Gilles a écrit :Cela aies contraire au propos de l'auteur lui- même ,c'est pour cela que j'aie faits ses Mises au point particuliere le tout se vérifies fort bien dans son Oeuvre
Le problème, c'est que vous faites de l'Oeuvre de St-Jérôme un corpus unifié là où la critique historique révèle que Jérôme de Stridon a retourné sa veste.
Il faut aussi avoir recours à la biographie de Jérôme, à l'analyse des nombreuses polémiques dont il a été le géniteur, et enfin à la période où, soumis à l'obéissance au pape Damase, il a fait machine arrière complète.
Dans sa jeunesse, Jérôme est sensible à des courants de doctrines qui émanent d'un christianisme juif, et qu'il rencontre autour de lui. C'est dans le but de mieux maîtriser l'AT qu'il s'initie avec difficulté à l'hébreu. Mais au cours de son voyage d'étude, il rencontre les nazaréens de Syrie qui sont les continuateurs fidèles du courant de doctrines auquel se rattachait Jésus lui-même. Et c'est d'ailleurs, de l'
évangile des nazaréens, que Jérôme fera faire par eux une copie de cet évangile qu'il assimile plus tard à l'évangile judaïque ou encore l'évangile des hébreux et qu'il rapporte avec lui.
Il y voit un grand intérêt :
MATHIEU, aussi nommé Lévi, était publicain avant de devenir apôtre. Il fut le premier en Judée qui mit par écrit l'Évangile de notre seigneur Jésus-Christ , et il le rédigea en hébreu à l'usage des Juifs convertis. On ne connaît pas au juste celui qui l'a traduit en grec. On en a conservé jusqu'à nos jours, dans la bibliothèque de Césarée, un exemplaire hébreu que Pamphile le martyr avait écrit avec le plus grand soin. Les chrétiens de Béroa en Syrie se servent aussi du texte hébreu , et je me le suis fait copier par eux. Toutes les fois que. l'évangéliste invoque , soit en son nom , soit au nom du Seigneur, le témoignage de l'Ancien-Testament, il recourt non point à la traduction des Septante, mais à l'original lui-même. Par exemple , ces deux prophéties : « J'ai appelé mon fils de l'Égypte; il sera appelé le Nazaréen, » sont tirées du texte hébreu.
(Tableau des écrivains écclésiastiques, ou livre des hommes illustres.)
Ici, il accorde une grand importance à un évangile en hébreu qui tire de l'AT les données de la version originelle hébraïque et non de la Septante. Cet évangile est la source des versions grecques ultérieures qui n'en sont que des traductions. Or comme je l'ai indiqué, le version en grec ne retraduit pas le sens de la version en hébreu. Et cette distinction est naturellement à l'origine de nombreuses polémiques qui ont cours dès le second siècle dans tout le monde chrétien et juif. Si j'insiste sur l'importance de ces distinctions, c'est parce qu'elles revêtent un aspect historique que nos historiens ou exégètes modernes choisissent de minimiser, voulant faire croire que le monde chrétien est apparu directement en grec. Qui pourrait aujourd'hui tenir une tel discours, à la lueur des recherches du 20° siècle ?
Mais, l'érudition de Jérôme et sa connaissance des symboles juifs est cependant remarquée par Damase, qui lui confie la mission de restaurer l'autorité de la Septante et de produire une version nouvelle en latin. C'est donc sous l'obéissance que cette version sera faite. On ne trouve pas sur Internet les documents où Jérôme explique que c'est sous injonction du pape Damase que cette version est rédigée, et qu'il doit abandonner les apports de la version hébraïque de Matthieu et des écrits en chaldéen. Mais dans la lettre à Damase, il ne peut pas lui tenir un autre discours que celui que nous y trouvons et auquel vous vous référez seulement.
Pourtant, Jérôme incline plutôt à accorder crédit à ces sources hébraïques, comme en témoigne encore ce passage antérieur à son engagement envers Damase:
PANTOENUS, philosophe stoïque, fidèle à une coutume déjà ancienne à Alexandrie, où depuis Marc l'évangéliste abondaient toujours les docteurs ecclésiastiques, fit briller beaucoup de sagesse et une profonde connaissance des Ecritures sacrées et de la littérature profane. Des ambassadeurs indiens l'ayant prié de venir dans leur pays prêcher la religion, il y fut envoyé par Démétrius, évêque d'Alexandrie. Il trouva que Barthélemy avait déjà annoncé l'arrivée du Messie dans ces contrées (en Inde), et y avait apporté l'évangile selon Mathieu. A son retour à Alexandrie, Pantœnus prit avec lui ce livre qui était écrit en hébreu. Il a laissé plusieurs commentaires sur les Ecritures ; mais ce fut surtout de vive voix qu'il servit les intérêts de l'Eglise (ibid)
Ce n'est que dans un écrit plus tardif que l'on aura un revirement de situation :
J'aborde maintenant le Nouveau-Testament qui a été écrit tout entier en grec, à l'exception de l'évangile selon saint Mathieu, qui se servit de la langue hébraïque pour répandre en Judée la parole de Jésus-Christ. Or, comme dans notre idiome cet évangile est rempli d'incontestables variantes résultant de la variété des sources auxquelles on a puisé pour le composer, il nous a semblé convenable de remonter à une seule et même source. Je ne veux point recourir aux versions employées par Lucianus et Hesycllius et que quelques hommes ont prises pour texte de leurs querelles impies. Il ne m'a point convenu de revoir ces versions dans leur ancien idiome, après la traduction des Septante. Si je l'ai fait pour les exemplaires écrits dans notre langue, je dois avouer que je n'en ai retiré aucune utilité; en conséquence, je ne m'engage ici qu'à l'examen des quatre évangiles, dont voici l'ordre nominal : saint Mathieu, saint Marc, (629) saint Luc et saint Jean; je ne prétends me servir que de la collection épurée des anciens textes grecs. D'ailleurs , afin que notre travail ne s'écartât pas trop de la teneur des exemplaires latins, nous n'avons corrigé que les passages qui nous ont paru s'écarter du véritable sens, laissant les autres tels que nous les avons reçus de la rédaction primitive.
(Au pape Damase)
Les incontestables variantes sont nécessairement liées à l'éclatement du courant messianiste. Aussi, il est assez curieux que le même raisonnement ne soit pas appliqué aux "versions épurées" des anciens textes grecs, qui doivent certainement exister aussi sous la forme d'incontestables variantes !
Quant à l'obéissance de Jérôme à l'Eglise dans cette seconde phase de sa vie, elle est attestée par le passage suivant :
En vérité, je ne saurais comprendre votre empressement; vous voulez absolument que je traduise en latin un livre écrit en chaldéen, je veux dire le livre de Tobie, que les Hébreux retranchent du nombre des livres canoniques pour le mettre au nombre des apocryphes. Je vous ai obéi, mais ce n'a pas été sans me faire violence; car les hébreux nous font un procès sur cela, et nous accusent de traduire en latin des livres qui ne sont point dans leur canon. Leurs plaintes ne m'ont pourtant pas empêché de poursuivre mon travail, persuadé qu'il était plus à propos d'obéir à des évêques, que. de craindre les murmures des pharisiens. Comme donc le chaldéen approche beaucoup de l'hébreu, je me suis servi d'un homme qui parlait parfaitement bien l'une et l'autre langue, et après avoir fait venir un copiste, je lui ai dicté en latin tout ce due celui-là m'exprimait en hébreu. J'ai consacré un jour tout entier à cet ouvrage. Je n'en veux point d'autre récompense que le secours de vos prières et le plaisir de savoir que vous êtes contents de mon travail.
(A Chromatius et à Héliodore )
Ici, la traduction de Tobie, livre rejeté des juifs comme apocryphe, ne semble pas plaire beaucoup à Jérôme. Mais par l'obéissance, il en fournira une traduction en latin qui figure dans la Vulgate. En faisant cela, Jérôme se compromet auprès des interlocuteurs qu'il côtoie dans le milieu rabbinique et il se coupe de cette source, qui lui fait un juste procès. Sa Vulgate est sous contrôle et elle représente une étape cruciale de la lutte entre le christianisme romain et le judaïsme rabbinique.
Vous voyez que les choses demandent plus d'analyse et de méthode. Dans une troisième partie de sa vie, et après la mort de son protecteur Damase, Jérôme ne dispose plus d'aucun crédit en matière d'authenticité. Il se retirera à Béthléem pour y fonder un monastère, se retirant du monde et des polémiques.
On voit cependant, combien ces écritures ont été bidouillées, travaillées, édulcorées et comment l'intérêt politique a orienté la fixation des textes. C'est la raison pour laquelle, l'histoire du christianisme sera nécessairement transformée, lorsque les historiens spécialistes se pencheront pour de vrai sur les textes talmudiques et de la Mischna, car ces textes très nombreux sont contemporains des textes du NT et ils apportent la contrepartie au point de vue de Rome. Il est assez curieux de constater combien du côté du christianisme romain, on a évité d'en prendre considération, et que, de la même façon, les rabbins ont interdit l'analyse historique de leur tradition, de peur que des juifs ne deviennent chrétiens. Mais ces barrières vont sauter un jour !