donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

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Anoushirvan

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 30 août24, 09:25

Message par Anoushirvan »

Seleucide a écrit : 16 août24, 09:43 Si ta thèse est argumentée, elle est parfaitement recevable sur le plan académique. Mais il faut qu'elle soit argumentée de manière convaincante, sinon, tu passeras pour un hurluberlu, un amateur ou un polémiste.
Je pense que c'est un peu plus complexe qu'un problème d'argumentation.
Comme dans tout domaine scientifique et académique, il y a un consensus qui s'est établi sur l'état de l'art des connaissances du domaine, à partir des matériaux existants (documents, découvertes archéologiques, etc.) et des théories qui sont débattues.

Je ne dispose pas de matériau nouveau, je propose uniquement une interprétation différente de matériaux existants.
Ce genre de démarche n'est en général recevable au plan scientifique et académique que si ça permet de résoudre un problème considéré jusque là comme non résolu.

Donc à voir si ce que cette thèse adresse est bien considéré comme un problème académique non résolu à l'heure actuelle.

Ceci est donc ta thèse. D'où est-ce qu'elle vient et sur quoi elle se base ?

Explique donc ton point de vue !
Ok, mais désolé ça va être un peu long.

Avant d'en venir aux raisons "techniques" qui me poussent à avancer cette thèse, je voudrais expliquer mon cheminement intellectuel personnel.
J'étais musulman, tendance soufie, jusqu'à il y a une douzaine d'années.
Puis j'ai abandonné l'islam pour des raisons personnelles sur lesquelles je ne m'étendrai pas, tout en gardant une foi monothéiste. Par la suite, je suis devenu complètement athée.

Après les attentats de Paris de 2015 au cours desquels une de mes collègues a été tuée, j'ai souhaité comprendre comment l'origine et l'histoire du Coran, afin de comprendre si ce texte avait vraiment été écrit au départ pour commander ce genre d'acte, puisque ceux qui les commettent se justifient souvent à partir de lui.

Je savais déjà qu'il existait des théories quant à de possibles interpolations ou modifications tardives du Coran, certaines avancées à partir de la Tradition islamique, d'autres à partir d'hypothèses sur une origine syriaque du Coran, etc. Je voulais connaître l'état des connaissances dans ce domaine.

Je suis tombé assez vite sur le coranisme.
Le coranisme est un mouvement religieux, assez hétéroclite au demeurant, qui rejette l'utilisation des hadiths, et de la sunna en général, dans l'interprétation du Coran.
Le coranisme justifie cette approche par divers versets coraniques affirmant que le Coran est complet et détaillé, et qu'il n'y a donc pas de hadith à utiliser pour comprendre le Coran.

De manière générale, l'approche coraniste de l'exégèse du Coran consiste à dire que le Coran doit se comprendre par le Coran seul : pour comprendre un verset difficile, on utilise d'autres versets, que ce soit pour déterminer le sens d'un mot, ou pour établir une analogie.
C'est une approche que les coranistes appellent assez souvent du mot coranique "tartil".

Il faut noter que la distinction classique sourate mecquoise / sourate médinoise n'y existe pas en général dans le coranisme, pas plus que les "circonstances de la Révélation" (asbab an-nouzoul).

En procédant ainsi, de nouvelles significations possibles du Coran se dévoilent, parfois très différentes de celle qu'en donne la Tradition islamique.

Certaines voient même dans le Coran une charge véhémente contre des élites politico-religieuses, comme ici, celle de Dukhani https://nawaat.org/2016/02/06/ibadat-el ... -le-coran/.
Une interprétation qui n'est toutefois sous doute pas étrangère à la propre problématique de son auteur en Tunisie en 2016, à savoir la tentative des Frères Musulmans d'établir un pouvoir religieux dans ce pays.

Le coranisme m'a mis le doigt sur un problème que j'avais remarqué dès ma jeunesse, et je pense, remarqué aussi par beaucoup de musulmans, à savoir le sentiment que le Coran en général ne correspond pas très bien à la pratique de leur propre religion.
Par exemple, le jeûne du Ramadan tel qu'il est décrit dans le Coran ne ressemble pas vraiment au jeûne du Ramadan pratiqué en Islam.
Le coranisme m'a semblé suffisamment pertinent pour me compter parmi ses adeptes pendant une certaine période. Je ne l'ai quitté il y a sept ans que pour l'athéisme définitif.


En essayant de comprendre la relation entre le Coran et christianisme et judaïsme, et de comprendre la pensée judaïque antique, je suis tombé sur le midrash.
Le midrash est un enseignement judaïque de la volonté divine dans lequel on crée un texte à partir d'autres textes, en utilisant des jeux de mots, des allégories, de métaphores, des allitérations qui renvoient à une double entente ("que celui qui a des oreilles entende").
Ce procédé m'a fait penser au "tartil" des coranistes.
En fait, sans le savoir, Dukhani que j'ai cité plus haut lisait le Coran selon le mode du midrash. Je lui ai d'ailleurs fait la remarque en commentaire d'un de ses textes.

Le problème du coranisme est le même que celui qui nous a amené dans cette discussion : si ce genre d'interprétation est correcte, en particulier celle du type de Dukhani, comme se fait-il qu'elle ait été occultée et qu'on lui ait adjoint les hadiths et la Sunna par la suite ?

La réponse théologique de nombreux coranistes est d'y voir un complot orchestré par Satan contre le Coran. Un tel complot est d'ailleurs mentionné dans le Coran lui-même (verset 22.52).
Mais à moi, cette réponse ne me convient pas, n'étant pas adepte des théories du complot et des conspirations.

C'est à partir de là que je développe une réflexion de nature plus "académique".

Le milieu au sein duquel le Coran a été écrit n'était certainement pas polythéiste tel que le raconte la Tradition musulmane.
Les différents travaux de Christian Julien Robin sur l'Arabie à la veille de l'Islam montre que le polythéisme n'y était plus que résiduel si toutefois il existait encore.

Gerald Hawting, dans Ideas of Idolatry, montre que, si on ne disposait pas de la Tradition musulmane, on ne lirait pas le Coran comme un texte s'adressant à des polythéistes, mais comme un texte polémique utilisant l'accusation classique d’idolâtrie envers des adversaires religieux pratiquant déjà un monothéisme judéo-chrétien.

Gerald Hawting n'identifie pas formellement ce qu'était ce monothéisme judéo-chrétien que devaient pratiquer les adversaires de l'auteur du Coran, mais avance qu'ils croyaient sans doute au pouvoir des anges et d'autres êtres intermédiaires, comme les jinns, ainsi que dans la sorcellerie.
Or ce type de croyance au pouvoir des anges, des jinns, etc, existe en Islam sans que ce soit considéré comme du polythéisme, puisque de toute façon, le Coran mentionne leur existence.

Bien que foncièrement mal vue parce que considérée à la limite du polythéisme, la sorcellerie se pratique aussi chez en terre musulmane sans que ceux qui s'y adonnent soient formellement déclarés apostats.

Comme j'ai expliqué dans un message plus haut, deux parties opposées en conflit pourraient parfaitement revendiquer chacune la qualité de "croyante".

En fait, et malgré des réticences comme celles exprimées ici https://www.academia.edu/42788512/Quest ... arly_Islam, je pense qu'il est assez clair que le Coran s'adressait à des croyants juifs ou judéo-chrétiens principalement gnostiques.

Le verset 5.116 fait allusion à une Trinité faite du Père, de la Mère et du Fils. Ce genre de trinité ne se trouve pas dans le christianisme trinitaire mais dans le gnosticisme, et en particulier dans le l'Apocryphe de Jean : http://www.gnosis.org/naghamm/apocjn-davies.html

Plus important, le verset 2.3 s'adresse aux gens qui croient dans l'"invisible", al-ghayb.
Le gnosticisme n'est pas une croyance unique, mais une famille de croyances assez diverses, certaines plutôt juives, d'autres plutôt judéo-chrétiennes, d'autres plutôt syncrétiques, mais dont on peut dire que le point commun est la croyance dans une doctrine où le salut est assuré par la connaissance du monde invisible divin.

Le gnosticisme s'accorde pour dire que régulièrement dans l'histoire de l'humanité, des messagers, angéliques ou humains, sont suscités par le divin pour stimuler les âmes, les éveiller, et leur faire accéder à la connaissance de l'invisible, et donc au salut.
Les textes gnostiques mentionnent assez systématiquement des anges, par exemple Metatron, qui viennent révéler à leurs auteurs un savoir caché.
Cette thématique des messagers qui reviennent à différentes époques n'existe pas dans la tradition biblique classique, juive ou chrétienne : il y a certes des patriarches et des prophètes, mais rien qui ressemble à un cycle comme il apparaît dans le Coran.
Or on retrouve cette idée de cycles de messagers dans différents courants gnostiques, par exemple le manichéisme.
A noter que le mot "umma" dans le Coran ne signifie pas seulement communauté mais aussi ère ou grande époque (ex verset 11.8).

Le mot al-ghayb revient fréquemment dans le Coran, mais pour autant, le Coran dénie toute forme de salut à travers la connaissance de l'invisible. Voyons cela.

La péricope coranique constituée des versets 2.30 à 2.33 met en concurrence les anges, qui appartiennent donc au monde divin invisible, et Adam, l'archétype des messagers humains, dans l'accès au salut : le "nom" a une signification biblique particulière qui est de faire accéder à une sorte de vie après la mort grâce au nom porté par les héritiers (voir https://biblehub.com/hebrew/8034.htm).

On ne trouve pas cette histoire ainsi racontée dans la Genèse.
Mais on la trouve dans le Midrash Rabbah sur la Genèse.
Cependant, pourquoi le Coran irait-il convoquer un midrash plutôt que la Genèse elle-même ?
Un rabbin du 19e siècle, Abraham Geiger, avait déjà remarqué les nombreux emprunts faits dans le Coran au Talmud ou Midrash, sans être capable de donner une explication pertinente (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/ ... -_1898.pdf)

Je vois deux raisons au fait que le Coran raconte l'histoire de la création d'Adam de cette façon plutôt qu'à la manière de la Genèse :
* la première est reliée aux thèses gnostiques : dans la péricope coranique, les anges qui vivent pourtant dans la proximité divine se révèlent incapables de faire accéder la "terre" au salut, seul un messager mandaté par Dieu, ici Adam, le peut.
Le prédicateur coranique rejette la thèse gnostique que la connaissance de la réalité divine peut faire accéder au salut.

* la deuxième raison tient à cette question : pourquoi ça pose problème au prédicateur coranique (de la sourate 2) que des gens croient que le salut puisse être obtenu par la connaissance du divin ?
Est-ce seulement parce qu'il n'aime pas cette idée et voudrait empêcher les autres d'y croire, ou bien y a-t-il un enjeu autrement plus important derrière ?
Ceci nous amène à la thèse que je cherche à défendre.

Le verset 2.30 dit que Dieu veut placer sur la "terre" un "khalif", et que les anges se récrient en disant : s'agit-il de placer quelqu'un qui va répandre la corruption ("fassada", mot arabe qui revient constamment dans le Coran) sur la terre ?
Le mot "khalif" est porteur d'un certain nombre de sous-entendus.

Tout d'abord, pour couper court, je ne crois pas qu'il désigne ici le calife arabe, par exemple omeyyade, dans une charge instituée. Ce sens viendra plus tard.

Khalif veut dire successeur. Donc Dieu, dixit le verset 2.30 veut placer sur la terre un successeur.
Mais succéder à quoi ou à qui précisément ? A Dieu lui-même, Adam étant supposé être le premier homme sur terre ?
Il y a en effet des interprétations mystiques de ce genre, en particulier dans le soufisme.
Mais je pense que ça signifie autre chose, et là encore, il faut se tourner vers la pensée judaïque antique pour comprendre.

Ici, je n'ai pas de référence de textes bibliques ou midrashiques à proposer directement.
A la place, j'emprunte le concept qui va suivre aux ouvrages de Maurice Mergui :
* Un étranger sur le toit, les sources midrashiques des Evangiles
* Comprendre les origines du christianisme, de l'eschatologie juive au midrash chrétien
Ainsi qu'au site web qui reprend certains des passages de ces deux ouvrages sus-cités : https://www.lechampdumidrash.net/

Khalif dans le contexte du verset 2.30 désigne les héritiers de la terre (concept qui revient ailleurs dans le Coran), ou encore les héritiers de la promesse, c'est la même chose.
La promesse en question est celle au sujet de la terre promise.

Au sens littéral, la terre sainte conquise par Josué, mais l'expression doit se lire au sens eschatologique comme une prophétie perpétuellement à l'inaccompli jusqu'à ce que la fin des temps advienne.

Dans une perspective eschatologique, la terre désigne, non pas le globe terrestre, si tant est qu'on pensait que la Terre était ronde, mais l'ensemble des nations.

Hériter de la terre signifie porter le salut à la fin des temps pour l'ensemble des nations.
L'expression "fin des temps" est à lire au sens messianique : c'est la venue du Messie, la fin de l'Exil pour le peuple d'Israël, la restauration du Temple, une Loi renouvelée et allégée, l'entrée des nations (des païens) dans l'Alliance avec Dieu, etc.

Dans le contexte des divisions internes au judéo-christianisme ancien, le débat était de savoir quelle obédience serait légitime à hériter de la terre lorsque la fin des temps adviendra, et possiblement de laquelle sortira le Messie.

L'histoire d'Adam dans le Coran, dans la péricope 2.30-2.33 a beau être une histoire de création, il faut la lire au sens eschatologique, au sujet de la promesse qui doit s'accomplir, qui va s'accomplir, à la fin des temps.

A travers cette histoire, le prédicateur de la sourate 2 veut signifier les choses suivantes :
* ne peuvent être les héritiers de la terre et de la promesse, et apporter le salut aux nations, ceux qui "sèment la corruption" ("fassada") sur la terre
* la connaissance intime du divin n'est d'aucune utilité pour en vue du salut, surtout quand elle est revendiquée par ceux qui "sèment la corruption" sur la terre
* seuls les messagers envoyés par Dieu peuvent faire accéder l'humanité au salut.

L'emploi du verbe "fassada" est extrêmement fort en réalité : il est utilisé par exemple pour désigner le comportement de Pharaon (versets 7.103 et 28.4), qui égorge les fils et viole les femmes.
Au verset 7.85, il désigne le fait de tricher sur les poids et mesures.
Dans la sourate 2, verset 2.205, il désigne le comportement de celui qui saccage culture et bétail.
Au verset 2.220, il désigne le fait de causer du tort aux orphelins.

Le verbe fassada ne désigne pas dans le Coran un refus de croire en un dieu unique, car dans le contexte, ce n'est pas l'enjeu.
Il désigne un comportement contraire à l'éthique telle que Dieu la voudrait, selon le prédicateur, probablement à défaut de loi applicable, ou une situation d'oppression tyrannique.

Avant d'arriver au verset 2.30, le mot "fassada" ou ses dérivés est déjà employé aux versets 2.11, 2.12, 2.27 pour dénoncer le comportement de ceux qui sont la cible du prédicateur.
En particulier, le verset 2.11 parlent de ceux qui sèment la corruption sur la terre tout en se présentant comme "muslihun".
La plupart des tafsirs traditionnels (ex. ici https://quranx.com/Tafsirs/2.11) semblent avoir du mal à expliquer précisément à qui le reproche est fait (les "hypocrites" ?) et pourquoi. En particulier, le mot "muslihun" (réformateur ?) leur semble assez obscur dans ce contexte.
Aucun bien sûr ne fait le lien avec la péricope 2.30-2.33.

Dans la sourate 7, intervient deux fois cette idée, aux versets 7.56 et 7.85 (ici à propos de Madyan et Chouaïb) : ne semez pas la corruption sur la terre après qu'elle a été "réformée".

Là encore, il conviendrait de se tourner vers la pensée juive ancienne pour comprendre de quoi il s'agit.

Lorsqu'on est à la fin des temps, le Messie doit venir au comble de l'épreuve et des tribulation, et parmi ses prérogatives, il y a celle de renouveler et alléger la Loi et la condition humaine.

Il y a d'ailleurs dans la Tradition islamique un hadith qui mentionne que lorsque Mahomet est monté au ciel pour discuter avec Dieu, Dieu lui a prescrit 50 prières quotidiennes pour les musulmans. Mahomet, en redescendant a croisé Moïse au ciel, qui lui a dit que c'était trop et de négocier avec Dieu une diminution du nombre.
Ainsi Mahomet serait parvenu à négocier 5 prières quotidiennes au lieu de 50.
Ce hadith suit très bien le schéma de l'allègement de la Loi cher à la pensée juive antique.

(Au passage, certaines traditions juives envisagent la possibilité que plusieurs Messies surviennent à différents moments de l'histoire).

Pour en revenir aux versets 2.11 et suivants, ainsi qu'à la péricope 2.30-2.33, nous sommes dans une situation historique et politique qui, qu'elle soit perçue par le prédicateur, ou telle que le prédicateur rapporte la perception de ses adversaires (c'est-à-dire ceux dont il rapporte qu'ils se prétendent "muslihun"), appelle à un changement digne des temps messianiques.
Ceux à qui le prédicateur s'oppose sont en train de mettre en œuvre un nouveau système politico-religieux (ça se dit "din" en arabe coranique), mais ce système, le prédicateur le dénonce comme tyrannique.

A ce stade, il convient de noter un autre aspect du gnosticisme exposé ici : http://www.gnosis.org/gnintro.htm (attention, cette page expose plutôt une vision modernisée du gnosticisme, il serait préférable de se référer aux textes anciens. Je la cite par facilité).
Le gnosticisme en général méprise les systèmes de règles de conduite, c'est-à-dire les lois, au motif que sont des instruments d'asservissement des puissances maléfiques.
Le gnosticisme préfère une éthique fondée sur l'illumination de l'âme.

Il se trouve que c'est un point fondamental sur lequel les traditions gnostiques juives ou judéo-chrétiennes sont susceptibles de se démarquer des traditions juives plus classiques : dans la Bible, le salut passe par la Loi, c'est-à-dire un système de lois donné par Dieu.

Une éthique fondée sur l'illumination de l'âme est très certainement ce que le Coran appelle avec mépris à plusieurs reprises "suivre les passions" (atba'a al-hawa).

On tient certainement ici le point de discorde fondamental entre le prédicateur coranique et ses adversaires : le prédicateur rejette le salut gnostique par la connaissance du divin parce que cette conception, telle que mise en œuvre par les adversaires du prédicateur, ne les incite pas à développer un système de lois conforme à l'éthique que Dieu voudrait, et par conséquent, conduit à la tyrannie.

Après la péricope sur la création d'Adam et le péché originel (que je n'ai pas expliqué), on trouve une exhortation aux "fils d'Israël", puis un rappel de l'histoire de Pharaon et de Moïse.
A ce propos, il ne faut pas comprendre dans l'expression "fils d'Israël" les juifs en général, mais la société à laquelle appartenait le prédicateur et ses adversaires. Je reviendrai après là-dessus.

Moïse, faut-il le rappeler, fut le "Législateur des Hébreux", selon une formule empruntée à Flavius Josèphe.
Son souvenir est convoqué ici, non pas pour appeler les juifs à suivre Mahomet comme le prétend la Tradition islamique, mais parce que dans la polémique sur la conception du salut que j'ai exposée ci-dessus, le prédicateur rappelle que quand on se désigne comme "fils d'Israël", la Loi doit faire partie de l'identité.
Le prédicateur rappelle ainsi opportunément aux verset 2.44-2.45 que réciter la Torah, le "Livre", pendant la prière, implique aussi de suivre la Loi divine.

Le verset 2.53 indique que furent donnés à Moïse la Torah (le "Livre"), et al-"Furqan".
"Furqan" est un mot particulièrement compliqué dans le Coran, et son sens arabe de "critère" ou "discernement" est certainement erroné.
Fred Donner (voir https://www.academia.edu/1013511/Quranic_Furqan_2007_) a théorisé que le mot "Furqan" pouvait avoir deux sens possibles :
* l'un assez classique venu du syriaque "purqana", signifiant la rédemption
* l'autre, théorisé par Donner, pourrait résulter d'une confusion graphique d'écriture avec un autre mot syriaque, puqdana, signifiant "commandement".
Le verset 2.53 rappellerait donc, selon Donner, qu'à Moïse furent donnés la Torah et les commandements, c'est-à-dire la Loi.

Le prédicateur rappelle également à travers l'histoire de Moïse combien sa mission de délivrer la Loi au peuple d'Israël fût parsemée d'embûches dues à son propre peuple.

Ainsi, les versets 2.51 et 2.54 rappellent la faute biblique du veau d'or pendant que Moïse était auprès de Dieu pour recueillir les commandements.
Ici, le mot "veau" dans le Coran fait appel à un procédé typique du midrash qui est la double-entente.
Veau dans le Coran se dit ʿij'l (عِجْل), mais le mot est en assonance avec le verbe ajila (عَجِلَ), le nom ʿajal (عَجَل), l'adjectif ʿajūl (عَجُول), de manière général les mots formés sur la racine ʿayn jīm lām (ع ج ل) et dont le champ lexical recouvre celui de la hâte et de l'impatience.

C'est-à-dire que le prédicateur, à travers le mot ʿij'l (عِجْل) / veau, veut qu'on entende la notion d'impatience et d'immédiateté. C'est ce qu'on appelle la double-entente, et c'est typique du midrash. C'est aussi un procédé qu'on retrouve ailleurs dans le Coran.

Cette notion d'impatience et de hâte au sujet d'un récit de portée eschatologique, comme celui de Moïse, renvoie à un débat crucial interne au judaïsme ancien.
Je renvoie ici à l'ouvrage de Maurice Mergui, un Étranger sur le toit qui explique la chose.
Le Messie doit venir, ou revenir, c'est selon, c'est une certitude. Mais la question est celle du moment.
Pour les traditions juives de types pharisiennes, celles qui ont donné le judaïsme rabbinique, le Messie viendra un jour, mais pas tout de suite.
Pour d'autres traditions juives, qui ont donné par exemple le christianisme, le moment, c'est possiblement maintenant.
Il semble assez clair que le Coran donne en général un témoignage d'une pratique du judaïsme dans la société du prédicateur qui n'était pas celle du judaïsme rabbinique.

Ce que suggère cette double-entente de l'histoire du veau rappelée dans le Coran, c'est que le prédicateur reproche à ses adversaires de décréter l'avènement d'une ère messianique de manière prématurée, alors que les commandements n'ont pas encore été donnés.

Par ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, la tradition juive veut que le Messie advienne au comble de l'épreuve.
Certains mouvements politico-religieux, tant passés qu'actuels, sont tentés de donner un "coup de pouce" pour hâter la venue du Messie en semant le chaos (au passage, une autre traduction possible du verbe "fassada").

Le prédicateur reproche donc à ses adversaires de semer le chaos (ou la corruption) pour décréter prématurément l'entrée dans une ère messianique, alors que la Loi n'a pas été renouvelée de manière adéquate, le tout avec une conception du salut fondé sur la connaissance du divin qui n'est, selon lui, d'aucune utilité.

Le verset 2.55 rappelle un épisode biblique où les Israélites sont foudroyés après avoir vu Dieu. Dans le contexte du Coran, avec ce que j'ai expliqué précédemment, il semble assez clair que le rappel de cette épisode a été utilisé pour insister davantage sur l'inutilité de la connaissance du divin.

Les versets 2.65 et 2.66 parlent de ceux des fils d'Israël qui ont "transgressé le shabbat" et sont ainsi traités de singes abjects.
Transgresser le shabbat est une expression qui n'a rien à voir avec le fait d'allumer un feu le samedi, ou tout autre activité traditionnellement interdite pendant le shabbat.
Transgresser le shabbat est une expression eschatologique pour décréter que la fin des temps c'est maintenant.

Il est important de noter que ces versets disent : vous avez bien connu ceux qui..., nous les avons punis pour faire un exemple aux autres autour et à ceux qui viennent après.
C'est donc que ces versets doivent probablement faire référence à des événements dans un passé très proche lorsque l'auteur a rendu public la sourate 2 pour la première fois.

Pour ma part, je pense que le Coran dans ces versets 2.65 et 2.66 fait référence aux événements de Jérusalem en 614-617, et en particulier à l'épisode de Néhémie ben Hushiel (https://en.wikipedia.org/wiki/Nehemiah_ben_Hushiel).
Néhémie ben Hushiel, selon diverses narrations, s'était déclaré Messie, à la faveur de la politique favorable aux Juifs de la part des Perses qui contrôlaient Jérusalem depuis 614.
Il entreprit de reconstruire le Temple.
Des témoignages de chroniqueurs chrétiens racontent les massacres commis contre les chrétiens à Jérusalem par les Juifs et les Perses à ce moment-là.
Puis les Perses changèrent de politique, et favorisèrent les chrétiens.
Néhémie ben Hushiel fut tué ainsi que de nombreux juifs en 617, mettant fin au rêve messianique des Juifs.
Puis Jérusalem fut reprise par les Byzantins.


Si on retient cette interprétation des versets 2.65 et 2.66, alors il convient de lire Sébéos avec une certaine circonspection (http://remacle.org/bloodwolf/historiens ... _ftnref317)
Sébéos dans sa chronique raconte que les Juifs après avoir été chassés par les Byzantins allèrent trouver en Arabie un marchand du nom de Mahomet, très versé dans la Loi de Moïse, et dont la prédication avait obtenu le ralliement de toute l'Arabie derrière lui, et ce, afin d'obtenir son aide.
Mahomet, d'après Sébéos, les encouragea à reconquérir la Palestine, aidés par une armée arabe.
Pareille narration est passablement contradictoire avec l'interprétation des versets 2.65 et 2.66 que j'ai donnée plus haut.

Sébéos indique que cette histoire lui a été racontée par des prisonniers arabes, ce qui suggère que soit le Mahomet de l'histoire de Sébéos n'est pas l'auteur de la sourate 2, soit à l'époque de Sébéos, une tradition concurrente de la Tradition islamique classique circulait avant de sombrer dans l'oubli.

Les versets 2.58 et 2.59 sont relatifs à l'exploration de la Terre Promise.
Le Coran dit "Entrez dans cette contrée, et mangez-y à l'envie où il vous plaira; mais entrez par la porte", et que les injustes y substituèrent une autre parole.
Il s'agit ici d'une allusion à un épisode de l'Exode appelé parfois "la faute des explorateurs".
Cette faute est narrée dans le Livre des Nombres aux chapitres 13, 14 et suivants, ainsi que dans le Deutéronome, chapitre 2.
Moïse avait envoyé des explorateurs faire une reconnaissance de la Terre Promise, et les explorateur, sauf deux d'entre eux, Josué et Caleb, avaient produit un rapport calomnieux sur elle.
En punition, les Hébreux ont été condamnés à errer dans le désert pendant 40 ans, jusqu'à ce que cette génération s'éteigne.
Pendant leur errance, les Hébreux ont reçu de Dieu et de Moïse la consigne de traverser trois contrées sans y faire la guerre.
Dans la tradition juive ancienne, cet épisode a été ensuite interprété dans un sens eschatologique, voire a peut-être été écrit dès le début en ce sens.

Au sens eschatologique, la faute des explorateurs désigne la réticence de la part d'une partie des Juifs à préparer les conditions de l'entrée dans l'ère messianique promise et le monde à venir.
La curieuse expression employée par le Coran "entrez par la porte" est en fait une expression qu'on retrouve souvent dans la pensée juive ancienne, midrashs, Nouveau Testament, etc., et désigne symboliquement le fait de se convertir, plus spécialement au monde à venir.
Derrière ces versets 2.58 et 2.59, le prédicateur de la sourate 2 reproche donc à ses adversaires de commettre la faute des explorateurs en ne préparant correctement l'entrée dans le monde à venir.
A noter que le verbe sajjada dans le verset 2.58 ne voulait probablement pas dire se prosterner dans le Coran, mais plutôt écouter et obéir (les deux ensembles).

Une fois encore, on peut mesurer un décalage entre le sermon de la sourate 2 et le récit de Sébéos, à se demander s'il s'agit bien de la même personne.

D'ailleurs, le Mahomet de la narration de Sébéos rappelle la promesse inconditionnelle de Dieu que la descendance d'Abraham, tant par Isaac que par Ismaël, héritera de la Terre Promise, alors que le prédicateur de la sourate 2 au verset 2.124 a une vision beaucoup plus restrictive de l'héritage en ce sens que l'engagement de Dieu à l'égard de la descendance d'Abraham ne concerne pas les injustes.


Le verset 2.85 reproche à son auditoire ou ses adversaires de s'entretuer, d'expulser les gens de leurs maisons, d'exiger une rançon de leurs coreligionnaires captifs.

On pourrait continuer avec les autres versets, mais à ce stade, mesurons le décalage entre ce qu'on peut comprendre du Coran par la pensée juive antique et ce qu'en raconte la Tradition islamique.

Dans la Tradition islamique, les Arabes, juifs et polythéistes vaquaient tranquillement en toute insouciance à leurs petites occupations quotidiennes.

La Révélation coranique a alors sonné comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Elle a déboulé tel un chien dans un jeu de quilles alors qu'ils n'avaient rien demandé, et a tout renversé.
Les Juifs, selon la Tradition islamique qui fait de leurs rabbins avoir une lecture quasi-littérale et foncièrement naïve de la Bible, attendaient un prophète mais rien qui soit relié à une situation critique.
Les versets de la sourate 2 relatifs à Moïse que j'ai cités plus haut devaient les convaincre de l'authenticité de la prophétie de Mahomet, et évidemment, ça n'a pas marché.

Quant aux polythéistes mecquois, ils ne persécutaient les musulmans qu'en réaction à la prédication de Mahomet.
En somme, si la situation a tourné au conflit, ce n'est qu'en raison de la volonté de Mahomet de soumettre l'Arabie à sa prédication à laquelle certaines tribus se sont opposées.


Le Coran décrypté à travers la pensée juive antique donne une toute autre image de la situation de l'Arabie, ou en tout cas du Hedjaz.
En fait, la situation telle que la perçoit le prédicateur de la sourate 2 est catastrophique : des groupes sèment le choas ou exercent une domination tyrannique.
Mais cette situation catastrophique signifie aussi qu'elle était mûre pour un changement d'ère selon les signes (Ayat) caractéristiques du monde à venir décrits dans les enseignements judaïques.

Cette lecture soulève toutefois un grave problème : comment se fait-il que la Tradition islamique ait pu passer ainsi sous silence une situation pareille où régnait le chaos à l'époque de Mahomet ?

C'est incompréhensible, à moins que...?

A moins que ce soit écrit mais que nous n'arrivions pas à le voir.

Parvaneh Pourshariati dans son ouvrage Décline and Fall of the Sasanian Empire, consacré à la chute de l'empire perse a montré de façon très brillante et précise, en croisant les textes racontant la conquête arabe de la Perse avec des sceaux royaux de l'époque que les Arabes auraient commencé à attaquer la Perse beaucoup plus tôt que ce que raconte la Tradition islamique.
Plutôt vers 627 que vers 636.
Or en 627, Mahomet était réputé être en grande difficulté à Médine.
Par ailleurs, la conquête de la Perse est réputée avoir eu lieu après les guerres de Ridda, placées entre 632 et 634.
Il serait logique de respecter cet ordre chronologique en déplaçant le début de la conquête de la Perse de 636 à 627, ce qui placerait les guerres de Ridda par exemple vers 623, voire peut-être avant, vers 620 ou 621.
En effet, face à des Arabes affaiblis par leurs guerres internes, les Perses n'auraient eu certainement aucun mal à reprendre le dessus à ce moment-là.

Les guerres de Ridda sont un épisode passablement obscur de l'histoire de l'islam.
Dans la Tradition islamique, elles ont pour origine la mort de Mahomet et le refus de la plupart des tribus arabes de continuer à payer le tribut, la zakat, à son successeur Abu Bakr.
Elles sont aussi appelées guerres d'apostasie, pourtant il n'y a pas eu de tentative de retour au polythéisme.
La Tradition islamique raconte qu'un certain nombre de "faux" prophètes s'y sont illustrés, dont l'énigmatique Musaylima, qui avait la fâcheuse tendance à plagier la Révélation coranique de Mahomet.

Même au sein de l'islam, les guerres de Ridda continuent à susciter un malaise, car si on lit bien, Abu Bakr a en réalité mené une guerre sans merci contre d'autres croyants, y compris contre des gens réputés fervents musulmans selon la Tradition.
C'est avec grand peine que la Tradition islamique a tenté de justifier théologiquement ces guerres.

S'il y a un épisode historique qui pourrait parfaitement correspondre à la situation catastrophique que décrit le prédicateur de la sourate 2, où des croyants rançonnaient d'autres croyants et leur faisaient la guerre, c'est bien le temps des guerres de Ridda, si on veut bien admettre que le prédicateur n'était pas du côté d'Abu Bakr, ou éventuellement de son prédécesseur, mais était l'un de ses (nombreux) opposants.

Le fait que dans cette histoire, tout le monde se revendiquait "croyant" a certainement rendu compliqué pour les transmetteurs de tradition, des décennies après dans les narrations, de faire correctement la part des choses, si tant est qu'ils aient eu cette intention.

Je fais l'hypothèse qu'il s'est passé la chose suivante.
La guerre entre les deux grands empires, byzantin et perse, a été vu comme un signe que le Messie allait venir ou revenir, car dans la pensée juive antique, l'affrontement des empires est un signe de la fin des temps.
Cette vision a suscité différents prophètes en Arabie se prenant pour le Messie.
L'un d'eux au Hedjaz vers 620 ou 621 a pris le titre énigmatique de MHMD, que je ne m'explique pas très bien mais qui semble avoir une résonance messianique, et a entrepris de fédérer toute l'Arabie sous sa férule, ce qui a engendré les guerres dites de Ridda, qui feront l'objet plus tard d'une réinterprétation par la Tradition islamique.
Un de ses opposants a alors entrepris de rédiger une série de sermons pour dénoncer cette façon de faire.
Ces sermons plus d'autres seront plus tard rassemblés dans l'ouvrage qu'on appelle aujourd'hui "Coran".

Bien longtemps après, la Tradition islamique réussira ce tour de force de condenser les deux personnages opposés en un seul, en jouant sur l'ambiguïté des mots, et le caractère extrêmement elliptique du Coran.

A la mort de MHMD, un successeur lui est désigné, qui prend aussi un nom messianique : Abu Bakr, le père de la Vierge, c'est-à-dire non pas le père d'Aïcha, mais le "père" du Nouvel Israël.

Le successeur d'Abu Bakr, Omar, surnommé Farouq, est probablement celui qui concentre le plus de narrations relatives à des attributs messianiques sur sa personne, en particulier :
* Farouq ne signifie pas comme en arabe celui qui discerne le bien du faux, mais vient du syriaque Paroqa, le Rédempteur
* La Tradition islamique raconte qu'il est entré à Jérusalem à dos d'âne lors de la reddition de la ville, à la manière de Jésus
* Un document d'époque, la Doctrina Jacobi, rapporte, sans le nommer, outre qu'il revendiquait être prophète, qu'il clamait détenir les "clés du paradis". Cette curieuse expression, qu'on attribue aussi à Pierre, disciple de Jésus, fait allusion à un midrash rapporté dans le Talmud : lors de la prise et de la destruction du Temple de Salomon par Nabuchodonosor, un groupe de prêtres lancèrent vers le ciel (donc vers Dieu) les clés du Temple en criant "Reprends tes clés, nous n'en avons pas été dignes".
Ce qui implique que le Messie, envoyé donc par Dieu, reviendra avec les fameuses clés pour rebâtir le Temple.

Je n'ai pas trouvé de narration évidente sur le profil messianique de Othman, qui a peut-être laissé un trop mauvais souvenir pour cela.
Quant à Ali, Mohamed Ali Amir-Moezzi a rapporté des hadiths chiites où il aurait revendiqué être le deuxième Messie, mais je n'ai pas les références.

Quant à Mu'awyia, une chronique chrétienne d'époque (la Chronique Maronite, de mémoire, à confirmer) raconte qu'il se fit acclamer roi par une assemblée de notables arabes sur le Mont Golgotha à Jérusalem, le lieu de la crucifixion du Christ, qu'un tremblement de terre se fit sentir, et qu'il allât se recueillir sur la tombe de Marie.
On aurait voulu faire signifier par là qu'il était le Christ revenu sur terre qu'on n'aurait pas fait plus explicite.
L'événement est totalement passé sous silence dans la Tradition islamique.
Le Mont Golgotha n'a aucune signification coranique étant donné que le Coran nie explicitement la crucifixion du Messie.

On a donc de MHMD à Mu'awyia une succession de chefs arabes dont les narrations rapportent, soit directement, soit indirectement, qu'ils ont prétendu au titre de Messie revenu sur terre.

Or dans la Tradition islamique, ces prétentions messianiques sont gommées, ou font l'objet de réinterprétations diverses.

Deux choses fondamentales de l'histoire des débuts de l'islam ont donc été occultées par la Tradition islamique ultérieure :
* Les prétentions messianiques des premiers dirigeants arabes
* Le Coran comme texte d'opposants à ces mêmes dirigeants.

Avec ce qui précède, la raison pour laquelle le sens du Coran comme texte d'opposition aux premiers dirigeants arabes a été oubliée devient à mon avis facile à comprendre : le prédicateur du Coran n'a jamais eu le pouvoir, il est peut-être tombé lors des guerres de Ridda.
Sa prédication s'est diffusée de manière incontrôlée via les différents canaux d'opposition au cours du 7e siècle, par exemple peut-être les Kharijites, ou Ibn Zubayr.

La raison pour laquelle le Coran a pu continuer à être utilisé par des opposants après alors que ses motivations initiales ont été oubliées est qu'une promesse écrite à l'inaccompli ne peut que perpétuellement vouée à être accomplie : la tyrannie et l'oppression demeurent, donc nous ne sommes pas encore entrés dans le monde d'après, celui de l'ère messianique, nous sommes encore dans l'ère de la fitna, donc il faut lutter (verset 2.191). Voilà en somme le raisonnement qui a sous-tendu la perpétuation de la prédication coranique pendant le 7e siècle.

Pendant ce temps, faute de contrôle, centralisé, le Coran a vraisemblablement subi ajouts et interpolations diverses.

Le cycle s'est cassé lorsque le pouvoir a décidé de s'emparer de cette prédication : c'est ce qu'a fait le calife Abd al-Malik à la fin du 7e siècle, et c'est à ce moment qu'on commence à voir le Coran vraiment entrer dans l'histoire (cf Fred Donner, Qur’ânicization of Religio-Political Discourse in the Umayyad Period https://journals.openedition.org/remmm/7085?lang=fr)

Je n'ai pas malheureusement pas de références précises à donner sur ce point, juste une hypothèse que je trouve logique : Abd al-Malik a probablement commandé à différents savants religieux de produire une narration racontant l'accomplissement de la promesse, sans trop remettre en cause ses prédécesseurs qui constituaient l'assise de son pouvoir.

Le gommage des traits messianiques trop proéminents qui étaient associés aux premiers dirigeants arabes pourrait venir de là, car on ne peut pas entrer dans l'ère de la promesse accomplie tant que chaque nouveau dirigeant prétend être un Messie.
A la place, ils sont requalifiés en "califes", titre qui a l'avantage d'être compatible avec le Coran.

Je dis qu'il s'agit d'une commande de la part du calife, car le récit de Sébéos semble être une narration concurrente de la narration traditionnelle.
Comme si plusieurs narrations avaient été élaborées en parallèle avant que l'une d'elles, celle que nous connaissons aujourd'hui, s'impose sur les autres.

Que penser des narrations selon lesquelles le Coran aurait été compilé sous les ordres du troisième calife, Othman ?
Il y a plusieurs hypothèses envisageables.
Il se peut que le Coran ait en effet été compilé à l'époque d'Othman, mais que "à l'époque" ait ultérieurement été compris comme "sous les ordres de".
Une autre hypothèse est qu'il aura fallu un peu atténuer la mauvaise réputation d'Othman en lui attribuant un mérite quelconque par charité.

Il y a une autre hypothèse qui m'a été inspirée à partir une remarque fondamentale trouvée chez Alfred-Louis de Prémare, les Fondations de l'Islam.
Si on admet que le mot arabe qur'an vient du syriaque qeryana qui signifiait lectionnaire, alors ce mot en arabe n'a certainement pas été inventé pour désigner le seul Coran dont nous parlons.
Mais qu'au contraire, il y a eu très certainement de multiples lectionnaires différents, et donc autant de corans tous différents les uns des autres.
Quand les collecteurs ultérieurs de traditions ont rassemblé les narrations rapportées au sujet du "coran", comment être sûr que ces narrations parlaient bien du Coran dont nous parlons ?
L'hypothèse que différents textes aient été appelés chacun "coran" et distincts du corpus du Coran pourrait assez bien expliquer certaines narrations pour le moins étranges :
* les chiites qui se plaignent qu'on a enlevé du Coran les passages où Mahomet désigne Ali pour lui succéder. C'est totalement impossible que ce genre de passage ait jamais existé dans le Coran dont nous parlons, mais ça pourrait s'expliquer si le premier Messie arabe MHMD avait un lectionnaire (un "coran") dans lequel il désignait quelqu'un de sa famille comme successeur.
* des hadiths qui mentionnent des passages ou des sourates qui n'existent pas.
* une mystérieuse sourate la Chamelle mentionnée par Jean de Damas, qui ne se trouve pas dans le Coran.

Alors Othman aurait très bien pu ordonner la collecte d'un lectionnaire (un "coran"), qui n'a rien à voir avec le coran "Coran", lectionnaire perdu depuis, ou éventuellement intégré au corpus de hadiths.



Pour déjà complexe qu'il puisse sembler, ce schéma que j'ai exposé dans ce post est sans doute encore trop simpliste.
Le Coran témoigne que le prédicateur a eu à faire face à une dissidence de son propre mouvement.
Ces dissidents sont appelés "munafiqun" dans le Coran.
Munafiq ne voulait pas dire hypocrite au sens de la contradiction entre la pensée et les actes, même si ce sens n'est peut-être pas complètement absent du Coran.

Munafiq désignait ce qui sort, typiquement donc des dissidents. Le mot est relié à d'autres mots de même racine qui signifient dépenses, dans le sens de ce qui sort de la poche.
Le sens est volontiers le même que kharijite (ceux qui sont sortis).

La Tradition n'est pas très claire sur ce que deviennent ces munafiqun, ils semblent rentrer dans le rang et disparaître de l'histoire.
Le Coran n'est pas non plus très clair sur ce qui est reproché à ces dissidents, si ce n'est qu'ils sont surtout dissidents.

Je pense toutefois que ces dissidents ont joué un rôle beaucoup plus grand dans la genèse de l'islam que ce qu'on pense.
La raison en est la suivante. En islam, la shahada, la profession de foi par laquelle on atteste qu'il n'y a de divinité que Dieu, et que MHMD est le messager de Dieu, est le pilier numéro de la foi. C'est en la prononçant qu'on se convertit à l'islam.
Pour autant, elle est totalement absente du Coran. Nulle part dans le Coran il n'est exigé de prononcer ce serment pour adhérer à la prédication du Coran.
Cette absence est tout de même surprenante.
Plus intéressant encore, le seul endroit où un serment similaire est évoqué est au verset 63.1, où le prédicateur s'offusque qu'on prononce ce serment "nous attestons que tu es le messager de Dieu", au motif que Dieu sait bien qu'il est Son messager, et que donc ce serment est une tromperie.
Encore plus intéressant, au verset 63.1, ce sont ces fameux dissidents qui prononcent ce serment.

La shahada n'apparaît mentionnée dans l'histoire qu'à partir du règne d'Abd al-Malik.
Sa ressemblance avec le serment du verset 63.1 indique qu'elle a été colportée au fil du temps par ces dissidents, ou bien un mouvement initié par les dissidents d'origine.
Évidemment, ces dissidents ne se désignaient pas comme dissidents eux-mêmes, mais certainement comme croyants, voire comme musulmans.
Du point de vue des collecteurs ultérieurs de traditions, ils sont donc certainement indiscernables des autres croyants et des autres musulmans. Encore une fois, il a dû leur être compliqué de faire la part des choses quand tout le monde revendique les mêmes qualités.

Bien que le Coran soit passablement évasif sur les raisons de cette dissidence, il semble tout de même, et on retrouve un peu cette idée dans la Tradition, que ces dissidents voulaient se concilier le pouvoir arabe, contre lequel luttait le prédicateur.
C'est-à-dire utiliser l'élan de la prédication coranique pour promouvoir une inflexion politico-religieuse avec le pouvoir arabe.
Avec bien sûr à la clé, d'éventuels avantages en terme politique, financier, etc.
D'où le dépit du prédicateur, qui estime donc se faire rouler par ces dissidents.

Toutefois, en dépit de ses menaces de tout dévoiler de leurs agissements (verset 9.64), il n'en sera rien, à moins que cette partie n'ait pas été transmise.
Il s'agissait peut-être de ne pas totalement se couper d'eux au cas où (voir le verset 57.13 où leur sort auprès de Dieu semble assez ambigu).

Ultérieurement, sous le règne d'Abd al-Malik, ce mouvement initié par la dissidence originelle plusieurs décennies auparavant est nécessairement devenu un maillon essentiel entre le calife et les mouvements se réclamant de la prédication coranique.
Eux seuls auraient été en mesure d'avoir des relais auprès de l'entourage du calife tout en étant capable d'instrumentaliser l'interprétation du Coran dans l'intérêt du calife.
Eux seuls pouvaient concilier l'histoire de MHMD et de ses successeurs avec celle du prédicateur du Coran et de condenser ainsi les deux personnages en un seul, parce que précisément depuis le début, ils étaient dans une démarche de conciliation entre les deux tendances.

Si on fait le bilan :
* des différents arguments qui précèdent, il y en a pour lesquels j'ai pu apporter une démonstration, et d'autres qui me semblent malheureusement indémontrables, en tout cas à partir de ce dont j'ai connaissance.
* le Coran était au départ un texte d'opposants farouchement opposés à la manière dont le pouvoir arabe a fondé un Etat vers 620/621. C'est le décodage par la pensée judaïque antique qui l'indique.
* Le premier dirigeant avait le titre ou le nom de MHMD, ce qui implique que la prédication coranique était dirigée contre MHMD et non pas émanait de lui.
* les guerres de Ridda ont certainement eu lieu beaucoup plus tôt que ce qu'indique la Tradition, et les premières sourates (en particulier la sourate 2) ont vraisemblablement été écrites dans ce contexte.
* la prédication coranique a vraisemblablement continué à se diffuser via des canaux non contrôlés d'opposants aux successeurs de MHMD.
* Ces oppositions récurrentes galvanisées par le Coran ont vraisemblablement motivé le calife Abd al-Malik à la fin du 7e siècle à s'en emparer à son tour pour leur couper l'herbe sous le pied.
* les dissidents (munafiqun) ont vraisemblablement joué un rôle fondamental dans l'intégration du Coran au sein du corpus de traditions des Arabes de plusieurs manières :
-- en restant en lien avec le pouvoir politique en dehors de mouvements d'opposants
-- en réorientant l'interprétation du Coran dans un sens plus favorable au pouvoir politique afin d'en neutraliser le contenu contestataire
-- en produisant des narrations capables de concilier des narrations historiques opposées.
-- bien entendu, ces dissidents ne se désignaient pas eux-mêmes sous ce vocable munafiqun.
Ils n'avaient peut-être même conscience d'être visés ainsi par ce terme.
On tiendrait peut-être là une explication de certaines exégèses du verset 2.11 qui indiquent que ces sont les munafiqun qui étaient visés.
-- ce rôle supposé des dissidents donne une coloration un peu "complotiste" à la thèse que je défends. Toutefois, ces dissidents sont mentionnés dans le Coran. Je ne fais que supposer qu'ils n'ont pas disparu comme par magie.
* ces deux modes de transmission, via des canaux non contrôlés d'opposants, et via des dissidents prêts se concilier le pouvoir, expliquent, je pense, très bien pourquoi le sens d'origine du Coran s'est perdu, et pourquoi on n'est pas capable d'expliquer facilement la présence de certains mots dans le Coran.

Yacine

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 30 août24, 10:17

Message par Yacine »

Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25 Bien que foncièrement mal vue parce que considérée à la limite du polythéisme, la sorcellerie se pratique aussi chez en terre musulmane sans que ceux qui s'y adonnent soient formellement déclarés apostats.
Juste en passant, cela est faux.
Lévitique 18:25 Le pays en a été souillé; je punirai son iniquité, et le pays vomira ses habitants

Anoushirvan

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 30 août24, 18:12

Message par Anoushirvan »

Yacine a écrit : 30 août24, 10:17 Juste en passant, cela est faux.
Faux, c'est-à-dire que ceux qui font de la sorcellerie sont vraiment déclarés apostats ?
Si on va par là, il faudrait déclarer l'ensemble du Maroc et des pays africains musulmans apostats.
Au Maroc, la sorcellerie est tellement pratiquée que je suis tombé par hasard sur une séance de sorcellerie en me baladant sur la plage de Casablanca.
En lisant un bouquin sur l'Afghanistan, à l'autre bout, j'y ai appris qu'on donnait très vite des surnoms aux gens (laqab) pour éviter qu'ils soient la cible des sorciers.
Mais les sorciers n'agissent que parce qu'ils ont des clients.

Yacine

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 30 août24, 19:53

Message par Yacine »

Il y a aucun doute la dessus, la sorcellerie est peut être le seul méfait qui mène direct à l'apostasie, contrairement à ce que j'ai expliqué pour la cas de la Riba par exemple. D'autant plus qu'elle n'est pratiquée qu'a travers des rituels qui visent à souiller tout ce qui est saint en Islam, comme piétiner le Coran, écrire des versets avec des excréments et des saletés etc. Il faut bien entendre ce que rapporte bon nombre de sorciers repentis.

Tu fais du beau travail de recherche et d'analyse même si on peut être en désaccord sur la majorité de ce qui est dit, mais on ne peut qu'admirer la beauté de la démarche et de l’étalage. Ceci étant, il me semble aussi que il te manque un peu du coté de la théologique islamique, alors que là c'est comme sauter une étape pour une personne ex-musulmane. Mais là aussi je présume d'après votre pseudo que tu es d'origine iranienne, et l'Islam iranien chiite déjà inculque au gens tout sauf un Islam naturel.
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Anoushirvan

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 30 août24, 22:30

Message par Anoushirvan »

Non non, je suis bien d'origine sunnite, je n'ai rien à voir avec le chiisme.

Seleucide

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 02 sept.24, 00:47

Message par Seleucide »

Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25En essayant de comprendre la relation entre le Coran et christianisme et judaïsme, et de comprendre la pensée judaïque antique, je suis tombé sur le midrash. Le midrash est un enseignement judaïque de la volonté divine dans lequel on crée un texte à partir d'autres textes, en utilisant des jeux de mots, des allégories, de métaphores, des allitérations qui renvoient à une double entente ("que celui qui a des oreilles entende"). Ce procédé m'a fait penser au "tartil" des coranistes. En fait, sans le savoir, Dukhani que j'ai cité plus haut lisait le Coran selon le mode du midrash. Je lui ai d'ailleurs fait la remarque en commentaire d'un de ses textes.
Peux-tu donner des exemples précis de procédés midrashiques qui seraient à l'oeuvre dans le Coran ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Le milieu au sein duquel le Coran a été écrit n'était certainement pas polythéiste tel que le raconte la Tradition musulmane. Les différents travaux de Christian Julien Robin sur l'Arabie à la veille de l'Islam montre que le polythéisme n'y était plus que résiduel si toutefois il existait encore. Gerald Hawting, dans Ideas of Idolatry, montre que, si on ne disposait pas de la Tradition musulmane, on ne lirait pas le Coran comme un texte s'adressant à des polythéistes, mais comme un texte polémique utilisant l'accusation classique d’idolâtrie envers des adversaires religieux pratiquant déjà un monothéisme judéo-chrétien. Gerald Hawting n'identifie pas formellement ce qu'était ce monothéisme judéo-chrétien que devaient pratiquer les adversaires de l'auteur du Coran, mais avance qu'ils croyaient sans doute au pouvoir des anges et d'autres êtres intermédiaires, comme les jinns, ainsi que dans la sorcellerie. Or ce type de croyance au pouvoir des anges, des jinns, etc, existe en Islam sans que ce soit considéré comme du polythéisme, puisque de toute façon, le Coran mentionne leur existence.
En ce qui concerne le polythéisme et les idoles, je suis d'accord sur le décalage entre tradition islamique et données coraniques d'une part, données historiques d'autre part. Je retiens surtout de Hawting, d'une part qu'il fallait être prudent avec le caractère polémique de bien des données coraniques, la polémique ayant en effet une propension à déformer et ridiculiser la position de ses adversaires, d'autre part que la qualification d'idolâtre, voire de polythéiste, est un motif récurrent dans les disputes intra-monothéistes. Pour le reste, je n'ai pas été entièrement convaincu par sa lecture du Coran.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25En fait, et malgré des réticences comme celles exprimées ici https://www.academia.edu/42788512/Quest ... arly_Islam, je pense qu'il est assez clair que le Coran s'adressait à des croyants juifs ou judéo-chrétiens principalement gnostiques. Le verset 5.116 fait allusion à une Trinité faite du Père, de la Mère et du Fils. Ce genre de trinité ne se trouve pas dans le christianisme trinitaire mais dans le gnosticisme, et en particulier dans le l'Apocryphe de Jean : http://www.gnosis.org/naghamm/apocjn-davies.html
Il y a plusieurs hypothèses pour expliquer ce verset. On a effectivement dit qu'il pouvait s'agir d'un reliquat de judéo-christianisme dont les tendances resteraient à définir. D'autres pourtant évoquent une argumentation par l'absurde, précisément dans un contexte polémique, ce qui me semble possible. D'autres enfin considèrent qu'il s'agit d'une erreur du locuteur coranique, ce que j'ai du mal à croire. Au final, on ne sait pas très bien comment comprendre ce verset.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Plus important, le verset 2.3 s'adresse aux gens qui croient dans l'"invisible", al-ghayb. Le gnosticisme n'est pas une croyance unique, mais une famille de croyances assez diverses, certaines plutôt juives, d'autres plutôt judéo-chrétiennes, d'autres plutôt syncrétiques, mais dont on peut dire que le point commun est la croyance dans une doctrine où le salut est assuré par la connaissance du monde invisible divin.
Il me semble que Chabbi a écrit sur le sujet selon le point de vue de l'anthropologie historique.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Le gnosticisme s'accorde pour dire que régulièrement dans l'histoire de l'humanité, des messagers, angéliques ou humains, sont suscités par le divin pour stimuler les âmes, les éveiller, et leur faire accéder à la connaissance de l'invisible, et donc au salut. Les textes gnostiques mentionnent assez systématiquement des anges, par exemple Metatron, qui viennent révéler à leurs auteurs un savoir caché. Cette thématique des messagers qui reviennent à différentes époques n'existe pas dans la tradition biblique classique, juive ou chrétienne : il y a certes des patriarches et des prophètes, mais rien qui ressemble à un cycle comme il apparaît dans le Coran. Or on retrouve cette idée de cycles de messagers dans différents courants gnostiques, par exemple le manichéisme.
Je crois qu'on retrouve aussi cela dans le montanisme.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Je vois deux raisons au fait que le Coran raconte l'histoire de la création d'Adam de cette façon plutôt qu'à la manière de la Genèse : * la première est reliée aux thèses gnostiques : dans la péricope coranique, les anges qui vivent pourtant dans la proximité divine se révèlent incapables de faire accéder la "terre" au salut, seul un messager mandaté par Dieu, ici Adam, le peut. Le prédicateur coranique rejette la thèse gnostique que la connaissance de la réalité divine peut faire accéder au salut.
Est-ce que tu peux argumenter pour justifier cette interprétation ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Khalif veut dire successeur. Donc Dieu, dixit le verset 2.30 veut placer sur la terre un successeur. Mais succéder à quoi ou à qui précisément ? A Dieu lui-même, Adam étant supposé être le premier homme sur terre ? Il y a en effet des interprétations mystiques de ce genre, en particulier dans le soufisme. Mais je pense que ça signifie autre chose, et là encore, il faut se tourner vers la pensée judaïque antique pour comprendre. Khalif dans le contexte du verset 2.30 désigne les héritiers de la terre (concept qui revient ailleurs dans le Coran), ou encore les héritiers de la promesse, c'est la même chose. La promesse en question est celle au sujet de la terre promise. Au sens littéral, la terre sainte conquise par Josué, mais l'expression doit se lire au sens eschatologique comme une prophétie perpétuellement à l'inaccompli jusqu'à ce que la fin des temps advienne. Dans une perspective eschatologique, la terre désigne, non pas le globe terrestre, si tant est qu'on pensait que la Terre était ronde, mais l'ensemble des nations. Hériter de la terre signifie porter le salut à la fin des temps pour l'ensemble des nations. L'expression "fin des temps" est à lire au sens messianique : c'est la venue du Messie, la fin de l'Exil pour le peuple d'Israël, la restauration du Temple, une Loi renouvelée et allégée, l'entrée des nations (des païens) dans l'Alliance avec Dieu, etc. Dans le contexte des divisions internes au judéo-christianisme ancien, le débat était de savoir quelle obédience serait légitime à hériter de la terre lorsque la fin des temps adviendra, et possiblement de laquelle sortira le Messie. L'histoire d'Adam dans le Coran, dans la péricope 2.30-2.33 a beau être une histoire de création, il faut la lire au sens eschatologique, au sujet de la promesse qui doit s'accomplir, qui va s'accomplir, à la fin des temps.
Khalîfa peut aussi signifier représentant, représentant de Dieu sur terre. Reynolds a fait toute une étude sur le sujet en montrant le sous-texte para-biblique de cette histoire (imago Dei, le Christ premier Adam etc). Je ne suis pas loin de penser qu'il faut traduire ainsi.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25A travers cette histoire, le prédicateur de la sourate 2 veut signifier les choses suivantes : * ne peuvent être les héritiers de la terre et de la promesse, et apporter le salut aux nations, ceux qui "sèment la corruption" ("fassada") sur la terre * la connaissance intime du divin n'est d'aucune utilité pour en vue du salut, surtout quand elle est revendiquée par ceux qui "sèment la corruption" sur la terre * seuls les messagers envoyés par Dieu peuvent faire accéder l'humanité au salut.
Je ne suis convaincu, ni par ton premier point, ni par ton second.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Pour en revenir aux versets 2.11 et suivants, ainsi qu'à la péricope 2.30-2.33, nous sommes dans une situation historique et politique qui, qu'elle soit perçue par le prédicateur, ou telle que le prédicateur rapporte la perception de ses adversaires (c'est-à-dire ceux dont il rapporte qu'ils se prétendent "muslihun"), appelle à un changement digne des temps messianiques. Ceux à qui le prédicateur s'oppose sont en train de mettre en œuvre un nouveau système politico-religieux (ça se dit "din" en arabe coranique), mais ce système, le prédicateur le dénonce comme tyrannique. On tient certainement ici le point de discorde fondamental entre le prédicateur coranique et ses adversaires : le prédicateur rejette le salut gnostique par la connaissance du divin parce que cette conception, telle que mise en œuvre par les adversaires du prédicateur, ne les incite pas à développer un système de lois conforme à l'éthique que Dieu voudrait, et par conséquent, conduit à la tyrannie.
Si je comprends bien ta lecture, le prédicateur s'oppose à des groupes messianiques gnostiques. Ils hâtent la venue du messie en provoquant les tribulations par leur violence, et ils prétendent que cela a pour but d'alléger ou de redonner un esprit nouveau à la loi. S'ils réforment, ils réforment la loi ou leur compréhension de la loi, qui mène peut-être à des excès ce que le prédicateur considère être un abandon de la loi qu'il dénonce.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Après la péricope sur la création d'Adam et le péché originel (que je n'ai pas expliqué), on trouve une exhortation aux "fils d'Israël", puis un rappel de l'histoire de Pharaon et de Moïse. A ce propos, il ne faut pas comprendre dans l'expression "fils d'Israël" les juifs en général, mais la société à laquelle appartenait le prédicateur et ses adversaires. Je reviendrai après là-dessus.
Attendons donc que tu reviennes là-dessus.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Moïse, faut-il le rappeler, fut le "Législateur des Hébreux", selon une formule empruntée à Flavius Josèphe. Son souvenir est convoqué ici, non pas pour appeler les juifs à suivre Mahomet comme le prétend la Tradition islamique, mais parce que dans la polémique sur la conception du salut que j'ai exposée ci-dessus, le prédicateur rappelle que quand on se désigne comme "fils d'Israël", la Loi doit faire partie de l'identité. Le prédicateur rappelle ainsi opportunément aux verset 2.44-2.45 que réciter la Torah, le "Livre", pendant la prière, implique aussi de suivre la Loi divine.
L'interprétation est cohérente.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Ainsi, les versets 2.51 et 2.54 rappellent la faute biblique du veau d'or pendant que Moïse était auprès de Dieu pour recueillir les commandements. Ici, le mot "veau" dans le Coran fait appel à un procédé typique du midrash qui est la double-entente. Veau dans le Coran se dit ʿij'l (عِجْل), mais le mot est en assonance avec le verbe ajila (عَجِلَ), le nom ʿajal (عَجَل), l'adjectif ʿajūl (عَجُول), de manière général les mots formés sur la racine ʿayn jīm lām (ع ج ل) et dont le champ lexical recouvre celui de la hâte et de l'impatience. C'est-à-dire que le prédicateur, à travers le mot ʿij'l (عِجْل) / veau, veut qu'on entende la notion d'impatience et d'immédiateté. C'est ce qu'on appelle la double-entente, et c'est typique du midrash. C'est aussi un procédé qu'on retrouve ailleurs dans le Coran.
Ici, je serais un peu plus réservé. Il faudrait que tu puisses argumenter pour montrer qu'il s'agit bel et bien d'un procédé midrashique, et pas d'une interprétation arbitraire sortie d'on ne sait où.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Les versets 2.65 et 2.66 parlent de ceux des fils d'Israël qui ont "transgressé le shabbat" et sont ainsi traités de singes abjects. Transgresser le shabbat est une expression qui n'a rien à voir avec le fait d'allumer un feu le samedi, ou tout autre activité traditionnellement interdite pendant le shabbat. Transgresser le shabbat est une expression eschatologique pour décréter que la fin des temps c'est maintenant.
Et comment es-tu arrivé à cette conclusion ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Pour ma part, je pense que le Coran dans ces versets 2.65 et 2.66 fait référence aux événements de Jérusalem en 614-617, et en particulier à l'épisode de Néhémie ben Hushiel (https://en.wikipedia.org/wiki/Nehemiah_ben_Hushiel). Néhémie ben Hushiel, selon diverses narrations, s'était déclaré Messie, à la faveur de la politique favorable aux Juifs de la part des Perses qui contrôlaient Jérusalem depuis 614. Il entreprit de reconstruire le Temple. Des témoignages de chroniqueurs chrétiens racontent les massacres commis contre les chrétiens à Jérusalem par les Juifs et les Perses à ce moment-là. Puis les Perses changèrent de politique, et favorisèrent les chrétiens. Néhémie ben Hushiel fut tué ainsi que de nombreux juifs en 617, mettant fin au rêve messianique des Juifs. Puis Jérusalem fut reprise par les Byzantins.
J'ai l'impression que tu surinterprètes beaucoup le texte coranique, tout de même.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Dans la tradition juive ancienne, cet épisode a été ensuite interprété dans un sens eschatologique, voire a peut-être été écrit dès le début en ce sens. Au sens eschatologique, la faute des explorateurs désigne la réticence de la part d'une partie des Juifs à préparer les conditions de l'entrée dans l'ère messianique promise et le monde à venir.
La curieuse expression employée par le Coran "entrez par la porte" est en fait une expression qu'on retrouve souvent dans la pensée juive ancienne, midrashs, Nouveau Testament, etc., et désigne symboliquement le fait de se convertir, plus spécialement au monde à venir.
Derrière ces versets 2.58 et 2.59, le prédicateur de la sourate 2 reproche donc à ses adversaires de commettre la faute des explorateurs en ne préparant correctement l'entrée dans le monde à venir.
Sur la portée eschatologique de ce passage dans le patrimoine rabbinique, tu as des sources peut-être ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Parvaneh Pourshariati dans son ouvrage Décline and Fall of the Sasanian Empire, consacré à la chute de l'empire perse a montré de façon très brillante et précise, en croisant les textes racontant la conquête arabe de la Perse avec des sceaux royaux de l'époque que les Arabes auraient commencé à attaquer la Perse beaucoup plus tôt que ce que raconte la Tradition islamique. Plutôt vers 627 que vers 636. Or en 627, Mahomet était réputé être en grande difficulté à Médine. Par ailleurs, la conquête de la Perse est réputée avoir eu lieu après les guerres de Ridda, placées entre 632 et 634. Il serait logique de respecter cet ordre chronologique en déplaçant le début de la conquête de la Perse de 636 à 627, ce qui placerait les guerres de Ridda par exemple vers 623, voire peut-être avant, vers 620 ou 621. En effet, face à des Arabes affaiblis par leurs guerres internes, les Perses n'auraient eu certainement aucun mal à reprendre le dessus à ce moment-là.
J'ai entendu parler de la thèse de Parvaneh Pourshariati. Je ne sais pas du tout ce qu'elle vaut, il faudrait que je lise les comptes rendus qui en ont été faits.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Je fais l'hypothèse qu'il s'est passé la chose suivante.
La guerre entre les deux grands empires, byzantin et perse, a été vu comme un signe que le Messie allait venir ou revenir, car dans la pensée juive antique, l'affrontement des empires est un signe de la fin des temps.
Cette vision a suscité différents prophètes en Arabie se prenant pour le Messie.
L'un d'eux au Hedjaz vers 620 ou 621 a pris le titre énigmatique de MHMD, que je ne m'explique pas très bien mais qui semble avoir une résonance messianique, et a entrepris de fédérer toute l'Arabie sous sa férule, ce qui a engendré les guerres dites de Ridda, qui feront l'objet plus tard d'une réinterprétation par la Tradition islamique.
Un de ses opposants a alors entrepris de rédiger une série de sermons pour dénoncer cette façon de faire.
Ces sermons plus d'autres seront plus tard rassemblés dans l'ouvrage qu'on appelle aujourd'hui "Coran".
Et qu'en est-il de l'hégire dans ta thèse ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25A la mort de MHMD, un successeur lui est désigné, qui prend aussi un nom messianique : Abu Bakr, le père de la Vierge, c'est-à-dire non pas le père d'Aïcha, mais le "père" du Nouvel Israël.
Là encore, même si je salue l'interprétation ingénieuse, elle me semble quelque peu artificielle. Ne devrait-ce pas être, d'ailleurs, Abû Bikr, père de la Vierge ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25On a donc de MHMD à Mu'awyia une succession de chefs arabes dont les narrations rapportent, soit directement, soit indirectement, qu'ils ont prétendu au titre de Messie revenu sur terre.
Pour Abu Bakr, Uthman, Mu'awiyya, la chose est vraiment douteuse. Qu'en est-il du titre khalîfa dans cette thèse ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Le cycle s'est cassé lorsque le pouvoir a décidé de s'emparer de cette prédication : c'est ce qu'a fait le calife Abd al-Malik à la fin du 7e siècle, et c'est à ce moment qu'on commence à voir le Coran vraiment entrer dans l'histoire (cf Fred Donner, Qur’ânicization of Religio-Political Discourse in the Umayyad Period https://journals.openedition.org/remmm/7085?lang=fr). Je n'ai pas malheureusement pas de références précises à donner sur ce point, juste une hypothèse que je trouve logique : Abd al-Malik a probablement commandé à différents savants religieux de produire une narration racontant l'accomplissement de la promesse, sans trop remettre en cause ses prédécesseurs qui constituaient l'assise de son pouvoir.
Et nous n'avons aucune trace d'une autre vision de l'histoire ? La tradition arabe, orale, a été entièrement réécrite sans ne laisser aucun souvenir, aucun hiatus ? Je veux bien qu'il y ait eu des reconstructions, mais l'absence de traces, de traditions, de versions de l'histoire concurrente laisse quelque peu pantois. N'est-ce pas donner un peu trop de pouvoir au calife ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Comme si plusieurs narrations avaient été élaborées en parallèle avant que l'une d'elles, celle que nous connaissons aujourd'hui, s'impose sur les autres.
Mais les sources arabes ne rapportent qu'une version ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25Que penser des narrations selon lesquelles le Coran aurait été compilé sous les ordres du troisième calife, Othman ? Il y a plusieurs hypothèses envisageables. Il se peut que le Coran ait en effet été compilé à l'époque d'Othman, mais que "à l'époque" ait ultérieurement été compris comme "sous les ordres de". Une autre hypothèse est qu'il aura fallu un peu atténuer la mauvaise réputation d'Othman en lui attribuant un mérite quelconque par charité. Il y a une autre hypothèse qui m'a été inspirée à partir une remarque fondamentale trouvée chez Alfred-Louis de Prémare, les Fondations de l'Islam. Si on admet que le mot arabe qur'an vient du syriaque qeryana qui signifiait lectionnaire, alors ce mot en arabe n'a certainement pas été inventé pour désigner le seul Coran dont nous parlons. Mais qu'au contraire, il y a eu très certainement de multiples lectionnaires différents, et donc autant de corans tous différents les uns des autres. Quand les collecteurs ultérieurs de traditions ont rassemblé les narrations rapportées au sujet du "coran", comment être sûr que ces narrations parlaient bien du Coran dont nous parlons ?
Quelles traces avons-nous de ces autres lectionnaires ?
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25* les chiites qui se plaignent qu'on a enlevé du Coran les passages où Mahomet désigne Ali pour lui succéder. C'est totalement impossible que ce genre de passage ait jamais existé dans le Coran dont nous parlons, mais ça pourrait s'expliquer si le premier Messie arabe MHMD avait un lectionnaire (un "coran") dans lequel il désignait quelqu'un de sa famille comme successeur. * des hadiths qui mentionnent des passages ou des sourates qui n'existent pas. * une mystérieuse sourate la Chamelle mentionnée par Jean de Damas, qui ne se trouve pas dans le Coran.
Le Coran a une histoire de rédaction à établir, une histoire de production aussi, à la fois orale et écrite, ce qui rend la chose compliquée. Il est possible que des passages aient été supprimées (la tradition islamique évoque elle-même des cas d'abrogation). Pour Jean de Damas, je ne m'explique pas son témoignage : le seul Coran auquel il a pu avoir accès est un Coran établi par la famille omeyyade, donc un Coran similaire au nôtre.
Anoushirvan a écrit : 30 août24, 09:25* Le premier dirigeant avait le titre ou le nom de MHMD, ce qui implique que la prédication coranique était dirigée contre MHMD et non pas émanait de lui.
Comment interprètes-tu les versets coraniques qui évoquent Muhammad ?
Il faut d'abord avoir raison. Une idée fausse est une idée fausse.

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 02 sept.24, 19:36

Message par Yacine »

Seleucide a écrit : 02 sept.24, 00:47 Ne devrait-ce pas être, d'ailleurs, Abû Bikr, père de la Vierge ?
Bah oui
Lévitique 18:25 Le pays en a été souillé; je punirai son iniquité, et le pays vomira ses habitants

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 02 sept.24, 20:26

Message par Anoushirvan »

Yacine a écrit : 02 sept.24, 19:36Bah oui
Bakr c'est une jeune chamelle déjà assez grande.
J'ai toujours entendu dire que ce surnom lui avait été donné par rapport à Aïcha, sa fille, bien sûr vierge avant son mariage avec Mahomet.
Maintenant, si tu me dis que c'est pas ça l'origine de ce surnom, et que c'est une autre raison, je te crois volontiers parce qu'il y a tellement de récits contradictoires dans la tradition islamique que ce qu'on peut entendre d'un côté peut être contredit par un autre récit d'un autre côté.

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 02 sept.24, 21:10

Message par Yacine »

Anoushirvan a écrit : 02 sept.24, 20:26 J'ai toujours entendu dire que ce surnom lui avait été donné par rapport à Aïcha, sa fille,
Ca je l'ai jamais entendu. Ce que je sais c'est que cela était son surnom depuis toujours, alors que son vrai prénom c'est Abdallah. Dans toutes la Tradition on trouve que AbuBakr, alors que sa fille Aïcha n'est née que bien plus tard.
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Anoushirvan

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 02 sept.24, 21:36

Message par Anoushirvan »

Malheureusement c'est une chose dont j'ai entendu parler à l'époque où j'étais encore musulman et où je ne me souciais pas des sources et de l'origine des informations.
Il est possible que j'ai pu trouver ça dans le Mathnawi de Rumi. Mais si c'est le cas, le livre est beaucoup trop gros pour que je retrouve le passage facilement.

Anoushirvan

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Re: donnez la preuve qu'ismael est ancêtre des arabes

Ecrit le 13 sept.24, 21:59

Message par Anoushirvan »

Seleucide a écrit : 02 sept.24, 00:47 Peux-tu donner des exemples précis de procédés midrashiques qui seraient à l'oeuvre dans le Coran ?
Peut-être conviendrait-il avant d'expliquer un peu plus le midrash.
Il y a un consensus pour dire que le midrash est une forme d'exégèse de la Bible.

Cependant Paul Mandel, dans Origin and Nature of the Midrash a montré que cette idée était certainement erronée.
Le midrash, selon Mandel, est un enseignement de la Loi et de la volonté divine.
Le midrash n'est pas entre un exégète et un texte, mais entre un enseignant et des disciples, pour reprendre son expression.

Sur la forme, le midrash est un genre littéraire qui produit des textes à partir d'autres textes par allusion, allitérations, allégories, paraboles, métaphores, jeux de mots, gématrie.

La forme littéraire spécifique du midrash est responsable des similitudes qu'on détecte entre différents textes produits par la pensée judaïque au cours des siècles, par exemple entre les évangiles et la Torah, voire d'autres midrashs ou même le Talmud.

Le midrash en général ne donne pas ses clés d'interprétation. C'est au lecteur ou à l'auditeur de comprendre.
Le risque est bien sûr qu'une rupture de transmission engendre une perte de sens.

Personnellement, je distingue trois composantes dans le genre littéraire midrashique :
* Les paraboles, allégories et métaphores ne sont pas arbitraires mais forment un code, lexique ou dictionnaire.
Par exemple, l'occident renvoie à la fin des temps, l'orient à la résurrection.
Ou encore, le pain, le vin, l'eau, le vêtement sont autant de métaphores de la loi (et il y en a d'autres).
Ce code se retrouve aussi dans le Talmud alors même que le Talmud est normalement considéré comme un genre distinct du midrash.

* Les allitérations, jeux de mots, gématrie (en hébreu, syriaque, et éventuellement arabe), destinés à faire entendre une idée, insister dessus. C'est la double-entente.

* Des récits de base, dans la Bible, des apocryphes, d'autres midrashs, pourvoyeurs d'allusions diverses.

A partir du code, de la double-entente, des récits de base, un savant religieux prodiguait ses enseignements, si besoin en créant un nouveau récit.


Le Coran en tant qu'exposé de la volonté divine pourrait être un midrash sur le fond, mais ce serait abusif de clamer ça, car on attend du midrash qu'il ait aussi, et d'abord, la forme littéraire associée.


De manière générale, les histoires d'origine bibliques dans le Coran relèvent du genre midrashique à un degré ou l'autre, principalement par le code, ainsi que dans une moindre mesure par la double-entente (la langue arabe se prêtant moins bien aux allitérations et jeux de mots portés originellement par les récits en hébreu, et pas du tout à la gématrie).
A condition de reconnaître le point crucial que je développe après au sujet de Hawting.

Je reviendrai après sur l'histoire de Moïse et du veau pour expliciter la démarche.

Voici un autre exemple, plus simple, dans la sourate 19 (Maryam), verset 2

ذِكْرُ رَحْمَتِ رَبِّكَ عَبْدَهُ زَكَرِيَّا

Traduction de Hamidullah : C’est un récit de la miséricorde de ton Seigneur envers Son serviteur Zacharie.

Voici le verset arabe en phonétique : Dhikru Raĥmati Rabbika `Abdahu Zakarīyā
Il y a une allitération partielle entre le mot dhikr et le nom Zacharie.
L'allitération est partielle parce qu'en arabe, la lettre dh de dhikr et la lettre z de Zacharie sont différentes, et se prononcent un peu différemment.
Alors qu'en hébreu et syriaque, les allitérations sont totales.

Cependant, ce verset est une allusion au verset 1.72 de Luc (ou éventuellement un texte similaire) :
1.67 Zacharie, son père, fut rempli d’Esprit Saint et prononça ces paroles prophétiques :
1.68 « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple.
(...)
1.72 amour qu’il montre envers nos pères, mémoire de son alliance sainte,

Dans les anciennes traductions en syriaque des évangiles, qu'on appelle Peshitta, ce verset 1.72 donnait en translittération :
dnᶜbd ḥnnᵓ ᶜm ᵓbhyn wᵓtdkr ldytqwhy qdyštᵓ
J'ai souligné le mot qui renvoie à "mémoire" ou souvenir, ou rappel.
(Les traductions syriaques plus récentes utilisent un autre mot pour dire mémoire).

Ce genre d'allitération a pour but de créer une entente sur le mot dhikr, le souvenir ou le rappel.
Le souvenir est un concept-clé dans la pensée juive ancienne : c'est que Dieu allait se souvenir de son peuple (Israël) et lui envoyer un sauveur.
L'histoire de Zacharie, c'est cela, tant dans les évangiles que dans le Coran.

C'est pour cela que le mot dhikr est omniprésent dans le Coran.
Mais on retrouve cette entente par assonance via le mot dhakar, mâle, dans certains versets.
Par exemple le verset 3.36 de la sourate 3 (la famille d'Imran)

فَلَمَّا وَضَعَتْهَا قَالَتْ رَبِّ إِنِّي وَضَعْتُهَا أُنثَى وَاللَّهُ أَعْلَمُ بِمَا وَضَعَتْ وَلَيْسَ الذَّكَرُ كَالْأُنثَى وَإِنِّي سَمَّيْتُهَا مَرْيَمَ وَإِنِّي أُعِيذُهَا بِكَ وَذُرِّيَّتَهَا مِنَ الشَّيْطَانِ الرَّجِيمِ

Puis, lorsqu'elle en eut accouché, elle dit: « Seigneur, voilà que j'ai accouché d'une fille » or Allah savait mieux ce dont elle avait accouché ! Le garçon n'est pas comme la fille. « Je l'ai nommée Maryam, et je la place, ainsi que sa descendance, sous Ta protection contre le Diable, le banni ».
Falammā Wađa`at/hā Qālat Rabbi 'Innī Wađa`tuhā 'Unthá Wa Allāhu 'A`lamu Bimā Wađa`at Wa Laysa Adh-Dhakaru Kāl'unthá Wa 'Innī Sammaytuhā Maryama Wa 'Innī 'U`īdhuhā Bika Wa Dhurrīyatahā Mina Ash-Shayţāni Ar-Rajīmi

Wa Laysa Adh-Dhakaru Kāl'unthá : Le garçon n'est pas comme la fille, voilà une phrase pour le moins curieuse. Bien sûr que le garçon n'est pas comme la fille, pourquoi ce besoin de le préciser ?

Mais ça se comprend si ce verset est analysé sous l'angle du midrash : le Coran veut faire entendre le mot "dhikr" derrière dhakar.
Pourquoi cela ?
Tout d'abord, il faut remarquer la déception de la femme d'Imran : elle attendait un "dhakar" mais elle a accouché d'une fille, Maryam.
Dans les traditions tant chrétiennes que musulmanes, Marie / Maryam est parée de toutes les vertus.
C'est la femme modèle, la meilleure, le Coran le dit aussi, d'ailleurs un peu plus loin.

Mais le Coran (et aussi les évangiles d'ailleurs, mais ça se voit moins bien) est plus ambigu qu'il n'y paraît au sujet de Maryam.
Au verset 19.20, au sujet de l'annonce qu'elle va avoir un fils sans avoir connu d'homme :

Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m’a touchée, et que je ne suis pas prostituée ? »

Elle exprime ici sa profonde incrédulité (similaire à celle d'Abraham à l'annonce qu'il va avoir un fils, similitude qui procède typiquement du genre midrashique).
Explication : Maryam, ou la vierge, c'est métaphoriquement la communauté des pieux, ou le Nouvel Israël.
Ils ne se compromettent pas avec l'idolâtrie (ils sont "vierges", ils ne sont pas sous la tutelle de Baal, qui veut aussi dire le mari).
Ils n'ont qu'un défaut, le seul : ils estiment n'avoir pas besoin de sauveur, ni ne se sentent légitimes à porter la bonne nouvelle aux nations païennes.
L'Esprit de Dieu va alors un peu les forcer à sortir de leur zone de confort : Kāna 'Amrāan Maqđīyāan, c'est une affaire déjà décidée.

Déjà dans le chapitre 12 du livre des Nombres, Miriam, sœur d'Aaron et de Moïse, et dont Maryam est le clone midrashique, avait refusé que Moïse porte la bonne parole aux païens, et avait été frappée par la lèpre en punition.
Enfin...techniquement Miriam avait critiqué que son frère épouse une femme païenne, mais ça que ça veut dire.

Donc pour en revenir à dhakar / dhikr, le Coran veut faire entendre que ce n'est pas cette communauté des pieux elle-même qui sera l'héritière de la promesse (Maryam n'est pas directement l'héritière attendue), mais c'est par elle et un messager issu d'elle que se manifestera le rappel, dhikr, de la promesse (mais c'est par Maryam que l'héritier arrivera).


Un peu plus loin, on a le verset 19.7 :
يَا زَكَرِيَّا إِنَّا نُبَشِّرُكَ بِغُلَامٍ اسْمُهُ يَحْيَى لَمْ نَجْعَل لَّهُ مِن قَبْلُ سَمِيًّا
"Ô Zacharie, Nous t'annonçons la bonne nouvelle d'un fils. Son nom sera Yahya. Nous ne lui avons pas donné auparavant d'homonyme."
Yā Zakarīyā 'Innā Nubashiruka Bighulāmin Asmuhu Yaĥyá Lam Naj`al Lahu Min Qablu Samīyāan

Dans ce verset, on a au moins deux concepts midrashiques à l'oeuvre, peut-être trois, mais je ne sais pas interpréter le troisième.
Tout d'abord, très facilement, on a la forme bushira (بُشِّرَ), annoncer une bonne nouvelle. Ce mot renvoie à l'hébreu bessora, la bonne nouvelle que la promesse de salut va s'accomplir. Le mot a donné en français via le grec le mot évangile.

Ensuite, plus complexe, on a le mot ghulām (غُلَٰم).
Le mot veut dire tantôt fils, tantôt garçon.
Le fils désigne dans la pensée juive ancienne de manière allégorique le sauveur, le Messie, ou le salut.
Le Coran emploie ici ce mot ghulam à la place de l'usuel walad ou banu.
C'est que graphiquement, sans les points diacritiques, ce mot ressemble à 'alam, qui veut dire monde, mais qui renvoie plus spécifiquement au monde à venir (en hébreu, ça se dit olam haba).
On retrouve cette entente chez Isaïe quand il emploie le mot 'alma pour dire la vierge au lieu de betoula, choix qui laisse perplexe de confusions les théologiens qui ne le comprennent pas, d'autant que ce choix s'est répercuté ensuite dans les évangiles.

Il y a plusieurs autres occurrences du mot ghulam dans le Coran. Ce qu'il faut retenir, c'est que quand il apparaît dans une histoire biblique, il s'agit du fils eschatologique, celui qui sera l'héritier de la terre, et de la promesse accomplie.

Le possible troisième concept à l’œuvre dans ce verset est "nous ne lui avons pas donné auparavant d'homonyme".
Je ne sais pas expliquer en ce moment cette expression, elle renvoie sans doute au nom comme métaphore du salut, comme dans le verset 2.30, ou dans la Genèse.

J'ai d'autres exemples en apparence moins bibliques (les "houris", les fleuves du Paradis, la brûlure de l'enfer), mais je vais m'arrêter là, ça fait trop long.
En ce qui concerne le polythéisme et les idoles, je suis d'accord sur le décalage entre tradition islamique et données coraniques d'une part, données historiques d'autre part. Je retiens surtout de Hawting, d'une part qu'il fallait être prudent avec le caractère polémique de bien des données coraniques, la polémique ayant en effet une propension à déformer et ridiculiser la position de ses adversaires, d'autre part que la qualification d'idolâtre, voire de polythéiste, est un motif récurrent dans les disputes intra-monothéistes. Pour le reste, je n'ai pas été entièrement convaincu par sa lecture du Coran.
J'ai surtout cité Hawting pour dire que la démarche d'étudier le Coran sans utiliser les hadiths existait aussi dans la recherche académique et n'était pas réservée au mouvement coraniste, pas tant pour être d'accord sans réserve.

Et aussi que faire cela changeait substantiellement la signification générale du Coran.

Il y a donc un choix méthologique crucial à faire dès le démarrage de toute étude de ce genre : utiliser, partiellement ou complètement les hadiths et autres narrations de la tradition islamique pour analyser le Coran, ou ne pas du tout les utiliser, sachant que ne pas du tout les utiliser implique un choix bien mûrement réfléchi et des efforts supplémentaires.

Et non seulement ne pas utiliser les hadiths et les narrations exégétiques islamiques donne un sens assez différent au Coran, mais en plus, cela implique de faire l'hypothèse que l'auteur du texte avait pleinement conscience de ce qu'il écrivait.

Alors que quand on utilise les hadiths et les narrations exégétiques, au fond, l'auteur du texte n'a pas vraiment conscience du texte (des narrations rapportent même une sorte de transe ou d'état modifié de conscience pendant la révélation d'un verset), et il en donne la signification après-coup.
Dans cette hypothèse là, Mahomet est Pythie, puis oracle.

L'analyse que je fais ici du Coran est totalement incompatible avec les narrations exégétiques de la tradition islamique, elle suppose que l'auteur a déroulé un argumentaire véritablement construit dans chaque sourate, et qu'il ne s'agissait pas d'une simple juxtaposition de versets au gré des circonstances de la geste du prophète.
Il y a plusieurs hypothèses pour expliquer ce verset. On a effectivement dit qu'il pouvait s'agir d'un reliquat de judéo-christianisme dont les tendances resteraient à définir. D'autres pourtant évoquent une argumentation par l'absurde, précisément dans un contexte polémique, ce qui me semble possible. D'autres enfin considèrent qu'il s'agit d'une erreur du locuteur coranique, ce que j'ai du mal à croire. Au final, on ne sait pas très bien comment comprendre ce verset.
Ok.
Il me semble que Chabbi a écrit sur le sujet selon le point de vue de l'anthropologie historique.
Je n'ai lu de Jacqueline Chabbi essentiellement que le Seigneur des tribus, et j'ai écouté aussi certaines de ses interventions sur les réseaux sociaux.
Grosso modo, si j'ai bien compris, sa thèse est la suivante : Mahomet, comme d'autres prophètes à la même époque en Arabie, avait au départ une vision très locale de sa prophétie.
Sa prophétie était complètement façonnée par la culture tribale arabe, et il se voulait être avant tout le prophète du dieu de sa tribu, les Quraysh.
Ensuite, face aux juifs de Médine, il a cherché une légitimité en se réclamant des prophètes bibliques, ce qui l'a amené à étendre sa prophétie et sa prédication au-delà de sa propre tribu.
Cependant sa perception des prophètes bibliques, selon J. Chabbi, se faisait essentiellement selon le prisme de la culture tribale arabe.
Quant à al-ghayb, J. Chabbi explique que ça signifiait dans l'esprit des hommes des tribus d'Arabie l'absence de visibilité sur le futur (voir https://www.facebook.com/lesmotsducoran ... 950011948/)

De manière générale, J. Chabbi minimise passablement la signification des emprunts judaïques dans le Coran, une position qui la singularise plutôt parmi la recherche académique sur le sujet, puisqu'en général, la plupart des historiens tentent d'établir un lien entre le Coran et des courants judéo-chrétiens au Proche et Moyen-Orients.
Ceci dit, l'approche de J. Chabbi est en phase avec le narratif de la tradition islamique qui, lui aussi, minimise le rôle des emprunts judaïques dans le Coran.

Je ne suis pas totalement convaincu par son explication sur al-ghayb, en partie parce que les versets où le Coran dévoile une explication de ce concept sont souvent très proches ou même parties des histoires bibliques.
Cependant, il est envisageable que al-ghayb dans le Coran révèle une adaptation typiquement arabe d'un concept gnostique originellement judéo-chrétien.
Je crois qu'on retrouve aussi cela dans le montanisme.
Peut-être. Je ne connais pas le montanisme.
Est-ce que tu peux argumenter pour justifier cette interprétation ?
Sur le rejet du salut par la gnose, il y a de nombreux versets sur le sujet (traduction de Hamidullah, où j'ai changé Inconnaissable par Invisible) :

3.179 Allah n’est point tel qu’Il laisse les croyants dans l’état où vous êtes jusqu’à ce qu’Il distingue le mauvais du bon. Et Allah n’est point tel qu’Il vous dévoile l’Invisible. Mais Allah choisit parmi Ses messagers qui Il veut. Croyez donc en Allah et en Ses messagers. Et si vous avez la foi et la piété, vous aurez alors une récompense énorme.

6.50 Dis : « Je ne vous dis pas que je détiens les trésors d’Allah, ni que je connais l’Invisible, et je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’est révélé. » Dis : « Est-ce que sont égaux l’aveugle et celui qui voit ? Ne réfléchissez-vous donc pas ? »

6.59 C’est Lui qui détient les clefs de l’Invisible. Nul autre que Lui ne les connaît. Et Il connaît ce qui est dans la terre ferme, comme dans la mer. Et pas une feuille ne tombe qu’Il ne le sache. Et pas une graine dans les ténèbres de la terre, rien de frais ou de sec, qui ne soit consigné dans un livre explicite.

7.188 Dis : « Je ne détiens pour moi-même ni profit ni dommage, sauf ce qu’Allah veut. Et si je connaissais l’Invisible, j’aurais eu des biens en abondance et aucun mal ne m’aurait touché. Je ne suis, pour les gens qui croient, qu’un avertisseur et un annonciateur ».

(...)

Hamidullah a traduit al-ghayb par l'Inconnaissable (et sa traduction de al-ghayb n'est pas toujours consistante à travers les différents versets), mais j'estime que le sens premier est plutôt l'Invisible.
D'ailleurs :
6.73 Et c’est Lui qui a créé les cieux et la terre, en toute vérité. Et le jour où Il dit : « Sois ! » Cela est, Sa parole est la vérité. A Lui, la royauté, le jour où l’on soufflera dans la Trompe. C’est Lui le Connaisseur de al-ghayb et de ash-shahadat. Et c’est Lui le Sage et le Parfaitement Connaisseur.

Dieu est donc le Connaisseur de al-ghayb et de ce qui est manifeste (ash-shahadat), de l'Invisible et du Visible.


Mais quel que soit la nuance de traduction qu'on donne à al-ghayb, c'est bien cette connaissance de al-ghayb qui est en jeu dans ces versets-ci ainsi que les autres que je n'ai pas cités.

Ces différents versets disent que seul Dieu connaît l'Invisible. Même son messager (le prédicateur de ces sourates) ne le connaît pas.
En fait, même ses messagers ne connaissent pas l'invisible :

5.109 le jour où Allah rassemblera les messagers, et qu’Il dira : « Que vous a-t-on donné comme réponse ? » Ils diront : « Nous n’avons aucun savoir : c’est Toi le Connaisseur des Invisibles (al-ghuyub) ».

Ce verset 5.109 est probablement celui qui manifeste le plus le rejet du gnosticisme, à supposer qu'il ait été écrit par le même auteur que le reste. En tout état de cause, il est cohérent avec le reste du texte.

En effet, dans les différents courants gnostiques, les messagers sont envoyés par le Vrai Dieu pour dévoiler aux hommes une partie de l'Invisible afin de stimuler les âmes et les faire échapper au monde physique.

Donc en affirmant que les messagers ne détiennent aucun savoir qui relève de l'Invisible, le Coran s'oppose frontalement et radicalement à cette idée gnostique.
En effet, s'il s'avère illusoire de connaître l'Invisible, thèse du Coran, alors il n'est pas possible de gagner le salut par cette connaissance.


Khalîfa peut aussi signifier représentant, représentant de Dieu sur terre. Reynolds a fait toute une étude sur le sujet en montrant le sous-texte para-biblique de cette histoire (imago Dei, le Christ premier Adam etc). Je ne suis pas loin de penser qu'il faut traduire ainsi.
Khalifa comme "représentant de Dieu" sur terre est certes souvent l'interprétation par défaut.
Par exemple dans une des traductions que je consulte, il est traduit par vicaire.
Des traductions en anglais disent vicegerent.
Louis XIV aurait pu dire lieutenant de Dieu sur terre.

Qui est ce vicaire sur la terre fait lui aussi l'objet de différentes interprétations.
Ce pourrait être le calife, lequel est chargé de garantir que Mahomet demeure à jamais le Sceau des Prophètes.
Ce pourrait être l'être humain en général comme image de Dieu sur terre. On trouve ce genre d'interprétation dans le soufisme.

Je ne suis pas d'accord que khalifa signifie représentant de Dieu sur terre.

Tout d'abord, il n'y a aucun mot de la même racine qui a ailleurs le sens de "représentant" dans le Coran.
Le mot est utilisé au verset 38.26 pour dire que David aura un khalifa sur la terre.
Or le khalifa de David en question est bien sûr Salomon qui fut son successeur et son héritier.

Au pluriel, il y a deux mots avec une graphie un peu différente : خَلَائِفَ et خُلَفَاءَ
Je ne sais pas dire s'il y a une vraie nuance entre les deux en arabe classique, mais dans le Coran, il n'y en a pas d'évidente.
Au verset 10.73, à propos du peuple de Noé :
Ils le traitèrent de menteur. Nous le sauvâmes, lui et ceux qui étaient avec lui dans l’arche, desquels Nous fîmes les "khalāifa". Nous noyâmes ceux qui traitaient de mensonge Nos preuves. Regarde comment a été la fin de ceux qui avaient été avertis !

Clairement, ici, ceux qui étaient dans l'arche sont devenus les successeurs, les héritiers de la terre.

Ensuite, si on dit que khalifa désigne un représentant de Dieu sur terre : soit le calife, soit l'humanité, soit encore autre chose, alors force est de constater que le Coran ne fait rien de cette idée par ailleurs.

Il n'y a aucun développement théologique associé à l'idée d'un représentant en dehors de ce verset.
Par exemple, pas de "soyez donc à l'image de Dieu, votre Père" ou de chose de ce genre.
Ou pas d'explication sur comment désigner le calife après le messager, alors que ce serait tout de même la moindre des choses.
On en revient à ce que j'ai dit plus : si on présuppose que le Coran est une simple juxtaposition de péricopes et injonctions sans véritables articulations des unes aux autres, on en tire une lecture très différente de si on présuppose qu'il y a un argumentaire à peu près construit.

Une autre critique est que ça ne cadre pas avec l'objection des anges : "vas-tu y placer quelqu'un qui va semer la corruption et faire couler le sang ?".
Cette objection des anges est en fait assez embarrassante pour un certain nombre de commentateurs musulmans.
Par exemple Rumi, dans Fihi ma Fihi (de mémoire à moins que ce soit dans le Mathnawi), se demande comment les anges pouvaient savoir que l'humanité allait semer le désordre et faire couler le sang, alors qu'elle n'avait pas encore été créée.
Une des ses hypothèses est que les anges l'auraient lu sur Lawl Mahfouz, la Table gardée des décrets divins.

Le problème est qu'au fond, dans leur critique du projet divin, les anges se montrent extrêmement provocateurs, pour ne pas dire injurieux envers Dieu en Lui en Lui faisant un procès d'intention aussi énorme.

Et pourtant, le Coran ne dit pas que Dieu a châtié les anges pour s'être montrés si impudents, bien que ces derniers l'auraient bien mérité.

Non, Dieu se contente de dire qu'Il sait des choses et pas les anges.
Et pour leur montrer, Il fait apprendre le nom des choses à Adam. Et Adam s'acquitte du défi sans problème, alors que les anges échouent.

Or on ne voit pas le rapport entre réciter le nom des choses, même à supposer que c'est une prérogative humaine, et l'objection des anges sur les futurs crimes commis par l'humanité.

Certes, faire réciter des noms par Adam se trouve dans la Genèse, mais pas du tout en réponse à une objection angélique sur le fait que l'humanité commettra des crimes.

Dans le midrash rabbah sur la genèse, les anges se contentent de demander : l'homme, à quoi est-il bon ? Ce à quoi Dieu répond que sa sagesse est plus grande que la leur. La suite est similaire au Coran : Adam connaît le nom des choses mais pas les anges.

Il s'agit d'un écart notable en comparaison de la version coranique alors que la version coranique reste tout de même plus proche de celle du midrash que de celle de la genèse.

Le Coran met en scène des anges qui objectent avec audace et insolence à Dieu et à son projet de création d'un khalifa ; la thèse du khalifa comme représentant de Dieu sur terre n'explique pas de manière suffisante, de mon point de vue, cette outrecuidance.

A contrario l'explication que j'ai donnée dans le post précédent, à défaut de préserver un sens mystique au verset, s'inscrit beaucoup mieux dans l'argumentaire du début de la sourate 2, voire de l'ensemble du Coran.
L'objection des anges apparaît essentiellement comme une question rhétorique destinée à dénier l'héritage de la promesse à ceux qui sèment le chaos et font couler le sang.

Je ne suis convaincu, ni par ton premier point, ni par ton second.
Ok
Si je comprends bien ta lecture, le prédicateur s'oppose à des groupes messianiques gnostiques. Ils hâtent la venue du messie en provoquant les tribulations par leur violence, et ils prétendent que cela a pour but d'alléger ou de redonner un esprit nouveau à la loi. S'ils réforment, ils réforment la loi ou leur compréhension de la loi, qui mène peut-être à des excès ce que le prédicateur considère être un abandon de la loi qu'il dénonce.
Oui c'est l'idée.

Attendons donc que tu reviennes là-dessus.
Je ne sais plus pourquoi j'ai écrit ça comme ça. J'ai peut-être oublié d'enlever cette phrase avant de poster.
Ici, je serais un peu plus réservé. Il faudrait que tu puisses argumenter pour montrer qu'il s'agit bel et bien d'un procédé midrashique, et pas d'une interprétation arbitraire sortie d'on ne sait où.
L'histoire complète du veau dans le Coran est éclatée entre plusieurs sourates.
Sourate 2, verset 51
وَإِذْ وَاعَدْنَا مُوسَى أَرْبَعِينَ لَيْلَةً ثُمَّ اتَّخَذْتُمُ الْعِجْلَ مِن بَعْدِهِ وَأَنتُمْ ظَالِمُونَ
Et lorsque Nous donnâmes rendez-vous à Moïse pendant quarante nuits !... Puis en son absence vous avez pris le Veau alors que vous étiez injustes.

Sourate 7
7.148
وَاتَّخَذَ قَوْمُ مُوسَى مِن بَعْدِهِ مِنْ حُلِيِّهِمْ عِجْلًا جَسَدًا لَّهُ خُوَارٌ أَلَمْ يَرَوْا أَنَّهُ لَا يُكَلِّمُهُمْ وَلَا يَهْدِيهِمْ سَبِيلًا اتَّخَذُوهُ وَكَانُوا ظَالِمِينَ
Et le peuple de Moïse adopta après lui un veau, fait de leurs parures : un corps qui semblait mugir. N’ont-ils pas vu qu’il ne leur parlait point et qu’il ne les guidait sur aucun chemin ? Ils l’adoptèrent, et ils étaient des injustes.

7.150
وَلَمَّا رَجَعَ مُوسَى إِلَى قَوْمِهِ غَضْبَانَ أَسِفًا قَالَ بِئْسَمَا خَلَفْتُمُونِي مِن بَعْدِي أَعَجِلْتُمْ أَمْرَ رَبِّكُمْ وَأَلْقَى الْأَلْوَاحَ وَأَخَذَ بِرَأْسِ أَخِيهِ يَجُرُّهُ إِلَيْهِ قَالَ ابْنَ أُمَّ إِنَّ الْقَوْمَ اسْتَضْعَفُونِي وَكَادُوا يَقْتُلُونَنِي فَلَا تُشْمِتْ بِيَ الْأَعْدَاءَ وَلَا تَجْعَلْنِي مَعَ الْقَوْمِ الظَّالِمِينَ
Et lorsque Moïse retourna à son peuple, fâché, attristé, il dit : « Vous avez très mal agi pendant mon absence ! Avez-vous voulu hâter le commandement de votre Seigneur ? » Il jeta les tablettes et prit la tête de son frère, en la tirant à lui : « O fils de ma mère, dit (Aaron), le peuple m’a traité en faible, et peu s’en est fallu qu’ils ne me tuent. Ne fais donc pas que les ennemis se réjouissent à mes dépens, et ne m’assigne pas la compagnie des gens injustes ».


Sourate 20,

20.83
وَمَا أَعْجَلَكَ عَن قَوْمِكَ يَا مُوسَى
« Pourquoi Moïse t’es-tu hâté de quitter ton peuple ? »

20.84
قَالَ هُمْ أُولَاءِ عَلَى أَثَرِي وَعَجِلْتُ إِلَيْكَ رَبِّ لِتَرْضَى
Ils sont là sur mes traces, dit Moïse. Et je me suis hâté vers Toi, Seigneur, afin que Tu sois satisfait.

20.85
قَالَ فَإِنَّا قَدْ فَتَنَّا قَوْمَكَ مِن بَعْدِكَ وَأَضَلَّهُمُ السَّامِرِيُّ
Allah dit : « Nous avons mis ton peuple à l’épreuve après ton départ. Et le Sâmirî les a égarés ».

20.86
فَرَجَعَ مُوسَى إِلَى قَوْمِهِ غَضْبَانَ أَسِفًا قَالَ يَا قَوْمِ أَلَمْ يَعِدْكُمْ رَبُّكُمْ وَعْدًا حَسَنًا أَفَطَالَ عَلَيْكُمُ الْعَهْدُ أَمْ أَرَدتُّمْ أَن يَحِلَّ عَلَيْكُمْ غَضَبٌ مِّن رَّبِّكُمْ فَأَخْلَفْتُم مَّوْعِدِي
Moïse retourna donc vers son peuple, courroucé et chagriné ; il dit : « O mon peuple, votre Seigneur ne vous a-t-Il pas déjà fait une belle promesse ? L’alliance a-t-elle donc été trop longue pour vous ? ou avez-vous désiré que la colère de votre Seigneur s’abatte sur vous, pour avoir trahi votre engagement envers moi ? »

20.87
قَالُوا مَا أَخْلَفْنَا مَوْعِدَكَ بِمَلْكِنَا وَلَكِنَّا حُمِّلْنَا أَوْزَارًا مِّن زِينَةِ الْقَوْمِ فَقَذَفْنَاهَا فَكَذَلِكَ أَلْقَى السَّامِرِيُّ
Ils dirent : « Ce n’est pas de notre propre gré que nous avons manqué à notre engagement envers toi. Mais nous fûmes chargés de fardeaux d’ornements du peuple ; nous les avons donc jetés tout comme le Sâmirî les a lancés.

20.88
فَأَخْرَجَ لَهُمْ عِجْلًا جَسَدًا لَّهُ خُوَارٌ فَقَالُوا هَذَا إِلَهُكُمْ وَإِلَهُ مُوسَى فَنَسِيَ
Puis il en a fait sortir pour eux un veau, un corps à mugissement. Et ils ont dit : « C’est votre divinité et la divinité de Moïse ; il a donc oublié » !

20.90
وَلَقَدْ قَالَ لَهُمْ هَارُونُ مِن قَبْلُ يَا قَوْمِ إِنَّمَا فُتِنتُم بِهِ وَإِنَّ رَبَّكُمُ الرَّحْمَنُ فَاتَّبِعُونِي وَأَطِيعُوا أَمْرِي
Certes, Aaron leur avait bien dit auparavant : « O mon peuple, vous êtes tombés dans la tentation à cause de lui. Or, c’est al-Rahman qui est vraiment votre Seigneur. Suivez-moi donc et obéissez à mon commandement ».

20.95
قَالَ فَمَا خَطْبُكَ يَا سَامِرِيُّ
Alors [Moïse] dit : « Quel a été ton dessein ? O Sâmirî ? »

20.96
قَالَ بَصُرْتُ بِمَا لَمْ يَبْصُرُوا بِهِ فَقَبَضْتُ قَبْضَةً مِّنْ أَثَرِ الرَّسُولِ فَنَبَذْتُهَا وَكَذَلِكَ سَوَّلَتْ لِي نَفْسِي
Il dit : « J’ai vu ce qu’ils n’ont pas vu : j’ai donc pris une poignée de la trace de l’Envoyé ; puis, je l’ai lancée. Voilà ce que mon âme m’a suggéré ».

Je n'ai pas mis tous les versets entre 20.83 et 20.96, seulement ceux qui concernent mon point.
Je n'ai pas non plus mis les translittérations, ça fait trop long.

On peut d'ors et déjà remarquer une chose, surtout à propos de la péricope de la sourate 20 : le récit n'a apparemment ni queue ni tête.
Pourtant les traductions (Hamidullah, Blachère) sont valables sur ces versets.
L'incohérence du récit n'est donc pas due aux traductions.
Par exemple, quel est le rapport entre prendre une trace de l'Envoyé (verset 20.96) et le veau ?

Donc soit on en reste avec cette constatation (l'incohérence manifeste du récit), soit on se dit que le récit veut faire entendre quelque chose qu'il faut arriver à capturer.
On peut essayer d'utiliser les tafsirs, asbab an-nouzoul et autres hadiths pour tenter de comprendre.

Moi j'y vois des procédés typiques du midrash : code, ententes multiples, récit construit sur des récits de base.

Ces différents versets de la sourate 7 et de la sourate 20 font entendre la hâte du peuple de Moïse.
On a l'emploi dans ces différents versets du verbe ʿajila (عَجِلَ), se dépêcher et du verbe aʿjala (أَعْجَلَ), faire se dépêcher ou faire se hâter.
On voit donc bien que le veau, ʿij'l (عِجْل), a quelque chose à voir avec cette hâte, tout simplement parce que ces différents versets en font bien la conséquence de cette hâte.
L'assonance entre le mot ʿij'l et les verbes ʿajila et aʿjala, qui crée une double entente entre le veau et la hâte, ne fait qu'insister sur la relation entre les deux.

De quoi donc le peuple de Moïse avait-il hâte selon le Coran ?
Les versets 7.150 et 20.86 l'expliquent d'une certaine façon. Cette péricope éclatée en plusieurs sourates parle du don de la Loi divine. Mais tant que la loi n'est pas donnée ou n'est pas renouvelée et allégée, nous ne sommes pas encore entrés dans l'ère de la promesse accomplie.
Et tant que nous ne sommes pas entrés dans l'ère de la promesse accomplie, c'est que nous sommes encore dans l'ère de l'épreuve.
La tentation est grande d'accélérer le processus.

Le Coran emploie le mot fitna (فِتْنَة) et le verbe associé fatanu (فَتَنُ) pour désigner l'épreuve et le fait d'être dans l'épreuve.
Le mot fitna est redoutablement complexe à traduire parce que dans le Coran, il désigne par le même mot dans différents versets des situations qui en français apparaissent de gravités différentes : test, épreuve, discorde, dissensions, oppression...

Au verset 20.85, le peuple de Moïse se retrouve donc dans la fitna, et c'est à cette occasion qu'il chute en prenant le veau (pour utiliser une phraséologie d'origine chrétienne).

De quoi est fait ce veau ?
Le verset 20.96 explique, dans la version coranique, que le Samiri l'a concocté à partir des "traces" du Messager.
De même, le verset 20.84 dit que le peuple de Moïse est sur ses "traces".
Que sont donc ces fameuses "traces", athar dans le texte arabe ?
D'après certaines exégèses, il s'agirait de la poussière des pas de Moïse que le Samiri aurait jetées dans le feu par un rituel de sorcellerie, et duquel aurait surgi ce veau.

En fait, et c'est assez simple, le mot athar a deux sens, et le Coran veut faire entendre le deuxième sens à travers le premier.
Au premier sens, celui du flot narratif de l'histoire de Moïse, les athar c'est ce qui reste.
Au deuxième sens, les athar sont des cousins des hadiths, ils sont une des trois formes de narration classiques : hadiths, athar, khabar.

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On a par exemple des hadiths qui disent de suivre les "athar" du Prophète : https://www.hadithdujour.com/hadiths/ha ... r_3610.asp
D'après Abou Houreira (qu'Allah l'agrée) : Le Prophète (que la prière d'Allah et Son salut soient sur lui) a été interrogé : Qui sont les meilleurs des gens ?
Il a dit: « Moi et ceux qui sont avec moi puis ceux qui sont sur le athar puis ceux qui sont sur le athar ».
Puis c'est comme s'il avait refusé de mentionner les autres.
(Rapporté par l'imam Ahmed dans son Mousnad n°8483 et authentifié par Cheikh Albani dans la Silsila Sahiha vol 4 p 455)
******************************************

Ce que veut expliquer le prédicateur dans cette péricope, c'est que dans sa hâte d'entrer dans l'ère de la promesse accomplie, le peuple de Moïse n'a pas eu la patience d'attendre les lois données par Dieu à Moïse et a concocté un dispositif juridique fait de bric et de broc à partir de diverses narrations sur Moïse.
C'est ça la faute du veau, version coranique.

Mais pourquoi raconte-t-il cette histoire au sujet de Moïse et du veau ?

Le midrash, comme j'ai expliqué au-dessus, n'est pas une exégèse de la Bible, c'est un enseignement de la volonté divine (selon la perception de l'enseignant).
Le Coran ne raconte pas ce genre d'histoire pour tenter d'attirer les Juifs à lui comme le prétend la Tradition islamique, mais parce que le prédicateur s'adressait à son auditoire, disciples ou adversaires : c'est à eux qu'il reproche d'utiliser les athar des messagers précédents pour tenter de bâtir à la hâte un corpus juridique (et donc bancal de son point de vue).

Pour aller plus loin, un hadith comme celui que j'ai mentionné au-dessus est strictement incompatible avec le Coran vu que c'est précisément de prendre les athar des messagers que rejette le Coran.
Il n'est donc pas issu du même auteur que celui des sourates 2, 7, et 20.
De manière générale, l'islam n'est pas que le Coran : utiliser le Coran seul, c'est le coranisme.
Au contraire, l'islam est construit autour de deux sources : le Coran et la Sunna.
La Sunna est faite en particulier de hadiths et autres narrations rattachées au Prophète.

Etant donné que le Coran rejette le fait de construire un système juridique sur la base de narrations rattachées à des messagers, il s'ensuit que cette construction, l'islam, est en réalité la synthèse de deux traditions initialement opposées l'une à l'autre.
On a ici une autre corroboration de ce que j'expliquais dans mon post précédent : à un moment donné dans l'histoire (mais quand ?), il fallu ménager la chèvre et le chou en fusionnant deux traditions opposées.

Une corroboration supplémentaire de cette synthèse ultérieure est fournie par l'analyse de J. Schacht dans son ouvrage Origins of the Muhammadan Jurisprudence dans lequel il explique, un peu incidemment d'ailleurs, la perplexité des savants religieux et juristes du 8e siècle face à l'apparente contradiction entre le Coran et les traditions.
Et Sh'afi, explique Schacht, décide de privilégier les traditions en cas de désaccord entre elles et le Coran, au motif que le Prophète savait mieux comment interpréter le Coran.

A travers l'analyse interne du Coran (par le midrash) et l'analyse externe au Coran, par Schacht à travers les traditions et comment elles ont été traitées par les juristes au 8e siècle, on voit que la tradition juridique en islam à partir du 8e siècle correspond davantage à la manière dont ceux auxquels le prédicateur coranique s'opposait au 7e siècle plutôt qu'à la façon de procéder qu'il voulait promouvoir.

La façon de procéder que voulait promouvoir le prédicateur coranique est typiquement celle qu'on trouve dans la pensée juive antique, c'est-à-dire la loi divine qui tombe comme une pluie, d'où l'emploi récurrent du nazala pour dire révéler, mais qui au sens littéral est utilisé pour parler de la pluie qui tombe.


Et comment es-tu arrivé à cette conclusion ?
C'est expliqué dans Un Étranger sur le Toit de Maurice Mergui, certes dans le contexte de la naissance du christianisme.

L'image fonctionne de la manière suivante : dans les évangiles, Jésus fait des guérisons le jour du shabbat, c'est-à-dire le septième jour, et il lui est reproché de ne pas attendre le huitième jour.
Le début du shabbat correspond métaphoriquement à la fin des temps, tandis que le huitième jour correspond métaphoriquement au commencement d'une nouvelle création.
En effet la première création a commencé le premier jour, donc la résurrection doit commencer le huitième jour, une fois la semaine écoulée, et en particulier le shabbat terminé.

Donc en transgressant le shabbat, Jésus veut hâter symboliquement la fin des temps et le début de la résurrection, car c'est seulement dans ces conditions que le Messie doit advenir.

C'est ça l'idée portée par les péricopes évangéliques de transgression du shabbat.
C'est lié à des débats internes au sein du judaïsme ancien sur les signes de la fin des temps et de l'entrée dans le monde à venir.

Cependant, dans le cas du Coran, je ne perçois pas ce verset dénonçant la transgression du shabbat comme une manifestation d'hostilité envers le christianisme, parce que je pense que le christianisme n'était pas le sujet.
Le sujet, c'était les contemporains du prédicateur qui voulaient décréter l'avènement du nouveau monde avant que les conditions "nécessaires" au sens biblique soient remplies.
J'ai l'impression que tu surinterprètes beaucoup le texte coranique, tout de même.
Peut-être, mais je pense que le Coran n'est pas totalement déconnecté des événements de cette époque.
Après tout, dans la sourate 30, il est question des Romains / Byzantins qui ont perdu une bataille.
Sur la portée eschatologique de ce passage dans le patrimoine rabbinique, tu as des sources peut-être ?
Dans le Talmud, Mishna Sanhedrin 10 3, il est dressé une liste de ceux qui n'auront pas de part dans le monde à venir, et les dix explorateurs qui ont fait un rapport mauvais sur la Terre Promise en font partie.

Voici une traduction en anglais du passage en question : https://www.sefaria.org/Mishnah_Sanhedrin.10.3?lang=bi

J'ai entendu parler de la thèse de Parvaneh Pourshariati. Je ne sais pas du tout ce qu'elle vaut, il faudrait que je lise les comptes rendus qui en ont été faits.
Ok
Et qu'en est-il de l'hégire dans ta thèse ?
On aura réinterprété la date de fondation du royaume arabe, qui était initialement appelée "ère des Arabes" en un événement de nature eschatologique.
Là encore, même si je salue l'interprétation ingénieuse, elle me semble quelque peu artificielle. Ne devrait-ce pas être, d'ailleurs, Abû Bikr, père de la Vierge ?
Du temps où j'étais encore musulman il me semblait avoir entendu dire ou lu, que le surnom d'Abu Bakr lui avait été donné en relation avec Aïcha, mais je n'ai pas essayé de reconfirmer cela avant d'écrire, car j'imaginais que ça faisait partie du fond narratif connu en islam. J'aurais dû le faire.

Je réessaierai de me pencher ultérieurement sur le cas d'Abu Bakr.
En attendant, je ne sais pas s'il lui est associé des revendications messianiques.

En revanche, pour Omar c'est bien clair, et ce n'est même pas ma thèse personnelle. On la trouve par exemple chez Prémare dans Fondations de l'Islam, et chez d'autres certainement.

Pour Abu Bakr, Uthman, Mu'awiyya, la chose est vraiment douteuse. Qu'en est-il du titre khalîfa dans cette thèse ?
Pour le titre de khalifa, il n'apparaît jamais dans les documents administratifs arabes du 7e siècle.
Apparaît à la place le titre de "amir al-muminin", commandeur des croyants, avec Mu'awiya dans ces documents.
Je renvoie à l'article de Fred Donner sur la coranisation du discours politico-religieux à l'époque d'Abd al-Malik, qui évoque le cas du khalifa.


Au sujet de Mu'awiya, son assimilation au Messie est assez explicite dans une passage de la chronique maronite.
Pour une traduction en anglais complète du passage en question, voir Robert Hoyland, Seeing Islam as Others Saw It.
Pour une traduction partielle en français du passage en question, voir https://www.culture-islam.fr/contrees/m ... e-maronite

Je me réfère à la traduction anglaise, car celle en français du site ci-dessus élude une mention importante.

Ce que dit cette chronique :
* Mu'awyia va à Jérusalem en 660 J.C.
* Il se rend au mont Golgotha, le lieu de la crucifixion du Christ, et y prie
* Il se fait acclamer roi par une assemblée arabe
* il y a un tremblement de terre à ce moment-là (voir la traduction anglaise, c'est le passage qui manque dans la traduction française)
* il va ensuite prier sur la tombe de Marie à Gethsemani.

Le mont Golgotha n'a aucune signification islamique puisque le Coran nie la crucifixion du Messie.
Cependant il recèle certainement signification pour Mu'awiya, et non seulement lui, mais aussi pour les Arabes qui l'y acclament roi.

Le tremblement de terre à ce moment-là, s'il a une quelconque réalité historique, a été interprété par certains historiens (dont Hoyland, je crois, à vérifier), comme une marque de reproche de la part de l'auteur de la chronique maronite à l'égard d'un musulman (Mu'awiya) qui s'approprie des symboles chrétiens.

Or c'est probablement une erreur manifeste d'interprétation : l'auteur, s'il est maronite, devait certainement être plutôt favorable à Mu'awiya, qui a tranché en faveur des Maronites dans un différent avec les Jacobites.

Non, le tremblement de terre lors du couronnement de Mu'awiya renvoie en fait au tremblement de terre mentionné dans les évangiles lorsque le Christ a expiré sur la Croix.
La chute des murs de Jéricho qui est évoquée est autre symbole eschatologique : c'est la conquête de la terre sainte par Josué (dont Jésus est le clone par midrash).

Le symbole du couronnement de Mu'awiya est donc assez limpide dans cette chronique : c'est l'inversion eschatologique, où Mu'awiya est le Messie revenu sur Terre.
Il ne veut pas porter de couronne comme les autres rois, reflétant certainement par cet acte une volonté d'humilité christique.


On peut se poser la question de la réalité historique de l'événement (le couronnement messianique de Mu'awiya) racontée par la chronique maronite.
Car la Tradition islamique n'est fait absolument pas mention.

Cependant, que ce couronnement ait une réalité historique ou pas n'a pas autant d'importance qu'on pourrait le croire.
Ce qui compte, c'est la fait même qu'une pareille narration ait existé, qui raconte ce point de vue.
C'est l'existence même de cette narration qui est cruciale, parce qu'elle indique que Mu'awiya a certainement été perçu comme un Messie par beaucoup de gens.

Si Mu'awiya avait été "calife" (le cinquième) dans le sens strict islamique, jamais personne n'aurait eu l'idée de composer une pareille narration.

Deux autres informations sont à prendre en compte au sujet de cette chronique.
Tout d'abord, une information assez énigmatique selon laquelle Mu'awiya a refusé de s'installer sur "le trône de Muhammad". Je ne sais pas très bien comment interpréter ce passage, mais il semble signifier une rupture forte dans la transmission du pouvoir arabe, comme si une nouvelle dynastie s'était établie.

L'autre information concerne le rejet des pièces de monnaie mises en circulation par Mu'awiya parce qu'elles ne comportaient de croix.
Il semble que de telles pièces ne soient apparues que sous Abd al-Malik, c'est-à-dire nettement plus tard.
L'auteur de la chronique aura donc fait une confusion entre les deux souverains.
Et si c'est le cas, alors la chronique aura été écrite après le règne d'Abd al-Malik.
Ce qui implique qu'elle a été écrite à une époque déjà avancée dans la dynastie omeyyade, mais encore suffisamment reculée pour que la nature islamique du régime n'apparaisse pas encore de manière évidente aux contemporains.

Et nous n'avons aucune trace d'une autre vision de l'histoire ? La tradition arabe, orale, a été entièrement réécrite sans ne laisser aucun souvenir, aucun hiatus ? Je veux bien qu'il y ait eu des reconstructions, mais l'absence de traces, de traditions, de versions de l'histoire concurrente laisse quelque peu pantois. N'est-ce pas donner un peu trop de pouvoir au calife ?
J'ai lu récemment un ouvrage extrêmement intéressant : "Representing the enemy : Musaylima in Muslim literature", d'Al Makin.
Le sujet concerne Musaylima.
On ne connaît à son sujet que ce que la tradition islamique a raconté sur lui, et bien sûr, à sens unique.
Ses propos qui ont été rapportés sont très peu nombreux.

Toutefois, Al Makin, en étudiant de subtiles nuances de narration et de chaînes de rapporteurs, arrive à déduire beaucoup de choses plausibles au sujet de Musaylima.

Une chose sûre se dégage de l'analyse d'Al Makin : les narrations rapportées par la tradition islamique n'étaient pas des chroniques historiques.
C'était des oeuvres littéraires destinées à servir en premier lieu les intérêts de la dynastie arabe régnante au moment où elles ont été élaborées puis rapportées, et en particulier les conforter dans leur rôle de gardiens du "sceau de la prophétie".
Et en deuxième lieu à fixer les rapports hiérarchiques entre tribus arabes (telle tribu qui a envoyé une délégation chez le prophète a plus de mérite qu'une autre qui ne l'a pas fait).


Mais les sources arabes ne rapportent qu'une version ?
Oui.
Quelles traces avons-nous de ces autres lectionnaires ?
En arabe, directement, aucune bien sûr, sinon ce serait un événement fantastique.
Al Makin, dont j'ai mentionné l'ouvrage au-dessus sur Musaylima, fait l'hypothèse que les rares productions de Musaylima rapportées par la tradition islamique pourraient avoir constitué un "coran" de Musaylima.

Premare, dans son ouvrage "Fondations de l'Islam", rapporte un hadith selon lequel il y avait plusieurs "corans" dont un qui indique comment pratiquer la prière (il n'y a rien de tel dans le Coran dont nous parlons).

Je ne suis pas loin de penser que bon nombre de hadiths pourraient avoir été à l'origine des "corans" utilisés par les premiers dirigeants arabes.

Une autre hypothèse, dans la veine des théories de Günther Lüling au sujet du Ur-Quran, est que le Coran actuel soit le résultat de la fusion de plusieurs corans distincts à l'origine.
Ceci pourrait expliquer le style disparate entre sourates dites mecquoises et sourates dites médinoises.
Par exemple, dans les sourates dites mecquoises, je ne trouve rien qui aille vraiment dans le sens de ce que je peux décoder (comme au-dessus) à partir des sourates dites médinoises. Ni dans le sens contraire d'ailleurs.
Le Coran a une histoire de rédaction à établir, une histoire de production aussi, à la fois orale et écrite, ce qui rend la chose compliquée. Il est possible que des passages aient été supprimées (la tradition islamique évoque elle-même des cas d'abrogation). Pour Jean de Damas, je ne m'explique pas son témoignage : le seul Coran auquel il a pu avoir accès est un Coran établi par la famille omeyyade, donc un Coran similaire au nôtre.
J'avais lu un papier qui évoquait l'idée d'une interpolation ultérieure des écrits de Jean de Damas lui-même. Je ne sais pas si j'arriverai à retrouver la référence.


Comment interprètes-tu les versets coraniques qui évoquent Muhammad ?
Il n'y a que quatre versets en tout et pour tout dans le Coran qui explicitement évoquent Muhammad (https://corpus.quran.com/search.jsp?q=muhammad).
Tout le reste des mentions n'apparaissent que dans les traductions du fait de la compréhension propre au traducteur.

Pour un ouvrage de plusieurs milliers de pages sensé avoir émané de Mahomet (écrit ou révélé, comme on veut), ça paraît étrangement peu.
Même si on peut des trouver des explications plausibles à cette rareté.

En outre, pour ces quatre versets, à chaque fois, ils sont insérés d'une façon qui n'a pas de lien particulier avec le reste du texte
Ou qui pourrait être un commentaire du texte autour, par exemple un commentaire inséré par un lecteur ou par un imam pour un prêche à la mosquée, et ensuite recopié par des scribes comme s'il faisait partie du texte d'origine.
A ce petit jeu, et pour peu que ce soit cette version qui survive, on se retrouve quelques décennies plus tard avec un texte chargé d'interpolations.

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