Le diable retourne à la messe !
JEAN MERCIER
Le 22 novembre prochain, la “nouvelle traduction officielle liturgique de la Bible” sort en librairie, résultat d’un chantier scientifique colossal qui aboutira, en 2016, à la parution d’un nouveau lectionnaire (le livre officiel qui rassemble les lectures prévues lors de la messe). Début octobre, le buzz médiatique concernant la nouvelle traduction du Notre Père - sur la question de la tentation (“Ne nous soumets pas à la tentation” devient “Ne nous laisse pas entrer en tentation”) avec déjà pour objet les agissements du Malin. Mais le diable et son train en cachaient un autre… En l’occurrence, la réhabilitation du mot “diable” dans la liturgie catholique. En effet, depuis 40 ans, le diable avait disparu des ambons, sans que l’on ne soit d’ailleurs vraiment rendu compte de son absence. Sans que la chose ait été recherchée par les Pères du Concile Vatican II, qui, le 22 novembre 1963 - il y a tout juste 50 ans ! - votaient le principe d’une réforme de la liturgie par la constitution conciliaire Sancrosanctum concilium.
Présent dans le Nouveau Testament en une vingtaine d’occurrences, le mot grec diabolos avait été couramment traduit par le mot “démon” dans les textes où il figurait : un terme dont la résonance était plus laïque. Si Satan, lui, n’avait pas été censuré par les traducteurs du lectionnaire, le diable, lui, avait été poussé vers la sortie. Dépassé, arriéré, politiquement incorrect à l’âge d’or des sciences humaines, le diable avait rejoint, la queue entre les jambes, l’enfer des mots réprouvés par la bienséance moderne, et donc voués au pire des châtiments éternels qui soient : l’oubli.
Cette censure s’expliquait, dans l’univers sémantique des catholiques d’alors, par le rejet de l’imagerie populaire de la diablerie, avec les cornes et la queue fourchue, et la défiance envers une représentation trop anthropomorphique du mal. Sous l’influence des sciences humaines, le mal était vu comme le produit d’un déterminisme social ou relationnel. Le diable disparut au même moment où la notion du péché entrait en crise, soit par la remise en cause du péché originel, soit à travers la désaffection du confessionnal, sur fond de placardisation de l’exorcisme. Quarante ans plus tard, tout a changé. Il y a au moins un prêtre exorciste (surmené) dans chaque diocèse, la question du péché revient à la surface, et les moins de 40 ans retrouvent le chemin de la confession.
Curieusement, en fait, le lectionnaire des années 1970 n’avait pas totalement évacué le mot diable, en deux endroits du Nouveau testament. Dans les Actes des apôtres, l’apôtre Paul s’en prend à un magicien en l’invectivant ainsi : “Individu plein de toute sorte de fausseté et de méchanceté, fils du diable, ennemi de tout ce qui est juste, n'en finiras-tu pas de rendre tortueuses les voies du Seigneur qui sont droites ?” Dans la première épitre de Jean (chapitre 3, versets 8 et 10), les traducteurs avaient aussi gardé le terme : “Celui qui commet le péché appartient au diable, car, depuis le commencement, le diable est pécheur. C'est pour détruire les oeuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu. (...) Voici comment on distingue les enfants de Dieu et les enfants du diable : celui qui ne vit pas selon la justice n'appartient pas à Dieu,et pas davantage celui qui n'aime pas son frère.”
Jadis traduit par “démon” dans toutes les autres occurrences, le mot diable revient donc désormais dans certaines scènes clés, comme celle de la Tentation de Jésus au désert (Mt 4 et Lc4), où la personnification du Mal est maximal face au Christ. Le terme revient aussi dans deux fameuses paraboles : celle du Bon grain et de l’ivraie, semée par le “diable”, et la fresque du jugement dernier (Mt 25,41), où les réprouvés s’entendent dire : “'Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.”
Le diable, chez Jean, est mentionné dans la scène de controverse entre Jésus et ses ennemis. “Vous, vous êtes du diable, c’est lui votre père, et vous cherchez à réaliser les convoitises de votre père. depuis le commencement, il a été un meurtrier”, et en relation avec la trahison du disciple lors de la Cène : “Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le coeur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer….) (Jn 13, 2)
Figure relativement discrète du Nouveau Testament, le diable est clairement situé en opposition au Christ, comme dans le Livre des Actes des Apôtres (ch.10 verset 38) : “Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d'Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien, et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui”. On le retrouve cela dans la Lettre aux Hébreux (ch. 2 v.14) lorsque l’auteur évoque Jésus qui a pu neutraliser “celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est à dire le diable”.
La résistance des chrétiens au diable est un thème récurrent des épitres. L’apôtre Jacques n’y va pas par quatre chemins : (ch 4, v.7) : “Soumettez-vous donc à Dieu, et résistez au diable : il s'enfuira loin de vous.” Quant à Pierre, il est très ferme : (première épitre de Pierre, ch.5, v.8) : “Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer.”
Dans la lettre aux Ephésiens, Paul exhorte aussi ses amis (ch.4, v. 27, et ch. 6, v.11) : “Ne donnez pas prise au diable” ; ”Revêtez l'équipement de combat donné par Dieu, afin de pouvoir tenir contre les manoeuvres du diable”.
On retrouve une autre exhortation paulinienne dans un texte à dimension disciplinaire, la première épitre à Timothée, lorsque Paul parle des responsables de communauté : “Il ne doit pas être un nouveau converti ; sinon, aveuglé par l’orgueil, il pourrait tomber sous la même condamnation que le diable. Il faut aussi que les gens du dehors portent sur lui un bon témoignage, pour qu'il échappe au mépris des hommes et au piège du diable.” (ch 3 v.6-7)
Sans surprise, le texte de l’Apocalypse évoque le diable avec moult images : (ch 2, v.10) “Voici que le diable va jeter en prison certains des vôtres pour vous mettre à l'épreuve, et vous serez dans la détresse pendant dix jours.” (ch 12,9 et 12) : “Oui, il fut rejeté, le grand Dragon, le serpent des origines,celui qu'on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier. Il fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui. (...) Cieux, soyez donc dans la joie, et vous tous qui avez aux cieux votre demeure. Mais malheur à la terre et à la mer : le diable est descendu vers vous plein d’une grande fureur, il sait qu'il lui reste peu de temps”. L’une des visions finales est presque cinématographique : (ch 20, versets 2 et 10) “Il s'empara du Dragon, le serpent des origines- qui est le Diable, le Satan -et il l'enchaîna pour une durée de mille ans. (...) Et le diable qui les égarait fut jeté dans l'étang de feu et de soufre, où sont aussi la Bête et le faux prophète; ils y seront torturés jour et nuit pour les siècles des siècles.”
Le mot de “diable” apparaît aussi, cette fois sous une forme adjectivée, dans le Nouveau Testament. Elle se réfère à l’étymologie du mot : ce qui divise - par opposition à ce qui unit et rassemble, le symbole (d’où l’appellation de symbole pour désigner le Credo des chrétiens). Dans l’évangile de Jean, Jésus appelle celui qui va le livrer un “diable”. Le terme, employé au pluriel, est le plus souvent traduit par “médisant”.
Dans deux cas, l’adjectif est spécifiquement employé pour décrire les femmes cancanières (1Timothée 3,11 et Tite 2, 3). Dire des femmes qu’elles sont des diables - des “diviseuses” - renforcerait l’image d’un Nouveau testament volontiers mysogyne, et cette subtilité étymologique est donc voilée dans la traduction française, sous la médisance (bien partagée par le sexe dit fort).
Oubli ou négligence ? Il n’existe qu’une seule occurrence où la Nouvelle Bible liturgique a oublié le diable, en laissant le mot démon pour traduire “diabolos”, dans la minuscule épître de Jude, au verset 9 : ”Or l'archange Michel, discutant avec le démon dans la querelle au sujet du corps de Moïse, n'osa pas porter contre lui un jugement outrageant ; il lui dit seulement : Que le Seigneur te punisse !”
L’archange Michel, pourtant, on le sait, n’a pas peur du diable...
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Ecrit le 19 nov.13, 21:02(Isaïe 30:15) Votre force résidera en ceci : dans le fait de rester calmes et [aussi] dans la confiance . AM - JW - Les Témoins de Jéhovah
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