Je crois que toute personne, croyante ou non, qui s'intéresse de près ou de loin aux systèmes représentationnels et culturels humains et à la question de la religion en particulier perdrait beaucoup à ne pas lire ce livre.
Je vous en soumets aujourd'hui les toutes premières phrases afin de recueillir votre avis sur cette entrée en matière (en espérant, le cas échéant, susciter l'envie d'en lire plus même si ce n'est pas le propos de ce topic).
Je vous prie de ne pas croire que ce qui m'anime est de même nature que ceux qui nous infligent des copiés-collés de textes (que parfois ils n'ont même pas lu entièrement aux-mêmes) qui, selon certains, polluent le forum. Ma démarche serait plutôt de proposer un objet à partager et sur lequel l'on pourrait éventuellement échanger.Pascal Boyer, « Et l'homme créa les dieux », Paris, Gallimard, 2001 a écrit :Une voisine, au village, me conseille de me protéger des sorciers. Faute de quoi ils me lanceront des flèches invisibles qui pénètreront dans mes veines et m'empoisonneront le sang.
Un chaman fait brûler des feuilles de tabac devant une rangée de statuettes tout en leur parlant. Il leur demande de se rendre dans les villages du ciel pour l'aider à guérir un patient dont l'âme est retenue prisonnière par des esprits invisibles.
Un groupe d'adeptes s'en va racontant que la fin est proche. Le Jugement Dernier est prévu pour le 2 octobre. La date arrive et rien ne se produit. Les fidèles continuent à clamer que la fin est proche (mais la date a changé).
Les villageois organisent une cérémonie pour signifier à une déesse qu'elle n'est plus la bienvenue parmi eux. Comme elle ne les a pas protégés des épidémies, ils ont décidé de lui en préférer une autre, plus efficace.
Une assemblée de prêtres se déclare offensée par ce que certaines personnes pensent d'une vierge qui aurait donné naissance à un enfant il y a plusieurs siècles, dans une lointaine contrée. Ces personnes doivent donc être massacrées.
Sur une île, les membres d'un culte décident d'abattre leur bétail et de brûler leurs récoltes. Ils n'en ont plus besoin, disent-ils, puisqu'un bateau rempli de vivres et d'argent doit bientôt toucher leurs côtes en récompense de leurs bonnes actions.
Certains de mes amis se rendent parfois à l'église ou dans un lieu tranquille pour parler à un personnage invisible qui est partout. Cet être sait déjà ce qu'ils vont dire, car Il sait tout.
On me dit que si je veux plaire à des morts très puissants — qui pourraient m'aider en cas de besoin — je dois verser le sang d'une chèvre blanche sur la partie droite d'un certain rocher. Mais si je choisis une chèvre d'une autre couleur et un autre rocher ça ne marchera pas.
On peut, refusant de chercher plus loin, ranger ces pratiques dans la catégorie si riche et si variée de la déraison humaine. On peut également penser que ces exemples, si sommaires soient-ils — on pourrait en remplir des volumes —, témoignent de notre admirable capacité à comprendre la vie et l'univers. Dans un cas comme dans l'autre, certaines questions restent sans réponse. Pourquoi les gens ont-ils de telles pensées ? Qu'est-ce qui les pousse à agir de la sorte ? Pourquoi ont-ils des croyances si différentes ? Pourquoi y sont-ils tant attachés ?
Ces questions ont longtemps été considérées comme des mystères (on en savait pas comment les aborder) ; je voudrais montrer dans les pages qui vont suivre que ce sont aujourd'hui des problèmes (on peut concevoir des solutions). De fait, nous connaissons déjà les premiers éléments de ces solutions. Et je précise que ce « nous » n'est pas un pluriel de majesté qui tiendrait à faire croire que je détiens une nouvelle théorie que j'estime universelle. Non, ce « nous » se réfère en fait à une communauté de gens. Tout au long de ce livre je vais faire état de découvertes en psychologie cognitive, en anthropologie, en linguistique et en biologie de l'évolution. Elles sont dues à différentes personnes qui, pour la plupart, ne s'occupaient pas de religion et n'imaginaient même pas que leurs travaux puissent contribuer à expliquer le sentiment religieux. Voilà pourquoi, bien que nos bibliothèques débordent d'ouvrages sur la religion, l'histoire des religions, l'expérience religieuse et ainsi de suite, il n'est pas inutile de revenir sur cette question pour montrer comment ce mystère insondable qu'était la religion n'est plus aujourd'hui qu'une série de problèmes ardus — mais non insolubles.