Abdkrim a écrit :Ce que je cherche à savoir est si il y a quelque chose de concret dans la Bible sur ce sujet. Pensez-vous que Dieu (swt) voudrait d'un état qui soit basé sur sa voie ou cherche-t-il juste à être en relation avec ses enfants pour être en bonne état ?
Dans nos esprits modernes, issus des Lumières, la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est le fondement de la démocratie. Ceux qui, au XVIIIe siècle en France, ont théorisé la séparation des pouvoirs ont cru le faire en opposition avec l’Église. En fait, ils n'ont fait que transcrire en concepts laïcs ce qui était en germe dans les Évangiles. C’est pourquoi la démocratie s’est implantée d'abord en terre chrétienne.
Ses prémices antiques sont grecques, son accomplissement moderne est chrétien.
« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Matthieu 22, 21, Luc 20, 25) dit le Christ. Jésus a ici définitivement séparé le pouvoir temporel du pouvoir religieux. Le Christ ne conseille pas la révolution : le gouvernement en place est légitime. Cela ne signifie pas qu'il soit saint, mais que les affaires temporelles ne doivent pas être traitées par les mêmes institutions que les affaires spirituelles. Au cours de l'histoire, nous verrons des papes essayer d’asseoir leur domination sur les rois, ou des rois essayer de gouverner l’Église : cela a échoué. Les civilisations chrétiennes aboutissent naturellement à une séparation entre pouvoir étatique - représenté par un empereur, un roi, un président ou un dictateur - et pouvoir religieux – incarné par l’Évêque, le Pape ou le Patriarche. Ainsi en a-t-il toujours été chez les chrétiens qui adorent le Dieu-Trinité. En France, la séparation de l'Église et de l'état a été officialisée tardivement, au XXe siècle. Mais dans les faits, cette séparation a toujours été manifestée par deux institutions distinctes.
La civilisation musulmane n'a jamais connu une telle séparation : les pouvoirs religieux et temporel y sont fusionnés.
Détaché du domaine temporel, le Christ refuse de s'engager dans les trois domaines entrant habituellement dans les prérogatives de l'état : l'exécutif, le législatif et le judiciaire.
Après la multiplication des pains, les juifs veulent faire de Jésus leur roi, mais le Christ se dérobe : i
l refuse le pouvoir exécutif (Jean 6, 15).
Par ailleurs, on a vu que le Christ a rendu immoral toute notion de « charī'a », puisque la Loi divine ne doit pas servir à juger autrui. «
Tu ne jugeras pas » dit le Christ (Luc 6, 37). La Loi de Dieu est donc impropre à l'usage du pouvoir législatif.
De même, le Christ refuse d'exercer la fonction judiciaire : «
Quelqu’un de la foule dit [à Jésus] : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Il lui dit : « Homme, qui m’a établi pour être votre juge ou régler vos partages ? ». Puis il leur dit : « Attention ! Gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens. » (Luc 12, 13-15).
Le Christ ne récuse pas la justice humaine, il s'en sépare. Le Christ donne aux deux frères un conseil moral, un conseil de bon sens, mais il refuse de les juger lui-même. Il est pourtant «
le seul Juge » (Matthieu 25, 31-33), mais son jugement est spirituel. L'exercice de la justice humaine n'est pas son domaine.
Le Christ évite ainsi le piège qui consiste à figer dans une loi divine les besoins législatifs d'une culture particulière. Ce faisant, il a donné une universalité surprenante à son message.
Le Coran a fait un autre choix. Les besoins législatifs de l'Arabie du VIIe siècle sont promus en loi divine universelle. Il est vrai que certaines lois coraniques étaient des progrès par rapport à l'archaïsme de la civilisation bédouine dont est issu Mohamed. Ainsi, l'interdiction d'enterrer vivantes les nouveau-nées filles (Sourate 60, 12 ; S. 16, 58-59) est-elle un réel progrès. Mais ce progrès ne peut être suivi d'aucun autre. Ainsi, le voile des femmes - utile dans désert où le vent oblige à se protéger du sable - est devenu une loi universelle chez les musulmanes qui se voient fortement incitées à porter le voile malgré l'inconfort de ce vêtement. Promulgués dans un texte supposé divin donc non réformable, les avancées du Coran se trouvent donc figées, fixées, sans aucune possibilité d'amélioration ultérieure. Considéré comme incréé, donc existant depuis toujours auprès de Dieu, le Coran a figé la charī'a dans les archaïsmes de la civilisation bédouine de Mohamed. En effet, c'est au cours des deux premiers siècles de l'islam, que la charī'a a été élaborée par des juristes musulmans à partir d'une interprétation du Coran. Mais - toute humaine qu'elle soit – la charī'a reste néanmoins directement inspirée de la lettre du Coran, dans lequel elle puise sa légitimité, son caractère universel et son contenu définitif. Pour un non musulman, la charī'a semble avoir transformé en loi universelle la rudesse des mœurs de l'Arabie du VIIe siècle, sans que l'auteur du Coran n'ait perçu le danger qu'il y avait à instaurer une loi divine à partir d'une législation particulière. Ainsi est-il recommandé de crucifier les opposants (S. 5, 33) ou de couper la main des voleurs (S. 5, 38). Si la pratique de la crucifixion des opposants s'est perdue dans les premiers siècles de l'islam, plusieurs pays musulmans coupent toujours la main des voleurs (l'Arabie Saoudite, le Yémen, l'Iran, les Émirats Arabes Unis...). Dans un autre domaine, la polygamie est autorisée par le Coran (S. 4, 3) ; elle entérine, de fait, l'infériorité des femmes (S. 2, 228 ; S. 4, 11). Elle a persisté jusqu'à nos jours en terre d'islam.
En refusant d'instaurer une Loi divine temporelle, une charī'a, le Christ a évité cet écueil. Ainsi, n'a-t-il pas limité ses commandements aux besoins législatifs du Peuple Élu d'il y a 2000 ans et à ses archaïsmes. Cela donne une universalité étonnante à sa parole et une absolue modernité.