ÉTATS-UNIS • Quelles limites à la liberté d'expression ?
Aux Etats-Unis, un groupe religieux radical s'est fait une spécialité d'insulter les dépouilles des soldats morts en Irak, affirmant qu'il s'agit d'une punition divine. Et ils pourraient bien avoir juridiquement raison, déplore le quotidien USA Today.
AFP
Où s'arrête la liberté d'expression et où commence la volonté de nuire ? Les membres d'une Eglise ayant pour habitude de manifester lors de funérailles militaires avec des slogans injurieux à l'égard des soldats décédés ont relancé le débat sur le 1er amendement [de la Constitution américaine, celui qui garantit la liberté d'expression].
Un jury vient en effet d'accorder près de 11 millions de dollars de dédommagement à Albert Snyder. Lors des funérailles militaires de son fils, des membres de l'Eglise baptiste Wesboro avaient manifesté avec des pancartes où était inscrit "Dieu déteste les pédés" et "Merci mon Dieu pour la mort de ces soldats". Le jury a estimé que l'Eglise avait violé l'intimité de la famille, et M. Snyder espère que ce verdict va la faire taire une fois pour toutes.
Pourtant, selon des spécialistes de droit constitutionnel, ce jugement représente probablement une violation du droit à la liberté d'expression protégé par le 1er amendement, et il enfreint peut-être également le droit à la liberté de culte. "Les prévenus n'ont certes rien de sympathique, mais la loi est de leur côté", soupire Mark Graber, professeur à la faculté de droit du Maryland.
Cette Eglise de Topeka (Kansas) fait souvent la une des journaux pour les coups d'éclat de son fondateur, Fred Phelps. Son Dieu aurait en effet décidé de punir l'Amérique pour son immoralité, et notamment pour sa trop grande tolérance à l'égard des homosexuels. Et le châtiment divin s'exprimerait à travers la mort des soldats américains en Irak et celle des étudiants tués lors de la fusillade à Virginia Tech, en avril dernier.
En mars 2006, donc, Fred Phelps et ses deux filles ont manifesté lors de l'enterrement du caporal-chef Matthew Snyder à Westminster, dans le Maryland. Le père du jeune homme, Albert Snyder, a attaqué l'Eglise Wesboro pour atteinte à la vie privée et intention délibérée d'infliger un dommage moral. Et il a obtenu gain de cause, puisque le jury a condamné les Phelps à lui payer 11 millions de dollars en réparation du préjudice infligé. Fred Phelps a fait appel.
La décision des membres du jury s'appuie uniquement sur ce qu'ils pensent des propos tenus par les Phelps, ce qui est contraire aux principes élémentaires du 1er amendement [qui défend la liberté d'expression], rappelle David Hudson, du Centre pour le 1er amendement. "Si les gens peuvent être traduits en justice parce que d'autres sont offensés par ce qu'ils disent, alors c'est la liberté d'expression qui est bafouée", dit-il. "Chaque fois que la parole de quelqu'un est limitée, la liberté d'expression de chacun est menacée", renchérit Jonathan Katz, l'avocat des Phelps.
Mais, pour Byron Warnken, professeur de droit, la liberté d'expression a tout de même des limites. Selon lui, les agissements des membres de l'Eglise Wesboro montraient bien qu'ils avaient non seulement l'intention de perturber une cérémonie privée, mais également de blesser Albert Snyder. "C'était probablement leur objectif, et de toute façon ils n'ignoraient rien des conséquences de leurs actes", s'indigne Warnken, qui enseigne à la faculté de droit de Baltimore. Selon lui, le verdict va être levé en appel, mais cette affaire pourrait bien être portée devant la Cour suprême.
Pour Sean Summers, qui représente Albert Snyder, il est injuste de protéger les droits de cette Eglise au détriment de la vie privée d'Albert Snyder et de son équilibre mental. Sean Summers raconte que les membres de Wesboro ont – comme à leur habitude – délibérément perturbé les funérailles du jeune homme en prévenant la police avant de venir. Des dizaines d'officiers de police, de journalistes et de curieux avaient d'ailleurs envahi l'endroit.
Cette affaire pourrait faire jurisprudence avant même d'avoir atteint la Haute Cour de justice, et Phelps pourrait bientôt ne plus manifester dans les enterrements : à en croire la Conférence nationale des Parlements des Etats, quarante Etats ont passé des lois ces deux dernières années pour empêcher les manifestations de se tenir trop près des enterrements.
Alan Gomez
USA Today
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Ecrit le 04 déc.07, 20:50-
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