclencher les mouvements convenables.
Les images optiques ou motrices de l’écriture peuvent manquer aussi (agraphie).
Il peut arriver aussi que le mot prononcé ou écrit ne soit pas compris et ne réveille aucune association : c’est ce qu’on a nommé surdité verbale ou cécité verbale. Lordat a observé sur lui-même de cas de surdité et de cécité verbales ; il a pu en rendre compte après sa guérison. Il décrit avec émotion l’instant où, après de longues et tristes semaines, il regardait dans sa bibliothèque les mots «Hippocratis opera» sur le dos d’un livre et où il put de nouveau les lire et les comprendre.
D’après cette énumération sommaire, incomplète et trop brève, il est déjà possible de se figurer combien de voies de communication peuvent intervenir ici entre les champs sensoriels et moteurs.
Des troubles du langage de moindre importance, tels que les lapsus de la parole et de l’écriture, apparaissent à la suite d’une fatigue ou d’une distraction momentanées, même chez des hommes tout à fait sains.
Voici encore un cas de perte de la mémoire visuelle qui n’est pas moins remarquable. Une dame tombe subitement, puis on la prend pour une aveugle parce qu’elle ne reconnaît personne dans son entourage. Mais, en dehors d’une diminution du champ visuel qui s’améliore peu à peu, l’accident ne laisse comme trace que la perte de la mémoire visuelle, dont la patiente est parfaitement consciente. Elle fait cette remarque caractéristique: «Si j’en juge par mon état, l’homme voit plus avec le cerveau qu’avec l’œil ; l’œil n’est que le moyen de voir; car je vois tout clairement et distinctement, mais je ne reconnais pas ce que je vois, et je ne sais pas ce que ce peut être».
D’après les faits rapportés ci-dessus, on doit dire qu’il n’y a pas une seule mémoire, mais que la mémoire se compose d’un grand nombre de mémoires partielles, qui sont distinctes l’une de l’autre et peuvent se perdre isolément. À ces mémoires partielles correspondent diverses parties du cerveau, dont quelques-unes sont déjà aujourd’hui déterminées avec une certaine précision.
Les amnésies périodiquement variables sont remarquables au plus haut point. Après un long sommeil, une femme a oublié tout ce qu’elle avait appris. Il faut qu’elle réapprenne à lire, à écrire et à connaître son entourage. Quelques mois plus tard, elle retombe dans un profond sommeil. Réveillée, elle se retrouve en possession de ses souvenirs de jeunesse, comme avant le premier sommeil ; mais elle a oublié tout ce qui s’est passé entre ses deux crises de sommeil. À partir de là, les deux états de conscience et de mémoire alternent périodiquement tous les quatre ans. Il faut que les personnes qu’elle doit connaître d’une façon durable lui soient présentées dans les deux états.
À l’état de veille, on se rappelle très difficilement des rêves, même frappants, tandis que, inversement, pendant le rêve, les circonstances qui accompagnent l’état de veille nous échappent la plupart du temps tout à fait. Par contre, les mêmes situations se répètent souvent en rêve. Il y a un passage continu de la séparation tranchée des différents états de conscience jusqu’à l’effacement presque complet de leurs limites.
En somme, si, avec Hering, on attribue aux organismes la propriété de s’adapter de mieux en mieux aux circonstances qui se répètent, on reconnaît que ce que nous appelons habituellement mémoire est une manifestation partielle d’un phénomène organique général. C’est l’adaptation à des phénomènes périodiques, en tant qu’elle tombe dans le domaine de la conscience. Hérédité, instinct, etc., peuvent alors être considérés comme une mémoire dépassant l’individu.
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La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
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Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 08 sept.23, 23:27.
CHAPITRE IV - CHAPITRE IV -RÉFLEXE, INSTINCT, V RÉFLEXE, INSTINCT, V RÉFLEXE, INSTINCT, VOLONTÉ, MOI OLONTÉ, MOI
Avant de poursuivre nos considérations psychophysiologiques, remarquons qu’aucune de sciences particulières dont nous avons besoin, n’atteint le degré de développement désirable pour servir de base sûre aux autres sciences. La psychologie d’observation doit s’appuyer sur la physiologie ou la biologie. Mais, pour le moment, cette dernière ne peut être expliquée que très imparfaitement par la physique et la chimie. Dans ces conditions nous devons regarder toutes nos considérations comme provisoires, et leurs résultats comme problématiques, et devant être corrigés de maintes façons par des recherches ultérieures.
La Vie consiste en phénomènes qui se continuent effectivement, se répètent de proche en proche et s’étendent, c’est-à-dire englobent successivement des quantités de «matière» de plus en plus grandes. Les phénomènes de la vie ressemblent ainsi à une combustion ; bien qu’ils ne soient pas aussi simples que la combustion, ils ont avec elle quelque parenté.
Par contre, la plupart des processus physico-chimiques, s’ils ne sont point constamment éveillés à nouveau, ou entretenus dans leur marche par des circonstances extérieures spéciales, aboutissent bientôt à un état d’équilibre.
En conformité avec le caractère fondamental de l’auto-conservation, nous devons supposer que les parties d’un organisme plus compliqué, d’une symbiose d’organes, sont agencées pour la conservation du tout, autrement celle-ci ne s’en suivrait pas. Et nous ne serons pas surpris de trouver aussi cette orientation en vue de la conservation de l’organisme dans les phénomènes psychiques, qui représentent la partie des phénomènes vitaux se passant dans le cerveau et arrivant ainsi à la conscience.
Une grenouille saine, sans lésions se comporte de telle façon qu’il faut lui attribuer une certaine intelligence et une certaine motilité volontaire. Elle se meut spontanément d’une manière qu’on ne peut prévoir, échappe à son ennemi, cherche une nouvelle mare si l’ancienne se dessèche, se sauve par un trou du réservoir où elle est prisonnière, etc. Son intelligence est d’ailleurs très limitée, si on la compare à celle de l’homme. La grenouille gobe très adroitement les mouches qui passent à sa porte. Mais, à l’occasion, elle happe aussi un morceau d’étoffe rouge ; elle reporte sans succès la manœuvre pour les contes d’un escargot, et se laissera mourir de faim plutôt que d’accepter des mouches franchement tuées. La conduite de la grenouille est adaptée à des circonstances de vie étroitement limitées.
Si on lui enlève le cerveau, elle ne se meut plus qu’à la suite d’excitations extérieures, autrement elle reste immobile. Elle ne happe plus les mouches ni l’étoffe rouge, elle ne réagit plus au bruit. Elle secoue simplement une mouche qui marche sur elle, et pourtant elle avale la mouche qu’on met dans sa bouche. Pour une excitation cutanée faible, elle fait un pas ; une excitation plus forte la fait sauter et elle évite ainsi un obstacle qu’elle voit par conséquent. Si on attache une patte, elle réussit pourtant à éviter l’obstacle en se traînant. La grenouille sans cerveau placée sur un disque tournant horizontal, cherche à compenser la rotation qu’on lui communique. Si on la place sur une planche dont on soulève une extrémité, elle grimpe dessus pour ne pas tomber, et franchit le bord supérieur, si on continue à tourner la planche dans le même sens. Les grenouilles intactes font un saut lors de cette expérience. Ainsi, l’ablation d’une partie du cerveau réduit le domaine de ce qu’on pourrait nommer âme ou intelligence. La grenouille n’ayant plus que la moelle et placée sur le dos ne sait pas se redresser.
L’Âme, dit Goltz, n’est pas quelque chose de simple ; elle est divisible comme les organes.
Une grenouille sans cerveau se comporte comme un mécanisme. Goltz a montré par des recherches détaillées combien sont nombreuses les fonctions vitales importantes, qui, comme l’accouplement, sont assurées par des réflexes.
Considérons maintenant d’autres êtres vivants auxquels personne n’attribue, du moins instinctivement, d’intelligence et de volonté, les plantes. Ici aussi, nous trouvons des réactions motrices, adaptées à leur but et assurant la conservation de l’ensemble.
Parmi celles-ci, nous remarquons d’abord que la lumière et la température déterminent pour les feuilles et les fleurs des mouvements de sommeil, et que des ébranlements produisent des mouvements d’excitation chez les plantes insectivores. Mais ces mouvements pourraient paraître exceptionnels. Au contraire, c’est une loi générale que le tronc des plantes s’accroît vers le haut, en sens inverse de la pesanteur, où la lumière et l’air lui rendent possible l’assimilation, tandis que la racine s’enfonce dans le sol pour y chercher l’eau et les substances qui s’y trouvent dissoutes.
La façon opposée dont se comportent la tige et la racine est un exemple de division du travail dans l’intérêt du tout. La représentation de finalité intentionnelle doit s’effacer pour faire place à celle de circonstances physicochimiques déterminant un fait.
Dans une série de travaux, Loeb a montré que les notions de géotropisme, héliotropisme, etc., ayant pris naissance en physiologie végétale, se laissent transporter à la physiologie animale. Naturellement, les circonstances en question se manifesteront le plus simplement et le plus clairement là où les animaux vivent dans des conditions si simples qu’une vie psychique ne leur est pas encore nécessaires et, par suite, ne peut amener de complications.
Le papillon sortant de la chrysalide se dirige vers le haut, et, sur la paroi verticale qu’il choisit de préférence, s’oriente la tête en haut. De jeunes chenilles qui viennent d’éclore rampent sans tarder vers le haut. Si on veut vider une éprouvette qui contient des chenilles, il faut la tenir l’ouverture en haut, comme si elle contenait de l’hydrogène.
Il en est de même de l’héliotropisme. Pour les animaux comme pour les plantes, c’est la direction de la lumière qui est déterminante. Sous l’influence d’une excitation lumineuse asymétrique, l’animal modifie son orientation, et ne bouge plus dès qu’il s’est placé de manière à ce que son plan de symétrie soit parallèle à la direction de la lumière.
Sans entrer dans des détails plus étendus, remarquons que, relativement aux tropismes, il y a accord complet entre les études de J.-V. Sachs pour la physiologie végétale et celles de Loeb pour la physiologie animale.
Beaucoup de savants ne veulent voir dans les insectes que de pures machines réflexes tandis que d’autres leur attribuent une vie psychique richement douée. Ce contraste repose sur le goût ou a répulsion qu’on a pour le mysticisme : tenant pour mystique tout ce qui est psychique, on cherche autant que possible à l’éliminer ou à le conserver complètement.
À notre point de vue, le psychique n’est ni plus ni moins mystérieux que le physique et surtout n’en est pas essentiellement différent. Nous n’avons absolument aucune raison d’être partiaux dans cette question et nous prenons une position neutre qui correspond à peu près à celle de Forel.
Si nous pouvons très souvent tromper une araignée en touchant sa toile avec un diapason en vibration, cela prouve la force de son mécanisme réflexe ; mais si enfin elle remarque la supercherie, nous ne pouvons plus lui refuser le souvenir.
Forel prétend avoir dressé à manger hors de l’eau un dytique, qui ne mange d’ordinaire que dans l’eau. Le dytique ne peut donc être un pur automate au sens étroit et ordinaire du mot. Dans ses ouvrages, Forel a montré que les guêpes et les abeilles distinguent les couleurs et les saveurs et en gardent le souvenir.
Il n’est pas inutile de poursuivre à la fois dans le règne animal et dans le règne végétal les grands traits communs de la vie organique. Chez les plantes tout est plus simple, plus accessible à la recherche; les phénomènes s’offrent à l’observation d’une manière plus directe, et s’accomplissent plus lentement.
Ce que nous apercevons chez l’animal comme mouvement, manifestation de l’instinct, acte volontaire, nous apparaît chez les plantes comme un phénomène de croissance faisant partie d’une suite morphologique, ou nous semble fixé sous les formes de feuilles, fleurs, fruits, semences se prêtant à une observation prolongée.
La différence ne tient en grande partie qu’à la subjectivité de notre unité de temps. Figurons-nous les mouvements lents du caméléon plus ralentis encore et, par contre, les mouvements de préhension des lianes très accélérés: la différence pour l’observateur s’effacerait très notablement entre ces deux processus, mouvements des animaux et phénomènes de croissance des plantes.
Si nous ne pouvons interpréter psychologiquement que d’une façon très limitée les phénomènes du monde végétal, nous n’en réussirons que mieux à les comprendre au point de vue physique. C’est exactement l’inverse qui nous arrive avec les animaux. Mais l’étroite parenté des deux ordres de phénomènes rend très instructif et très fécond le rapprochement de ces diverses considérations.
Enfin la relation mutuelle des plantes et des animaux tant au point de vue physico-chimique qu’au point de vue morphobiologique est, elle aussi, d’une inépuisable richesse de suggestion. Qu’on songe, par exemple, aux découvertes faites par Sprengel en 1787, touchant l’adaptation réciproque des fleurs et des insectes, découvertes auxquelles Darwin a donné une vie nouvelle dans son travail sur les orchidées. Voilà des êtres vivants, en apparence indépendants les uns des autres, qui pourtant, dans leurs manifestations vitales, sont aussi étroitement déterminés l’un par l’autre et affectés l’un à l’autre que les parties d’un seul animal ou d’une seule plante.
Les mouvements qui se reproduisent à la suite d’une excitation déterminée, sans que le cerveau entre en jeu, sont appelés par nous mouvements réflexes. Ils sont préparés à l’avance par les liaisons et les disposition des organes.
Les animaux accomplissent des fonctions, même très compliquées, qui semblent tendre vers un but déterminé, vers une fin dont nous ne pouvons absolument pas leur attribuer la connaissance ou la poursuite intentionnelle. Nous nommons ces fonctions instinctives.
Nous ne pouvons mieux comprendre ces actions instinctives qu’en les envisageant comme une chaîne de mouvements réflexes, dont chaque élément est mis en jeu par le précédent.
En voici un exemple simple. La grenouille saisit une mouche qui bourdonne autour d’elle et l’avale. Ici, le premier acte est évidemment déclenché par l’excitation optique ou acoustique. De ce que la grenouille, privée de cerveau et qui ne happe plus, avale pourtant la mouche dès qu’on la lui met dans la bouche, nous concluons que le mouvement de déglutition est une suite de l’acte de happer.
Sous l’influence de l’intellect, un développement psychique plus élevé peut modifier l’acte instinctif ou en provoquer la répétition. Le principe de l’enchaînement des réflexes nous fera bien mieux comprendre certains actes instinctifs, même extraordinairement compliqués. Nous nous attendrons à voir apparaître des variations de l’instinct produites par des circonstances accidentelles, aussi bien pour l’espèce, dans le cours du temps, que pour les individus de même espèce, vivant à la même époque.
L’enfant âgé de quelques mois saisit tout ce qui frappe ses sens, et porte généralement à sa bouche ce qu’il a saisi, comme le poussin becquette tout. De même que la grenouille, il touche la place de la peau où une mouche s’est posée ; seulement, le mécanisme réflexe est encore moins mûr et moins développé chez l’enfant nouveau-né que chez ces animaux.
Les mouvements involontaires de nos membres sont liés à des sensations, spécialement à des sensations optiques et tactiles, comme les phénomènes qui se passent autour de nous. Ils laissent après eux des images motrices optiques et tactiles.
Ces traces de mouvements dans la mémoire se rattachent par association à d’autres sensations simultanées, agréables ou désagréables. Nous remarquons que lécher du sucre est lié à la sensation de «douceur» ; toucher une flamme, nous heurter contre un corps dur ou contre notre propre corps, à celle de «douleur». Ainsi nous accumulons des expériences aussi bien sur des phénomènes qui se passent autour de nous, que sur ceux qui se passent dans notre propre corps, et en particulier sur ses mouvements.
Ces derniers phénomènes nous touchent de plus près et s’offrent à notre observation d’une façon constante: ils ont pour nous une importance prédominante et nous deviennent bientôt les plus familiers.
Par action réflexe un enfant a saisi un morceau de sucre et l’a mis dans sa bouche : une autre fois, il a touché une flamme et, toujours par action réflexe, a retiré sa main. Quand, plus tard, l’enfant revoit le sucre ou la flamme, sa conduite est déjà modifiée par le souvenir. Dans le premier cas, le mouvement de saisir se produit ; dans le second, il est arrêté par le souvenir de la douleur, qui agit, en effet, tout comme la douleur elle-même.
Le mouvement volontaire est un mouvement réflexe influencé par le souvenir. Il nous est impossible d’effectuer aucun mouvement volontaire qui ne se produise, dans son ensemble ou dans ses parties, comme un mouvement réflexe ou comme un acte instinctif qui ne puisse être reconnu par nous comme tel.
Si nous nous observons, pendant que nous exécutons un mouvement, nous remarquons que nous nous rappelons vivement un mouvement déjà produit antérieurement, et que par là ce mouvement se réalise ; nous nous représentons le corps à saisir ou à écarter, et avec lui sa place et les sensations optiques et tactiles qui s’attachent à l’action de l’y saisir, et ces représentations entraînent tout de suite après elles le mouvement lui-même.
De certains mouvements très familiers, nous ne prenons guère plus conscience que de représentations particulières. Pendant que nous pensons au son d’un mot, ce mot est déjà prononcé ; pendant que nous nous représentons son image écrite, il est déjà écrit, sans que les mouvements intermédiaires du langage et de l’écriture se soient nettement présentés à nous.
La représentation vive du but ou du résultat d’un mouvement provoque ici la succession rapide d’une série de processus psychophysiologiques aboutissant au mouvement lui-même.
Ce que nous nommons volonté n’est qu’une façon particulière de faire entrer les associations temporairement acquises dans le mécanisme fixe du corps antérieurement formé.
Dans des conditions de vie simple, le mécanisme congénital du corps suffit, à lui seul, pour assurer la coopération des organes à la conservation de la vie. Mais, si les conditions de la vie varient davantage dans le temps et l’espace, les mécanismes réflexes ne sont plus suffisants. Il faut alors que leurs fonctions aient un peu de jeu et puissent se modifier pour chaque cas.
Les phénomènes réflexes sont modifiés par les traces des souvenirs qui viennent à la conscience : c’est cette modification que nous appelons volonté. Sans réflexe, ni instinct, il n’y aurait pas de volonté.
Réflexes et instincts demeurent toujours le noyau des manifestations vitales.
C’est seulement quand ils ne suffisent plus à la conservation de la vie qu’intervient la modification, ou même que ces actes naturels sont momentanément supprimés, et un détour, souvent long, permet d’atteindre ce qui ne pouvait être immédiatement obtenu.
C’est le cas d’un animal qui s’approche furtivement d’une proie et s’en empare en sautant dessus, alors qu’il n’aurait pas pu la prendre autrement. C’est le cas de l’homme qui bâtit des huttes et fait du feu pour se protéger contre le froid, que son organisation ne lui permettrait pas de supporter sans artifices.
Ce qui assure un avantage à l’homme sur l’animal et à l’homme civilisé sur le sauvage, c’est simplement la longueur des détours qu’ils font pour atteindre le même but, la capacité d’inventer ces détours et de les suivre.
On peut ainsi considérer toute la culture technique et scientifique comme une voie détournée.
Il peut arriver que, mise au service de la civilisation, la force de l’intellect (de la vie de représentation) augmente assez pour que l’intellect se crée ses besoins propres et s’occupe de la science pour elle-même.
On voit néanmoins que ce phénomène ne peut être qu’un produit de la culture sociale, qui rend possible une division du travail aussi avancée. Le chercheur, entièrement absorbé dans ses pensées, serait en dehors de la société un phénomène pathologique qui, biologiquement, ne pourrait subsister.
Müller a encore admis que les impulsions motrices, innervations, allant du cerveau aux muscles, pouvaient être ressenties immédiatement comme telles, de même que les excitations nerveuses périphériques, se propageant au cerveau, produisaient des sensations.
Cette opinion a eu des partisans jusque dans ces derniers temps. Mais James et Münsterberg ont fait une étude excellente et plus serrée de la question de la volonté au point de vue psychologique, et Hering en a travaillé tout spécialement le côté physiologique.
L’opinion de Müller n’est plus soutenable. L’observateur attentif est obligé de reconnaître que ses sensations d’innervation ne sont pas perceptibles ; on ne sait pas comment un mouvement s’effectue, quels muscles il met en jeu, avec quelle tension ils y participent, etc. Tout cela est conditionné par l’organisme.
Nous nous représentons seulement le but du mouvement, et nous ne sommes renseignés sur le mouvement effectué que par les impressions périphériques de la peau, des muscles, des tendons.
Certaines représentations se complètent dans la conscience en s’associant à d’autres représentations ; de même les souvenirs d’impressions sensibles se complètent en s’associant aux processus moteurs correspondants, mais ces derniers ne tombent plus dans le domaine de la conscience, qu’atteignent seules leurs conséquences. Ce sont des relations nerveuses spéciales avec le cerveau qui font que certains anneaux de la chaîne d’associations parviennent à la conscience.
Comme exemple de mise en branle de divers processus physiques par des représentations, rappelons que l’idée seule du vomissement suffit à faire vomir les personnes sensibles. Les personnes dont les mains transpirent facilement et celles qui rougissent quand elles sont confuses, ne peuvent songer à ces phénomènes sans qu’ils se produisent immédiatement. Les glandes salivaires du gourmet réagissent promptement aux images gustatives.
D’autres faits confirment encore les vues exprimées ici. Si une contraction musculaire n’est pas d’origine centrale, si elle n’est pas produite par la volonté, mais si elle est due à un courant d’induction, nous la ressentons comme un effort, tout comme la contraction volontaire ; la sensation de contraction volontaire est ainsi d’origine périphérique.
Mouvements, sensations et représentations sont en somme très étroitement liés. Quand un chat sauvage mis en éveil par un bruit léger se rappelle l’animal qui peut faire ce bruit, il dirige les yeux vers l’endroit où il se produit, et se tient prêt à sauter. L’association des idées a provoqué ici des mouvements qui rendent possible une impression optique plus nette de l’objet attendu, intéressant et pouvant servir de nourriture : celui-ci pourra alors être attaqué par un saut bien mesuré. Par contre, les yeux du chat sont maintenant tout à fait occupés de la proie. Par cela même, ils se trouvent bien moins disposés à recevoir des impressions venant d’ailleurs, et l’animal aux aguets devient facilement la victime du chasseur. Nous voyons ici comment sensations, représentations et mouvements, se pénètrent l’un l’autre pour réaliser l’état que nous nommons attention.
Nous faisons comme ce chat, quand nous réfléchissons à quelque chose qui concerne immédiatement la conservation de notre vie ou qui nous intéresse pour toute autre raison. Nous ne nous laissons pas aller à des idées quelconques. Immédiatement, nous négligeons toutes les affaires indifférentes, nous ne prêtons pas d’attention aux bruits qui nous environnent, ou nous cherchons à les empêcher. Nous nous installons à notre table de travail, nous esquissons une construction géométrique, ou nous commençons à développer une formule. Nous jetons les yeux à plusieurs reprises sur la construction ou sur la formule.
Les associations en rapport avec notre tâche se montrent seules. Si d’autres apparaissent, elles sont bientôt étouffées par les premières. Mouvements, sensations et associations coopèrent, quand nous réfléchissons, à produire l’état d’attention intellectuelle comme ils ont produit chez le chat l’attention sensible. Notre pensée, que nous croyons, diriger «volontairement», est en réalité déterminée par l’idée du problème qui revient toujours.
Dans le cas de l’attention sensible, les sens étant dirigés vers un objet déterminé, l’animal devient relativement aveugle ou sourd pour tout autre objet ; de même, les associations concernant le problème barrent la route aux autres. Le chat ne remarque pas l’approche du chasseur, et Archimède, absorbé par une construction géométrique, paie de sa vie une adaptation biologique insuffisante dans les circonstances du moment.
Il n’y a ni volonté ni attention en tant que forces psychiques spéciales. La même force qui forme le corps, dirige aussi les modes particuliers de la collaboration des parties du corps, pour lesquels nous avons adopté les noms collectifs de «volonté» et d’ «attention».
Volonté et attention sont si proches parentes, qu’il est difficile de tracer leurs limites respectives. Dans la volonté, et dans l’attention, il y a un choix, comme dans le géotropisme et l’héliotropisme des plantes, comme dans la chute de la pierre vers le sol. Toutes ces choses sont au même titre mystérieuses ou compréhensibles.
La volonté consiste dans la subordination des actes réflexes moins importants, ou n’ayant qu’une importance passagère, aux processus qui mènent les fonctions biologiques. Mais ces processus conducteurs sont les sensations et les représentations qui enregistrent les conditions de la vie.
Bien des mouvements, dont la continuation ininterrompue est nécessaire à la conservation de la vie, comme les contractions du cœur, les mouvements respiratoires, les contractions péristaltiques de l’intestin, sont indépendants de la volonté ou tout au moins sont influencés d’une manière très limitée par les phénomènes psychiques (émotions).
La limite entre mouvements volontaires et involontaires n’est pas absolument fixe, elle varie un peu selon les individus. Il y a des muscles qui sont soumis à la volonté chez certains hommes, et qui chez d’autres lui échappent complètement.
Il parait que Fontana pouvait, à sa guise, rétrécir ses pupilles, et E.-F. Weber retenir les battements de son cœur. Si l’innervation d’un muscle réussit par hasard, et si on peut reproduire par le souvenir les sensations qui interviennent alors, la contraction du muscle peut généralement se reproduire et le muscle reste désormais sous la dépendance de la volonté. Des tentatives heureuses et l’exercice peuvent ainsi reculer la limite de ce qui est mouvement volontaire.
Th. de Quincey, par suite de l’usage de l’opium, éprouva un grand affaiblissement de la volonté. D’autre part, de simples idées peuvent devenir si impulsives, qu’elles menacent de se traduire en actions. Par exemple, un homme est dominé par la pensée de tuer une certaine personne, ou de se tuer lui-même, et se fait volontairement attacher pus se mettre à l’abri de cette terrible impulsion.
À cause de son intensité et de sa clarté, la vie intellectuelle apparaît à l’homme adulte qui analyse son Moi, comme le contenu le plus important du Moi. Il en est autrement pour un individu en train de se développer. L’enfant de quelques mois est encore dominé par ses sensations organiques. Le besoin de nourriture est le plus puissant et le plus actif. La vie des sens et plus tard la vie de représentation ne se développent que peu à peu. Ce n’est que tardivement qu’apparaît le besoin sexuel et l’augmentation de la vie intellectuelle vient modifier toute la personnalité.
Ainsi se développe une image du monde, au centre de laquelle notre propre corps se détache d’une façon nette et bien limitée comme l’élément le plus important. L’élément central de cette image du monde est commun à l’homme et aux animaux supérieurs.
Mais la vie intellectuelle diminue d’autant plus que nous considérons des organismes plus simples. Chez l’homme civilisé dont la vie est partiellement allégée, les idées, qui dépendent de sa profession et de sa situation, peuvent acquérir une force et une valeur telles que tout le reste paraît insignifiant à côté d’elles ; mais elles n’étaient d’abord que des moyens de satisfaire les besoins proprement dits.
Les sensations organiques contribuant pour une part importante à la formation du moi, on conçoit que des troubles de ces sensations organiques altèrent aussi le Moi. Ribot a décrit des cas très intéressants de ce genre.
Les jumeaux, qui ont une partie du corps commune, les frères Siamois par exemple, ont aussi un Moi en partie commun et présentent, comme c’est naturel à cause de leur ressemblance, un caractère identique. Cela va si loin que, dans la conversation, la phrase commencée par l’un est achevée par l’autre. D’ailleurs les jumeaux à liaison organique ne font que présenter à un degré plus élevé la ressemblance physique et psychique des jumeaux organiquement séparés, ressemblance qui, dans les temps anciens et modernes, a fourni d’inépuisables sujets de comédie.
Les cas, où deux personnalités distinctes se manifestent à la fois dans un seul corps, méritent d’être remarqués. Un homme, que le typhus avait privé de connaissance, se réveille enfin, mais croit avoir deux corps couchés dans deux lits différents, l’un malade, l’autre guéri.
Il faut en rapprocher les cas de soi-disant possession, où, dans le corps d’un individu, une autre personne semble en prendre à son aise, en exerçant un contrôle, en donnant des ordres, et souvent en criant avec une voix étrangère. Il ne faut pas s’étonner que l’impression d’angoisse et de terreur provoquée par ces faits ait poussé à y voir des manifestations démoniaques.
Plus souvent, des personnalités différentes se manifestent dans un corps l’une après l’autre, ou alternativement. Une prostituée, convertie et reçue dans un couvent, tomba dans une folie religieuse suivie d’idiotie. Pendant un certain temps, elle se crut alternativement nonne et prostituée et se comporta en conséquence. On a même observé des cas d’échange de trois personnalités différentes.
Pour se faire de ces cas une idée scientifique, en tenant compte de tous les éléments qui contribuent à la formation du Moi, on doit s’imaginer que, aux sensations organiques changeantes se rattachent des cercles d’associations qui leur sont solidement liés et qui sont indépendants les uns des autres. Quand les sensations organiques changent, comme cela arrive dans la maladie, les souvenirs changent aussi avec toute la personnalité. La double personnalité se montre dans l’état de passage, s’il se prolonge suffisamment longtemps. Ces états ne sont pas complètement étrangers à celui qui est capable de s’observer pendant le rêve, et il peut arriver à se les représenter.
Les parties du corps humain sont très étroitement liées, et presque tous les processus vitaux atteignent de quelque façon le cerveau et parviennent ainsi à la conscience. Il n’en est nullement ainsi pour tous les organismes. Si un ver de terre coupé en deux continue à ramper, presque comme s’il était intact, après qu’on a lié les deux tronçons avec un fil, nous devons admettre que, chez cet animal, les parties, qui ne se touchent pas immédiatement, ne sont pas dans une relation aussi intime que chez l’homme : un anneau agit sur le suivant par excitation, et c’est pour cela que le ver continue à ramper si l’anneau précédent excite le suivant par l’intermédiaire du fil ; mais on ne peut guère parler de la centralisation de toute la vie dans un cerveau, ni de la formation correspondante d’un Moi.
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CHAPITRE IV - CHAPITRE IV -RÉFLEXE, INSTINCT, V RÉFLEXE, INSTINCT, V RÉFLEXE, INSTINCT, VOLONTÉ, MOI OLONTÉ, MOI
Avant de poursuivre nos considérations psychophysiologiques, remarquons qu’aucune de sciences particulières dont nous avons besoin, n’atteint le degré de développement désirable pour servir de base sûre aux autres sciences. La psychologie d’observation doit s’appuyer sur la physiologie ou la biologie. Mais, pour le moment, cette dernière ne peut être expliquée que très imparfaitement par la physique et la chimie. Dans ces conditions nous devons regarder toutes nos considérations comme provisoires, et leurs résultats comme problématiques, et devant être corrigés de maintes façons par des recherches ultérieures.
La Vie consiste en phénomènes qui se continuent effectivement, se répètent de proche en proche et s’étendent, c’est-à-dire englobent successivement des quantités de «matière» de plus en plus grandes. Les phénomènes de la vie ressemblent ainsi à une combustion ; bien qu’ils ne soient pas aussi simples que la combustion, ils ont avec elle quelque parenté.
Par contre, la plupart des processus physico-chimiques, s’ils ne sont point constamment éveillés à nouveau, ou entretenus dans leur marche par des circonstances extérieures spéciales, aboutissent bientôt à un état d’équilibre.
En conformité avec le caractère fondamental de l’auto-conservation, nous devons supposer que les parties d’un organisme plus compliqué, d’une symbiose d’organes, sont agencées pour la conservation du tout, autrement celle-ci ne s’en suivrait pas. Et nous ne serons pas surpris de trouver aussi cette orientation en vue de la conservation de l’organisme dans les phénomènes psychiques, qui représentent la partie des phénomènes vitaux se passant dans le cerveau et arrivant ainsi à la conscience.
Une grenouille saine, sans lésions se comporte de telle façon qu’il faut lui attribuer une certaine intelligence et une certaine motilité volontaire. Elle se meut spontanément d’une manière qu’on ne peut prévoir, échappe à son ennemi, cherche une nouvelle mare si l’ancienne se dessèche, se sauve par un trou du réservoir où elle est prisonnière, etc. Son intelligence est d’ailleurs très limitée, si on la compare à celle de l’homme. La grenouille gobe très adroitement les mouches qui passent à sa porte. Mais, à l’occasion, elle happe aussi un morceau d’étoffe rouge ; elle reporte sans succès la manœuvre pour les contes d’un escargot, et se laissera mourir de faim plutôt que d’accepter des mouches franchement tuées. La conduite de la grenouille est adaptée à des circonstances de vie étroitement limitées.
Si on lui enlève le cerveau, elle ne se meut plus qu’à la suite d’excitations extérieures, autrement elle reste immobile. Elle ne happe plus les mouches ni l’étoffe rouge, elle ne réagit plus au bruit. Elle secoue simplement une mouche qui marche sur elle, et pourtant elle avale la mouche qu’on met dans sa bouche. Pour une excitation cutanée faible, elle fait un pas ; une excitation plus forte la fait sauter et elle évite ainsi un obstacle qu’elle voit par conséquent. Si on attache une patte, elle réussit pourtant à éviter l’obstacle en se traînant. La grenouille sans cerveau placée sur un disque tournant horizontal, cherche à compenser la rotation qu’on lui communique. Si on la place sur une planche dont on soulève une extrémité, elle grimpe dessus pour ne pas tomber, et franchit le bord supérieur, si on continue à tourner la planche dans le même sens. Les grenouilles intactes font un saut lors de cette expérience. Ainsi, l’ablation d’une partie du cerveau réduit le domaine de ce qu’on pourrait nommer âme ou intelligence. La grenouille n’ayant plus que la moelle et placée sur le dos ne sait pas se redresser.
L’Âme, dit Goltz, n’est pas quelque chose de simple ; elle est divisible comme les organes.
Une grenouille sans cerveau se comporte comme un mécanisme. Goltz a montré par des recherches détaillées combien sont nombreuses les fonctions vitales importantes, qui, comme l’accouplement, sont assurées par des réflexes.
Considérons maintenant d’autres êtres vivants auxquels personne n’attribue, du moins instinctivement, d’intelligence et de volonté, les plantes. Ici aussi, nous trouvons des réactions motrices, adaptées à leur but et assurant la conservation de l’ensemble.
Parmi celles-ci, nous remarquons d’abord que la lumière et la température déterminent pour les feuilles et les fleurs des mouvements de sommeil, et que des ébranlements produisent des mouvements d’excitation chez les plantes insectivores. Mais ces mouvements pourraient paraître exceptionnels. Au contraire, c’est une loi générale que le tronc des plantes s’accroît vers le haut, en sens inverse de la pesanteur, où la lumière et l’air lui rendent possible l’assimilation, tandis que la racine s’enfonce dans le sol pour y chercher l’eau et les substances qui s’y trouvent dissoutes.
La façon opposée dont se comportent la tige et la racine est un exemple de division du travail dans l’intérêt du tout. La représentation de finalité intentionnelle doit s’effacer pour faire place à celle de circonstances physicochimiques déterminant un fait.
Dans une série de travaux, Loeb a montré que les notions de géotropisme, héliotropisme, etc., ayant pris naissance en physiologie végétale, se laissent transporter à la physiologie animale. Naturellement, les circonstances en question se manifesteront le plus simplement et le plus clairement là où les animaux vivent dans des conditions si simples qu’une vie psychique ne leur est pas encore nécessaires et, par suite, ne peut amener de complications.
Le papillon sortant de la chrysalide se dirige vers le haut, et, sur la paroi verticale qu’il choisit de préférence, s’oriente la tête en haut. De jeunes chenilles qui viennent d’éclore rampent sans tarder vers le haut. Si on veut vider une éprouvette qui contient des chenilles, il faut la tenir l’ouverture en haut, comme si elle contenait de l’hydrogène.
Il en est de même de l’héliotropisme. Pour les animaux comme pour les plantes, c’est la direction de la lumière qui est déterminante. Sous l’influence d’une excitation lumineuse asymétrique, l’animal modifie son orientation, et ne bouge plus dès qu’il s’est placé de manière à ce que son plan de symétrie soit parallèle à la direction de la lumière.
Sans entrer dans des détails plus étendus, remarquons que, relativement aux tropismes, il y a accord complet entre les études de J.-V. Sachs pour la physiologie végétale et celles de Loeb pour la physiologie animale.
Beaucoup de savants ne veulent voir dans les insectes que de pures machines réflexes tandis que d’autres leur attribuent une vie psychique richement douée. Ce contraste repose sur le goût ou a répulsion qu’on a pour le mysticisme : tenant pour mystique tout ce qui est psychique, on cherche autant que possible à l’éliminer ou à le conserver complètement.
À notre point de vue, le psychique n’est ni plus ni moins mystérieux que le physique et surtout n’en est pas essentiellement différent. Nous n’avons absolument aucune raison d’être partiaux dans cette question et nous prenons une position neutre qui correspond à peu près à celle de Forel.
Si nous pouvons très souvent tromper une araignée en touchant sa toile avec un diapason en vibration, cela prouve la force de son mécanisme réflexe ; mais si enfin elle remarque la supercherie, nous ne pouvons plus lui refuser le souvenir.
Forel prétend avoir dressé à manger hors de l’eau un dytique, qui ne mange d’ordinaire que dans l’eau. Le dytique ne peut donc être un pur automate au sens étroit et ordinaire du mot. Dans ses ouvrages, Forel a montré que les guêpes et les abeilles distinguent les couleurs et les saveurs et en gardent le souvenir.
Il n’est pas inutile de poursuivre à la fois dans le règne animal et dans le règne végétal les grands traits communs de la vie organique. Chez les plantes tout est plus simple, plus accessible à la recherche; les phénomènes s’offrent à l’observation d’une manière plus directe, et s’accomplissent plus lentement.
Ce que nous apercevons chez l’animal comme mouvement, manifestation de l’instinct, acte volontaire, nous apparaît chez les plantes comme un phénomène de croissance faisant partie d’une suite morphologique, ou nous semble fixé sous les formes de feuilles, fleurs, fruits, semences se prêtant à une observation prolongée.
La différence ne tient en grande partie qu’à la subjectivité de notre unité de temps. Figurons-nous les mouvements lents du caméléon plus ralentis encore et, par contre, les mouvements de préhension des lianes très accélérés: la différence pour l’observateur s’effacerait très notablement entre ces deux processus, mouvements des animaux et phénomènes de croissance des plantes.
Si nous ne pouvons interpréter psychologiquement que d’une façon très limitée les phénomènes du monde végétal, nous n’en réussirons que mieux à les comprendre au point de vue physique. C’est exactement l’inverse qui nous arrive avec les animaux. Mais l’étroite parenté des deux ordres de phénomènes rend très instructif et très fécond le rapprochement de ces diverses considérations.
Enfin la relation mutuelle des plantes et des animaux tant au point de vue physico-chimique qu’au point de vue morphobiologique est, elle aussi, d’une inépuisable richesse de suggestion. Qu’on songe, par exemple, aux découvertes faites par Sprengel en 1787, touchant l’adaptation réciproque des fleurs et des insectes, découvertes auxquelles Darwin a donné une vie nouvelle dans son travail sur les orchidées. Voilà des êtres vivants, en apparence indépendants les uns des autres, qui pourtant, dans leurs manifestations vitales, sont aussi étroitement déterminés l’un par l’autre et affectés l’un à l’autre que les parties d’un seul animal ou d’une seule plante.
Les mouvements qui se reproduisent à la suite d’une excitation déterminée, sans que le cerveau entre en jeu, sont appelés par nous mouvements réflexes. Ils sont préparés à l’avance par les liaisons et les disposition des organes.
Les animaux accomplissent des fonctions, même très compliquées, qui semblent tendre vers un but déterminé, vers une fin dont nous ne pouvons absolument pas leur attribuer la connaissance ou la poursuite intentionnelle. Nous nommons ces fonctions instinctives.
Nous ne pouvons mieux comprendre ces actions instinctives qu’en les envisageant comme une chaîne de mouvements réflexes, dont chaque élément est mis en jeu par le précédent.
En voici un exemple simple. La grenouille saisit une mouche qui bourdonne autour d’elle et l’avale. Ici, le premier acte est évidemment déclenché par l’excitation optique ou acoustique. De ce que la grenouille, privée de cerveau et qui ne happe plus, avale pourtant la mouche dès qu’on la lui met dans la bouche, nous concluons que le mouvement de déglutition est une suite de l’acte de happer.
Sous l’influence de l’intellect, un développement psychique plus élevé peut modifier l’acte instinctif ou en provoquer la répétition. Le principe de l’enchaînement des réflexes nous fera bien mieux comprendre certains actes instinctifs, même extraordinairement compliqués. Nous nous attendrons à voir apparaître des variations de l’instinct produites par des circonstances accidentelles, aussi bien pour l’espèce, dans le cours du temps, que pour les individus de même espèce, vivant à la même époque.
L’enfant âgé de quelques mois saisit tout ce qui frappe ses sens, et porte généralement à sa bouche ce qu’il a saisi, comme le poussin becquette tout. De même que la grenouille, il touche la place de la peau où une mouche s’est posée ; seulement, le mécanisme réflexe est encore moins mûr et moins développé chez l’enfant nouveau-né que chez ces animaux.
Les mouvements involontaires de nos membres sont liés à des sensations, spécialement à des sensations optiques et tactiles, comme les phénomènes qui se passent autour de nous. Ils laissent après eux des images motrices optiques et tactiles.
Ces traces de mouvements dans la mémoire se rattachent par association à d’autres sensations simultanées, agréables ou désagréables. Nous remarquons que lécher du sucre est lié à la sensation de «douceur» ; toucher une flamme, nous heurter contre un corps dur ou contre notre propre corps, à celle de «douleur». Ainsi nous accumulons des expériences aussi bien sur des phénomènes qui se passent autour de nous, que sur ceux qui se passent dans notre propre corps, et en particulier sur ses mouvements.
Ces derniers phénomènes nous touchent de plus près et s’offrent à notre observation d’une façon constante: ils ont pour nous une importance prédominante et nous deviennent bientôt les plus familiers.
Par action réflexe un enfant a saisi un morceau de sucre et l’a mis dans sa bouche : une autre fois, il a touché une flamme et, toujours par action réflexe, a retiré sa main. Quand, plus tard, l’enfant revoit le sucre ou la flamme, sa conduite est déjà modifiée par le souvenir. Dans le premier cas, le mouvement de saisir se produit ; dans le second, il est arrêté par le souvenir de la douleur, qui agit, en effet, tout comme la douleur elle-même.
Le mouvement volontaire est un mouvement réflexe influencé par le souvenir. Il nous est impossible d’effectuer aucun mouvement volontaire qui ne se produise, dans son ensemble ou dans ses parties, comme un mouvement réflexe ou comme un acte instinctif qui ne puisse être reconnu par nous comme tel.
Si nous nous observons, pendant que nous exécutons un mouvement, nous remarquons que nous nous rappelons vivement un mouvement déjà produit antérieurement, et que par là ce mouvement se réalise ; nous nous représentons le corps à saisir ou à écarter, et avec lui sa place et les sensations optiques et tactiles qui s’attachent à l’action de l’y saisir, et ces représentations entraînent tout de suite après elles le mouvement lui-même.
De certains mouvements très familiers, nous ne prenons guère plus conscience que de représentations particulières. Pendant que nous pensons au son d’un mot, ce mot est déjà prononcé ; pendant que nous nous représentons son image écrite, il est déjà écrit, sans que les mouvements intermédiaires du langage et de l’écriture se soient nettement présentés à nous.
La représentation vive du but ou du résultat d’un mouvement provoque ici la succession rapide d’une série de processus psychophysiologiques aboutissant au mouvement lui-même.
Ce que nous nommons volonté n’est qu’une façon particulière de faire entrer les associations temporairement acquises dans le mécanisme fixe du corps antérieurement formé.
Dans des conditions de vie simple, le mécanisme congénital du corps suffit, à lui seul, pour assurer la coopération des organes à la conservation de la vie. Mais, si les conditions de la vie varient davantage dans le temps et l’espace, les mécanismes réflexes ne sont plus suffisants. Il faut alors que leurs fonctions aient un peu de jeu et puissent se modifier pour chaque cas.
Les phénomènes réflexes sont modifiés par les traces des souvenirs qui viennent à la conscience : c’est cette modification que nous appelons volonté. Sans réflexe, ni instinct, il n’y aurait pas de volonté.
Réflexes et instincts demeurent toujours le noyau des manifestations vitales.
C’est seulement quand ils ne suffisent plus à la conservation de la vie qu’intervient la modification, ou même que ces actes naturels sont momentanément supprimés, et un détour, souvent long, permet d’atteindre ce qui ne pouvait être immédiatement obtenu.
C’est le cas d’un animal qui s’approche furtivement d’une proie et s’en empare en sautant dessus, alors qu’il n’aurait pas pu la prendre autrement. C’est le cas de l’homme qui bâtit des huttes et fait du feu pour se protéger contre le froid, que son organisation ne lui permettrait pas de supporter sans artifices.
Ce qui assure un avantage à l’homme sur l’animal et à l’homme civilisé sur le sauvage, c’est simplement la longueur des détours qu’ils font pour atteindre le même but, la capacité d’inventer ces détours et de les suivre.
On peut ainsi considérer toute la culture technique et scientifique comme une voie détournée.
Il peut arriver que, mise au service de la civilisation, la force de l’intellect (de la vie de représentation) augmente assez pour que l’intellect se crée ses besoins propres et s’occupe de la science pour elle-même.
On voit néanmoins que ce phénomène ne peut être qu’un produit de la culture sociale, qui rend possible une division du travail aussi avancée. Le chercheur, entièrement absorbé dans ses pensées, serait en dehors de la société un phénomène pathologique qui, biologiquement, ne pourrait subsister.
Müller a encore admis que les impulsions motrices, innervations, allant du cerveau aux muscles, pouvaient être ressenties immédiatement comme telles, de même que les excitations nerveuses périphériques, se propageant au cerveau, produisaient des sensations.
Cette opinion a eu des partisans jusque dans ces derniers temps. Mais James et Münsterberg ont fait une étude excellente et plus serrée de la question de la volonté au point de vue psychologique, et Hering en a travaillé tout spécialement le côté physiologique.
L’opinion de Müller n’est plus soutenable. L’observateur attentif est obligé de reconnaître que ses sensations d’innervation ne sont pas perceptibles ; on ne sait pas comment un mouvement s’effectue, quels muscles il met en jeu, avec quelle tension ils y participent, etc. Tout cela est conditionné par l’organisme.
Nous nous représentons seulement le but du mouvement, et nous ne sommes renseignés sur le mouvement effectué que par les impressions périphériques de la peau, des muscles, des tendons.
Certaines représentations se complètent dans la conscience en s’associant à d’autres représentations ; de même les souvenirs d’impressions sensibles se complètent en s’associant aux processus moteurs correspondants, mais ces derniers ne tombent plus dans le domaine de la conscience, qu’atteignent seules leurs conséquences. Ce sont des relations nerveuses spéciales avec le cerveau qui font que certains anneaux de la chaîne d’associations parviennent à la conscience.
Comme exemple de mise en branle de divers processus physiques par des représentations, rappelons que l’idée seule du vomissement suffit à faire vomir les personnes sensibles. Les personnes dont les mains transpirent facilement et celles qui rougissent quand elles sont confuses, ne peuvent songer à ces phénomènes sans qu’ils se produisent immédiatement. Les glandes salivaires du gourmet réagissent promptement aux images gustatives.
D’autres faits confirment encore les vues exprimées ici. Si une contraction musculaire n’est pas d’origine centrale, si elle n’est pas produite par la volonté, mais si elle est due à un courant d’induction, nous la ressentons comme un effort, tout comme la contraction volontaire ; la sensation de contraction volontaire est ainsi d’origine périphérique.
Mouvements, sensations et représentations sont en somme très étroitement liés. Quand un chat sauvage mis en éveil par un bruit léger se rappelle l’animal qui peut faire ce bruit, il dirige les yeux vers l’endroit où il se produit, et se tient prêt à sauter. L’association des idées a provoqué ici des mouvements qui rendent possible une impression optique plus nette de l’objet attendu, intéressant et pouvant servir de nourriture : celui-ci pourra alors être attaqué par un saut bien mesuré. Par contre, les yeux du chat sont maintenant tout à fait occupés de la proie. Par cela même, ils se trouvent bien moins disposés à recevoir des impressions venant d’ailleurs, et l’animal aux aguets devient facilement la victime du chasseur. Nous voyons ici comment sensations, représentations et mouvements, se pénètrent l’un l’autre pour réaliser l’état que nous nommons attention.
Nous faisons comme ce chat, quand nous réfléchissons à quelque chose qui concerne immédiatement la conservation de notre vie ou qui nous intéresse pour toute autre raison. Nous ne nous laissons pas aller à des idées quelconques. Immédiatement, nous négligeons toutes les affaires indifférentes, nous ne prêtons pas d’attention aux bruits qui nous environnent, ou nous cherchons à les empêcher. Nous nous installons à notre table de travail, nous esquissons une construction géométrique, ou nous commençons à développer une formule. Nous jetons les yeux à plusieurs reprises sur la construction ou sur la formule.
Les associations en rapport avec notre tâche se montrent seules. Si d’autres apparaissent, elles sont bientôt étouffées par les premières. Mouvements, sensations et associations coopèrent, quand nous réfléchissons, à produire l’état d’attention intellectuelle comme ils ont produit chez le chat l’attention sensible. Notre pensée, que nous croyons, diriger «volontairement», est en réalité déterminée par l’idée du problème qui revient toujours.
Dans le cas de l’attention sensible, les sens étant dirigés vers un objet déterminé, l’animal devient relativement aveugle ou sourd pour tout autre objet ; de même, les associations concernant le problème barrent la route aux autres. Le chat ne remarque pas l’approche du chasseur, et Archimède, absorbé par une construction géométrique, paie de sa vie une adaptation biologique insuffisante dans les circonstances du moment.
Il n’y a ni volonté ni attention en tant que forces psychiques spéciales. La même force qui forme le corps, dirige aussi les modes particuliers de la collaboration des parties du corps, pour lesquels nous avons adopté les noms collectifs de «volonté» et d’ «attention».
Volonté et attention sont si proches parentes, qu’il est difficile de tracer leurs limites respectives. Dans la volonté, et dans l’attention, il y a un choix, comme dans le géotropisme et l’héliotropisme des plantes, comme dans la chute de la pierre vers le sol. Toutes ces choses sont au même titre mystérieuses ou compréhensibles.
La volonté consiste dans la subordination des actes réflexes moins importants, ou n’ayant qu’une importance passagère, aux processus qui mènent les fonctions biologiques. Mais ces processus conducteurs sont les sensations et les représentations qui enregistrent les conditions de la vie.
Bien des mouvements, dont la continuation ininterrompue est nécessaire à la conservation de la vie, comme les contractions du cœur, les mouvements respiratoires, les contractions péristaltiques de l’intestin, sont indépendants de la volonté ou tout au moins sont influencés d’une manière très limitée par les phénomènes psychiques (émotions).
La limite entre mouvements volontaires et involontaires n’est pas absolument fixe, elle varie un peu selon les individus. Il y a des muscles qui sont soumis à la volonté chez certains hommes, et qui chez d’autres lui échappent complètement.
Il parait que Fontana pouvait, à sa guise, rétrécir ses pupilles, et E.-F. Weber retenir les battements de son cœur. Si l’innervation d’un muscle réussit par hasard, et si on peut reproduire par le souvenir les sensations qui interviennent alors, la contraction du muscle peut généralement se reproduire et le muscle reste désormais sous la dépendance de la volonté. Des tentatives heureuses et l’exercice peuvent ainsi reculer la limite de ce qui est mouvement volontaire.
Th. de Quincey, par suite de l’usage de l’opium, éprouva un grand affaiblissement de la volonté. D’autre part, de simples idées peuvent devenir si impulsives, qu’elles menacent de se traduire en actions. Par exemple, un homme est dominé par la pensée de tuer une certaine personne, ou de se tuer lui-même, et se fait volontairement attacher pus se mettre à l’abri de cette terrible impulsion.
À cause de son intensité et de sa clarté, la vie intellectuelle apparaît à l’homme adulte qui analyse son Moi, comme le contenu le plus important du Moi. Il en est autrement pour un individu en train de se développer. L’enfant de quelques mois est encore dominé par ses sensations organiques. Le besoin de nourriture est le plus puissant et le plus actif. La vie des sens et plus tard la vie de représentation ne se développent que peu à peu. Ce n’est que tardivement qu’apparaît le besoin sexuel et l’augmentation de la vie intellectuelle vient modifier toute la personnalité.
Ainsi se développe une image du monde, au centre de laquelle notre propre corps se détache d’une façon nette et bien limitée comme l’élément le plus important. L’élément central de cette image du monde est commun à l’homme et aux animaux supérieurs.
Mais la vie intellectuelle diminue d’autant plus que nous considérons des organismes plus simples. Chez l’homme civilisé dont la vie est partiellement allégée, les idées, qui dépendent de sa profession et de sa situation, peuvent acquérir une force et une valeur telles que tout le reste paraît insignifiant à côté d’elles ; mais elles n’étaient d’abord que des moyens de satisfaire les besoins proprement dits.
Les sensations organiques contribuant pour une part importante à la formation du moi, on conçoit que des troubles de ces sensations organiques altèrent aussi le Moi. Ribot a décrit des cas très intéressants de ce genre.
Les jumeaux, qui ont une partie du corps commune, les frères Siamois par exemple, ont aussi un Moi en partie commun et présentent, comme c’est naturel à cause de leur ressemblance, un caractère identique. Cela va si loin que, dans la conversation, la phrase commencée par l’un est achevée par l’autre. D’ailleurs les jumeaux à liaison organique ne font que présenter à un degré plus élevé la ressemblance physique et psychique des jumeaux organiquement séparés, ressemblance qui, dans les temps anciens et modernes, a fourni d’inépuisables sujets de comédie.
Les cas, où deux personnalités distinctes se manifestent à la fois dans un seul corps, méritent d’être remarqués. Un homme, que le typhus avait privé de connaissance, se réveille enfin, mais croit avoir deux corps couchés dans deux lits différents, l’un malade, l’autre guéri.
Il faut en rapprocher les cas de soi-disant possession, où, dans le corps d’un individu, une autre personne semble en prendre à son aise, en exerçant un contrôle, en donnant des ordres, et souvent en criant avec une voix étrangère. Il ne faut pas s’étonner que l’impression d’angoisse et de terreur provoquée par ces faits ait poussé à y voir des manifestations démoniaques.
Plus souvent, des personnalités différentes se manifestent dans un corps l’une après l’autre, ou alternativement. Une prostituée, convertie et reçue dans un couvent, tomba dans une folie religieuse suivie d’idiotie. Pendant un certain temps, elle se crut alternativement nonne et prostituée et se comporta en conséquence. On a même observé des cas d’échange de trois personnalités différentes.
Pour se faire de ces cas une idée scientifique, en tenant compte de tous les éléments qui contribuent à la formation du Moi, on doit s’imaginer que, aux sensations organiques changeantes se rattachent des cercles d’associations qui leur sont solidement liés et qui sont indépendants les uns des autres. Quand les sensations organiques changent, comme cela arrive dans la maladie, les souvenirs changent aussi avec toute la personnalité. La double personnalité se montre dans l’état de passage, s’il se prolonge suffisamment longtemps. Ces états ne sont pas complètement étrangers à celui qui est capable de s’observer pendant le rêve, et il peut arriver à se les représenter.
Les parties du corps humain sont très étroitement liées, et presque tous les processus vitaux atteignent de quelque façon le cerveau et parviennent ainsi à la conscience. Il n’en est nullement ainsi pour tous les organismes. Si un ver de terre coupé en deux continue à ramper, presque comme s’il était intact, après qu’on a lié les deux tronçons avec un fil, nous devons admettre que, chez cet animal, les parties, qui ne se touchent pas immédiatement, ne sont pas dans une relation aussi intime que chez l’homme : un anneau agit sur le suivant par excitation, et c’est pour cela que le ver continue à ramper si l’anneau précédent excite le suivant par l’intermédiaire du fil ; mais on ne peut guère parler de la centralisation de toute la vie dans un cerveau, ni de la formation correspondante d’un Moi.
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La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !
Re: La connaissance et l'erreur de Ernst Mach
Ecrit le 29 oct.23, 07:22Bonjour à tous.
Je fais remonter ce passionnant sujet dans l'espoir que J'm'interroge sera ainsi incité à l'alimenter.
Bien à vous.
Je fais remonter ce passionnant sujet dans l'espoir que J'm'interroge sera ainsi incité à l'alimenter.
Bien à vous.
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