Platon: l'analogie de la ligne.

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J'm'interroge

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Platon: l'analogie de la ligne.

Ecrit le 20 avr.15, 07:32

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République, VI, 509c5-511e5


Socrate: En fait, c'est toi le responsable, en me contraignant à dire là-dessus ce qu'il m'en semble!

Glaucon: En tout cas, ne t'interromps pas du tout, ou, si tu le fais en quelque point, que pourtant en revanche ce ne soit pas dans l'exposé de la comparaison relative au soleil, si tu y vois quelque omission...

Socrate: Mais en vérité, ce que j'y omets ne se compte pas!

Glaucon: Eh bien! dit-il, ce n'est pas non plus une petite chose que je t'enjoins de ne pas laisser de côté!

Socrate: Je crois que c'est même beaucoup! Malgré tout, dans la mesure au moins où c'est possible à présent, je ne ferai point d'omission volontaire.

Glaucon: Garde-t'en bien en effet.

Socrate: [d] Alors, mets-toi donc dans l'esprit qu'il existe deux maîtres, à ce que nous disons; que l'un d'eux règne sur le genre intelligible, sur le lieu intelligible, l'autre, de son côté, sur l'horaton, disons le visible, pour éviter qu'en disant sur l'ouranos, sur le ciel, je ne te semble jouer subtilement sur le mot (1)! Quoi qu'il en soit de cela, tu as là deux espèces, n'est-ce pas? l'espèce visible, l'espèce intelligible.

Glaucon: Je les ai.

Socrate: Sur ce, prends, par exemple, une ligne sectionnée en deux parties, qui sont deux segments inégaux; sectionne à nouveau, selon le même rapport, chacun des deux segments, celui du genre visible comme celui du genre intelligible. Ainsi, eu égard à une relation réciproque de clarté et d'obscurité, tu obtiendras, dans le visible, ton deuxième segment, [e] les copies: par copies, j'entends premièrement [510a] les ombres portées, en second lieu les images réfléchies sur la surface de l'eau ou sur celle de tous les corps qui sont à la fois compacts, lisses et lumineux, avec tout ce qui est constitué de même sorte. Je suppose que tu me comprends.

Glaucon: Mais oui, je te comprends!

Socrate: Pose alors l'autre segment auquel ressemble celui-ci, les animaux de notre expérience et, dans son ensemble, tout le genre de ce qui se procrée et de ce qui se fabrique.

Glaucon: Je le pose.

Socrate: Accepterais-tu en outre de parler d'une division du visible sous le rapport de la vérité et de l'absence de vérité? Ce que l'opinable est au connaissable, la chose faite en ressemblance le serait à ce dont elle a la ressemblance?

Glaucon: Je l'accepte, et de tout cœur!

Socrate: Examine maintenant de quelle façon aussi la section de l'intelligible devra, à son tour, être sectionnée.

Glaucon: De quelle façon?

Socrate: De cette façon: dans une des sections de l'intelligible, l'âme, traitant comme des copies les choses qui précédemment étaient celles que l'on imitait, est obligée dans sa recherche de partir d'hypothèses, en route non vers un principe, mais vers une terminaison; mais, en revanche, dans l'autre section, avançant de son hypothèse à un principe anhypothétique, l'âme, sans même recourir à ces choses que justement dans la première section on traitait comme des copies, poursuit sa recherche à l'aide des natures essentielles, prises en elles-mêmes, et en se mouvant parmi elles. (2)

Glaucon: Le langage que tu tiens, je ne le comprends pas pleinement.

Socrate: Eh bien! recommençons! [c] Après les explications que voici, tu comprendras en effet plus aisément. Ceux qui travaillent sur la géométrie, sur les calculs, sur tout ce qui est de cet ordre (tu dois, je pense, le savoir), une fois qu'ils ont posé par hypothèse l'existence de l'impair et du pair, celle des figures, celle de trois espèces d'angles, celle d'autres choses encore de même famille selon chaque discipline, procèdent à l'égard de ces notions comme à l'égard de choses qu'ils savent; les maniant pour leur usage comme des hypothèses, ils n'estiment plus avoir à en rendre nullement raison, ni à eux-même, ni à autrui, comme si elles étaient claires pour tout le monde; puis, les prenant pour point de départ, [d] parcourant dès lors le reste du chemin, ils finissent par atteindre, en restant d'accord avec eux-mêmes, la proposition à l'examen de laquelle ils ont bien pu s'attaquer en partant.

Glaucon: Hé! oui, absolument! voilà bien une chose que je n'ignore pas!

Socrate: Aussi bien dois-tu savoir encore qu'ils font en outre usage de figures visibles et que, sur ces figures, ils construisent des raisonnements, sans avoir dans l'esprit ces figures elles-mêmes, mais les figures parfaites dont celles-ci sont des images, raisonnant en vue du carré en lui-même, de sa diagonale en elle-même, mais non en vue de la diagonale qu'ils tracent; et de même pour les autres figures. [e] Celles qu'ils façonnent et peignent, objets qui produisent des ombres ou qui se réfléchissent à la surface de l'eau, à leur tour elles sont traitées par eux comme des copies quand ils cherchent à voir les figures absolues, objets dont la vision ne doit être possible pour personne [511a] autrement que par le moyen de la pensée.

Glaucon: C'est vrai ce que tu dis là.

Socrate: Ainsi donc, tandis que je disais intelligible cette façon de penser, d'un autre côté je disais que, pour y conduire sa recherche, l'âme est contrainte de recourir aux hypothèses, de ne point aller vers le principe, en tant qu'elle est impuissante à dépasser le niveau des hypothèses, et traitant en copies ces objets, qui sont à leur tour copiés par ce qui vient au-dessous d'eux, les objets dont je parle ayant par rapport auxdites imitations, obtenu dans notre sectionnement le renom de réalités évidentes (3).

Glaucon: Je le comprends: tu veux parler de ce qui relève de la géométrie et, aussi bien, des disciplines qui sont de la même famille que celle-ci.

Socrate: Eh bien! comprends-moi encore quand je parle de l'autre section de l'intelligible (4), celle qu'atteint le raisonnement tout seul, par la vertu du dialogue (5), sans employer les hypothèses comme si elles étaient des principes, mais comme ce qu'elles sont en effet, savoir des points d'appui pour s'élancer en avant; afin que, en allant dans la direction du principe universel jusqu'à ce qui est anhypothétique, le raisonnement, une fois ce principe atteint par lui, s'attachant à suivre tout ce qui suit de ce principe suprême, descende ainsi inversement vers une terminaison, sans recourir à rien absolument qui soit sensible, [c] mais aux natures essentielles toutes seules, en passant par elles pour aller vers elles, et c'est sur des natures essentielles qu'il vient terminer sa démarche.

Glaucon: Je comprends (à la vérité pas complètement, car c'est à mon avis d'un grand ouvrage que tu parles!), que ton intention certaine est de préciser qu'il y a plus de certitude dans cette sorte de réalité, d'intelligibilité, dont la contemplation par l'esprit est l'effet de la connaissance d'un art de dialoguer; plus que dans cette autre sorte, relevant de ce qui, sous le nom de sciences, prend ses principes dans les hypothèses, et où, chez celui qui contemple, la contemplation par l'esprit est bien l'œuvre d'une discursion (6) forcément relative à des objets pris en eux-mêmes et sans recours aux sensations, [d] mais où
l'examen, faute pour eux, qui partent au contraire des hypothèses, de remonter au principe, les laisse à ton avis incapables d'avoir l'intelligence de ces objets, bien que ceux-ci, accompagnés de leur principe, soient intelligibles. Ce nom de discursion, tu le donnes, je crois, à la manière de penser propre aux géomètres et à leurs pareils, au lieu de l'appeler intellection, dans l'idée que la discursion est quelque chose d'intermédiaire entre l'opinion et la pure intellection.

Socrate: Tu ne pouvais entrer plus complètement dans mes vues! Admets en outre qu'à mes quatre sections corresponde l'existence, dans l'âme, de quatre états: «intellection» (7) pour la section supérieure; [e] «discursion» pour la seconde; à la troisième, attribue le nom de «créance», et à la dernière, celui de «simulation» (8). Ordonne-les ensuite suivant une proportion, en te disant que le degré de possibilité, pour les sections, de participer à la vérité est le même que, pour les états correspondants de l'âme, de participer à la certitude.

Glaucon: Je comprends, je partage tes idées et j'ordonne le rapport de la façon que tu dis.


  • (1) Jeu de mots intraduisible; ouranos, ciel; oraton, visible. (N.d.É.)
    (2) C'est l'«analogie de la ligne» (N.d.É.)
    (3) Ce que l'on trouve dans le segment «D-C» de notre illustration, les objets mathématiques. (N.d.É.)
    (4) Le segment «A-D». (N.d.É.)
    (5) L'art d'interroger et de répondre, voilà justement la méthode dialectique (Cratyle, 390c, et Rép., 534d-fin), en opposition à la controverse sophistique (cf. Rép. 498a). (N.d.T.)
    (6) C'est la dianoia, la pensée discursive. Comparer les segments «A-D» et «DC» de notre illustration. (N.d.É.)
    (7) C'est-à-dire la saisie immédiate des Idées. (N.d.É.)
    (8) Illusion ou représentation. (N.d.É.)
La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.

Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !

Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit sont lot d'expériences vécues.
Sagesse !

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