Je vais essayer de donner mon point de vue:
Petrus a écrit :Considérez un instant de bien être. Un morceau de chocolat, une voix amicale, la chaleur du soleil sur la peau, ou bien le doux bruit des cigales, par exemple. Tentez de saisir cet instant éphémére, d'en sentir la beauté, la profondeur, la fragilité, la... magie propre, oui. Jusque là, il m'étonnerait que nous différions.
Considérez maintenant l'idée que cet instant privilégié s'inscrit dans un plan à l'échelle céleste, qu'il n'existe que pour servir un grand dessein, qu'il est un moyen pour un but ultérieur. Plus encore, développez l'idée en ceci que s'il en était autrement, alors cet instant serait sans valeur, voire maléfique. C'est là que nous différons. Car une telle idée est pour moi... inique, abjecte, infame, une insulte à la magie de cet instant.
Si je te suis bien, relativiser l'instant à un ordre cosmique, à un plan divin, c'est renier sa valeur propre, son individualité, son contenu spécifique.
Oui et non. Oui, parce qu'il est difficile de penser aux deux choses en même temps. Savourer le moment présent et le projeter dans l'éternité, c'est trop difficile pour notre imagination. Non, parce qu'objectivement, l'un n'exclut pas l'autre, bien au contraire, il le fonde. Que vaut l'éphémère, si ce n'est sur fond d'éternité? Que vaut le relatif sans absolu? Impossible de le cerner! Si tout était
fondamentalement relatif, rien ne pourrait être compris, apprécié, car il n'y aurait aucune base à la compréhension ou à l'appréciation.
Je pense que tu absolutise l'éphémère et c'est là que tu t'égares. Tu n'es pas le premier; les philosophes grecs se sont d'abord divisés en deux camps: les sensualistes en ton genre - Héraclite; et les réalistes absolus à la suite de Parménide. Les deux positions étaient extrêmes et complètement opposées; et ni l'une ni l'autre ne pouvait rendre compte de la véritable complexité du monde, en simplifiant à l'excès le problème du changeant et du stable, de l'être et du devenir, quoi. L'un niait l'être, l'autre le devenir.
Or si rien n'est, il est absurde de parler de devenir, qui devient un chaos total, sans début ni fin, sans direction, sans substance; et si rien ne devient, il faut condamner les observations les plus élémentaires comme des illusions.
La philosophie chrétienne a adopté une position médiane, plus élevée et plus raisonnable entre les deux. Dans cette philosophie, le réalisme modéré, l'être a le primat sur le devenir, certes; il faut être avant de devenir; mais en délimitant et en donnant substance au devenir, on lui rend justice dans toute sa relativité, sa fragilité, sa dépendance totale à l'être.
Dieu existe comme celui qui est la source de toute chose; et dans le devenir, dans l'instable, le changeant, ce qui est magnifique, la "magie", si on veut, c'est de voir passer comme une pluie de parcelles de la richesse infinie de l'Être, qui donc, dans le changement, se laisse petit à petit découvrir, dans le chant d'un oiseau, dans le scintillement d'une rivière, dans la course du vent. Le devenir prend substance dans sa relation à l'Être; sans nier le devenir, une position modérée, avec Dieu au centre de toutes choses, lui donne au contraire sens, portée existentielle.
Et puis je pense que ta conception du "plan de Dieu" est un peu éthérée. Le sens de chaque événement ne prend pas racine dans un but futur, "ultérieur"; il s'inscrit dans l'actualité, la réalité absolue de Dieu; et le plan de Dieu sur nous-mêmes est pour maintenant, aujourd'hui, pas pour la fin du monde.
Mais ce que je ne puis accepter, tant c'est inacceptable, c'est que nous ayons une mission, ou un test à passer. Comme dit Marie, cette vie se résumerait alors à une tentation. Je ne puis faire mien un propos aussi indigne.
Que la vie humaine ait une direction, un idéal transcendant, un fondement absolu à son activité, c'est un propos indigne? Je ne dirais pas un "test" et encore moins une "tentation", mais un choix, un choix évident: celui de l'amour, en commençant par celui du Créateur et Sauveur.
Tu dis que Dieu n'a rien perdu en nous créant. Disons oui, a priori. Maintenant, as-tu déjà songé qu'il n'a pas gagné davantage? Dieu n'avait aucun intérêt à nous créer, étant lui-même parfait et infini. Il ne pouvait rien ajouter à son bonheur infini. Donc pourquoi aurait-il fait quelque chose sans aucun intérêt? Une seule raison possible: afin que d'autres que lui puisse avoir part à son existence, à son bonheur, à sa bonté. Et vouloir le bien des autres, absolument gratuitement, absolument sans intérêt, c'est de l'amour, de l'amour pur. Et si tu approfondissais un peu cette religion que tu as abandonnée, tu verrais que Dieu ne s'est pas contenté de la facilité. Il a choisi de prendre très à coeur sa Création, qui s'est sans cesse détournée de Lui, pour la ramener toujours dans le droit chemin; Il est venu sur terre et a pris sur lui toute notre misère, réellement et concrètement; il a guéri les malades, et subi la pire injustice. Il nous a appelé à une condition supérieure à celle des anges, gratuitement, et nous demande une seule chose; de l'aimer, de désirer demeurer avec Lui, en un mot, de vouloir ce qu'Il veut pour nous, le Bonheur sans fin auprès de Lui.