Avant-Propos
Je pensais présenter plusieurs textes intitulés Jésus le Sadducéen, Jésus l'Essénien et Jésus le Prêtre, mais ces trois tendances sont une seule tendance en réalité:
- les esséniens sont des sadducéens qui refusent un compromis avec les pharisiens;
les sadducéens sont des esséniens qui acceptent un compromis avec les pharisiens;
les instances dirigeantes des sadducéens et des esséniens sont des prêtres aaronides (descendants d'Aaron);
Introduction
Depuis quelque temps il est devenu à la mode de faire de Jésus un rabbi, c'est-à-dire, un maître pharsien, simplement parce quelques une de ses paroles correspondent à des paroles similaires contenues dans un texte pharisien ancien, le Pirke Avot... Il est plus vraisemblable d'admettre que les rédacteurs eurent accès à une traduction grecque d'une version du Pirké Avot et qu'ils récupérèrent l'une ou l'autre sentence et en firent des sentences énoncées par Jésus, les chrétiens ne seront plus en mesure de vérifier ce genre d'emprunts dans les siècles suivants: les traductions grecques disparurent, les contacts entre Juifs et chrétiens devinrent tendus et disparurent tout autant.
Cette notion de rabbi Jésus est comme celle du Messie Fils de David: une réécriture. Les rédacteurs (vers 120) ne savaient plus qu'il existait un Messie d'Aaron et un Messie d'Israël, et que dans la Règle de la communauté, le Messie d'Aaron à la préséance; le messie d'Israël ou davidide n'est qu'un chef politique. Les rabbins effacèrent progressivement ce messie d'Aaron; eux-mêmes étaient davidides et avaient gagné face à la puissance rivale, celle des Aaronides. Les rédacteurs torturèrent leurs textes primitifs pour faire naître Jésus à Bethléem, ville où devait censément naître le messie (le Davidide) et ils en firent un davidide, non sans quelques confusions... Les chrétiens n'y virent que du feu, mais si la plupart des Juifs rejettent les évangiles, c'est souvent parce qu'ils voient immédiatement les problèmes rédactionnels du Nouveau Testament qui le leur rend étranger. Par exemple, quand Jésus entre à Jérusalem monté sur un ânon censément à la fête de Pâque, on dépose des branches d'arbres devant lui (c'est de là que vient le dimanche des Rameaux); autrement dit, on l'accueille... par une pratique spécifique de la fête des Tentes qui se déroule en septembre-octobre, l'évangile perd nettement de sa crédibilité. On doit se demander comment l'Esprit Saint fait pour s'embrouiller dans le déroulement de fêtes juives qu'il a institué auprès de Moïse... Bref, tout cela sent les réécritures à plein nez, qui plus est, par des personnages peu compétents en matière de judaïsme.
On pourrait déduire des décisions juridiques de certaines actions de Jésus, par exemple la femme adultère. Mais ce texte nous semble contenir trop d'allusions à Simon le Magicien qui vivait avec une ancienne prostituée pour qu'il soit crédible, cette péricope est d'ailleurs absente des manuscrits les plus anciens de l'Évangile de Jean.
Voyons sommairement les miracles de Jésus que nous développeront en autre endroit, il y en a presque 40. Le changement de l'eau en vin et les multiplications des pains relèvent d'une mystique de la nourriture et doivent être considérés comme des allégories décrivant symboliquement des pratiques secrètes liées à l'hermétisme. La tempête apaisée autant que Jésus marchant sur les eaux nous semblent faire allusion aux pratiques secrètes relatives aux souffles. Les pêches miraculeuses pourraient faire allusion aux conversions nombreuses qu'espèrent les chrétiens à l'époque. Les résurrection de Naïn et de Lazare pourraient faire allusion à des réalités secrètes, mais leur rédaction nous fait plutôt penser à du merveilleux pour en mettre plein la vue, genre mon messie est génial il ressuscite les morts, etc. Notons que le fragment de l'évangile secret de marc contenu dans une lettre de Clément d'Alexandrie nous donne une version fortement teintée d'homosexualité de Jésus (Lazare était nu avec une robe transparente, et il passa la nuit avec Jésus dans sa chambre, etc.) La purification des lépreux et la guérison du paralytique pourraient faire allusion à des réalités subtiles, mais c'est trop vague pour qu'on puisse en tirer quelque conclusion certaine, etc. L'exorcisme du démon Légion semble contenir des allusions aux légions romaines, le miracle est extrêmement satirique. Plusieurs miracles se déroulent pendant le sabbat, ces textes ne doivent pas faire illusion, il s'agit de péricopes qui visaient à convaincre les judaïsants que le respect du sabbat n'était pas très important. Notons enfin que beaucoup sont narrés sous le principe suivant: si vous croyez en Jésus, vous guérissez; si vous ne croyez pas en lui, c'est la perdition. Notons aussi que pour certains miracles, il existe des versions similaires de ceux-ci, mais attribués à d'autres personnages. Bref, tous ces miracles sont soit symboliques, soit en vue de justifier la croyance en Jésus, soit en vue de justifier la rupture avec le judaïsme. Mais tout cela est tardif. L'idée même qu'un Juif se propose d'abolir le sabbat dans les années 30 de l'ère chrétienne est un anachronisme flagrant. De telles doctrines surgirent après la destruction du IIe Temple quand le peuple Juif s'est senti abandonné par Dieu, ce qui permit à des hâbleurs comme Simon le Magicien de prospérer. De telles conceptions sont le reflet des doutes qui saisirent les Juifs face à ce malheur. On peut dire que dans une certaine mesure, rabbanisme et christianisme furent deux réponses à ceux-ci, pour les premiers ce fut une ritualisation des prières qui imitaient le culte du Temple, pour les seconds, ce fut l'assimilation en vue de créer un judaïsme romano-compatible dans lequel Jésus est un nouveau Temple autant qu'une nouvelle Torah.
Malgré les affirmations que Jésus aurait été un rabbi, et donc un pharisien, l'évangile conserve des traces du Jésus esséno-sadducéen. Nous allons d'abord présenter le Jésus sadducéen ou de Jésus le Qohen, le Prêtre, un messie aaronide.
Dans la discussion sur les nourritures pures et impures, je suis l'interprétation de Daniel Boyarin que je modifie sensiblement [Voir Le Christ Juif]; pour les autres passages, le travail est plus personnel.
Des nourritures pures et impures
Nous suivons la version de Marc, et préciserons où Matthieu diffère sensiblement; les textes complets sont donnés à la fin. Cette péricope se trouve en Marc 7, 1–13 et Matthieu 15, 1–20.
La mention des scribes est un anachronisme, s'il est exact qu'à l'époque d'Esdras et de la grande synagogue, les scribes étaient tout-puissants, à l'époque de Jésus, ils n'étaient plus un parti; leur nom signifiait simplement écrivain, par contre pharisien est bien un parti à l'époque de Jésus. On pourrait admettre «des rabbins et des scribes», mais pas «des pharisiens et des scribes», cela n'a aucun sens.1. Les pharisiens [et quelques scribes], venus de Jérusalem, s’assemblèrent auprès de Jésus.
Les pharisiens suivent une tradition orale qui les pousse à affirmer qu'il faut se laver les mains, en réalité se laver les mains d'une certaine manière. NOTONS QUE LA DISCUSSION PORTE BIEN SUR LE LAVEMENT DE MAINS ET NON SUR LA CASHEROUTE, C'EST-À-DIRE, SUR LES VIANDES QU'IL EST PERMIS OU NON DE MANGER. Il faut enfin distinguer les mains propres et les mains pures rituellement, ce qui n'est pas la même chose. La propreté ou hygiène est une évidence; la pureté rituelle pour manger du pain en est une autre. Notons encore que les discussions talmudiques relatives à l'ablution des mains sont mises en rapport avec la nourriture des prêtres.2. Ils virent quelques-uns de ses disciples prendre leurs repas avec des mains impures, c’est-à-dire, « non lavées ». 3. Or, les pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains, conformément à la tradition des anciens ; 4. et, quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent qu’après s’être purifiés. Ils ont encore beaucoup d’autres observances traditionnelles, comme le lavage des coupes, des cruches et des vases d’airain. 5. Et les pharisiens et les scribes lui demandèrent: «Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens, mais prennent-ils leurs repas avec des mains impures?»
Critique de la tradition orale et de la prétention des pharisiens qu'elle serait une seconde Torah.6. Jésus leur répondit: «Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé sur vous, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, Mais son cœur est éloigné de moi. 7. C’est en vain qu’ils m’honorent, en donnant des préceptes qui sont des commandements d’hommes.» 8. Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes.
Même idée dans un texte essénien appelé l'Écrit de Damas (en réalité le texte s'intitule La Teneur exacte des Lois, etc.) qui dit (CD XVI 12–15):9. Il leur dit encore : « Vous anéantissez fort bien le commandement de Dieu, pour garder votre tradition. 10. Car Moïse a dit: Honore ton père et ta mère; et: Celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort. 11. Mais vous, vous dites: “Si un homme dit à son père ou à sa mère : Ce dont j’aurais pu t’assister est corban, c’est-à-dire, ‘une offrande à Dieu’”, 12. vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère, 13. annulant ainsi la parole de Dieu par votre tradition, que vous avez établie. Et vous faites beaucoup d’autres choses semblables.»
Les paroles de l'Écrit de Damas sont parfaitement similaires à celles de l'évangile, on ne peut consacrer des choses au détriment de l'aide à ses parents. Les pharisiens prétendaient que les vœux avaient le pas sur l'aide aux parents.... De même, est la loi pour son père. Quant à la loi des dons volontaires: que personne ne voue à l'autel des choses illégales et aussi que les prêtres ne les acceptent pas d'Israël. Que personne ne consacre la nourriture de sa bouche à Dieu, car c'est ce qu'il a dit chacun traque son prochain au filet.
Ici les versions de Marc et de Matthieu diffèrent, voyons d'abord Marc:
Et maintenant, la version de Matthieu:14. Ensuite, ayant de nouveau appelé la foule à lui, il lui dit : « Écoutez-moi tous, et comprenez. 15. Il n’est hors de l’homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller ; mais ce qui sort de l’homme, c’est ce qui le souille. 16. Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende. »
Ce qui sort de l'homme et qui peut souiller, ce sont uniquement les maladies de peaux et les fluides corporels, comme le sang menstruel et le sperme. Il s'agit d'impureté rituelle, et non de règles hygiéniques.10. Ayant appelé à lui la foule, il lui dit : « Écoutez, et comprenez. 11. Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, c’est ce qui souille l’homme. »
Ce qui entre en l'homme et qui ne peut pas souiller, c'est par exemple, d'affirmer que des mains non lavées rituellement pourraient rendre la nourriture que l'on mange impure, simplement parce que nous l'aurions tenue en main, et incidemment celui qui l'avale. Or les pharisiens affirment que si les mains ne sont pas purifiées, elles communiqueront une impureté aux prêtres et à ceux qui les mangent ces nourritures.
Passage complexe à comprendre, mais cela pourrait faire allusion aux souffles mauvais que l'homme fait sortir de lui à cause de ses mauvaises pensées. Peut-être que pour les sadducéo-esséniens était-ce une cause d'impureté.17. Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogèrent sur cette parabole. 18. Il leur dit : « Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui du dehors entre dans l’homme ne peut le souiller ? 19. Car cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s’en va dans les lieux secrets, qui purifient tous les aliments. » 20. Il dit encore : « Ce qui sort de l’homme [Mt.: de la bouche], c’est ce qui souille l’homme. 21. Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, 22. les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. 23. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme. »
L'Écrit de Damas dit (CD V 11–12):
Matthieu (15, 20b) ajoute après une phrase similaire à celle de Marc:Et ils souillèrent aussi leurs esprits saints et avec une langue 12. de diffamations, ils ouvrirent la bouche contre les prescriptions de l’Alliance de Dieu, en disant : « Elles ne sont pas sûres ! »
La complexité de tout l'exposé provient de ce qu'il convient de distinguer le lavement des mains pour les nettoyer que personne ne remet en cause, et le lavement des mains pour les purifier parce qu'elles procureraient une impureté aux aliments.mais manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille point l’homme.
Critique «sacerdotale» des pharisiens
Cette péricope se trouve en Matthieu 23, 1–12, Marc 12, 38–40, et Luc 20, 45–47
Même idée chez Flavius Josèphe.1. Alors Jésus, parlant à la foule et à ses disciples, dit : 2. « Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. 3. Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent ; mais n’agissez pas selon leurs œuvres. Car ils disent, et ne font pas. 4. Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt.
Passage mystérieux. Les phylactères sont normalement de petites boites cubiques portées par les Juifs pendant leurs prières. La mention de larges phylactères fait allusion au phylactère du grand-prêtre qui était rectangulaire, Jésus sous-entend qu'il veulent s'emparer de la grande-prêtrise, qu'ils veulent usurper le rôle dévolus aux qohanîm. Les longues franges sont plus énigmatiques, soit cela fait allusion aux sadducéens et aux esséniens qui pouvaient estimer qu'il fallait porter des franges courtes à leurs talith. Soit, il y a une faute de traduction, le traducteur aura lu tsitsith, que l'on traduit par «franges», mais qui signifie aussi «tresses»; il pourrait l'avoir interprété comme faisant allusion aux franges des vêtements (et aurait alors ajouté ce mot); alors que cela faisait allusion aux cheveux noués en tresses, Jésus alors les accuserait alors de se laisser pousser les cheveux comme le font les naziréens (moines juifs) sans prendre les vœux correspondants.5. Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements ;
Normalement les qohanîm ont la préséance sur les laïcs.6. ils aiment la première place dans les festins, et les premiers sièges dans les synagogues ;
Jésus accuse les rabbis d'avoir usurpé les fonctions normalement dévolues aux qohanîm et de se présenter comme des intercesseurs entre les hommes et Dieu, alors que c'était le culte sacrificiel qui faisait office d'intercession entre les hommes et Dieu. Notons que la phrase finale a des réécritures.7. ils aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes Rabbi. 8. Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre Maître, et vous êtes tous frères. 9. Et n’appelez personne sur la terre votre père ; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. 10. Ne vous faites pas appeler directeurs ; car un seul est votre Directeur, le Christ.
Simple ajout, les évangiles de Marc et de Luc mentionnent des paroles similaires en d'autres contextes.11. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. 12. Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.
Marc 12, 38–40 et Luc 20, 45–47] disent:
Les robes longues étaient une particularité des qohanîm. Nous avons remplacé scribes par pharisiens, plus logique dans le contexte.38. Il leur disait dans son enseignement : « Gardez-vous des scribes [pharisiens], qui aiment à se promener en robes longues, et à être salués dans les places publiques ; 39. qui recherchent les premiers sièges dans les synagogues, et les premières places dans les festins ; 40. qui dévorent les maisons des veuves, et qui font pour l’apparence de longues prières. Ils seront jugés plus sévèrement. »
Malédictions contre les pharisiens
Cette péricope se trouve seulement en Matthieu 23, 13–36
Rien à dire13. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer. 14. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous dévorez les maisons des veuves, et que vous faites pour l’apparence de longues prières ; à cause de cela, vous serez jugés plus sévèrement.
Anachronisme les pharisiens restèrent cantonnés en Judée jusqu'à la destruction du Temple et ne courraient pas la mer pour faire un prosélyte. Cette histoire fait donc allusion à des événements postérieurs à sa destruction et à une comparaison avec le Talmud, rabbi Akiba qui se rend à Rome et qui rencontre le futur consul Flavius Clemens, le neveu des empereurs Titus et Domitien. On sait qu'il se convertit au judaïsme. Mais ce passage doit faire allusion à des choses bien mystérieuses postérieures à la destruction du second Temple. Pourquoi un prosélyte devient un fils de la géhenne deux fois plus qu'eux. On sait que quoi que les flaviens détruisirent le Temple de Jérusalem, ils furent entourés de Juifs. Peut-être que le Talmud a fait une confusion entre Domitien qui frappa de sa sévérité les Juifs mais aussi les convertis. Peut-être que Domitien s'est intéressé au Judaïsme et a fini par prendre le parti des stoïciens radicaux qui voulaient en finir avec les Juifs.15. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte ; et, quand il l’est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois plus que vous.
Notons les comparaisons avec l'Écrit de Damas qui écrit (CD XV 1–3):16. Malheur à vous, conducteurs aveugles ! qui dites : “Si quelqu’un jure par le temple, ce n’est rien ; mais, si quelqu’un jure par l’or du temple, il est engagé.” 17. Insensés et aveugles ! lequel est le plus grand, l’or, ou le temple qui sanctifie l’or ? 18. Si quelqu’un, dites-vous encore, “jure par l’autel, ce n’est rien ; mais, si quelqu’un jure par l’offrande qui est sur l’autel, il est engagé”. 19. Aveugles ! lequel est le plus grand, l’offrande, ou l’autel qui sanctifie l’offrande ? 20. Celui qui jure par l’autel jure par l’autel et par tout ce qui est dessus ; 21. celui qui jure par le temple jure par le temple et par celui qui l’habite ; 22. et celui qui jure par le ciel jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis.
Voyons la suite de Matthieu.On ne jurera ni par aleph et lamed, ni par aleph et daleth, à l'exception du serment des fils par les malédictions de l'Alliance. Et qu'on ne mentionne par la Torah de Moïse, car dans celle-ci, il a la notation entière du Nom. Et si l'on jure et l'on transgresse, alors on profanera le Nom.
Rien à dire. Voyons la suite:23. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité : c’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans négliger les autres choses. 24. Conducteurs aveugles ! qui coulez le moucheron, et qui avalez le chameau. 25. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qu’au-dedans ils sont pleins de rapine et d’intempérance. 26. Pharisien aveugle ! nettoie premièrement l’intérieur de la coupe et du plat, afin que l’extérieur aussi devienne net. 27. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au-dehors, et qui, au-dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés. 28. Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais, au dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité.
Allusion au maître de Justice mis à mort par les pharisiens et considéré comme un prophète par les esséniens.29. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes et ornez les sépulcres des justes, 30. et que vous dites : “Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes.” 31. Vous témoignez ainsi contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes. 32. Comblez donc la mesure de vos pères.
Voyons la conclusion maintenant:
Mentionnons l'anachronisme, Zacharie fils de Barachie (Baris) est mentionné par Flavius Josèphe dans la Guerre des Juifs, 4, 1, 4, il fut tué pendant la première guerre judéo-romaine en 68:33. Serpents, race de vipères ! comment échapperez-vous au châtiment de la géhenne ? 34. C’est pourquoi, voici, je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous battrez de verges les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville, 35. afin que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l’autel. 36. Je vous le dis en vérité, tout cela retombera sur cette génération.
Certains penseront que cela fait allusion à Zacharie fils de Barachie, mais il mourut à l'époque du premier Temple. Nous suivons le père Nodet et les différents spécialistes des œuvres de Flavius Josèphe et du Nouveau Testament qui considère que la mention de Zacharie est un anachronisme.Cependant les massacreurs, dégoûtés de ces meurtres multipliés, imaginèrent des parodies de tribunaux et de jugements. Ils avaient décidé de mettre à mort un des citoyens les plus illustres, Zacharie, fils de Baris: ils lui en voulaient surtout de sa haine contre les méchants et de son amour de la liberté; de plus, il était riche, ce qui leur donnait l’espérance non seulement de mettre ses biens au pillage, mais de se débarrasser d’un homme capable de les perdre eux-mêmes. Ils convoquent donc, par ordre, au Temple, soixante-dix citoyens notables, les décorent, comme au théâtre, d’un appareil judiciaire sans autorité, accusent Zacharie de livrer l’État aux Romains et d’envoyer des messages de trahison à Vespasien. Il n’y avait ni preuve ni témoignage pour soutenir ces accusations, mais ils déclaraient en être bien informés eux-mêmes et prétendaient que cela suffisait à la vérité. Zacharie, comprenant qu’il ne lui restait aucun espoir de salut, qu’on l’avait insidieusement mené à une prison et non devant un tribunal, renonça à la vie, mais non à la parole. Debout dans l’assemblée, il railla l’invraisemblance des accusations et réfuta en peu de mots les griefs dont on le chargeait. Ensuite, tournant son discours contre ses accusateurs, il énuméra successivement toutes leurs injustices et déplora longuement le désordre des affaires publiques. Les zélateurs protestèrent avec bruit, et c’est à grand peine qu’ils retinrent leurs épées, bien qu’ils fussent résolus à conserver jusqu’à la fin les apparences de cette parodie de tribunal, désireux d’ailleurs d’éprouver les juges et de voir s’ils mettraient la justice au-dessus des périls qui les menaçaient. Mais les soixante-dix citoyens donnèrent tous leurs suffrages à l’accusé, aimant mieux mourir avec lui que de porter la responsabilité de sa mort. Alors les zélateurs hurlèrent contre l’acquittement; tous s’irritaient contre des juges qui n’avaient pas compris le caractère fictif de l’autorité qu’on leur donnait. Deux des plus audacieux attaquent et égorgent Zacharie au milieu du Temple; quand il tomba, les meurtriers lui dirent, en manière de raillerie: “Voici maintenant notre sentence: c’est une mise en liberté plus sûre que l’autre”: et ils le jetèrent aussitôt du haut du Temple dans le ravin situé plus bas. Quant aux juges, ils les chassèrent de l’enceinte à coups de plat d’épée dans le dos; ils ne s’abstinrent de les tuer que pour leur faire porter à tous, en se dispersant dans la ville, le témoignage de la, servitude où tous étaient réduits.
Sadducéens et esséniens
Avec la découverte dans les années 90 de 4MMT, on a dû admettre que les esséniens n'étaient pas des pharisiens ultras, mais des sadducéens ultras. Pourtant, alors que la structure laïque du pharisianisme est considérée comme certaine, les aspects sacerdotaux de l'essénisme auraient depuis longtemps dû faire comprendre que les esséniens furent des extrémistes sadducéens qui refusaient tout compromis avec le pharisianisme majoritaire.
On a eu le tort de ne pas faire assez attention à cette petite phrase de Flavius Josèphe (Antiquités, 18, 1, 4):
Il est donc assez évident qu'il existe une partie des sadducéens qui refusent d'adopter le point de vue pharisien et de suivre leurs directives, et qui pour cela se sont séparés du Temple, ce sont les esséniens.Leur doctrine [celle des sadducéens] n'est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité. Ils n'ont pour ainsi dire aucune action; car lorsqu'ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu'autrement le peuple ne les supporterait pas.
Critique des sadducéens (ils ont abandonné les pratiques secrètes):
On lit en Matthieu 22, 23–33 (similaire en Marc 12, 18–24 et en Luc 20, 27–36):
Tous les spécialistes admettent que même sans résurrection des morts, le cas qu'ils posent est un casse-tête en matière de halakha.Le même jour, les sadducéens, qui disent qu’il n’y a point de résurrection, vinrent auprès de Jésus, et lui firent cette question: «Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans enfants, son frère épousera sa veuve, et suscitera une postérité à son frère. Or, il y avait parmi nous sept frères. Le premier se maria, et mourut; et, comme il n’avait pas d’enfants, il laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du second, puis du troisième, jusqu’au septième. Après eux tous, la femme mourut aussi. À la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme? Car tous l’ont eue.»
Dans ce passage, Jésus s'affirme essénien. En effet, il rappelle aux sadducéens la doctrine d'Hénoch (I Hénoch 68, 11–16):Jésus leur répondit: «Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car, à la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel.
Et enfin, Jésus enfonce le clou, en disant:Il leur enseigna l'écriture, et leur montra l'usage de l'encre et du papier. Aussi par lui on a vu se multiplier ceux qui sont égarés dans leur vaine sagesse, depuis le commencement du monde jusqu'à ce jour. Car les hommes n'ont point été créés pour consigner leur croyance sur du papier au moyen de l'encre. Ils ont été créés pour imiter la pureté et la justice des anges. Ils n'auraient point connu la mort, qui détruit tout ; c'est pourquoi la puissance me dévore. Ils ne périssent que par leur trop grande science.
C'est-à-dire que la vraie doctrine d'Hénoch et des prophètes est d'entrer vivant dans l'éternité, et non d'attendre la résurrection finale.Pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ! Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants.» La foule, qui écoutait, fut frappée de l’enseignement de Jésus.
Critique des sadducéens (l'amour du prochain):
Flavius Josèphe dit des sadducéens qu'au contraire des pharisiens, ils
On comprend alors, ce que dit Jésus dans Marc 12, 28–34:sont, même entre eux, peu accueillants, et aussi rudes dans leurs relations avec leurs compatriotes qu'avec les étrangers.
Notons que chez Matthieu, le scribe est un docteur pharisien de la Loi. Nous avons donc les grands reproches des esséniens aux sadducéens, leurs anciens frères, ils ont abandonné les pratiques secrètes et ne pratiquent pas l'amour du prochain.28. Un des scribes, qui les avait entendus discuter, sachant que Jésus avait bien répondu aux sadducéens, s’approcha, et lui demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? » 29. Jésus répondit : « Voici le premier : Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur ; 30. et : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. 31. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. » 32. Le scribe lui dit : « Bien, maître ; tu as dit avec vérité que Dieu est unique, et qu’il n’y en a point d’autre que lui, 33. et que l’aimer de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices. » 34. Jésus, voyant qu’il avait répondu avec intelligence, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osa plus lui proposer des questions.
On retrouve ce reproche dans l'Écrit de Damas (CD VIII, 4–6):
Critique du divorceCar ils tomberont malades sans guérison (possible) et (ce) défaut anéantira tous les rebelles, vu [qu’]ils n’ont pas dévié de la voie des traîtres mais [qu’]ils se sont vautrés dans les voies de la luxure et dans l’arrogance impie ; [qu’] ils se sont vengés et ont gardé rancune chacun contre son frère, chacun haïssant son prochain ; etc.
Jésus condamne plusieurs fois le divorce, voyons les passages en question.
1. Matthieu 5, 31–32:
2. Matthieu 19, 1–9 (similaire en Marc 10, 1–12):31. Il a été dit : Que celui qui répudie sa femme lui donne une lettre de divorce. 32. Mais moi, je vous dis que celui qui répudie sa femme, sauf pour cause d’infidélité, l’expose à devenir adultère, et que celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère.
Nous trouvons exactement les mêmes idées dans l'Écrit de Damas qui écrit (CD IV 20–21 et CD V 1):1. Lorsque Jésus eut achevé ces discours, il quitta la Galilée, et alla dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain. 2. Une grande foule le suivit, et là il guérit les malades. 3. Les pharisiens l’abordèrent, et dirent, pour l’éprouver : « Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour un motif quelconque ? » 4. Il répondit : « N’avez-vous pas lu que le créateur, au commencement, fit l’homme et la femme 5. et qu’il dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair ! 6. Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint. » — 7. « Pourquoi donc », lui dirent-ils, « Moïse a-t-il prescrit de donner à la femme une lettre de divorce et de la répudier ? » 8. Il leur répondit : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; au commencement, il n’en était pas ainsi. 9. Mais je vous dis que celui qui répudie sa femme, sauf pour infidélité, et qui en épouse une autre, commet un adultère. »
Le divorce ne fut jamais remis en question par les pharisiens.Eux, (ce sont) ceux qui ont été attrapés par la luxure concernant deux points : en épousant deux femmes de leur vivant, alors que le fondement de la Création (repose sur) Mâle et femelle il les créa. Et ceux qui entrèrent dans l’arche (de Noé), Ils entrèrent couple par couple dans l’arche.
Le monachisme juif.
On connaît l'importance de l'état monacal dans le christianisme primitif. La découverte des manuscrits de Qumran a montré que les vœux de naziréat étaient en grand honneur dans leur ordre. Alors que c'est tombé en désuétude dans le Judaïsme rabbinique.
Matthieu 19, 10–12:
Pour des raisons inconnues, les rédacteurs des évangiles ont présenté les vœux de naziréat comme des eunuques. Des le ventre de leur mère, allusion à Samson; devenus par les hommes, allusion aux mutilations que certains hommes ont subi; et ceux qui se sont rendus tels à cause du royaume des cieux, ce sont les nazirs (et pas des eunuques) volontaires afin de consacrer l'ensemble de leur vie à Dieu.10. Ses disciples lui dirent : « Si telle est la condition de l’homme à l’égard de la femme, il n’est pas avantageux de se marier. » 11. Il leur répondit : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela est donné. 12. Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère ; il y en a qui le sont devenus par les hommes ; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne. »
Conclusion.
Le texte primitif de l'évangile présente bien un Jésus esséno-sadducéen, anti-pharisien, défenseur des prêtres et de la mystique sacerdotale. La vision qu'il défend est sadducéenne, car scripturaliste (il se réfère à l'écriture au sens littérale), et antipharisienne (il rejette la tradition orale car elle contrevient à la Torah écrite), néanmoins il appartient à la branche la plus extrême des sadducéens: les esséniens. Ce que les sadducéens pensaient tout bas, les esséniens le disaient haut et fort. Les enseignements des sadducéens sur le divorces et le monachisme nous sont inconnus, mais il est probable que les enseignements sur ces matières ne différaient pas entre sadducéens et esséniens.
Les tentatives de faire de Jésus un davidide, un rabbi et un pharisien sont des réécritures postérieures qui doivent dater des années 120–140 et qui proviennent des tensions entre sanhédrin de Yavneh et judaïsants grecs.
Au sein de ces judaïsants grecs, il y avait des tensions entre tenants de l'essénisme et du judaïsme alexandrin, entre ceux qui souhaitaient un compromis avec Yavneh (c'est le Jésus rabbi) et ceux qui souhaitaient une rupture totale avec le Judaïsme et l'Ancien Testament (voir Jésus ou Simon le Magicien?), c'est-à-dire les Marcionites et autres gnostiques.
PS. Nous avons conservé Jésus, mais pour nous cette partie primitive du NT fut composée par Flavius Josèphe et devait décrire originellement la Vie de Bannous.