Dans un article de Sciencespo, nous lisions : https://blog.sciencespo-grenoble.fr/ind ... de-social/
- La recherche de l’objectivité est consubstantielle au travail scientifique. Elle est l’horizon vers lequel doivent s’efforcer de tendre tous les chercheurs, quel que soit leur ancrage disciplinaire. L’objectivité suppose une forme de détachement voire de rupture du chercheur par rapport à ses préjugés, ses croyances et ses préférences, morales ou politiques, afin de limiter les biais de subjectivité et d’aller au-delà du sens commun. L’objectivité est une exigence professionnelle – une compétence, diraient certains – qui a la particularité de n’être jamais totalement acquise. Elle repose sur un processus jalonné d’étapes qu’apprennent à suivre et à maîtriser les chercheurs tout au long de leur carrière (de la construction de l’objet à l’écriture en passant par l’état de l’art, la formulation des hypothèses, la construction du dispositif d’enquête, le recours aux méthodes, la collecte et le l’analyse des données).
Si vous ajoutez à cela, une écriture qui recherche à créer une émotion chez les lecteurs du texte final, émotion dont la vocation est de créer une réaction hostile à l'endroit d'une personne ou d'un groupe de personnes, et vous aurez les ingrédients d'une parfaite manipulation.
Souvent s'ajoute à cela une volonté de décrédibiliser un individu qui s'oppose à cette manipulation en lui daignant toute empathie au motif qu'il ne veut se placer que dans le champs des faits et de l'objectivité qu'un travail vraiment scientifique impose.
Nous allons démonter, pour l'exemple, une de ces manipulations.
L'affaire William Bowen
- Le site Internet Silentlambs évoque une base de données propre aux Témoins de Jéhovah qui ferait état de 23 720 cas d’agressions sexuelles et de viols. William Bowen affirme que « au printemps 2002, j’ai été contacté par trois personnes différentes, et de manière séparée, faisant partie des Témoins de Jéhovah, qui m’ont donné un certain nombre d’informations, notamment concernant le nombre de témoignages, recueillis par la secte elle-même, de membres qui se sont confessés. Ce ne sont pas des suspicions, ce sont des personnes qui ont avoué à la secte avoir abusé des enfants ». Dans un courrier à la BBC, le siège mondial des Témoins de Jéhovah reconnaît l’existence de cette base de données, tout en affirmant qu’il n’y avait pas de sens à citer le chiffre exact.
Un individu, William Bowen, ancien témoin de Jéhovah, affirme l'existence, en 2002, d'une base de données qui comporterait 23 720 noms de prédateurs sexuels pédophiles chez les témoins de Jéhovah.
Selon William Bowen, " trois personnes différentes, et de manière séparée, faisant partie des Témoins de Jéhovah, m’ont donné un certain nombre d’informations, notamment concernant le nombre de témoignages."
William Bowen n'affirme donc pas être en possession de cette base de données et ne fournit pas l'identité des 3 témoins de Jéhovah en question.
Il indique par ailleurs :
- Dans un courrier à la BBC, le siège mondial des Témoins de Jéhovah reconnaît l’existence de cette base de données, tout en affirmant qu’il n’y avait pas de sens à citer le chiffre exact.
Passons donc à l'interprétation qu'il produit des faits :
- En 2002, le fichier énumérait 23 720 cas. Aujourd’hui, j’estime que la base de données contient bien plus de 40 000 noms d’agresseurs d’enfants. Si on fait un ratio par rapport au nombre de Témoins de Jéhovah dans le monde, on arrive à un cas de viol toutes les quatre congrégations. En France, où on recense 1 500 congrégations, si on applique ce ratio, cela fait environ 375 cas possibles de viols confessés.
Retenons déjà que M. Bowen ne dispose toujours pas aujourd'hui de la base de données en question et que toute sa démonstration va se baser sur une simple estimation.
Il va donc nous falloir jauger cette estimation, et la méthode est assez simple pour y parvenir puisque M. Bowen nous a fourni la façon dont il établit son calcul pour la France.
- En effet, il nous dit que pour 1500 assemblées françaises, le ratio retenu par lui serait de 375 cas, soit 1 cas unique pour 4 assemblées.
En effet si vous divisez 1500 par 4, vous obtenez 375.
Il ressort deux leçons de cette constatation .
- Le nombre de 40 000 cas ne peut être que mondial puisqu'il ne peut pas y avoir 160 000 assemblées rien qu'aux Etats Unis.
Ce chiffre est de toute évidence exagéré pour créer une effet subjectif puisque, en 2013*, il n'y avait au monde que 113 823 assemblées de témoins de Jéhovah. Le ratio 1 cas pour 4 assemblées aurait du produire en 2013 non pas 40 000 cas et bien plus, mais plutôt 28 455 cas répertoriés.( 113 823 assemblées / 4 = 28 455)- * Pourquoi 2013 ? Parce que ce nombre de 40 000 cas était déjà avancé en 2013 par William Bowen dans une interview accordée au journal Lyon-Capital.
https://www.lyoncapitale.fr/actualite/a ... de-jehovah
https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/30 ... 2013&p=doc
- * Pourquoi 2013 ? Parce que ce nombre de 40 000 cas était déjà avancé en 2013 par William Bowen dans une interview accordée au journal Lyon-Capital.
Le calcul de M. Bowen omet des éléments capitaux qui remettent en cause à la fois l'objectivité de ce personnage, mais aussi le sérieux de cette étude.
Tout d'abord l'aspect "géographique" puisque sur son site internet et dans ses interview, M. Bowen omet de signaler que ce nombre de 40000 cas est mondial et concerne donc plus de 20 000 000 de témoins de Jéhovah et sympathisants.
Ensuite, M. Bowen oublie aussi de préciser que si cette liste existe dans les conditions qu'il prévoit, ce ne sont que 28 455 cas qui existaient en 2013 quand il a avancé le nombre de 40 000 cas. Il y a donc une exagération volontaire et manifeste des faits.
Puis M. Bowen se garde bien de signaler que ce nombre de 28 455 cas n'est pas annuel. Il s'agit de tous les cas répertoriés depuis que les témoins de Jéhovah forment des assemblées. Cette liste peut donc être incrémentée depuis 1950 ou bien avant.
M. Bowen tient pour démontré que cette liste ne concerne que des actes de pédophilie, pour autant, elle pourrait aussi contenir aussi des cas de viols sur adultes ou même de mineurs sur d'autres mineurs.
De même, il peut s'agir également de confessions de personnes qui concernent des actes ayant été commis avant qu'ils ne deviennent témoins de Jéhovah et qui ont libéré leur conscience pour demander ensuite le baptême. Voir de futurs nouveaux disciples raconter leurs différents péchés aux anciens qui leur posent les questions du baptême n'a rien d'exceptionnel.
Dans le même veine, ce fichier peut tout aussi bien contenir aussi des signalements et non pas seulement des cas avérés et démontrés de violences sexuelles.
Reste un dernier point, et non des moindres. En rassemblant les noms de coupables (avérés ou non) de violences sexuelles depuis 1950 ou avant, cela élargit considérablement le nombre des témoins de Jéhovah global qui ont vécu à l'époque où ce fichier se constituait.
Combien de témoins de Jéhovah, morts aujourd'hui, ont vécu depuis 1950 ? C'est par millions qu'il faut compter cet élément là.
Mais soyons pragmatiques et acceptons provisoirement le calcul de M.Bowen, mais avec les corrections apportées par les simples faits que nous avons découverts
Il y aurait, en 2013, 28 455 cas de vrais pédophiles (ou de suspicions) depuis à minima l'année 1950, fourchette basse. (Les assemblées existent depuis 1920 de façon organisées et systématiques)
Cela ferait 1 cas pour 4 assemblées, à l'échelle mondiale, sur 63 années, concernant un total de 113 823 assemblées.
Dit autrement, 85 368 assemblées n'ont jamais eu à connaître un seul cas de pédophilie depuis 1950, et sur les 28 455 qui restent, un seul cas les a concerné sur cette période.
M. Bowen, sur son site, fait état de 7000 témoignages qui lui seraient remontés suite à son action qui a concerné de nombreux pays, voir tous. Cela modifie t'il nos conclusions ?
Rapporté aux 113 823 assemblées du monde entier, cela nous amène à un ratio de 0,061 cas par assemblée, ou de 1 cas pour 16 assemblées toujours sur 63 années minimum.
Ce nombre de 7000 témoignages collectés par M. Bowen ne change donc absolument rien à nos conclusions.
Une fois que nous avons établi la vérité sur ce nombre initial de 23 720, et que nous sommes parvenu à en comprendre la portée sur 63 années, voyons si cela révèle une anormalité chez les témoins de Jéhovah.
Il y a aujourd'hui 20 000 000 de témoins de Jéhovah et sympathisants au monde. Si nous y ajoutons les millions de témoins de Jéhovah et de sympathisants morts depuis 1950, et donc impactés par le fichier dont parle M. Bowen, nous devons atteindre sans trop de mal les 25 à 30 millions de personnes.
Prenons la fourchette basse de 25 millions. Cela signifie que ce fichier indiquerait qu'un témoin de Jéhovah ou un sympathisant sur 878 a fait l'objet d'une fiche, en 63 années, dans la fameuse banque de données.
Il existe, selon les études, entre 5 et 20 % de pédophiles au sein de la population générale française, soit entre 3 400 000 (5%) et 13 600 000 (20%). https://www.enfancejeunesseinfos.fr/pre ... itif-stop/
Rapporté à la population générale, 3 400 000 de pédophiles correspondent à un français sur 20, alors que 13 600 000 correspondent à 1 français sur 5.
Ces chiffres, même le plus bas, sont horrifiants : 1 français sur 20*. Comparé à 1 témoin de Jéhovah sur 878, nous découvrons effectivement une anormalité flagrante chez les témoins de Jéhovah : il s'y trouve 44 fois moins de pédophiles que dans la population générale française.
- * attention, ce rapport de 1 sur 20 concerne des individus vivants à l'heure actuelle, il ne prend pas en compte ceux qui sont morts depuis 1950 . Par contre le nombre 375 cas chez les TJ en France concerne bien les 63 années passées.
- L'omission des caractéristiques des chiffres avancés:
- Sur combien de temps ?
A quelle échelle, mondiale ou nationale ?
- Passer de 28 455 à plus de 40 000 cas en 2013.
- Sur combien de temps ?
Les témoins de Jéhovah comptent 28 455 pédophiles dans leurs rangs.
Si on ne vous dit que cela, comment allez vous réagir ? Vous allez immédiatement développer un sentiment négatif à leur endroit.
Voici l'autre façon de l'expliquer.
Les témoins de Jéhovah comptent dans leurs rangs 44 fois moins de pédophiles que la population générale française.
Ces 2 affirmations sont issues strictement des mêmes données. Un fichier de 23 720 noms.
Mais la première cache les faits en oubliant (?) de signaler que ce calcul concerne le monde entier, qu'il s'établit sur 63 années, sur une population de 25 000 000 de témoins de Jéhovah ou plus.
Alors oui, 23 720 cas sont 23 720 cas de trop, mais si on ne se satisfait jamais du nombre de morts sur la route, apprendre qu'une politique réussit à diminuer de 44 fois cette hécatombe, c'est loin d'être une mauvaise nouvelle et encore moins une défaillance de ceux qui atteignent ces résultats.
Quel a donc été le ressort de cette manipulation ? La volonté de sidérer le lecteur. Balancer un chiffre de 23 720 cas alors qu'un seul cas est déjà un drame absolu, c'est vous empêcher de réfléchir en saturant votre cerveau d'émotions négatives.
Un manipulateur utilisera différentes méthodes pour déformer votre réalité et vous exploiter sur le plan émotionnel pour tenter de vous contrôler.
Tout est dans cette phrase assez basique que tout ouvrage scientifique sur la manipulation vous proposera sans aucun doute.
Nous humains, agissons aussi bien par la réflexion que par les sentiments.
La réflexion peut influer sur les sentiments, mais le contraire est aussi possible. Le manipulateur le sait parfaitement et son but va être de prendre le plus vite possible le pouvoir sur vos sentiments pour empêcher la réflexion.
Dans le cas qui nous occupe, un cas d'école, la donnée est unique et se résume à un nombre: 23 720.
Tout le reste de l'argumentaire est secondaire et a pour but de rendre ce nombre crédible. Mais pendant que vous axez votre réflexion sur la façon dont a été découvert ce nombre, le processus souhaité prend le pouvoir sur vos sentiments.
Si le manipulateur s'y prend bien, vous serez déjà influencé par vos sentiments hostiles dès la première information. Tout le blabla qui suit sur les 3 témoignages enfoncera le clou en vous faisant perdre tout esprit critique.
Car si vous étiez encore dans une approche objective, vous vous poseriez les questions suivantes :
- Puis je croire à des témoignages anonymes ? Qu'est ce qui me prouve seulement qu'ils ont existés ?
Un jury ou un tribunal condamneraient ils vraiment des gens sur la base de tels témoignages ?
Ce nombre de 23 720 cas, que signifie t'il ? Sur quelle période de temps, sur quelle population ?
Est-il seulement raisonnable d'imaginer que la pédophilie, une tendance humaine pécheresse, pourrait ne pas exister au sein d'une population de 20 millions de personnes ?
Disons le autrement : si les 25 millions de témoins de Jéhovah et sympathisants morts ou vivants depuis 1950, avaient été aussi performants (!) que l'ensemble de la société civile français, en prenant la fourchette la plus basse de 5 % de pédophiles, ce ne sont pas 23 720 cas qui nous occuperaient mais 1,25 millions. (5% de 25 millions).
Conclusion: tout chiffre, quel qu'il soit, dès lors où il est habilement présenté, a le pouvoir, entre les mains d'un habile manipulateur, de vous émouvoir dans le sens qu'il choisira.
Ici, les 23720 cas de la base de données, ont atteint chez beaucoup l'objectif souhaité par M. Bowen qui les a présentés de façon incomplète en omettant leurs caractéristiques défavorables à son projet.
Voici une interview du M. Bowen à Newsweek en 2019: https://www.newsweek.com/jehovahs-witne ... it-1453610
- William Bowen connaît l'existence de cette base de données. Il est le fondateur de Silent Lambs , une organisation qui s'efforce de mettre en relation les victimes d'abus au sein des Témoins de Jéhovah.
« Quatre-vingt pour cent des personnes figurant dans cette base de données n’ont fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire », estime Bowen. « Et elles ont toutes été condamnées « sur la déposition de deux témoins », dit-il, citant Deutéronome 19:15, source de la politique de l’Église sur les abus : un membre qui allègue un acte répréhensible doit présenter deux témoins pour être cru. »
Admirez la méthode de M. Bowen.
En effet, le même article affirmait juste avant :
- On ne sait pas exactement combien de personnes sont identifiées – un ancien ancien a déclaré à la BBC qu’il y avait des dossiers sur 23 720 pédophiles présumés – mais l’Église a refusé à plusieurs reprises d’obtempérer aux injonctions du tribunal de remettre ces dossiers aux autorités.
Question : comment M. Bowen peut-il affirmer ici que 80% des personnes figurant dans cette base de données n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires, alors même que cette liste, est toujours strictement inconnue, même des autorités, qu'elle concerne plus de 200 pays sur une période de 63 années minimum.
De même, comment pourrait il savoir que ces 80% ont par contre été condamnés par les témoins de Jéhovah.
M. Bowen nous répond : il nous dit qu’il « estime » ces résultats.
Voilà ! tout est dit !