Onfray a peut être une certaine aisance dans le débat. (Et nos évêques sont pour la plupart de très mauvais
debaters, c'est certain aussi !).
Son concept d'université populaire est effectivement très intéressant (même si, attention, l'objectif est de vulgariser - et de vulgariser mieux qu'Historia et Science&Vie, sans doute, en tout cas vu le programme des cours d'Onfray, assez pointu- pas d'être à la pointe de la recherche).
Mais excuses-moi, Ahasverus, dans son
Traité d'athéologie, il se fiche de la gueule du monde. Encore une fois, comme je le disais dans un autre fil de discussion, quand on prétend contester l'ensemble des théories défendues par les universitaires, il vaut mieux avoir les reins solides, ce qui n'est pas le cas d'Onfray. Mais admettons. Il a peut-être une véritable vocation de philosophe "populaire" (si tant est que ce terme est un sens), et intéressons-nous à ce qu'il raconte en attribuant à ses ouvrages la même fiabilité qu'à un ouvrage universitaire.
Et là, quand même, on est vite embêté par pas mal de trucs. Des raccourcis surprenants. Des erreurs factuelles manifestes. Une agressivité permanente.
Qu'on puisse être athée, bien entendu, c'est tout à fait concevable. Personnellement, je préfère ceux qui sont athées de façon intelligente (sans se sentir obligé de bouffer du curé, en somme) et qui sont capables de comprendre qu'on puisse être croyant. Pour reprendre le mot d'esprit de Montesquieu, "Comment peut-on être croyant ?". Il est clair qu'Onfray refuse de se poser vraiment la question. Il préfère se rassurer en donnant "son" explication à lui, tirée d'on ne sait où.
Pêle-mêle donc, quelques extraits du Traité d'athéologie, qui montrent qu'Onfray conduit lui-même ses lecteurs à ne pas le prendre au sérieux.
- Saint Augustin n'est "jamais en retard d'une brutalité, d'un vice ou d'une perversion". Ben voyons. En voilà un jugement mesuré de philosophe.
- La "guerre juste" des chrétiens "recycle l'ordalie" (alors que ça n'a rien à voir...). Apparemment, pour Onfray, "guerre juste" veut dire justification du vainqueur. Et là, il n'a pas tout compris. Se poser la question de la légitimité possible ou non de la guerre conduit à un idéal régulateur,visant à limiter la sauvagerie initiale de la guerre. Ce concept de "guerre juste" a en outre joué un rôle important dans la naissance du droit international (Vitoria était dominicain, Suarez jésuite et Grotius un protestant très convaincu).
- La "pulsion de mort". Alors là, on ne comprend plus rien. Onfray part en sucette sur ce thème de la "pulsion de mort" et ne s'arrête plus. Comment voulez-vous accorder du crédit à quelqu'un qui se prétend philosophe et vous affirme "le monothéisme tient pour la pulsion de mort, il aime la mort, il chérit la mort, il jouit de la mort, il est fasciné par elle" ? Difficile, non ? Mais attention, parce qu'"avec le christianisme, la pulsion de mort entreprend de gangrener la planète entière" ! Ben voyons...
Outre que c'est une notion fortement remise en cause dans la psychanalyse elle-même (dont elle est issue), l'analyse que fait Onfray de la "pulsion de mort" le conduit à dire de grosses bêtises. Il admet que le judéo-christianisme est à l'origine de l'idée de libre-arbitre et de responsabilité. Très bien. Le problème, c'est que pour lui, libre-arbitre et responsabilité sont des choses calamiteuses ! Figurez-vous que, pour Onfray, un criminel n'est pas responsable de ses passages à l'acte... à force de vouloir éliminer la culpabilité, on finit pas dire n'importe quoi. (Faudrait p'têt rappeler à Onfray que la responsabilité est tout de même une des choses qui fondent notre humanité...). En outre, Onfray a très mal digéré Michel Foucault. A force de rejeter la culpabilité, la notion de "faute", Onfray est donc conduit à adopter une philosophie de type Charles Bovary (dans
Madame Bovary) : "C'est la faute de la fatalité". Ce qui, vous l'admettrez, ne fait pas beaucoup avancer le schmilblick. (Alors qu'on peut refuser la notion de "faute" de façon plus intelligente, ce qu'Onfray ne fait pas).
Je passe sur les clichés concernant l'Inquisition, les Croisades, Pie XII. Qu'il vous suffise de savoir qu'Onfray adopte sans discussion - et sans connaître véritablement le sujet, cela apparaît assez bien - les positions les plus radicalement anti-chrétiennes à chaque fois (nous avons déjà discuté de ces sujets sur le forum, et Onfray est plus radical que les plus radicaux des forumistes...
). Quelque perles quand même : Hitler est un "disciple de Saint Jean" (?!), mais aussi "les chambres à gaz peuvent s'allumer au feu de Saint Jean" (??!!).
Ce qui est très amusant, c'est que pour aller dans le sens de sa démarche, Onfray déclare lui-même adopter un certain sens de lecture de la Bible (il semble croire que ce sens et celui qu'adoptent tous les croyants...) : pour lui, si la Bible est vraie, alors une phrase prélevée l'est également. Le problème, c'est que ce sens de lecture est celui de certains fondamentalistes protestants, mais certainement pas celui de la grande majorité des protestants, et encore moins celui de l'Eglise catholique, qui qualifie (et a toujours qualifié) un tel procédé de "suicide de la pensée" (
L'Interprétation de la Bible dans l'Eglise, 1993).
Onfray parle de "mariage d'amour entre l'Eglise catholique et le nazisme". Les prêtres et laïcs catholiques morts au nom de leur foi dans les camps apprécieront. Pie XII, insulté copieusement dans nombre de documents de l'administration nazie, qui mit tout en oeuvre pour sauver environ 700000 Juifs et fut remercié par Golda Meir et le grand rabbin de Rome, appréciera.
Si vous en voulez d'autres, n'hésitez pas... on trouve des perles à chaque page...
Et n'hésitez pas à vous reporter à :
"L'anti-traité d'athéologie, le système Onfray mis à nu" de Matthieu Baumier, Presses de la Renaissance
"Dieu avec esprit, réponse à Michel Onfray" d'Irène Fernandez, Philippe Rey
Ces auteurs font beaucoup d'honneur à Michel Onfray en lui répondant, mais quand on voit le nombre de gens dont il est le "gourou" en France, je crois que ce n'est pas inutile...
Irène Fernandez est normalienne, agrégée de philo, docteur ès lettres.
Matthieu Baumier est romancier, essayiste, directeur de revue littéraire. (Pour ceux qui croient que je n'accorde d'importance qu'aux diplômes).