John a écrit :
Ce n'est pas le job des musulmans.
D'ailleurs les intellectuels chretiens et les hommes de l'eglise reconnaissent les contradictions de la bible .
Comme disait Christian BONNET (Société Biblique Française ; pasteur, bibliste) qui reconnait que la bible contient des contradictions :
" Pour ce qui me concerne, la lecture de la Bible, malgré les difficultés ou contradictions qu'elle contient, a toujours été un élément important pour nourrir ma foi ."
http://www.la-bible.net/article.php?refart=20050110
Les contradictions des évangiles par Christian Bonnet ?
Question :
La lecture des évangiles conduit bien souvent à des apories (= contradictions).
Si nous rapprochons les deux passages suivants de l'évangile selon St Mathieu (chapitre 10 et 23) nous avons d'un côté un Jésus qui se présente comme la source de la discorde entre les membres d'une même famille et d'un autre côté un Jésus qui incite les gens à se réconcilier avant de présenter une offrande au temple.
Que penser d'un Jésus vecteur de discorde ou de haine ? En quoi la discorde est-elle productive ? Comment Dieu peut-il condamner des êtres qui n'aiment pas leur prochain (c'est le cas dans le cadre de la famille brisée par Jésus) alors même qu'il est la cause de cette haine ?
Ces quelques questions me poussent de plus en plus à douter non de l'existence de Dieu mais de la représentation communément admise d'un Dieu bon et doux. Plus généralement, l'humanisme est-elle une doctrine qui va à l'encontre du message chrétien, message guerrier à bien des égards et qui est en conflit total avec l'hédonisme contemporain. Merci pour vos éclaircissements.
Pierre
Réponse :
Cher Pierre,
Il est vrai que le lecture de certains livres de la Bible peut faite apparaître des contradictions. Les auteurs de la Bible n’étaient pas moins observateurs que nous. Ils devaient être conscients de ces contradictions, alors pourquoi les ont-ils laisser subsister dans leur texte ?
Ces apparentes contradictions révèlent la manière dont certains livres de la Bible ont été écrits, souvent par compilation de traditions préexistantes.
Je prends un exemple très parlant de l’Ancien Testament avant de revenir à l’évangile de Matthieu.
Un exemple dans le livre de l’Exode
Si vous lisez le récit de la traversée de la Mer Rouge dans le livre de l’Exode (ch. 14) vous y découvrez que dans le même texte, on donne au phénomène deux descriptions et deux explications. Au v. 21, on parle d’un vent d’Est qui fait refluer la mer et qui découvre un passage « à sec » où les hébreux peuvent s’engager. Les v. 22 et 29 soulignent au contraire le côté prodigieux de l’événement en décrivant une muraille d’eau à la droite et à la gauche des Israélites qui se seraient ainsi avancés comme dans un canyon liquide (que les réalisateurs de cinéma se sont d’ailleurs plu à mettre en scène).
De telles « contradictions » au sein d’un même texte montrent que ces textes sont comme des patchworks composés de tissus différents. Le rédacteur final du livre de l’Exode a mis en forme et a laissé cohabiter des traditions qui n’avaient pas exactement la même interprétation de l’événement : l’une plus rationaliste montre que Dieu utilise les lois de la nature, l’autre plus miraculeuse, montret que Dieu bouleverse les lois de la nature lorsqu’il intervient. L’auteur ne tranche pas, il laisse cohabiter les deux appréciations dans son texte.
Rappel sur la composition des évangiles
L’évangile de Matthieu a connu lui aussi une composition complexe. Selon l’avis des spécialistes, il a été rédigé dans les années 70, soit plus de 40 ans après la mort de Jésus. Pendant ces quarante années, la communauté chrétienne a connu une expansion numérique et une maturation théologique. Il a fallu tirer toutes les conséquences théologiques du fait de reconnaître Jésus comme Messie envoyé par Dieu pour le salut des humains. D’abord, intégrés au sein de la communauté juive, les disciples de Jésus de Nazareth ont ensuite rencontré des tensions de plus en plus fortes avec les responsables religieux du judaïsme, jusqu’à ce qu’ils soient officiellement exclus des synagogues et considérés comme de dangereux déviationnistes. A cette époque là, des familles se sont, de fait, retrouvées divisées. Les membres qui avaient reconnu en Jésus le Messie se sont retrouvés non seulement montrés du doigt, mais même exclus. Vous savez sans doute que le souci de pureté rituelle que l’on trouve dans la religion juive amenait ses adeptes à ne pas fréquenter, à ne pas toucher et à ne pas partager un repas avec des personnes considérées comme impures. La foi au Christ, acceptée par les uns et refusée par les autres, a de fait, provoqué dans les familles, des divisions et des exclusions.
Par sa date tardive de rédaction, l’évangile de Matthieu, se fait donc le reflet à la fois de l’enseignement de Jésus durant les quelques années de son activité, mais aussi des préoccupations de l’enseignement et des pratiques de l’Eglise à qui est destiné cet évangile. Or cette Eglise vivait cruellement sa situation nouvelle d’exclusion du judaïsme. Elle cherchait des explications, des causes à ce rejet. Elle se rappellait que déjà en son temps Jésus avait connu une opposition de la part des milieux les plus conservateurs du judaïsme et elle s’est plu à le souligner dans les récits de la vie de Jésus qu’elle a produit à ce moment là. Comme dans toutes les divorces, chaque parti a cherché ensuite à légitimer sa position avec les arguments qui correspondaient à sa logique (ou à sa théologie dans ce cas).
Quelle était la vraie nature de l’enseignement de Jésus ?
Jésus était-il conscient que son enseignement provoquerait ce genre de réaction ? Je serai assez tenté de penser que oui. Il était un trop fin connaisseur du judaïsme et de ses traditions, pour ne pas constater l’existence de forces réactionnaires très importantes. Il avait lui-même constaté à quel point la religion, avec ses rites de pèlerinage et son système sacrificiel, était un élément constitutif de l’équilibre économique de la société, permettant même à certains privilégiés de la capitale (prêtres ou commerçants) de vivre très confortablement grâce à l’obéissance et à la piété des foules de fidèles. Lui-même ayant connu des formes aussi fortes d’opposition (n’oubliez pas que plusieurs fois, on a voulu le tuer à coups de pierres), il a sans doute mis en garde ses disciples sur le fait qu’eux aussi connaîtront un sort identique au sien.
« Tout le monde vous haïra à cause de moi. Mais celui qui tiendra bon jusqu'à la fin sera sauvé. » (Mat 10.22)
« Aucun élève n'est supérieur à son maître; aucun serviteur n'est supérieur à son patron.
Il suffit que l'élève devienne comme son maître et que le serviteur devienne comme son patron. Si l'on a appelé le chef de famille Béelzébul, à combien plus forte raison insultera-t-on les membres de sa famille! » (Mat 10.24-25)
Si Jésus a prévenu ses disciples qu’ils se heurteraient à de l’opposition, pour autant il ne leur a pas demandé de rechercher l’affrontement, ni de se complaire dans des attitudes de provocation systématique. Comme les prophètes d’Israël avant lui, il était porteur d’un très haut idéal de cohérence entre la foi en Dieu et la pratique religieuse et sociale. Lorsqu’il commandait d’aller se réconcilier avec son frère avant d’offrir tout sacrifice au temple, il était dans le même registre que le prophète Esaïe qui faisait dire à Dieu : « Je déteste vos fêtes et vos cérémonies, elles sont un poids pour moi… Même si vous faites beaucoup de prières, je n’écoute pas, vos mains sont pleines de sang. » (Es 1.14-15).
Jésus a souffert de l’exclusion, mais il n’a pas fait de l’exclusion un critère pour mesurer l’authenticité de la foi, ni d’ailleurs une œuvre méritoire aux yeux de Dieu.
Dieu est-il doux ou violent ?
Pour ma part, je considère que le cœur de l’enseignement de Jésus se trouve dans les ch. 5 et 6 de Matthieu, c’est à dire dans ce sermon sur la montagne où Jésus demande de renoncer non seulement à toute violence, mais même à toute vengeance ou à toute pensée qui avilit ou salit son prochain. Le message de Jésus est tout sauf un message guerrier, c’est pourquoi je ressent comme une immense trahison de l’Evangile la récupération de la religion chrétienne par le pouvoir politique et militaire tout au long des siècles. Mais l’Evangile n’est pas ce qu’en ont fait les hommes. Il reste un idéal à vivre, une des rares raisons d’espérer et de continuer à lutter pour un monde différent de celui que nous connaissons actuellement. Quand à Dieu, faute de nous mettre sincèrement à sa recherche et à l’écoute de sa Parole, il n’est souvent que la projection absolutisée de nos schémas bien humains ou de nos fantasmes de pouvoir. Jésus nous a révélé un tout autre visage de Dieu. Il serait temps que nous le découvrions.
Christian Bonnet
Alliance biblique française