Hittler parade dans les bus.

[medico]

Les usagers des transports en commun de Washington ont eu une désagréable surprise en empruntant leur bus cette semaine. Une vingtaine de véhicules affichaient sur leur flanc une photo d'Adolf Hitler en compagnie de "son fidèle allié, le leader du monde musulman" Haj Amin al-Husseini, grand mufti de Jérusalem sous la Palestine mandataire britannique. "La haine islamique des juifs : c'est dans le Coran", est-il inscrit en lettres capitales sur ces publicités en noir et blanc. "Les deux tiers de toute l'aide américaine vont à des pays islamiques. Arrêtez le racisme. Stoppez l'aide aux pays islamiques."

La campagne, qui doit durer un mois, a en tout cas provoqué la colère de certains usagers, comme le rapporte le quotidien américain Washington Post. "Je veux simplement dessiner un gros crucifix sur son visage, pour ne pas avoir à le regarder", s'insurge Dick, 44 ans. "Deux mauvaises idées n'en font pas une bonne. L'enfer n'est pas assez grand pour lui. Et le flanc d'un bus de ville n'est pas un lieu adéquat pour ce genre de diable."

Liens entre Hitler et le grand mufti de Jérusalem

L'image est pourtant bel et bien réelle. Opposé au mandat britannique, Haj Amin al-Husseini est une des figures du nationalisme palestinien lorsque la Grande Révolte arabe de 1936 éclate. Contraint à l'exil l'année suivante, le chef religieux se réfugie dans l'Italie de Mussolini, avant de gagner l'Allemagne nazie en 1941. "À l'époque, Haj Amin al-Husseini tentait de trouver des alliés du côté des adversaires de la Grande-Bretagne, dont faisait partie l'Allemagne nazie", explique Jean-Paul Chagnollaud*, professeur des universités et directeur de l'iReMMo (Institut de recherche et d'études Méditerranée et Moyen-Orient).

Installé à Berlin, al-Husseini se rapproche d'Adolf Hitler. Le grand mufti de Jérusalem aurait alors assuré la propagande médiatique du IIIe Reich, soutenu l'Holocauste et facilité le recrutement d'Européens musulmans au sein des Waffen SS. En contrepartie, il aurait réclamé l'appui du Führer pour l'indépendance de la Palestine et contre l'instauration d'un foyer national juif en Palestine. "Haj Amin al-Husseini était un personnage ambivalent qui développait un discours communautariste et clairement anti-juif", se souvient Jean-Paul Chagnollaud, qui l'a rencontré. "Cette ambiguïté réelle du personnage a été utilisée pour discréditer le mouvement national palestinien de 1936 qui n'avait rien d'antisémite."

Organisation d'extrême droite

Sous la photo d'Hitler et d'al-Husseini figure en petits caractères le nom de l'American Freedom Defense Initiative (AFDI) en tant que financeur de la publicité. Cette organisation d'extrême droite basée à New York, également connue sous le nom de Stop Islamization of America, est considérée comme anti-musulmane par le Southern Poverty Law Center, une ONG spécialiste des groupes extrémistes aux États-Unis. Sur son site internet, l'AFDI entend "faire prendre conscience des ravages de l'idéologie suprématiste islamique" et explique agir en réponse aux "publicités anti-juives déployées sur les bus le mois dernier".

© American Muslims for Palestine
En effet, l'organisation pro-palestinienne American Muslims for Palestine (musulmans américains pour la Palestine) a financé une campagne d'affichage montrant un Oncle Sam brandissant un drapeau israélien, avec le slogan : "Nous transpirons le 15 avril (en payant des impôts) afin que les Israéliens n'aient pas à le faire ! Arrêtez l'aide américaine à l'occupation israélienne." Une référence à l'expansion exponentielle en territoire palestinien des colonies israéliennes, pourtant illégales selon le droit international. "Mon intention est de rebondir sur un média qui n'est pas impartial et qui lance une propagande contre l'État juif", explique ainsi Pamela Geller, directrice de l'AFDI, au Washington Times. "Beaucoup de gens soutiennent la campagne. J'ai reçu des centaines d'e-mails. Soyons impartiaux à notre tour !"

Sacro-saint premier amendement

"Cette campagne de propagande est destinée à inciter à la haine contre les musulmans américains", s'insurge au contraire Nihad Awad, directeur de CAIR, l'association américano-islamique des droits de l'homme. "Elle est basée sur de fausses informations et a pioché dans le Coran des éléments sortis de leur contexte. [...] Quiconque lit le Coran découvrira qu'il honore les juifs et les chrétiens pour leur croyance en un Dieu unique et appelle les croyants à vivre en paix et en harmonie."

Pour justifier ses dires, l'organisation propose sur son site des exemplaires gratuits du Coran. Mais elle ne peut en aucun cas obtenir le retrait de la campagne, en vertu du sacro-saint premier amendement de la Constitution américaine garantissant la liberté d'expression. Signe de l'embarras des transports en commun de Washington, un porte-parole interrogé par le Washington Post a refusé de commenter l'affaire dans les médias, précisant que c'était justement ce que cherchait l'annonceur en question.

C'est que l'AFDI n'en est pas à son galop d'essai. En 2012, l'organisation avait déjà lancé une première campagne pro-israélienne et islamophobe dans le métro de la capitale, poussant la régie à réclamer son interdiction. La publicité, qui multipliait les amalgames scandaleux, avait pourtant été confirmée par la justice fédérale, au nom du droit à la liberté d'expression. Ainsi, dans quatre stations de Washington, les usagers pouvaient observer le panneau : "Dans toute guerre entre l'homme civilisé et le sauvage. Soutenez l'homme civilisé ! Soutenez Israël ! Matez le Jihad !"

(*) Jean-Paul Chagnollaud, auteur avec Sid-Ahmed Souiah de Atlas des Palestiniens (Autrement,