Bonjour Tguiot,
Je réponds donc à ton invitation.
Merci d'avoir attiré mon attention sur ce topic très riche, que j'ai lu en détail.
Globalement, j'ai l'impression que l'empoignade athées/agnostiques a surtout été virtuelle, car les idées que vous avez mises en avant montrent bien que vous divergez davantage sur les concepts et méthodes que sur la posture face à la question du surnaturel.
Il me semble que si les interlocuteurs ont pris conscience que le mot « agnostique » ne signifiait pas pour tous la même chose, ils n'ont pas tous perçu que ces variations en impliquaient également pour le terme « athée ».
Plus étrangement, si un consensus s'est mis en place pour admettre qu'en plus le mot « dieu » renvoie à des idées très variées et parfois opposées, il n'empêche que pour certains le mot « dieu » renvoie à un "quelque chose, quelque part" plus indéfinissable.
Je vais dans quelques lignes préciser tout cela mais avant je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il a peut-être échappé aux interlocuteurs une divergence, celle-ci très marquée à mon sens, sur le
statut du discours.
Une hypothèse n'est pas une assertion, qui n'est pas une affirmation, laquelle n'est pas une information, qui diverge d'une connaissance, elle-même n'étant pas une certitude, qui n'a rien à voir avec une vérité énoncée, elle-même bien différente d'un fait établi, etc. Le discours dépend de son
moment et de sa
finalité.
Sur le moment :
On ne reprochera jamais à un scientifique de partir dans les délires les plus spectaculaires où peut l'emmener son imagination lorsqu'il est dans la phase abductive d'une recherche. Rappelez-vous comment Kekulé a déclaré avoir découvert la structure des molécules aromatiques, à partir d'un rêve où s'était imposée à lui la figure de l'ouroboros(1)(2). Il n'a jamais cru en l'existence d'un serpent mythique ou quoi que ce soit de ce genre.
Le moment du discours est la place qu'il prend dans l'enchaînement des éléments énoncés dès lors que l'ensemble est pensé dans sa cohérence, comme c'est le cas d'un argumentaire ou d'une étude scientifique.
Le moment de la constatation n'est pas celui de l'investigation, ni celui de l'élaboration d'une hypothèse (cf. l'exemple de l'ourobors chez Kekulé). Le moment de l'énonciation n'est pas celui de la vérification ou de la publication, etc.
Sur la finalité :
On ne reprochera pas non plus à un scientifique d'employer des stratagèmes parfois très poétiques pour tenter de permettre à autrui de conceptualiser ce qu'il a élaboré. À bien y regarder le vocabulaire scientifique est presque entièrement composés de mots externes (et les autres sont tirés de noms propres ou sont des néologismes composés eux-mêmes d'importations). Lorsque Maxwell parle de démon(3) personne ne va penser un seul instant, pas même notre camarade qui pense que les djinns sont réels, que ce scientifique a prouvé l'existence d'un démon.
La finalité du discours est le rôle qu'on lui donne en fonction d'un objectif de pensée. Une assertion n'a pas la même finalité qu'un énoncé. L'expression d'un sentiment est une finalité bien éloignée d'une clarification.
Or il me semble que des divergences sont apparues au sein du débat à partir du moment où une phrase disant d'une chose qu'elle existait n'avait pas le même moment ou la même finalité chez tout le monde.
En sciences, par exemple, il y a une énorme différence entre formuler une hypothèse et, plus tard, énoncer une théorie. L'hypothèse est un moment du travail qui demande ensuite vérification. La théorie est un énoncé final se donnant pour vrai jusqu'à amendement, révision ou preuve du contraire. L'hypothèse a pour finalité de produire un objet intellectuel en tant que candidat à une description prédictive des manifestations du réel, la vérification a pour finalité d'examiner le caractère opérant de l'hypothèse. Après bien des étapes, la théorie a pour finalité d'offrir une description du comportement des manifestations du réel en fonction de conditions énoncées, laquelle doit être vérifiable et réfutable.
Or souvent le croyant énonce "dieu existe" (ou toute autre assertion d'un fait surnaturel) en confondant le moment (l'hypothèse est déjà théorie, et la vérification devient alors confirmation puisque passant après) et la finalité (il ne s'agit pas de décrire le comportement des manifestations du réel en fonction de conditions énoncées, mais de décrire un réel fantasmé, qui pourtant doit en même temps se donner comme théorie, aboutissant à un discours autoréalisant)(4)
Cela n'est pas sans conséquence sur la définition de l'agnostique, selon qu'on considère un rejet de dieu au moment des faits, de l'hypothèse, de la vérification ou de la théorie, par exemple, ou que l'on considère ce rejet dans la finalité d'établir une certitude, d'imaginer un scénario possible ou d'énoncer ce qui est vérifiable, par exemple. C'est ce qui a fait dire à plusieurs d'entre vous qu'un agnostique était un athée en pratique (et un athée un agnostique en théorie).
Voici donc les différentes définitions de l'agnostique qui sont apparues au cours de ce débat :
Agnostique :
ag1. Qui déclare ne pas pouvoir prendre position sur l'existence ou la non existence de dieu.
ag2. Qui n'examine pas ce qui est de l'ordre du non réfutable.
ag3. Qui considère l'absolu (qu'il existe ou non) comme inaccessible à l'entendement.
ag3bis. Qui considère l'absolu comme existant mais inaccessible à l'entendement.
ag4. Qui considère indécidable la vérité des concepts issus de l'imagination dès lors qu'ils ne sont pas vérifiables par l'expérience.
ag5. Dont la raison amène à penser que dieu n'existe pas mais qu'un sentiment ou une intuition dissuade de le tenir pour vrai.
ag6. Qui considère le débat sur l'existence de dieu clos faute d'éléments probants.
ag7. Qui s'est jusqu'à présent prononcé pour l'inexistence de tous les dieux qu'on lui a défini mais ne se prononce pas pour un dieu qui serait transcendant et indéfinissable.
Symétriquement, en supposant que les mots « Agnostique » et « Athée » ne signifient pas la même chose, alors de chaque définition qui précède découle une définition du mot « Athée » :
Athée :
at1. a. Qui tient pour faux l'existence de dieu jusqu'à ce qu'on lui prouve le contraire. (Dans ce sens un bébé est athée à la naissance)
ou b. Qui pense qu'il est possible de conclure que dieu n'existe pas (même s'il n'y parvient pas personnellement).
at2. Qui réfute le non réfutable.
at3. a. Qui considère l'absolu (s'il existe) comme accessible à l'entendement
ou b. qui considère que l'absolu n'existe pas (et qu'a fortiori son accessibilité à l'entendement n'a pas de sens).
at3bis. a. Qui considère que l'absolu existe et est accessible à l'entendement
ou b. qui considère que l'absolu n'existe pas (et qu'a fortiori son accessibilité à l'entendement n'a pas de sens).
at4. Qui considère décidable la vérité des concepts issus de l'imagination même quand ils ne sont pas vérifiables par l'expérience.
at5. Dont la raison amène à penser que dieu n'existe pas.
at6. a. Qui considère qu'il existe des éléments probants permettant de conclure à l'inexistence de dieu
ou b. qui considère que clore tout débat, y compris celui de l'existence de dieu, constitue une fermeture interdisant le progrès de la connaissance.
at7. Qui considère la transcendance et l'immanence comme des erreurs épistémologiques.
Ces définitions correspondent-elles à une forme de croyance ? Remplaçons "dieu" par "Licorne rose invisible", "théière de Russell"(5), "fée", "astrologie", "métempsychose" ou tout ce que vous voulez, et voyons si ça change quoi que ce soit. Cela confirme ceci :
Les agnostiques ag3bis, ag5 et ag7 sont clairement croyants, ag1 et ag6 le sont peut-être (si remplacer "dieu" par "théière de Russel" change quelque chose) et sinon sont d'authentiques "ne se prononce pas".
ag2, ag3 et ag4 sont en fait clairement non croyants (donc athées de type at5). S'ils s'opposent à la conception athée, c'est parce qu'ils l'entendent respectivement au sens at2 (athée illogique), at3.a (position épistémologique intenable) et at4 (athée dogmatique).(6) (De la même façon pour un athée de type at1.a la position agnostique ag1 est suspecte et peut passer pour de la lâcheté intellectuelle. C'est d'ailleurs c'est idée qui a lancé le débat, je crois.)
Notons l'existence de l'athée de type at3.b (ou at3bis.b) qui passe généralement inaperçu mais qui, à mon sens, adopte la posture intellectuelle la plus cohérente compte tenu des développements de l'épistémologie ces vingt dernières années. J'y reviens dans quelques instants.
Comme vous pouvez le constater, certaines formes d'athéisme sont en effet dogmatiques et irrationnelles. Dans les faits, elles sont rarement représentées. C'est juste une question de vocabulaire. Par exemple être agnostique ag4 c'est être athée at1.a.
L'athéisme vu comme asymptote de l'investigation intellectuelle à caractère agnostique n'est pas l'athéisme vu comme dogme de l'inexistence. L'agnosticisme vu comme expression de la culture du doute n'est pas l'agnosticisme comme lieu de lutte entre la raison et le souhait.
La structure de la pensée de la majorité des croyants(7) est telle qu'ils comprennent assez bien les position ag5 et ag7 et interprètent très mal la forme d'athéisme que représentent ag2, ag3 et ag4. Il est normal qu'à leurs yeux at1.a. ou at5 apparaissent comme de la malhonnêteté intellectuelle. Et s'ils comprenaient at3.b et at7, ils ne seraient simplement pas croyants.(8)
Notons qu'on voit bien que la définition même de dieu influe sur le positionnement. J'ai relevé dans ce topic plusieurs définitions :
Dieu :
d1. Tel qu'il est décrit dans [choisissez ici un livre sacré au hasard] et selon la seule interprétation possible qui est [choisissez un courant ou un exégète au hasard].
d2. Entité personnelle capable de décision, qui a créé l'univers, écoute les prières, juge les comportements et intervient au sein de la réalité.
d3. Entité personnelle dotée de pensée qui a créé l'univers et depuis n'intervient plus du tout, laissant la causalité faire le reste.(9)
d4. Ce qui est à l'origine de [choisissez un fait vérifiable].
d5. Ensemble des assertions non réfutables par nature.
d6. Ce qui résiste à toute investigation de l'esprit. (Un « Graal épistémologique », pour reprendre Kevin Vanhoozer.)(10)
En fonction de ces conceptions, la position agnostique/athée peut bouger un peu, voire radicalement.
Il est par exemple très facile de prouver l'inexistence de n'importe quel d1. Par exemple par le paradoxe classique d'un dieu omniscient et omnipotent (il est soit l'un soit l'autre pas les deux).
Quant au dieu d6, le dieu de Spinoza et d'Einstein, il se prouve lui-même et personne ne peut être athée de ce dieu-là. Là où les cartes se brouillent, c'est lorsqu'on passe d'une définition à l'autre sans précaution.
Par exemple, si un croyant appelle "dieu" ce que les cosmologistes appellent Big Bang et démontre que ce "dieu" existe, pas de problème (à condition toutefois qu'il affirme cette existence "jusqu'à preuve du contraire"). Mais s'il affirme ensuite : puisqu'il existe, forcément il est doué de pensée (donc le Big Bang pense), il écoute les prières (donc le Big Bang écoute les prières), etc. il sera arbitrairement passé de d4 à d1.
"Dieu" est un concept protéiforme qui se faufile dans toutes les brèches. On a à peine fini de réfuter les affirmations d'un croyant qu'il est déjà parti sur autre chose. Du coup ceux qui s'en tiennent à l'univers du connaissable, rigoureux donc lents, ont toujours un temps de retard et le virus des croyances peut infecter de nombreux autres cerveaux pendant ce temps(11).
Enfin, pour finir ce tour d'horizon, j'aimerais finir par vous donner ma position.
Si je suis agnostique, c'est selon les définitions suivantes : ag2 et ag4.
Si je suis athée, c'est selon les définitions at1.a, at1.b, at3.b (ou at3bis.b), at5, at6.a, at6.b, at7.
La position at3.b/at7, qui montre que l'absolu est un concept réduisant le réel et certainement pas qui le décrit, a pour conséquence deux choses concernant dieu (défini de d1 à d4) :
- Il est possible de démontrer que ce dieu n'existe pas d'un point de vue épistémologique(12). (Ce dieu n'appartient pas au champ du connaissable et le connu est en contradiction avec lui.)
- En admettant qu'il existe "un ailleurs" où ce dieu puisse exister, tout concept, toute idée que nous formulons actuellement sur lui ne peuvent qu'être fortuits (ce serait un total hasard s'ils y correspondaient).(13)
Concernant la justification de l'idée que l'absolu n'est qu'un concept, je peux si vous le souhaitez ouvrir un nouveau topic (car il me semble que ce n'est pas le débat ici).
__________
(1) Cf. Kekulé von Stradonitz Friedrich, « Benzolfest: Rede »,
Berichte der Deutschen Chemischen Gesellschaft, 23 (1890) 1302-11.
(2)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ouroboros
(3)
http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mon_de_Maxwell
(4) « La preuve qu'il y a un chat invisible dans la pièce, c'est qu'on ne le voit pas. »
(5)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9i% ... de_Russell
(6) Si j'ai bien compris, Ryuujin se considère agnostique ag2 (voire ag3bis, j'ai l'impression) et interprète la position de Baphomet comme at2, alors qu'il me semble qu'il pencherait plutôt pour at1.a, c'est-à-dire la forme ag4 de l'agnosticisme.
(7) Cf. Robert Todd Carroll ,
The Skeptic's Dictionary: A Collection of Strange Beliefs, Amusing Deceptions, and Dangerous Delusions, John Wiley & Sons, 2003.
(8) J'ai trouvé très drôles les interventions de XYZ qui, de temps en temps, glissait entre deux interventions auxquelles il ne suivait manifestement rien, une phrase tombant comme un cheveu sur la soupe et signifiant en substance "donc dieu existe, puisqu'on ne peut pas prouver le contraire". Si c'était intentionnel, bravo pour cet humour décalé. (Et si ce n'était pas intentionnel, toutes mes excuses, je ne me moquais pas.)
(9) Si j'ai bien compris c'est le dieu de Florent52.
(10) Cf.
http://en.wikipedia.org/wiki/Kevin_Vanhoozer
(11) Je cite ici Richard Dawkins, « Is religion just a disease? »,
The Daily Telegraph, 15/12/1993, p. 18.
(12) La démonstration est là-bas :
http://www.forum-religion.org/viewtopic ... 50&t=21802
(13) Cf. le paradoxe de la montre arrêtée.