Gn 1-2
Nous avons au début de la Bible deux récits de création, différents l’un de l’autre. Le premier récit se termine au chapitre 2 verset 4. La séparation indiquée dans nos éditions de la Bible en Français entre les chapitres 1 et 2 ne figure pas dans le texte hébreu. Ce qui implique que le repos du 7ème jour fait partie du premier texte.
1. Gn 1,1 – 2,4a est un grand poème liturgique, probablement écrit en exil à Babylone, par des prêtres faisant partie des déportés. Leurs écrits sont habituellement appelés textes de « l’école sacerdotale ». Les déportés sont désespérés : ils ont tout perdu : la terre, leur roi, le Temple où ils priaient le Seigneur : y a-t-il encore un avenir possible pour Israël ? Le but des prêtres juifs est de réconforter les déportés, de leur redonner courage, de leur rendre la confiance : ils vont renaître, revivre, sortir de la confusion dans laquelle ils se trouvent.
En exil à Babylone (589-538 av. JC.) les Juifs découvrent que leur Dieu est l’unique Seigneur, l’unique créateur et sauveur de l’univers. Au contraire, les dieux Babyloniens, tels que nous les voyons à l’œuvre dans le texte « Enouma Elish », sont des forces qui ne craignent pas de tuer et fracasser pour leur plaisir et leur bien-être.
Le Dieu d’Israël, dont le souffle (l’esprit) plane à la surface des eaux primordiales, est l’unique créateur de l’univers, des astres et des animaux (adorés comme des dieux chez les Babyloniens), puis de l’homme (Adam, c’est-à-dire « le terreux », l’homme tiré de l’humus – de Adama, la terre- Adam a sens collectif, il s’agit de l’humanité).
Dieu arrache le monde et l’homme au chaos, à la confusion, dont nous savons qu’elle est mortifère car elle étouffe et ne va pas à la vie. Dieu crée en séparant. Séparés, les êtres sont en vis-à-vis, en relation. C’est à cela que Dieu destine l’homme.
Vous remarquez l’importance donné au rythme : les jours ponctuent l’œuvre de Dieu. Le 7ème jour, Dieu arrête son œuvre créatrice. Cela fonde le rythme de la vie religieuse des juifs : 6 jours de travail et le 7ème jour où l’homme cesse de travailler pour assurer sa vie, se tournant vers son créateur pour le louer. Vous retrouverez cette indication dans le décalogue en Dt 5,12-15
Dieu crée d’abord la lumière le 1er jour. Les grands astres (qui sont des dieux à Babylone) ne sont créés que le 4ème jour – ce sont des créatures destinées à marquer le calendrier religieux des fêtes – nous en avons déjà parlé dans les échanges.
Dieu crée par sa Parole, par son Verbe. En hébreu le mot « davar » désigne à la fois la parole et l’événement. Parole au sens de parole active, efficace, qui crée l’événement. La Parole est une réalité dynamique par laquelle Dieu agit dans le monde, crée les choses, suscite les événements : sortie de la bouche de Dieu, elle »ne revient pas à lui sans résultat, sans avoir fait ce qu’il voulait et accompli sa mission. » (Is 55,11)
Le 6ème jour, Dieu crée l’homme. Adam est donc créé à la fin, mais pas à la manière des autres créatures. Pour les hommes, pas question d’espèces, de classement comme les animaux : l’homme est créé à l’image de Dieu, « faisons l’homme à notre image et selon notre ressemblance ». L’homme est créature de Dieu ; il est tout entier du côté de Dieu parce que « image de Dieu ». Plus exactement, c’est l’homme, mâle et femelle, le couple, qui est image de Dieu. L’homme ainsi créé est être de relation, d’accueil de l’autre, de don à l’autre. Ce texte nous apprend bien des choses sur la dignité humaine et sur la destinée ultime de l’homme : image et ressemblance de Dieu.
Le refrain « Dieu vit que cela était bon », en hébreu « qi tôb », nous apprend que Dieu est émerveillé par sa création : elle est bonne, même très bonne. Dire du bien, c’est bénir.
Le 7ème jour Dieu arrête son œuvre : c’est le sabbat. C’est la cessation du travail, nous en avons déjà parlé dans les réponses aux questions. Le sabbat est mémorial de la création et de l’œuvre de salut, rappel du repos de Dieu, affirmation que le travail n’est pas une fin en soi. Le jour du sabbat est réservé pour Dieu.
Dieu n’agit pas en tout-puissant : il arrête son œuvre de création, il pose une limite qui indique la maîtrise de son pouvoir. L’homme ? qui a la responsabilité de la création « remplissez la terre et dominez-là », devra lui aussi faire preuve de maîtrise, de respect de tout ce qui lui est confié.
Dieu invite l’homme à ne consommer qu’une nourriture végétale, sans effusion de sang. En effet il n’est pas question de sacrifier des animaux. Il s’agit d’une maîtrise, sans violence, dans et par la douceur, à l’image de Dieu.
En Gn 9,1-9 les auteurs bibliques ont réajusté leur propos, prenant en compte dans le déroulement du récit la réalité de la violence humaine. Dieu renonce à détruire le monde et l’homme violent, et propose à l’homme une alliance. Il pourra verser le sang des animaux pour se nourrir mais ne devra pas verser le sang des autres hommes. Autrement dit, dès les origines, la loi est donnée pour réguler la violence des hommes, mais la violence n’est pas première.
Nous devons faire attention à bien situer un verset dans son contexte et à ne pas prendre chaque phrase pour « parole d’évangile » ! Je ne crois pas que la nourriture de l’homme, telle qu’elle est indiquée dans ces textes, invite à penser que le fait de manger de la viande soit la source de tous nos maux. Il s’agit plutôt de s’assurer de la maîtrise de notre nourriture ainsi que de la maîtrise des moyens de production me semble-t-il.
2. Gn 2,4b-25 Ce second texte a été écrit pense-t-on au 7ème siècle. Il s’inspire des textes Assyriens, notamment du mythe d’Atra-Hasis connu depuis le 17ème siècle av. JC.
Nous pouvons nous représenter la scène : on est dans un jardin où rien ne pousse avant qu’il ne soit irrigué. L’auteur de ce texte connaît bien la vie rurale, l’importance de l’eau.
Dieu est représenter comme un portier : il modèle humain (Adam) avec la poussière prise du sol (adamah). Puis il lui insuffle dans les narines le souffle de vie. Cela distingue l’homme de toutes les autres créatures : il est directement relié à Dieu par le souffle de vie. Chacun à leur façon, les deux textes disent la dignité de l’homme.
Dieu place l’homme dans un jardin superbe qui contient tout ce qui lui est nécessaire pour vivre. Il a mission de le travailler et de le garder. Tout lui est donné en nourriture, sauf l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. Dieu, qui veut le bonheur de l’homme, veut lui « faire une aide qui lui soit accordée ». Il crée les animaux avec la charge pour l’homme de les nommer c’est-à-dire de les reconnaître pour ce qu’ils sont, avec la douceur d’une parole qui fait exister. Nommer signifie avoir un certain pouvoir, pouvoir qui est en même temps responsabilité.
Mais l’homme « ne trouva pas pour lui-même l’aide qui lui soit accordée ».
La 2ème tentative de Dieu est la bonne : il façonne la femme à partir d’une côte de l’homme. Et devant la femme, l’homme trouve la parole : il ne crie pas des noms mais la reconnaît dans ce qu’elle est. La femme est de même nature que lui « os de mes os et chair de ma chair », aussi bien en ce qui fait sa force (os de mes os) qu’en ce qui fait sa fragilité (chair de ma chair). Effectivement ils ne sont qu’une seule chair . Cette fois-ci l’homme a trouvé l’aide qui lui est assortie. Homme et femme sont désormais deux vis-à-vis, différents, égaux et complémentaires.
En reconnaissant la femme, l’homme accède à la relation avec son semblable ; c’est là qu’il trouve la vie. La femme représente le type de toute altérité. L’être humain, homme et femme, est un être de relation, relation à l’autre et relation à Dieu.
Pour être capable de relation, l’être humain doit être capable de se quitter. Habituellement, la femme quitte sa famille pour rejoindre celle du mari. Le narrateur le sait, mais il veut signifier que la relation sera vraie si le mari quitte symboliquement sa famille, ses parents (son passé) pour s’attacher à sa femme dans une relation nouvelle qui ouvre à l’avenir et à la vie.
Gn 2 se termine sur la mention de la nudité sans honte. Etre nus l’un devant l’autre, c’est exposer sa différence, sa fragilité, c’est voir que chacun d’eux n’est pas le tout de l’être humain. Ils ont alors connaissance de leur limite. Sans honte signifie qu’ils ne se cachent pas, que leur limite et leur différence ne sont pas vécues comme une frustration, un manque, voire une menace. Leur relation est de confiance : différence et limite, fragilité, sont vécues comme des chances de relation. C’est le signe même de l’harmonie dans laquelle baigne tout ce chapitre 2.
Je conclus sur l’intérêt d’avoir deux textes. S’ils ont été retenus bien que différents, c’est que lors de la rédaction de la Torah, au IV° siècle av JC, à Jérusalem, les auteurs bibliques ont souhaité montrer que l’on peut dire au moins de deux manières différentes en quoi consiste le dessein de salut de Dieu pour l’homme. Les différences sont liées à l’histoire, à la culture. Cela nous invite à faire nous aussi la même réflexion. La Bible se donne comme Parole de Dieu pour l’homme, pour que chaque homme puisse à son tour prendre la parole. Le premier texte, le plus récent, placé en tête, signifie que la Parole de Dieu qui se dit dans des mots humains est fondatrice pour toute l’humanité. Elle est, dès le commencement, bénédiction.
Ces textes ont valeur universelle car ils intéressent tout être humain. De plus dans cette période de l’histoire racontée il n’est pas question d’Israël, qui n’existe pas encore (les Juifs comptent plus de 2000 ans à partir de la création du monde avant qu’il n’y ait un seul Juif sur la terre). Les 11 premiers chapitres de la Genèse jouent un rôle fondateur. En Gn 9 Dieu fait alliance avec l’humanité (représenté par la figure de Noé). Cela inclut Israël et le déborde. On peut dire que le Dieu d’Israël a fait alliance avec toutes les nations pour leur salut.
Tiens Ahasverus, un peu de lecture plus saine que celle dont tu as l'habitude de nous abreuver... ! Je suis désolé, mais ton problème métaphysique à propos d'Adam me laisse indifférent. J'en n'ai vraiment pas grand chose à battre ! Il est évident qu'Adam et Eve n'ont pas de réalité historique. Dire le contraire aujourd'hui relève d'une démarche intellectuelle pour le moins curieuse ! En revanche, ils symbolisent effectivement l'humanité entière. Tu peux prévenir Benoît pour qu'il m'excommunie ! On verra bien... Et soyons encore plus audacieux, je ne crois pas que les patriarches aient vécu aussi longtemps que ce qui est indiqué dans la Bible. Houlala, quel rebelle je fais !!!
Nonobstant, tu n'as toujours pas répondu clairement ce que tu en pensais, toi...