La lecture du livre "La névrose chrétienne" du Dr Pierre Solignac (lui-même chrétien) m'a ouvert les yeux sur ce que je vis.
Je ne tiens pas à généraliser sur ce qui suit, chacun réagit différemment, la sensibilité et la perméabilité n'est pas forcément indentique d'un individu à l'autre. Et tout n'est pas forcément uniquement la faute de la religion, d'autres éléments extérieurs peuvent interférer. Je parlerai de mon vécu pour le mettre en parallèle avec les cas rencontrés par le Dr Solignac.
J'ai bientôt 40 ans et j'ai reçu une éducation très empreinte de religion chrétienne protestante (cours bibliques, messe du dimanche) Mon sentiment ? Aujourd'hui je me sens étouffé à l'intérieur, écrasé, castré, dévoré par une culpabilité omniprésente pour le moindre de mes actes et pensées. Je me suis construit sur une liste d'interdits, suivie de près par des promesses de feu et d'enfer, de jugement dernier imminent, le tout dans une ambiance familiale triste, résignée. Dans mon esprit c'est en permanence des "c'est bien"/"c'est pas bien", je me livre une bataille continuelle, je m'épuise. Je me sens à l'aise ni avec une religion, ni sans. Et je continue de souffrir intérieurement. J'aimerais retrouver une "innocence", mais ce "poison" est si incrusté en moi que je le vois souvent comme un "remède".
J'ai développé plusieurs phobies et des troubles psychosomatiques, je me considère cependant chanceux de ne pas être tombé dans la psychose. Je me sens toujours immature, comme un enfant à qui on n'aurait jamais permis de grandir.
J'ai été et je suis chrétien malgré moi, et plus j'avançais en âge plus j'allais à l'opposé des dogmes et interdits, il y a une logique à cela, la répression qu'exerçait sur moi l'enseignement que j'ai reçu m'a amené sur des sentiers que je n'aurais sans doute jamais empruntés. Les frustrations et tout ce qui a été condamné plus que de raison finissent par jaillir pour exploser à la gueule du premier plus faible que soi venu. Je comprends pour l'avoir vécu, et ceci est juste mon sentiment personnel, que beaucoup de chrétiens et autres religieux en viennent à la pédophilie.
J'ai beaucoup cherché dans les spiritualités alternatives un substitut plus cool à la rigueur chrétienne, j'en suis revenu avec beaucoup de déceptions. Je suis passé d'un ésotérisme à un autre, en revenant régulièrement par le christianisme tout en repentance en espérant émouvoir Jésus. Rien, juste un silence, une indifférence. Rien ne semble pouvoir remplacer ce qui me manque. Rien ne semble pouvoir remplacer ce qui m'a été pris.
Je suis passé par une dépression majeure il y a une dizaine d'années, aujourd'hui je ne désespère plus, je souffre simplement. Cependant, je me dis que ce qui a été lié peut être délié.
Peut-être êtes-vous passé par là, peut-être pourrez-vous m'aider à me "libérer".
Pour finir, voici quelques passages tirés du livre du Dr Solignac, "La névrose chrétienne".
Merci de m'avoir lu.
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L'impossibilité qu'a ce garçon à se considérer comme une personne homogène et autonome, ayant ses définitions propres, est une autre caractéristique de la névrose chrétienne. Il a appris un code qu'il ne faut pas transgresser et son attitude névrotique est particulièrement marquée. Il n'a pas confiance en lui et n'a pas de système de valeurs personnel. Il est entièrement dépendant de ce que l'autre pense de lui. Consciemment il refuse de s'écraser devant lui mais le résultat est le même. Il ne pense et n'agit jamais en fonction de lui-même, mais seulement en fonction des autres, ou des personnages qu'il représente. Bloqué dans son angoisse et son agressivité, il tourne en rond, incapable de réfléchir sur lui-même, incapable de s'accepter et encore moins de s'aimer. Le passage à l'autonomie adulte est impossible. Il ne peut s'impliquer dans sa propre évolution et dans sa responsabilité. Son moi est régi par des règles extérieures qu'il ne peut intérioriser.
Le grand chrétien lisse a trouvé la solution. Il ne se met jamais en question et vit apparemment à l'aise dans sa cuirasse sans s'occuper de savoir ce qui se passe à l'extérieur. Tant pis si les autres s'y cassent les dents. Combien de ces chrétiens admirables ont fait de leurs enfants des adultes immatures, fragiles, incapables de s'accepter, irresponsables et agressifs, toujours à la recherche d'une image identifiable qui les prenne en charge.
Je veux dire qu'une éducation fondée sur le péché entraîne, chez celui qui la subit, des attitudes stéréotypées, qui font qu'il retombe toujours dans les mêmes problèmes. La confession telle qu'elle est pratiquée favorise au maximum la névrose chrétienne, car elle est infantilisante et superficielle.
D'autres se construisent un surmoi artificiel, bien rigide et bien moralisant, et deviennent intégristes ou anti-intégristes, à moins qu'ils ne soient Témoins de Jéhovah ou parachutistes, ce qui leur permet d'extérioriser leur angoisse et leur agressivité. D'autres enfin deviennent phobiques. Ils sont victimes de peurs irraisonnées, obsédantes, angoissantes, ont peur du vide et de l'espace, peur d'être enfermés, peur de rougir, etc... Leur angoisse et leur agressivité rentrée se retournent contre eux et, comme le dit Freud, "détériorent les lignes de force de leur personnalité".
Toujours tendus ils attendent plus ou moins consciemment la juste punition de leur iniquité. Ils ne supportent pas le regard de l'autre qui les critique et les juge sans arrêt. Ils ont des vertiges dans la rue (vertige est d'ailleurs le mot inexact. C'est une impression de vide dans la tête avec peur de tomber). Ils sont oppressés, ont des palpitations et des nausées. Ils se sentent perpétuellement agressés. Certains justifient cette impression par le fait qu'ils sont incompris et qu'ils ne sont acceptés et aimés par personne. Il est dommage que la confession ne guérisse pas ces symptômes phobiques qui sont l'extériorisation d'une angoisse profonde.
L'éducation chrétienne repose essentiellement sur l'angoisse et la peur, le manque de confiance en la nature humaine, le mépris du corps, de la sexualité et de la femme en tant qu'être sexué. Très tôt elle développe la peur du péché et plus particulièrement la peur du péché mortel.
En fait de telles attitudes reposent sur la difficulté primordiale dont l'éducation chrétienne est responsable : la difficulté à s'aimer soi-même et à s'accepter. Elle construit des surmois fragiles qui ne sont que l'intériorisation d'une loi extérieure rigide et coercitive. Le "chrétien traditionnel" est construit du dehors et non pas du dedans.
Les manifestations de la libido refoulée sont multiples : Phobies qui sont des peurs irraisonnées, obsédantes, angoissantes comme l'agoraphobie, peur morbide du vide et de l'espace, claustrophobie, peur d'être enfermé, ereutophobie, peur de rougir, etc... Rites obsessionnels caractérisés par une série de gestes que le sujet se sent obligé d'accomplir sous peine d'avoir un sentiment d'angoisse insupportable. Plus simplement symptômes physiques variés, pouivant s'organiser et s'organiciser : gastralgies, gastrites, ulcères de l'estomac, spasmes coliques, colites aigües ou chroniques, manifestations cardiaques, respiratoires ou cutanées, voire impuissance ou asthénie névrotique témoignant du blocage de l'énergie psychique.
Comment maintenir un tel équilibre en étant éduqué dans une relativation légaliste à des normes extérieures à nous-mêmes, sous le regard d'un Dieu qui nous aime, mais qui à l'heure du jugement dernier nous demandera des comptes. L'angoisse du péché, le manque de confiance en notre propre nature, le mépris de notre corps et de ses instincts, construisent un surmoi névrotique qui est un écran opaque, inhibant toute créativité personnelle, rendant impossible toute relation vraie avec autrui, et empêchant de découvrir l'autre dans sa dimension profonde, dans sa destinée de sujet, dans sa spontanéité irréductible. Autrui n'est là que pour répondre à nos besoins et comme support à nos illusions.
L'Église est en partie responsable de la société inhumaine dans laquelle nous vivons par l'éducation qu'elle dispense. Par l'inhibition, le refoulement et l'angoisse, elle crée des adultes tendus, insatisfaits et culpabilisés, incapables de s'aimer et de s'accepter. Beaucoup de comportements anti-sociaux ou simplement nuisibles au bon équilibre du groupe sont dus à une sexualité mal intégrée et déséquilibrée.
Freud estime que le commandement : "Aime ton prochain comme toi-même" ne tient pas compte de l'agressivité naturelle de l'homme et représente le type même du procédé anti-psychologique du surmoi collectif. Il ne permet qu'une seule satisfaction : "la satisfaction narcissique de pouvoir nous estimer meilleurs que les autres". Freud critique aussi le fait que les religions s'appuient sur la promesse d'un au-delà meilleur. Il écrit : "Tant que la vertu ne sera pas récompensée ici-bas, l'éthique, j'en suis convaincu, prêchera dans le désert". Freud pense que le message chrétien est facteur de névrose et d'angoisse car il exige de l'homme une attitude qui ne lui est pas naturelle.
Une éducation névrotique inscrite cérébralement pendant des années, doit entraîner chez ceux qui l'ont subie, des modifications biologiques profondes.
- Quand je suis venu vous voir j'avais peur de tout. Je me sentais toujours coupable et jugée par le regard des autres. Je me répétais ce que m'avait souvent dit la Supérieure de l'Institution où j'a été élevée. : "Ce qui ne coûte rien ne mène pas à grand-chose". Tendue et insatisfaite je tentais sans cesse de me rapprocher de la perfection. Depuis que je suis en psychothérapie j'ai compris ce que mon éducation avait d'artificiel et d'anormal. Il est impossible de passer sa vie à essayer de ressembler à la Vierge Marie, à sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et à tous les saints du Paradis. Un jour ou l'autre on craque comme la Supérieure admirable dont je vous parlais. (Après une dépression nerveuse elle a quitté les ordres). Omnibulée par cet enseignement de l'absolu, je n'existais pas en dehors de mes bonnes actions et de mes actes charitables. Je voulais à tout prix entendre dire : "Regardez comme cette jeune fille est bien élevée, gentille et charitable". Je vivais à travers les jugements et les regards des autres. Je commence à m'accepter et à avoir confiance en ce que je pense, ce que je sens et ce que je crois. Je ne me demande plus ce qu'aurait fait tel ou telle autre à ma place. Le plus étonnant c'est qu'avant ce changement je me croyais ouverte et charitable. En fait j'étais intolérante et agressive. J'avais la vérité, et au nom de cette vérité je condamnais tous ceux qui ne pensaient pas comme moi ! - Que voulez-vous dire par voir avec les yeux des autres ? - J'ai appris le sens du relatif. J'ai compris que nous sommes conditionnés par notre éducation, notre mode de vie, notre milieu culturel. Mes relations avec les autres ont complètement changé. Leur découverte me passionne. Je sais maintenant ce que veut dire "être décentré de soi-même". J'aime discuter avec des gens qui ne pensent pas comme moi. J'essaie de me mettre à leur place et de comprendre leur point de vue. J'ai l'impression d'avoir été aveugle et sourde, enfermée dans un monde infernal où la communication n'existait pas. Le dialogue avec les autres a remplacé mon obsédant monologue intérieur. Cette jeune fille a gardé ses convictions religieuses. Elle fait partie d'un groupe d'étudiants qui étudie les bases d'une nouvelle spiritualité et s'occupe de l'action catholique dans l'École de commerce où elle est entrée cette année. L'éducation doit être basée sur le dialogue et la communication. Quel est le sens exact de ces termes que beaucoup emploient sans en connaître exactement le sens ? "Communiquer" c'est d'abord écouter et comprendre la parole de l'autre, ce qu'il croit, ce qu'il pense. C'est aussi dire ce que nous sommes, ce que nous pensons, ce que nous croyons. Toute vraie communication repose sur le respect et l'amour de l'autre, sur le respect et l'amour de nous-mêmes. Elle permet d'abandonner l'attitude immature qui fait prendre son seul point de vue en considération. Elle est l'apprentissage de l'effort pour écouter et de l'effort pour se faire comprendre. Elle implique réciprocité constante et mise en cause de soi-même. Elle est de ce fait une vivante exigence qui met en question notre propre authenticité. Elle exige le dépassement du signe et de l'intelligence du signe vers une signification, et vers une symbolique ouverte. L'amour de soi et l'amour de l'autre se rencontrent et permettent à chacun d'assurer son être propre, son temps propre et sa responsabilité.
L'Église actuelle doit accepter de "mourir à elle-même", en perdant sa structure névrotique et son surmoi écrasant, si elle veut retrouver le contact avec le monde d'aujourd'hui.
En niant l'importance de la pulsion sexuelle, de son épanouissement, de sa réalisation, l'éducation chrétienne crée une inhibition de l'énergie psychique, du tonus mental, et du plaisir à vivre en général. Combien de chrétiens castrés a-t-elle ainsi créés, qui, coincés entre le désir et la défense, vivent dans la peur de tout. Phobiques, angoissés, parfois physiquement malades ou impuissants, ils mènent de petites vies, psychologiquement étriquées, construisant jour après jour leur salut éternel à coup de bonne conscience. Adulte, le chrétien est confronté à une contradiciton permanente. Il doit vivre une parole d'amour dans un monde ou seuls le patrimoine, l'argent et l'héritage sont respectés par tous, y compris par la majorité des prêtres et la hiérarchoie cléricale.