marcel a écrit :J'ai beaucoup de mal à imaginer qu'il n'y a pas , dans le "réel", "quelque chose", un truc, une structure abstraite ou n'importe quoi de totalement fou et inimaginable, qui n'ait pas une sorte de correspondance avec ce que nous appelons un "arbre" dans notre réalité... Je pense que le "réel" est structuré.
Il me semble que si ce n'était pas le cas, le monde serait à tout jamais inintelligible ,chaotique et indifférencié.
Je sais que c'est difficile à concevoir. Mais l'alternative au modèle qui s'impose à l'examen épistémologique n'est pas la "bouillie ontologique" (terme que j'emprunte à Morin) que tu sembles concevoir.
Ce serait un peu long de développer ici, mais en gros :
Quelle que soit notre manière d'aborder les manifestations du Réel nous percevrons des structures, en écho de sa nature. Mais il faut bien comprendre que ces structures sont aussi des artéfacts de notre entendement :
Dans le Réel, rien n'est
même qu'autre chose. On ne peut pas réduire les manifestations du Réel sans perte d'information. Le travail de l'esprit, c'est de déterminer dans les manifestations du Réel ce qui est
même.(1) En faisant ainsi tout phénomène est abordé en ce qu'il présente des traits identiques à l'expérience vécue (ou instinctive). Même les différences qu'il présente par rapport à l'habitude seront dans un second temps classées dans une catégories de
mêmes. C'est en fait la rencontre des
catégories de mêmes qui constitue le principal travail associatif de l'activité neurale.
Lorsqu'on change de manière d'appréhender le Réel, c'est-à-dire lorsqu'on applique un autre filtre cognitif, on change en fait les critères de distinction des
mêmes.(2)
Lorsqu'on dit d'une chose qu'elle existe, on dit en fait qu'un ensemble de manifestations du Réel est
même qu'un autre ensemble.
C'est ce travail de "compression du Réel" par l'esprit qui permet donc de générer des "limites" (en réalité toute limite est arbitraire), des "infinis", du "soi", de la "vie", etc. Car en réalité je le répète, rien n'est
même à quoi que ce soit d'autre dans le Réel.
L'activité de l'esprit est donc essentiellement destructrice (en décrétant deux choses comme
mêmes on abandonne tout ce qui fait la singularité de chacune, on les "range dans le même panier").
J'ai essayé de faire le plus court possible. J'espère que ça n'a pas été au détriment de la clarté.
marcel a écrit :[...]
Vicomte, je note un truc intéressant :
"c'est le détenteur des concepts qui produit l'objet, lequel est dans son esprit et non dans le réel"
Nos esprits, nos cerveaux, ( donc nous mêmes) , ne faisons pas partie du réel ??
Bien sûr que si. Croire le contraire serait non seulement naïf mais ouvrirait la porte à l'immanence et à la transcendance (ce qui est en fait un aberration épistémologique), voire pour les plus naïfs à la croyance en un esprit indépendant du corps et qui lui survivrait à la mort.
Il se trouve juste que du point de vue du sujet, il est impossible de faire l'expérience de sa pensée en action. Il peut se penser pensant, mais pas prendre conscience des interactions électrochimiques de ses neurones qui génère la pensée qui justement est en train de se faire. Ça lui donne donc l'illusion que sa pensée n'appartient pas à la réalité.
Le problème est qu'en épistémologie on s'intéresse au connaissable du point de vue du sujet pensant. Donc par commodité du discours, on opère une distinction (en réalité artificielle) entre l'esprit du sujet pensant et le Réel (dont il fait entièrement partie, bien entendu).(3)
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(1) On pourrait comparer grossièrement cette activité à un algorithme de compression informatique avec perte :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Compressio ... vec_pertes
(2) Ne pas confondre
même (qual. d'identité) avec son homonyme
mème (concept élaboré par Dawkins).
(3) En outre, ça montre bien que "l'esprit" et "le cerveau en activité" sont deux manières totalement distinctes et irréductibles l'une à l'autre d'aborder pourtant une même réalité. (Tout comme il y a des milliers de manières d'aborder les "arbres" autrement que comme nous le faisons classiquement.