Nomina sacra signifie simplement "noms sacrés", mais c'est devenu chez les paléographes du XXe s. l'appellation conventionnelle d'un ensemble d'abréviations régulières typiques de nombreux manuscrits chrétiens (du NT, de la LXX ou d'autres textes non "canoniques").
A partir d'une vieille suggestion de la Watch (The Watchtower, 1.7.1959 p. 394, se référant à Traube, donc à l'idée erronée d'une origine juive des nomina sacra), beaucoup d'"apologistes" jéhovistes autoproclamés s'y réfèrent comme à une "trace" graphique d'un remplacement du Tétragramme (ou d'une autre forme du "nom divin") par un (autre) terme grec (notamment kurios = Seigneur abrégé en KC.
Le principal problème de cette théorie, c'est que la pratique en question ne s'applique pas seulement à des mots comme kurios = Seigneur ou theos = Dieu, qui pourraient servir de substituts à un "nom divin", mais à une
quinzaine de termes qui, s'ils sont considérés comme "sacrés", le sont pour des motifs et à des degrés très divers: d'abord et systématiquement "Jésus" et "Christ", mais aussi "Fils", "Sauveur", et même "Jérusalem", "Israël", "croix", "Père" ou "ciel" quand il s'agit de Dieu, "mère" quand il s'agit de Marie, "homme" et "David" associés à "Fils"... Considéré dans son ensemble, le phénomène ne s'explique évidemment pas par le remplacement d'un terme unique, et la monomanie jéhoviste ne peut croire y retrouver son compte qu'à se cantonner arbitrairement au cas de kurios = Seigneur -- à la rigueur aussi "Dieu", "Père" et "Ciel" -- en occultant tout le reste, surtout "
Jésus" et "
Christ" qui font pourtant partie du
plus ancien "carré" d'abréviations repérable, à la même enseigne que "Seigneur" et "Dieu".
Selon Larry Hurtado, le meilleur candidat au titre de première abréviation d'un nomen sacrum (singulier de nomina sacra) serait même "
Ièsous" = "Jésus" (
http://khazarzar.skeptik.net/books/nomin_s.pdf)
Ce qui peut se comprendre car la plupart des formules vétéro-testamentaires se référant au "nom" (šm = onoma) de Yhwh ("au nom de", etc.) sont transférées au "nom" de Jésus.
il y a généralement une distinction entre un emploi "sacré" et "ordinaire" des mêmes mots, qui ne sont abrégés qu'en cas d'emploi "sacré" qui
s'inspire au départ des graphies juives des "noms divins", MAIS les termes "Jésus" et "Christ" en bénéficient au même titre que "Seigneur" et "Dieu", donc on s'éloigne de la pratique originelle.
Ce processus indique le nom divin YHWH (avec son "culte") est bel et bien passé de l'AT au NT, mais il est passé dans les différentes constructions christologiques que les textes du NT présupposent ou effectuent. Dans l'usage notamment paulinien du substitut "Seigneur" (kurios) appliqué au "Christ", dans la mystique johannique du "nom" du Père donné au Fils, avec ses "Je suis" (egô eimi) qui rappellent les auto-affirmations de Yahvé chez le deutéro-Isaïe, dans le Ièsous Alpha et Ôméga (IAÔ) de l'Apocalypse probablement, dans la formule "celui qui est, qui était et qui vient" qui combine une interprétation juive du nom divin en Exode 3 avec des eschatologies "messianiques" ou autres ("celui qui vient", outre Yahvé dans les textes liturgiques ou prophétiques, c'est le "messie", mais c'est aussi Elie ou le Fils de l'homme de Daniel ou d'Hénoch), et ainsi de suite. Tous les éléments d'un "culte de Yhwh" sont bien là, mais décomposés et recomposés, redistribués selon de nouvelles "économies", de nouveaux agencements.