Juifs persécutés dans l’Islam du haut moyen-âge

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caius

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Juifs persécutés dans l’Islam du haut moyen-âge

Ecrit le 10 janv.08, 04:20

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Juifs persécutés dans l’Islam du haut moyen-âge

Maïmonide et le Prophète «Meshuga»
26 décembre 2007, Andrew Bostom


Cet essai est extrait de travaux provenant de l’ouvrage à paraître en 2008: «L’héritage de l’antisémitisme», chez Prometheus Books.

Le 13 décembre a marqué le 804ème anniversaire de la mort de Maïmonide (au Caire en 1203), talmudiste, philosophe, astronome et médecin renommé.

La biographie de ce «second Moïse» est souvent citée par ceux qui voudraient inférer le prétendu œcuménisme du Haut Moyen Age – en particulier en «Andalousie», ou Espagne musulmane, invariablement accompagnée d’une dénonciation de l’intolérance fanatique de l’Europe chrétienne occidentale, à la même époque. Un exemple particulièrement flagrant de ce genre de comparaisons pesantes a été fait par Amartya Sen, le Prix Nobel d’économie, dans son livre récent «Identité et Violence». Sen a la témérité de déclarer:

Le philosophe juif Maïmonide fut obligé d’émigrer de l’Europe intolérante au 12ème siècle; il trouva un havre de tolérance dans le monde arabe.

Mises à part les sottises de Sen, Maïmonide (né en 1135 à Cordoue) n’était âgé que de 13 ans en 1148 quand Cordoue la musulmane tomba aux mains de Musulmans particulièrement fanatiques, les berbères Almohades, qui envahirent la péninsule ibérique depuis l’Afrique du Nord. Maïmonide et tous les Juifs dhimmis de Cordoue furent obligés de choisir entre l’islam et l’exil. Choisissant celui-ci, Maïmonide et sa famille menèrent pendant les 12 années suivantes une vie nomade, errant à travers l’Espagne. En 1160, ils traversèrent la Méditerranée, et s’installèrent à Fez au Maroc (également sous contrôle Almohade) où, inconnus des autorités, ils espéraient passer pour musulmans, en vivant comme des crypto-juifs.

La double vie de Maïmonide cependant, devint de plus en plus dangereuse alors que sa réputation augmentait sans cesse, et les autorités commencèrent d’enquêter sur les dispositions religieuses de ce jeune homme très doué. Il fut même accusé par un informateur du crime de relapse (apostasie) de l’islam et, sans l’intercession du poète et théologien Abu al-’Arab al Mu’ishah, un ami musulman, il aurait souffert le destin de son collègue Judah ibn Shoshan, qui avait été exécuté peu auparavant sous les mêmes accusations. Suite à ces conditions précaires, la famille de Maïmonide quitta Fez, embarquant en 1165 vers St-Jean d’Acre, puis vers Jérusalem, puis à Fostat (Le Caire), où ils s’installèrent, vivant de nouveau comme des dhimmis, bien que sous une loi fatimide plus tolérante.

Les déprédations du jihad des Almohades (1130–1232) infligèrent une énorme destruction aussi bien aux populations juives et chrétiennes d’Espagne et d’Afrique du Nord. Un compte-rendu contemporain de Salomon Cohen (comportant une séquence des évènements par l’historien arabe Ibn Baydhaq) depuis janvier 1148, a décrit les conquêtes musulmanes almohades en Afrique du Nord et en Espagne comme suit :

Abd al-Mumin, le chef des Almohades après la mort de Muhammad Ibn Tumart le Mahdi, s’empara de Tlemcen au Maghreb; il tua tous ceux qui s’y trouvaient, parmi lesquels les Juifs, sauf ceux qui embrassèrent l’Islam. A Sijilmasa, cent cinquante personnes furent tuées pour rester attachées à leur foi juive. Toutes les villes de l’Etat almoravide – dirigeants dynastiques de l’Afrique du Nord et de l’Espagne avant les Almohades – furent conquises par les Almohades. Cent mille personnes furent tuées à Fez à cette occasion, et 120.000 à Marrakech. Les Juifs de toutes les localités du Maghreb gémissaient sous le joug pesant des Almohades ; beaucoup d’entre eux furent tués, beaucoup d’autres s’étaient convertis ; aucun ne put apparaître publiquement comme juif. De larges zones entre Séville et Tortosa en Espagne étaient aussi tombées aux mains des Almohades.

Cette dévastation – massacres, captivité et conversion forcée – a été décrite par le chroniqueur juif Abraham Ibn Daud, et le poète Abraham Ibn Ezra. Soupçonnant la sincérité des Juifs convertis à l’Islam, des «inquisiteurs» musulmans, précédant leurs homologues chrétiens espagnols de trois siècles, retiraient les enfants de ces familles, les plaçant sous la garde d’éducateurs musulmans. Quand Sijilmassa (une oasis au Sud-Ouest de Fez) fut conquise par les Almohades en 1146, les Juifs eurent le choix entre la conversion ou la mort. Alors que 150 Juifs choisirent le martyr, d’autres se convertirent à l’islam – y compris le Dayan (rabbin ou juge rabbinique) Joseph ben Amram – qui retournèrent plus tard au judaïsme. La ville de Dar’a endura un sort identique. L’élégie émouvante «Ahah Yarad Al Sefarad» d’Abraham Ibn Ezra décrit la destruction par les Almohades, aussi bien des communautés juives d’Espagne – Séville, Cordoue, Jaen, Almeria – et d’Afrique du Nord dont Sijilmasa et Dar’a ainsi que d’autres à Marrakech, Fez, Tlemcen, Ceuta, et Meknès.

Ibn Aqnin (mort en 1220), philosophe et commentateur renommé, né à Barcelone en 1150, fuyant les persécutions almohades avec sa famille, s’échappa aussi à Fez. Vivant comme crypto-juif, il rencontra Maïmonide et nota dans ses propres écrits poignants les souffrances des Juifs sous la férule almohade. Ibn Aqnin écrivait durant le règne d’Abu Yusuf al-Mansur (régnant de 1184 à1199), quatre décennies après la mise en place des persécutions almohades en 1140. Alors, les Juifs convertis de force à l’islam en étaient déjà à la troisième génération de Musulmans. Malgré cela, al Mansour continuait de leur imposer des restrictions, ce que Ibn Aqnin rapporte. Dans son ‘Tibb al-Nufus’ (thérapie de l’âme), Ibn Aqnin se lamente :

Nos cœurs sont inquiets et nos âmes effrayées à tout moment qui passe, car nous n’avons ni sécurité ni stabilité. Des persécutions et des décrets anciens ont été dirigés contre ceux demeurés fidèles à la Loi d’Israël, et les ont maintenus avec ténacité, de sorte qu’ils pourraient même mourir au nom de leur foi. Dans le cas où ils se soumettraient à leurs exigences, nos ennemis les loueraient et les honoreraient… Mais lors des persécutions présentes, au contraire, autant que nous puissions paraître obéir à leurs instructions abandonner la nôtre, ils appesantissent notre joug et rendent notre travail plus difficile… Observer les duretés des apostats de notre communauté qui ont totalement abandonné la foi, et ont changé de tenue à la suite de ces persécutions… Mais leur conversion ne leur était d’aucune utilité, car ils étaient soumis aux mêmes vexations que ceux restés fidèles à leur foi. De fait, même la conversion de nos pères ou grands-pères ne leur a été d’aucun avantage (…).

Si nous devions prévoir les persécutions qui nous sont tombées dessus dans les années récentes, nous ne trouverions rien de comparable dans les annales de nos ancêtres. Nous sommes l’objet d’inquisitions ; des grands et des petits témoignent contre nous, et des jugements sont prononcés, dont le moindre rend légal de verser notre sang, la confiscation de nos biens, et le déshonneur de nos épouses. (…)

Les gardiens musulmans peuvent disposer de nos jeunes enfants, et de leurs biens à leur guise. S’ils ont été donnés à un individu craignant Allah, il s’efforcera alors d’éduquer les enfants dans leur religion, car l’un de leurs principes est que tous les enfants sont à l’origine nés musulmans, et ce sont leurs parents qui les élèvent comme Juifs, Chrétiens ou Zoroastriens. Ainsi, si leur gardien les éduque dans ce qu’ils déclarent être leur religion originale (c.a.d. l’islam) et ne laisse pas les enfants à leurs parents - les Juifs - il obtiendra une récompense considérable d’Allah. (…)

Il nous était interdit de pratiquer le commerce, qui est notre ressource vitale, car on ne peut vivre sans la nourriture pour sustenter nos corps, et sans vêtements pour les protéger du chaud et du froid. Ces derniers ne peuvent être obtenus que par le commerce, car il est leur ressource et leur origine, sans lequel son effet, c.a.d. notre existence, disparaîtrait. Ce faisant, leur idée était d’affaiblir nos forts et d’annihiler nos faibles. (…)

Puis ils nous imposés des vêtements distincts. De même que pour le décret imposant le port de longues manches, son objet était de nous faire ressembler à l’état inférieur des femmes, qui sont dénuées de force. Ils avaient pour objet, par leur longueur, de nous rendre disgracieux, alors que leur couleur devait nous rendre répugnants. Le but de ces vêtements distinctifs est de nous différencier d’entre eux, de façon à être reconnus dans nos échanges avec eux sans le moindre doute, pour qu’ils puissent nous dénigrer et nous humilier… De plus, cela permet de répandre notre sang dans l’impunité, car quand nous voyageons sur le chemin d’une ville à l’autre, nous sommes attaqués par des voleurs et des brigands, et sommes secrètement assassinés la nuit ou tués en plein jour. (…)

Maintenant, l’objet de la persécution par Ismaël, qu’ils nous demandent de renoncer à notre religion en public ou en privé, est seulement d’annihiler la foi en Israël, et par conséquent, on acceptera plus sûrement la mort que de commettre le moindre pêché… Comme le firent les martyrs de Fez, de Sijilmassa, et de Dar’a.


L’épître de Maïmonide aux Juifs du Yémen fut écrite vers 1172 en réponse aux questions de Jacob ben Netan’el al-Fayyûmi, qui dirigeait la communauté juive au Yémen. A cette époque, les Juifs du Yémen enduraient une expérience familière à Maïmonide – alors qu’ils étaient obligés de se convertir à l’islam - campagne lancée vers 1165 par Abd-al-Nabî ibn Mahdi. Maïmonide adressa des recommandations au chef de la communauté juive du Yémen, et les encouragements qu’il put rassembler. L’épître aux Juifs du Yémen apporte une vision honnête et sans hésitation de ce que Maïmonide pensait du prophète musulman Mohammed, ou «Le Fou» comme il l’appelle, et au sujet de l’Islam en général. Maïmonide écrit :

Vous écrivez que le chef rebelle au Yémen a décrété une apostasie obligatoire pour les Juifs, obligeant les habitants juifs de toutes les places qu’ils avait soumises à abandonner la religion juive, exactement comme les Berbères les avaient obligés à le faire au Maghreb [c.a.d. l’occident islamique]. Et sans délai. Voilà de bien mauvaises nouvelles (…). «Et celui qui les entend, ses deux oreilles frissonnent (I, Samuel 3:11)». En vérité, nos cœurs sont affligés, nos esprits sont meurtris, et la force du corps épuisée à cause des terribles infortunes que nous ont apportées des persécutions religieuses aux deux extrémités de la terre, l’Orient et l’Occident, «de sorte que l’ennemi était au milieu d’Israël, certains de ce côté, et certains de l’autre côté» (Joshua 8:22).

Maïmonide fait clairement savoir que les persécutions implacables des Juifs par les Musulmans équivalent à une conversion forcée:

Les persécutions continues en entraîneront beaucoup à s’éloigner progressivement de notre foi, d’avoir des craintes, ou de se perdre, parce qu’ils auront vu notre faiblesse, et le triomphe de nos adversaires et leur domination sur nous.

Puis il note: «Après lui s’est levé le Fou qui imita son précurseur puisqu’il lui ouvrit la voie. Mais il ajouta comme nouvel objectif d’apporter férule et soumission, et il inventa sa religion bien connue». Des écrivains juifs médiévaux désignaient souvent Mohammed comme ‘ha-Meshugga’, le Fou en hébreu, comme l’historien Norman Stillman d’un air narquois, étant «lourd d’implications».


L’essai magistral de Georges Vajda en 1937 sur les motifs anti-juifs dans les Hadith, comprend une discussion fascinante des «Teshuvot» – Responsa – de Maïmonide sur la question de savoir si les Juifs devaient tenter d’enseigner la Torah aux Musulmans, par rapport aux Chrétiens. Bien que en principe, la réponse soit négative, c.a.d. que les non juifs étaient proscrits de l’étude formelle de la Torah en soi, Maïmonide fait cette distinction frappante entre les Chrétiens et les Musulmans, concernant l’enseignement des commandements et de leurs explications, du fait de la menace unique posée par les Musulmans de par leur intolérance doctrinale :

Il est permis d’enseigner les commandements et les explications selon la loi rabbinique aux Chrétiens, mais il est interdit d’en faire de même pour les Musulmans. Vous savez en effet que selon leur croyance cette Torah n’est pas divine, et si vous leur enseignez quelque chose, il le trouveront contraire à leur tradition, parce que leurs pratiques sont confuses, et leurs opinions bizarres - mippnei she-ba’uu la-hem debariim be-ma’asiim – (parce qu’ils ont reçu un méli-mélo de pratiques diverses et étranges, et de déclarations inapplicables). Ce que l’on enseigne ne les convaincra pas de la fausseté de leurs opinions, mais ils l’interprèteront selon leurs principes erronés et ils nous opprimeront. Pour cette raison (…), ils haïssent tous les non musulmans qui vivent parmi eux. Ce serait alors le principal obstacle pour les Israélites qui, à cause de leurs pêchés, sont captifs parmi eux. Au contraire, les incirconcis (les Chrétiens) admettent que le texte de la Torah, tel que nous l’avons, est intact. Ils l’interprètent seulement de façon erronée, et l’utilisent pour des objectifs d’exégèse allégorique qui leur est propre – Ve-yirmezuu bah ha-remaziim hay-yedu’iim la-hem – (ils échangeraient des signes secrets connus seulement d’eux). Si quelqu’un les informe de l’interprétation correcte, on peut espérer qu’ils reviennent de leur erreur, et même s’ils ne le font pas, il n’y a pas d’obstacle pour Israël, parce qu’ils ne trouvent pas dans leur loi religieuse une contradiction avec la nôtre (…).

Revenant à l’Epître aux Juifs du Yémen, Maïmonide souligne l’une des raisons présumées de la haine des Musulmans contre les Juifs :

Vu que les Musulmans n’avaient pas pu trouver la moindre preuve qu’ils pourraient utiliser dans toute la Bible, ni une référence ou une allusion possible à leur prophète, ils se crurent obliges de nous accuser en disant, « Vous avez altéré la Torah, et en avez expurgé toute trace du nom de Mohammed». Ils ne purent rien trouver de plus puissant que cet argument ignominieux.

En explicitant la profondeur de la haine musulmane contre les Juifs, Maïmonide fait une nouvelle observation profonde concernant la prédilection juive pour le démenti, une caractéristique qui, insiste-t-il, hâtera leur destruction :

Souvenez-vous, mes coreligionnaires, qu’au décompte du vaste nombre de nos pêchés, D.ieu nous a précipités au milieu de ce peuple, les Arabes, qui nous ont sévèrement persécutés, et ont adopté une législation néfaste et discriminatoire contre nous, comme les Ecritures nous en ont avertis: «Nos ennemis eux-mêmes nous jugeront » (Deutéronome 32:31). Jamais une nation ne nous a frappés, dégradés, dépréciés, et haïs autant qu’eux. Bien qu’ils nous aient déshonorés au-delà de la capacité d’endurance humaine, et que nous ayons dû subir leurs diffamations, pourtant nous nous comportons comme celui qui est dépeint par l’écrivain inspiré: Mais je suis comme sourd, je n’entends pas, et je suis muet comme celui qui n’ouvre pas la bouche (Psaumes 38:14)» (…).

De même nos sages nous ont appris à supporter les tergiversations et le grotesque d’Ismaël en silence. Ils trouvèrent une allusion cachée à cette attitude dans les noms de ses fils: «Mishma, Dumah, et Massa» (Génèse 25:14, dont l’interprétation signifiait «Ecoute, garde le silence, et endure» (Targum Pseudo-Jonathan, ad locum). Nous avons acquiescé, aussi bien les vieux que les jeunes, pour nous endurcir à l’humiliation, comme Isaïe nous en a instruits: «J’ai tendu mon dos aux châtiments, et mes joues dont ils arrachèrent les poils» (50:6). Malgré tout cela, nous n’échappons pas à ce perpétuel mauvais traitement, qui nous écrase presque (…). Peu importe combien nous souffrons et choisissions de rester en paix avec eux, ils soulèvent conflits et sédition, comme David l’a prédit: «Je ne suis que paix, mais quand je parle, ils sont pour la guerre» (Psaumes 120:7).
Si donc, nous commençons à jeter le trouble et à réclamer d’eux le pouvoir de façon absurde et grotesque, nous contribuerons certainement à notre propre destruction.


800 ans plus tard exactement, ignorant tristement l’observation intemporelle de Maïmonide– comme les gouvernements israéliens, tout particulièrement, et américains, ont tant coutume de le faire – l’apaisement irresponsable du suprématisme musulman est vraiment «Meshuga», avec toutes les connotations modernes et anciennes de l’expression.

Adaptation française de Sentinelle 5768 ©

reda13

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Re: Juifs persécutés dans l’Islam du haut moyen-âge

Ecrit le 10 janv.08, 10:34

Message par reda13 »

caius a écrit :Juifs persécutés dans l’Islam du haut moyen-âge

Maïmonide et le Prophète «Meshuga»
26 décembre 2007, Andrew Bostom


Cet essai est extrait de travaux provenant de l’ouvrage à paraître en 2008: «L’héritage de l’antisémitisme», chez Prometheus Books.

Le 13 décembre a marqué le 804ème anniversaire de la mort de Maïmonide (au Caire en 1203), talmudiste, philosophe, astronome et médecin renommé.

La biographie de ce «second Moïse» est souvent citée par ceux qui voudraient inférer le prétendu œcuménisme du Haut Moyen Age – en particulier en «Andalousie», ou Espagne musulmane, invariablement accompagnée d’une dénonciation de l’intolérance fanatique de l’Europe chrétienne occidentale, à la même époque. Un exemple particulièrement flagrant de ce genre de comparaisons pesantes a été fait par Amartya Sen, le Prix Nobel d’économie, dans son livre récent «Identité et Violence». Sen a la témérité de déclarer:

Le philosophe juif Maïmonide fut obligé d’émigrer de l’Europe intolérante au 12ème siècle; il trouva un havre de tolérance dans le monde arabe.

Mises à part les sottises de Sen, Maïmonide (né en 1135 à Cordoue) n’était âgé que de 13 ans en 1148 quand Cordoue la musulmane tomba aux mains de Musulmans particulièrement fanatiques, les berbères Almohades, qui envahirent la péninsule ibérique depuis l’Afrique du Nord. Maïmonide et tous les Juifs dhimmis de Cordoue furent obligés de choisir entre l’islam et l’exil. Choisissant celui-ci, Maïmonide et sa famille menèrent pendant les 12 années suivantes une vie nomade, errant à travers l’Espagne. En 1160, ils traversèrent la Méditerranée, et s’installèrent à Fez au Maroc (également sous contrôle Almohade) où, inconnus des autorités, ils espéraient passer pour musulmans, en vivant comme des crypto-juifs.

La double vie de Maïmonide cependant, devint de plus en plus dangereuse alors que sa réputation augmentait sans cesse, et les autorités commencèrent d’enquêter sur les dispositions religieuses de ce jeune homme très doué. Il fut même accusé par un informateur du crime de relapse (apostasie) de l’islam et, sans l’intercession du poète et théologien Abu al-’Arab al Mu’ishah, un ami musulman, il aurait souffert le destin de son collègue Judah ibn Shoshan, qui avait été exécuté peu auparavant sous les mêmes accusations. Suite à ces conditions précaires, la famille de Maïmonide quitta Fez, embarquant en 1165 vers St-Jean d’Acre, puis vers Jérusalem, puis à Fostat (Le Caire), où ils s’installèrent, vivant de nouveau comme des dhimmis, bien que sous une loi fatimide plus tolérante.

Les déprédations du jihad des Almohades (1130–1232) infligèrent une énorme destruction aussi bien aux populations juives et chrétiennes d’Espagne et d’Afrique du Nord. Un compte-rendu contemporain de Salomon Cohen (comportant une séquence des évènements par l’historien arabe Ibn Baydhaq) depuis janvier 1148, a décrit les conquêtes musulmanes almohades en Afrique du Nord et en Espagne comme suit :

Abd al-Mumin, le chef des Almohades après la mort de Muhammad Ibn Tumart le Mahdi, s’empara de Tlemcen au Maghreb; il tua tous ceux qui s’y trouvaient, parmi lesquels les Juifs, sauf ceux qui embrassèrent l’Islam. A Sijilmasa, cent cinquante personnes furent tuées pour rester attachées à leur foi juive. Toutes les villes de l’Etat almoravide – dirigeants dynastiques de l’Afrique du Nord et de l’Espagne avant les Almohades – furent conquises par les Almohades. Cent mille personnes furent tuées à Fez à cette occasion, et 120.000 à Marrakech. Les Juifs de toutes les localités du Maghreb gémissaient sous le joug pesant des Almohades ; beaucoup d’entre eux furent tués, beaucoup d’autres s’étaient convertis ; aucun ne put apparaître publiquement comme juif. De larges zones entre Séville et Tortosa en Espagne étaient aussi tombées aux mains des Almohades.

Cette dévastation – massacres, captivité et conversion forcée – a été décrite par le chroniqueur juif Abraham Ibn Daud, et le poète Abraham Ibn Ezra. Soupçonnant la sincérité des Juifs convertis à l’Islam, des «inquisiteurs» musulmans, précédant leurs homologues chrétiens espagnols de trois siècles, retiraient les enfants de ces familles, les plaçant sous la garde d’éducateurs musulmans. Quand Sijilmassa (une oasis au Sud-Ouest de Fez) fut conquise par les Almohades en 1146, les Juifs eurent le choix entre la conversion ou la mort. Alors que 150 Juifs choisirent le martyr, d’autres se convertirent à l’islam – y compris le Dayan (rabbin ou juge rabbinique) Joseph ben Amram – qui retournèrent plus tard au judaïsme. La ville de Dar’a endura un sort identique. L’élégie émouvante «Ahah Yarad Al Sefarad» d’Abraham Ibn Ezra décrit la destruction par les Almohades, aussi bien des communautés juives d’Espagne – Séville, Cordoue, Jaen, Almeria – et d’Afrique du Nord dont Sijilmasa et Dar’a ainsi que d’autres à Marrakech, Fez, Tlemcen, Ceuta, et Meknès.

Ibn Aqnin (mort en 1220), philosophe et commentateur renommé, né à Barcelone en 1150, fuyant les persécutions almohades avec sa famille, s’échappa aussi à Fez. Vivant comme crypto-juif, il rencontra Maïmonide et nota dans ses propres écrits poignants les souffrances des Juifs sous la férule almohade. Ibn Aqnin écrivait durant le règne d’Abu Yusuf al-Mansur (régnant de 1184 à1199), quatre décennies après la mise en place des persécutions almohades en 1140. Alors, les Juifs convertis de force à l’islam en étaient déjà à la troisième génération de Musulmans. Malgré cela, al Mansour continuait de leur imposer des restrictions, ce que Ibn Aqnin rapporte. Dans son ‘Tibb al-Nufus’ (thérapie de l’âme), Ibn Aqnin se lamente :

Nos cœurs sont inquiets et nos âmes effrayées à tout moment qui passe, car nous n’avons ni sécurité ni stabilité. Des persécutions et des décrets anciens ont été dirigés contre ceux demeurés fidèles à la Loi d’Israël, et les ont maintenus avec ténacité, de sorte qu’ils pourraient même mourir au nom de leur foi. Dans le cas où ils se soumettraient à leurs exigences, nos ennemis les loueraient et les honoreraient… Mais lors des persécutions présentes, au contraire, autant que nous puissions paraître obéir à leurs instructions abandonner la nôtre, ils appesantissent notre joug et rendent notre travail plus difficile… Observer les duretés des apostats de notre communauté qui ont totalement abandonné la foi, et ont changé de tenue à la suite de ces persécutions… Mais leur conversion ne leur était d’aucune utilité, car ils étaient soumis aux mêmes vexations que ceux restés fidèles à leur foi. De fait, même la conversion de nos pères ou grands-pères ne leur a été d’aucun avantage (…).

Si nous devions prévoir les persécutions qui nous sont tombées dessus dans les années récentes, nous ne trouverions rien de comparable dans les annales de nos ancêtres. Nous sommes l’objet d’inquisitions ; des grands et des petits témoignent contre nous, et des jugements sont prononcés, dont le moindre rend légal de verser notre sang, la confiscation de nos biens, et le déshonneur de nos épouses. (…)

Les gardiens musulmans peuvent disposer de nos jeunes enfants, et de leurs biens à leur guise. S’ils ont été donnés à un individu craignant Allah, il s’efforcera alors d’éduquer les enfants dans leur religion, car l’un de leurs principes est que tous les enfants sont à l’origine nés musulmans, et ce sont leurs parents qui les élèvent comme Juifs, Chrétiens ou Zoroastriens. Ainsi, si leur gardien les éduque dans ce qu’ils déclarent être leur religion originale (c.a.d. l’islam) et ne laisse pas les enfants à leurs parents - les Juifs - il obtiendra une récompense considérable d’Allah. (…)

Il nous était interdit de pratiquer le commerce, qui est notre ressource vitale, car on ne peut vivre sans la nourriture pour sustenter nos corps, et sans vêtements pour les protéger du chaud et du froid. Ces derniers ne peuvent être obtenus que par le commerce, car il est leur ressource et leur origine, sans lequel son effet, c.a.d. notre existence, disparaîtrait. Ce faisant, leur idée était d’affaiblir nos forts et d’annihiler nos faibles. (…)

Puis ils nous imposés des vêtements distincts. De même que pour le décret imposant le port de longues manches, son objet était de nous faire ressembler à l’état inférieur des femmes, qui sont dénuées de force. Ils avaient pour objet, par leur longueur, de nous rendre disgracieux, alors que leur couleur devait nous rendre répugnants. Le but de ces vêtements distinctifs est de nous différencier d’entre eux, de façon à être reconnus dans nos échanges avec eux sans le moindre doute, pour qu’ils puissent nous dénigrer et nous humilier… De plus, cela permet de répandre notre sang dans l’impunité, car quand nous voyageons sur le chemin d’une ville à l’autre, nous sommes attaqués par des voleurs et des brigands, et sommes secrètement assassinés la nuit ou tués en plein jour. (…)

Maintenant, l’objet de la persécution par Ismaël, qu’ils nous demandent de renoncer à notre religion en public ou en privé, est seulement d’annihiler la foi en Israël, et par conséquent, on acceptera plus sûrement la mort que de commettre le moindre pêché… Comme le firent les martyrs de Fez, de Sijilmassa, et de Dar’a.


L’épître de Maïmonide aux Juifs du Yémen fut écrite vers 1172 en réponse aux questions de Jacob ben Netan’el al-Fayyûmi, qui dirigeait la communauté juive au Yémen. A cette époque, les Juifs du Yémen enduraient une expérience familière à Maïmonide – alors qu’ils étaient obligés de se convertir à l’islam - campagne lancée vers 1165 par Abd-al-Nabî ibn Mahdi. Maïmonide adressa des recommandations au chef de la communauté juive du Yémen, et les encouragements qu’il put rassembler. L’épître aux Juifs du Yémen apporte une vision honnête et sans hésitation de ce que Maïmonide pensait du prophète musulman Mohammed, ou «Le Fou» comme il l’appelle, et au sujet de l’Islam en général. Maïmonide écrit :

Vous écrivez que le chef rebelle au Yémen a décrété une apostasie obligatoire pour les Juifs, obligeant les habitants juifs de toutes les places qu’ils avait soumises à abandonner la religion juive, exactement comme les Berbères les avaient obligés à le faire au Maghreb [c.a.d. l’occident islamique]. Et sans délai. Voilà de bien mauvaises nouvelles (…). «Et celui qui les entend, ses deux oreilles frissonnent (I, Samuel 3:11)». En vérité, nos cœurs sont affligés, nos esprits sont meurtris, et la force du corps épuisée à cause des terribles infortunes que nous ont apportées des persécutions religieuses aux deux extrémités de la terre, l’Orient et l’Occident, «de sorte que l’ennemi était au milieu d’Israël, certains de ce côté, et certains de l’autre côté» (Joshua 8:22).

Maïmonide fait clairement savoir que les persécutions implacables des Juifs par les Musulmans équivalent à une conversion forcée:

Les persécutions continues en entraîneront beaucoup à s’éloigner progressivement de notre foi, d’avoir des craintes, ou de se perdre, parce qu’ils auront vu notre faiblesse, et le triomphe de nos adversaires et leur domination sur nous.

Puis il note: «Après lui s’est levé le Fou qui imita son précurseur puisqu’il lui ouvrit la voie. Mais il ajouta comme nouvel objectif d’apporter férule et soumission, et il inventa sa religion bien connue». Des écrivains juifs médiévaux désignaient souvent Mohammed comme ‘ha-Meshugga’, le Fou en hébreu, comme l’historien Norman Stillman d’un air narquois, étant «lourd d’implications».


L’essai magistral de Georges Vajda en 1937 sur les motifs anti-juifs dans les Hadith, comprend une discussion fascinante des «Teshuvot» – Responsa – de Maïmonide sur la question de savoir si les Juifs devaient tenter d’enseigner la Torah aux Musulmans, par rapport aux Chrétiens. Bien que en principe, la réponse soit négative, c.a.d. que les non juifs étaient proscrits de l’étude formelle de la Torah en soi, Maïmonide fait cette distinction frappante entre les Chrétiens et les Musulmans, concernant l’enseignement des commandements et de leurs explications, du fait de la menace unique posée par les Musulmans de par leur intolérance doctrinale :

Il est permis d’enseigner les commandements et les explications selon la loi rabbinique aux Chrétiens, mais il est interdit d’en faire de même pour les Musulmans. Vous savez en effet que selon leur croyance cette Torah n’est pas divine, et si vous leur enseignez quelque chose, il le trouveront contraire à leur tradition, parce que leurs pratiques sont confuses, et leurs opinions bizarres - mippnei she-ba’uu la-hem debariim be-ma’asiim – (parce qu’ils ont reçu un méli-mélo de pratiques diverses et étranges, et de déclarations inapplicables). Ce que l’on enseigne ne les convaincra pas de la fausseté de leurs opinions, mais ils l’interprèteront selon leurs principes erronés et ils nous opprimeront. Pour cette raison (…), ils haïssent tous les non musulmans qui vivent parmi eux. Ce serait alors le principal obstacle pour les Israélites qui, à cause de leurs pêchés, sont captifs parmi eux. Au contraire, les incirconcis (les Chrétiens) admettent que le texte de la Torah, tel que nous l’avons, est intact. Ils l’interprètent seulement de façon erronée, et l’utilisent pour des objectifs d’exégèse allégorique qui leur est propre – Ve-yirmezuu bah ha-remaziim hay-yedu’iim la-hem – (ils échangeraient des signes secrets connus seulement d’eux). Si quelqu’un les informe de l’interprétation correcte, on peut espérer qu’ils reviennent de leur erreur, et même s’ils ne le font pas, il n’y a pas d’obstacle pour Israël, parce qu’ils ne trouvent pas dans leur loi religieuse une contradiction avec la nôtre (…).

Revenant à l’Epître aux Juifs du Yémen, Maïmonide souligne l’une des raisons présumées de la haine des Musulmans contre les Juifs :

Vu que les Musulmans n’avaient pas pu trouver la moindre preuve qu’ils pourraient utiliser dans toute la Bible, ni une référence ou une allusion possible à leur prophète, ils se crurent obliges de nous accuser en disant, « Vous avez altéré la Torah, et en avez expurgé toute trace du nom de Mohammed». Ils ne purent rien trouver de plus puissant que cet argument ignominieux.

En explicitant la profondeur de la haine musulmane contre les Juifs, Maïmonide fait une nouvelle observation profonde concernant la prédilection juive pour le démenti, une caractéristique qui, insiste-t-il, hâtera leur destruction :

Souvenez-vous, mes coreligionnaires, qu’au décompte du vaste nombre de nos pêchés, D.ieu nous a précipités au milieu de ce peuple, les Arabes, qui nous ont sévèrement persécutés, et ont adopté une législation néfaste et discriminatoire contre nous, comme les Ecritures nous en ont avertis: «Nos ennemis eux-mêmes nous jugeront » (Deutéronome 32:31). Jamais une nation ne nous a frappés, dégradés, dépréciés, et haïs autant qu’eux. Bien qu’ils nous aient déshonorés au-delà de la capacité d’endurance humaine, et que nous ayons dû subir leurs diffamations, pourtant nous nous comportons comme celui qui est dépeint par l’écrivain inspiré: Mais je suis comme sourd, je n’entends pas, et je suis muet comme celui qui n’ouvre pas la bouche (Psaumes 38:14)» (…).

De même nos sages nous ont appris à supporter les tergiversations et le grotesque d’Ismaël en silence. Ils trouvèrent une allusion cachée à cette attitude dans les noms de ses fils: «Mishma, Dumah, et Massa» (Génèse 25:14, dont l’interprétation signifiait «Ecoute, garde le silence, et endure» (Targum Pseudo-Jonathan, ad locum). Nous avons acquiescé, aussi bien les vieux que les jeunes, pour nous endurcir à l’humiliation, comme Isaïe nous en a instruits: «J’ai tendu mon dos aux châtiments, et mes joues dont ils arrachèrent les poils» (50:6). Malgré tout cela, nous n’échappons pas à ce perpétuel mauvais traitement, qui nous écrase presque (…). Peu importe combien nous souffrons et choisissions de rester en paix avec eux, ils soulèvent conflits et sédition, comme David l’a prédit: «Je ne suis que paix, mais quand je parle, ils sont pour la guerre» (Psaumes 120:7).
Si donc, nous commençons à jeter le trouble et à réclamer d’eux le pouvoir de façon absurde et grotesque, nous contribuerons certainement à notre propre destruction.


800 ans plus tard exactement, ignorant tristement l’observation intemporelle de Maïmonide– comme les gouvernements israéliens, tout particulièrement, et américains, ont tant coutume de le faire – l’apaisement irresponsable du suprématisme musulman est vraiment «Meshuga», avec toutes les connotations modernes et anciennes de l’expression.

Adaptation française de Sentinelle 5768 ©
Moïse Maïmonide:1135 - 1204 par Bernard Hœdts

Moïse Maïmonide est né en 1135 à Cordoue, en Andalousie, dans la maison familiale située à proximité du fleuve Guadalquivir. Son premier compagnon de jeux, alors qu'il avait à peine trois ou quatre ans, s'appelait Ali. C'est ainsi que très jeune, il apprit les rudiments de la langue arabe.

Des années se passèrent dans la sérénité jusqu'à ce que Moïse eut l'âge de la Bar-Mitsva. La fête se déroula dans la joie et l'allégresse ; mais très vite, à cause de la maladie de sa mère, Rebecca, la peine et l'inquiétude prirent le relais. En effet, celle-ci s'affaiblissait de plus en plus, malgré les soins prodigués par l'oncle d'Ali, Abbas, le Mufti de Cordoue.


C'est Moïse qui apportait à Rebecca les plantes médicinales préparées par Abbas pour son plus grand soulagement. La maladie fut quand même la plus forte et elle s'éteignit sans souffrir. Cet événement douloureux détermina Moïse à devenir médecin, mais aussi à se poser la question du devenir de l'âme et à poser les bases d'une quête mystique.

Un autre événement inquiétait la communauté juive : la menace d'invasion des Almohades. Le père de Moïse, Rabbi Maïmon, voulait prendre contact avec les Juifs de Fès, qui pourrait être une ville d'asile, encore fallait-il pouvoir envoyer une missive jusque là-bas. Grâce à son fils, le messager fut Kader, le fils d'Abbas, qui justement était en instance de départ pour Fès.

Plusieurs années passèrent pendant lesquelles Moïse travailla intensément pour approfondir ses connaissances médicales, mais aussi pour noter ses réflexions concernant l'ésotérisme et la spiritualité, le Talmud et la Torah demeurant les deux piliers sur lesquels il élaborait ses recherches. Le jour de sa majorité, il quitta soudainement la maison familiale en laissant son père interloqué. Il alla vers Samuel, le rabbin qui l'avait formé pour sa Bar-Mitsva.

Celui-ci l'hébergea un soir, et pour éviter que Moïse n'allât vers le monde musulman, il lui proposa d'habiter une maisonnette qui lui appartenait, proche d'un village voisin. C'est là qu'il commença à prodiguer ses premiers soins, tout en poursuivant ses recherches médicales, notamment par l'étude des plantes, en collaboration avec les marabouts. Ce n'est que deux ans plus tard qu'il retourna à Cordoue, retrouvant ainsi son père qui lui octroya son pardon.

Kader était revenu de son long périple avec la réponse tant attendue. Les informations ainsi transmises confirmaient les inquiétudes émises : les Almohades, qui avaient évité Fès, se trouvaient à Gibraltar d'où ils allaient poursuivre leurs conquêtes sans pitié vers le nord. La décision était prise : il fallait partir, mais quand ? Samuel Ibn Soussan, qui avait rédigé le texte de la missive, estimait que les almohades allaient mettre deux à trois ans pour arriver à Cordoue. Abbas, qui aurait pourtant bien aimé que Moïse restât à ses côtés, l'incita cependant à quitter Cordoue avec sa famille.


Un an s'écoula pendant lequel Moïse continua à travailler avec Abbas et les marabouts. Il était devenu un fin lettré en arabe, sans pour autant négliger l'Hébreu. Il participa à des réunions secrètes avec un prêtre et un marabout pendant lesquelles ils étudiaient et commentaient la philosophie d'Aristote.

Ils quittèrent Cordoue au cours du mois d'avril, en une période où la nature était magnifique, ajoutant encore au déchirement du départ. Ce fut Kader, aidé de son serviteur Rachid, qui leur servit de guide. Sarah et Léa les servantes, qui depuis la mort de Rebecca s'étaient occupées avec affection de Moïse et de son frère David, furent également du voyage. Abbas s'occupa de tout et leur procura des tentes, dix ânes et cinq chevaux. La veille du départ, le père de Moïse avait offert sa demeure à Abbas, en pensant qu'elle servirait un jour de foyer à Kader.

La première étape fut Grenade où Moïse devait rencontrer le marabout El Mansour, un médecin réputé et respecté dans toute la région. La lettre d'Abbas les fit accepter d'emblée par El Mansour qui leur proposa d'habiter une demeure proche de la sienne, car la transmission de son savoir alchimique se déroulerait sur plusieurs semaines. C'est en cette période que Rabbi Maïmon fit part de son inquiétude à son fils et la lui exprima en ces termes : « Nous avons pour chaque acte de notre vie des interprétations par trop différentes.


Le fidèle s'y perd car, tu le sais Moïse, l'intelligence de nos savants ne va pas uniquement dans une direction mais dans de multiples voies. Tout cela dans le mélange invraisemblable et touffu de nos lois qui sont différentes, selon les personnes, les villes, les pays. Une œuvre grandiose et ambitieuse est à accomplir pour servir toutes les communautés : codifier toutes les règles en vigueur sur un même sujet afin d'établir une voie unique, et ensuite avoir l'autorité nécessaire pour l'imposer à tous. » Cette réflexion marqua Moïse pour la vie, et le travail qu'il accomplit en ce sens le fit connaître et admirer dans le monde, et pendant des siècles jusqu'à nos jours.

Pendant ce temps, David se servait de son talent naturel pour négocier de nouvelles montures afin de poursuivre le voyage dans de bonnes conditions. Quand ils arrivèrent à Alméria, leur première démarche fut de trouver un bateau pour le Maroc. Grâce au trafic important avec Tanger, ils purent embarquer rapidement.


Le trajet Tanger-Fès dura une douzaine de jours. La chaleur de l'accueil à Fès par Ibn Soussan et son entourage effaça la fatigue du voyage et laissa présager une installation heureuse. Très rapidement Moïse prit contact avec Ali Ben Hadge que lui avait recommandé son ami de Cordoue, Abbas. Moïse s'imposa un emploi du temps rigoureux, partagé entre l'étude médicale avec Ali, l'étude approfondie du Talmud et ses consultations de l'après-midi.

Quelques semaines plus tard, Kader décida de retourner voir son père à Cordoue. Les adieux furent émouvants mais ils gardaient l'espoir de se revoir. Un an après, Rabbi Maïmon se remaria avec Myriam, fille d'un riche négociant en laine, Jéhuda Lévy. Moïse fut le parrain du fils né de cette union. Par un matin glacial du mois de décembre, des cavaliers Almohades vinrent chercher Moïse, pour qu'il soigne leur prince Omar, immobilisé près de Meknès ; c'est dire si la notoriété du toubib était grande. Difficile pour Moïse de ne pas obtempérer.

Il vit donc le prince, le soigna pendant cinq semaines. Omar retrouva la santé et, pour remercier son toubib , lui offrit une somme très importante. Moïse refusa, préférant lui demander de protéger sa famille et tous les juifs de Fès. Ce fut oui pour la famille, mais non pour les autres. Omar voulut montrer sa détermination de « propagateur de la foi » en enlevant Ibn Soussan pour le contraindre à abandonner sa religion et devenir musulman. Devant son refus, il le fit décapiter.


Dans ce contexte, la famille Maïmonide décida de quitter le Maroc pour aller en terre sainte. Grâce à un laissez-passer qu'Omar avait remis à Moïse pour qu'ils aillent se reposer à Centa, ses proches purent quitter Fès sans difficultés. C'est à Centa que Moïse rencontra un de ses correspondants, Ibn Aknine, qui allait devenir son fils spirituel. Ils embarquèrent très vite sur un bateau dont le capitaine était un homme sûr. Leur première escale fut Syracuse en Sicile. David, toujours en quête de négoce, alla en ville prendre contact avec la population.

Dans une taverne, il fit la connaissance de chrétiens qui cherchaient un bon médecin pour soigner leur roi. David fit transporter ce dernier jusqu'au bateau où Moïse le soigna et le guérit. Pour le récompenser, un document dicté à un scribe lui fut remis immédiatement. En voici le texte : « Par la grâce de Dieu, en l'an 1165, le 25 avril, je délivre à Moïse Ben Maïmon, sa famille et sa suite un laissez-passer pour Jérusalem. Le très chrétien Richard cœur de lion ordonne, par le présent édit, à toute personne de favoriser leurs déplacements et ce, par tous les moyens. »

Quelques jours plus tard, le bateau reprit la mer et rejoignit Acre. De là, très rapidement, ils se rendirent à Jérusalem qui était aux mains des Croisés, et grâce à leur laissez-passer, ils purent visiter la ville à leur guise et notamment se rendre au mur des lamentations. Y séjourner définitivement était impossible. Ils n'envisagèrent pas non plus de s'implanter à Saint-Jean-d'Acre. Ils décidèrent alors, d'un commun accord, de se rendre en Égypte où la communauté juive était importante. David y alla d'abord en éclaireur. Il revint d'Alexandrie enthousiasmé par l'accueil qu'il y reçut.

C'est pendant le voyage en bateau qui les transporta à Alexandrie que Moïse conçut les grandes lignes de son œuvre majeure, le guide des égarés . David, avec sa célérité habituelle, trouva une demeure confortable où ils s'installèrent, croyaient-ils, définitivement. Encore une fois, la tristesse et la peine les atteignirent. Myriam mourut en mettant au monde une fille que Rabbi Maïmon prénomma Rebecca en souvenir de la mère de David et de Moïse.

Les nouvelles du Maroc et d'Espagne n'étaient pas bonnes non plus, les conversations forcées se multipliaient. Ibn Aknine avait été contraint de devenir musulman pour éviter la mort. Tout cela n'empêcha pas Moïse de travailler intensément. Sa notoriété s'amplifia et s'étendit jusqu'à Nurédine, le roi d'Égypte, qui ne tarda pas à le faire venir pour qu'il soigne sa favorite Yasmina. Le diagnostic fut rapide : Yasmina était asthmatique, une affection que Moïse connaissait bien et qu'il savait soigner. Les remèdes réussirent au-delà de toute attente ; quelques mois plus tard, Yasmina fut enceinte. Le roi nomma Moïse médecin officiel et lui demanda de venir habiter avec sa famille à Fostat, près du Caire et du roi.

Une période heureuse s'intaura. Kader, l'ami de Cordoue, vint les rejoindre. Il remit à Moïse un manuscrit faisant état des dernières découvertes de son père Abbas, en alchimie et en médecine. Moïse, à la quarantaine, se maria avec Rachel, la fille du bibliothécaire du roi. De cette union naquit un fils qu'ils nommèrent Abraham. Moïse poursuivit avec opiniâtreté la rédaction de ses œuvres, le Commentaire de la Mishneh et le Guide des égarés .


Après cette période heureuse, la tristesse arriva de nouveau avec la mort de Rabbi Maïmon. C'est le vizir Al Fadil qui fit son éloge funèbre, marquant ainsi tout l'intérêt du souverain pour la famille de Moïse et, au-delà, pour tous les juifs d'Égypte. Alors que David et Kader préparaient leur prochain voyage d'affaires, ils eurent l'agréable surprise de voir arriver Ibn Aknine. Sur cette terre tolérante d'Égypte, il put reprendre sa religion.

Lors d'un entretien avec le roi, dont la santé déclinait, celui-ci demanda à Moïse s'il avait une idée sur la personne qui avait les qualités pour lui succéder. Très sensible à cet insigne honneur qu'un souverain arabe accordait à un “chef” d'une petite communauté, Moïse lui demanda une semaine de réflexion. Dans la nuit qui précéda son rendez-vous avec le roi, Moïse vit en rêve Saladin sur un cheval blanc, triomphant, majestueux, auréolé de gloire. Ce rêve confirmait ce que pensait Moïse au sujet de Saladin, qu'il avait apprécié lors de différents entretiens. Sa réponse au roi était donc toute trouvée. Nurédine s'éteignit peu après, en l'an de grâce 1171, par une belle nuit d'été. Saladin prit donc la suite, aidé par le dévoué vizir Al Fadil.

Un peu plus d'un an après, Moïse vit le roi préoccupé et lui en demanda la raison. « Connais-tu le sens de mon nom : Saladin, ou Salâh al Din ? Il signifie « le défenseur de la religion ». Je dois mériter mon nom, il me faut donc une victoire au nom de celui-ci. Tant que cette mission qui m'est dévolue ne sera pas accomplie, je ne serai pas à l'aise.

– Conquiers Jérusalem. Les croisés y ont fait beaucoup de mal, il est temps que tu libères le deuxième lieu saint de l'Islam.

– Et les premiers lieux saints d'Israël, n'est-ce pas, Moïse ? »

Saladin prit conseil auprès de son vizir qui lui fit remarquer que les finances du royaume ne permettaient pas, dans l'immédiat, d'entreprendre quoi que ce soit. Saladin décida alors de conclure une trêve avec Renaud de Châtillon, qui tenait Jérusalem.

Moïse, quant à lui, arrivait à la fin de sa première œuvre. Ayant rédigé 639 commandements pour régir la vie sociale et religieuse des juifs, il pouvait maintenant se consacrer corps et âme à son œuvre personnelle, le Guide des égarés . Saladin prit son temps pour construire une armée puissante. En automne de l'année 1187, il engagea une attaque décisive contre les Francs, prétextant la violation, par Renaud de Châtillon, de la trève conclue deux ans auparavant.

Le 31 janvier 1188, Jérusalem tomba. Saladin, magnanime et prudent, évita un bain de sang et respecta les vaincus. Il décréta que les Juifs pouvaient s'y installer pour pratiquer librement leur religion. Ainsi, les Chrétiens avaient Rome, les musulmans avaient la Mecque et Médine, et les Juifs Jérusalem . Inch'Allah !

Quelques années plus tard, Saladin chercha un nouveau moyen d'entretenir l'enthousiasme populaire. Il fit part de son souci à son conseil restreint où siégeait Moïse. Il fut envisagé de conquérir l'Irak, voire d'autres territoires... Mais le vizir et Moïse lui proposèrent une autre idée : « Saladin, tu as accompli le Djihad du second degré, la guerre pour libérer Jérusalem. Il te reste à accomplir le Djihad du premier degré : celui de l'âme et de l'élévation spirituelle.


Organises donc une croisade religieuse pacifique, un pèlerinage vers les trois lieux saints, la Mecque, médine et Jérusalem. Un immense mouvement populaire se créera ; les gens se lanceront dans ce périple et oublieront leurs soucis quotidiens. Ils reviendront avec le titre de « Hadj » dévolu à ceux qui se sont rendus à la Mecque une fois dans leur vie. »

Saladin approuva et demanda à Al Fadil de faire proclamer en Égypte et en Syrie que le roi irait en pèlerinage et que les sujets auraient à faire de même. Les espoirs placés dans ce triple pèlerinage furent plus que bénéfiques pour tous. Pendant ce temps, profitant de l'absence du roi, Moïse mit la dernière main à son œuvre. S'entretenant journellement avec Joseph Ibn Aknine, il lui confia ceci : « Il existe une union, une rencontre, entre la recherche ésotérique, à laquelle je me consacre depuis toujours, et l'intellect, l'intelligence. Dans cet état de grâce, l'homme devient un ange car il s'unit à la compréhension cosmique. On s'échappe de notre terre pour embrasser l'univers. »

Au retour de Saladin, le Guide des égarés était terminé. Rédigé en arabe, et diffusé tout autour de la Méditerranée, il reçut partout un accueil enthousiaste. Samuel Ibn Tiboun, un des rabbins les plus lettrés de Syrie, écrivit à Moïse pour lui rendre hommage et lui demanda la permission de traduire son œuvre en hébreu. Moïse la lui accorda et lui demanda de venir le voir avec sa traduction. Puis Saladin, approchant de la soixantaine, contracta la malaria. Mais malheureusement, Moïse ne connaissait pas de remède à cette maladie-là. Il ne put que soulager le malade qui mourut en novembre 1193. Le successeur choisi par Saladin était Al Kamil, renommé en Syrie pour l'administration remarquable de cette partie du royaume. Il eut toute la confiance du vizir Al Fadil.

Très affaibli, Moïse Maïmonide ne lira jamais la traduction de son œuvre en hébreu. Son âme quitta son corps en 1204. Le roi ordonna trois jours de deuil pour tous les habitants d'Égypte et de Syrie et décréta que Moïse devait être enterré en terre sainte. Les grands rabbins consultés proposèrent Tibériade car c'est là qu'avait vécu le grand Kabbaliste Rabbi Simon Bar Oharaï. Le roi fit graver en lettres d'or sur sa tombe ce court texte mis au point par Ibn Aknine et les rabbins :

« De Moïse à Moïse,
il n'y eut que Moïse. »



PS:

Au fait le nom de Saladin ne rappelle rien aux chrétiens!.

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