Bonjour Nerevar,
Généralement, les Musulmans adhèrent au Big Bang (mais pas tous), et ils rejettent l'évolution (dans le sens qu'ils ne croient ni au "hasard" ni au transformisme), mais je connais personnellement plusieurs Musulmans (dont des scientifiques) qui y adhèrent. Cela dit, l'évolution était enseignée avant dans les universités islamiques (avant le 18ème siècle).
Après la chute de l'Empire romain, les idées évolutionnistes continuèrent à être exposées par les savants et philosophes musulmans au Moyen Âge durant l'âge d'or de la civilisation islamique, alors que les théories anciennes de l'évolution et de la sélection naturelle étaient largement enseignés dans écoles islamiques*. Le savant, historien et philosophe John William Draper a parlé au 19siècle de "la théorie muhammadienne" de l'évolution la comparant avec le darwinisme (1).
Le premier naturaliste et philosophe musulman à développer une théorie de l'évolution fut le zoologiste Al-Jahiz (776-868) au 9ème siècle. Dans son Livre des Animaux, il dresse une anthologie animalière où est évoquée une évolution articulée selon trois mécanismes principaux : la lutte pour l’existence, la transformation d’espèces vivantes et l’influence de l’environnement naturel. Il marque ainsi l’unité de la nature et les rapports entre divers groupes d’êtres vivants.
À sa suite, pendant le Xe siècle, plusieurs penseurs musulmans reprennent ses idées sur l'évolution des êtres vivants, comme Ali ibn Abbas al-Majusi ou Nasir ad-Din at-Tusi. Selon Sigrid Hunke (1913-1999), Ali ibn Abbas al-Majusi a expliqué l'origine des espèces par la voie de la sélection naturelle 9 siècles avant Charles Darwin. D'après Réda Benkirane, cette pensée naturaliste décrivant une évolution globale impliquant le minéral, le végétal et l’animal se retrouve entre autres chez le philosophe et historien iranien Ibn Miskawayh (932-1030).
Au Xe siècle, les Frères de la pureté (Ikhwan al-Safa ) décrivent dans une section de l'Épître des frères de la pureté la création des mondes et l'évolution par strates de la vie avec des détails qui auraient impressionné Darwin (2). On y trouve l'idée d'évolution à partir de la matière, laquelle se transforme en vapeur, puis en eau, en minéraux, en plantes, en animaux, en singes et enfin en hommes. Ainsi les groupes d’êtres parcourent dans l’engendrement de leurs formes définitives une évolution qui va du simple au complexe, passant par les quatre éléments (feu, terre, air, eau), les quatre natures (chaud, froid, sec, humide) et leurs combinaisons poursuivent encore la différenciation en règnes minéral, végétal et animal et précisent indéfiniment la spéciation du vivant. (Réda Benkirane, ibid.)
L'épitre explique comment se déroule la manifestation par couches successives, ou stratifiées à partir du royaume minéral. Selon lui les entités minérales les plus développées vivent plus bas dans le royaume minéral jusqu'à ses plus hautes strates pour se mélanger imperceptiblement dans la strate supérieure du règne végétal. Il explique aussi l'existence de contacts entre les règnes animal et végétal ; et jusqu'au plus haut niveau du règne animal, dont le point culminant serait l'Homme. Les plus évolués seraient les hommes placés dans les hautes sphères, debout entre les anges et les animaux, pour servir sur la Terre comme lieutenants de Dieu.
On a suggéré que ces manuscrits pouvaient avoir influencé les scientifiques occidentaux intéressés par la transformation des espèces, notamment Darwin. (Eloise Hart, "Pages of Medieval Mideastern History")
Par la suite, Nasir ad-Din at-Tusi (1201-1274) suggère la sélection des meilleurs et l'adaptation des espèces pour l'évolution environ 6 siècles avant Charles Darwin. Il utilise pour expliquer les transformations des espèces, le mot takâmul, qui signifie en arabe «perfectionnement». Selon Tusi, ce sont les transformations de l'environnement qui poussent les espèces à évoluer ; ainsi ce seraient les espèces dont les individus sont les plus diversifiés en formes qui s'adapteraient le mieux aux changements.
Tusi écrira ainsi : «"...l'équilibre (originel) a été endommagé, et les contrastes essentiels ont commencé à apparaitre à l'intérieur de ce monde très tôt. Par conséquent, quelques substances ont commencé à se développer plus rapidement et à s'améliorer plus que les autres."» et encore: «"Les organismes qui peuvent gagner les nouveaux dispositifs plus rapidement sont plus variables. En conséquence, elles gagnent des avantages par rapport à d'autres créatures."»
Farid Alakbarov étudie en détail ce domaine dans son livre intitulé: Nasiraddin Tusinin takamul gorushlari.
Enfin, l’historien maghrébin Ibn Khaldoun (1338-1405) recourt aux notions d’ordre, de structure, de plan, de rapports entre les êtres et des permutations réciproques, de progrès graduel de la création et de continuum des êtres vivants. Il suggère également la transformation progressive et organisée du minéral vers le végétal, l'animal, le singe et finalement l'Homme.
Il écrit ainsi que: «"le plan humain est atteint à partir du monde des singes (qirada)."» (3)
En Islam, de manière générale, on n’aura pas connu (jusqu'à présent du moins) de «procès du singe» et il n’y a pas, parmi les savants les plus traditionalistes, d’opposition claire à la science. L'évolution n'est donc pas en contradiction avec le Coran ou l'Islam, et le seul obstacle principal auquel est confronté la communauté scientifique est le discours d'une frange de la communauté musulmane que toute la science est contenue dans le Coran, mais ça c'est une autre histoire, qu'il faudra traiter ultérieurement. Tout ce que l'on peut dores et déjà affirmer, et qu'il existe effectivement, certains versets coraniques qui font allusions à des faits scientifiques, et qui ont de quoi laisser perplexe, de par leur dimension scientifique. Mais l'erreur de certains théologiens, est de vouloir systématiquement faire concorder le Coran avec la science moderne, et de reléguer le Coran par conséquent, à un vulgaire traité scientifique, alors que là n'est ni l'objectif du Coran, ni son contenu exclusif.
Les théologiens ne soupçonnent pas qu’ils basculent ainsi dans une désacralisation inouïe en affirmant que la science passée et à venir (connaissance dont on sait depuis Karl Popper qu’elle est par définition réfutable) figure dans un Coran éternel. Plutôt que de voir ce qui dans l’épistémè coranique précise une manière de voir et connaître le monde encourageant la connaissance scientifique, ces théologiens cherchent à valider les découvertes scientifiques par versets interposés – et vice versa – et se complaisent dans la rumination intellectuelle du « miracle scientifique » du Coran (i’jaz ’ilmi).
Mais le second écueil théorique, beaucoup plus pernicieux, est cette importation américaine que représente le créationnisme véhiculé par une vulgarisation de caniveau et doté de leviers financiers conséquents (tout comme l'idéologie darwiniste). Ce credo fixiste s’avère en réalité un cheval de Troie en islam où l’on promeut une fausse science adossée à une religion de pacotille. L’islam, monothéisme qui a naguère favorisé l’essor des sciences, ne peut se permettre cet entrisme inter-religieux qui ressemble à une nouvelle affaire Galilée.
* Selon plusieurs penseurs et savants musulmans, tout au long de l'histoire de la civilisation islamique jusqu'à aujourd'hui (comme Sayyid Qutb, Muhammed Hamdi Yazır ou encore Réda Benkirane), en Islam, l’évolution et la contingence sont inscrites au cœur même de la révélation coranique. Ainsi selon la tradition islamique (Sunnah), la raison coranique telle qu’elle s’est elle-même révélée à l’être adamique est donc éminemment évolutive et non linéaire. Par ailleurs, même en partant d’une création divine du monde, la conception islamique où Dieu travaille continuellement à sa création, souligne que l’évolution biologique ne crée pas d’impasse métaphysique particulière aux Musulmans. Le Créateur y reste incommensurable, inconnaissable, quand «Il n’engendre pas et n’est pas engendré» et que «Nul n’est égal à Lui.» (Coran 112, 1-4). La notion théologique de renouvellement de la création (tajdid al-khalq) est ici spécifique de la tradition islamique. C’est parce que «tout ce qui est sur terre est périssable» que le processus de création est en fait une re-création permanente («Chaque jour, Il est à la tâche», (Coran 55, 29). Création Divine et évolution biologique ne s’excluent donc pas l’une l’autre.
(1) J. W. Draper, History of the Conflict Between Religion and Science.
(2) A History of Islamic Philosophy by Majid Fakhry, 1970; Arabic Thought and Its Place in History by DeLacy O'Leary, 1922; and by the same author, How Greek Science Passed to the Arabs, 1948. (From Sunrise magazine, April & May, 1973. Copyright © 1973 by Theosophical University Press)
(3) Ibn Khaldoun, Les Prolégomènes, éd. Institut de France, Paris, 1863, p. 229
Source principales: Wikipedia, science-islam.net
Concernant la science et la religion, voici un excellent texte de
Ananda Kentish Coomaraswamy, tiré de son livre
"Suis-je le gardien de mon frère ?" :
Gradation, évolution, réincarnation
Par Ananda K. Coomaraswamy
Les prétendus conflits entre la religion et la science sont, pour la plupart, la conséquence d'une confusion hiérarchique et sémantique. Hiérarchique, car l'une traite du pourquoi des choses, l'autre du comment, l'une des êtres intangibles, l'autre des choses qui peuvent être mesurées soit directement soit indirectement. A première vue, la notion d'une création «achevée que commencement» parait en contradiction avec l'origine des espèces observées dans une succession temporelle. Mais èn archê, in principio, agrê ne signifie pas seulement «au commencement » par rapport à une période dans le temps, mais aussi «en principe», c'est-à-dire dans une origine suprême antérieure, logiquement plutôt que temporellement, à toutes les causes secondes, et pas plus avant qu'après le commencement supposé de leur opération. Ainsi, comme dit Dante : « Dieu ne se mouvait sur la surface des eau ni avant ni après » ; et Philon : « En ce temps-là, en vérité, toutes les choses eurent lieu simultanément... mais une succession fut nécessairement introduite dans le récit en raison de la génération subséquente de l'une par l'autre » ; et Boehme : « Ce fut un perpétuel commencement »
Comme le dit Aristote : «Les être éternels ne sont pas dans le temps.» C'est pourquoi l'existence de Dieu est maintenant - le maintenant éternel qui sépare les durées passé des durées futures, mais qui n'est pas lui-même dans une durée, si brève soit-elle. C'est pourquoi, selon les paroles de Maître Eckart : « Dieu créa le monde entier maintenant, en cet instant. » Mais, aussitôt que quelque temps s'est écoulé, aussi court soit-il, tout est changé ; panta réi, vous ne pouvez tremper vos pieds deux fois dans les mêmes eaux ». Ainsi donc, comme pour Djalâl-al-Dîn Rûmi, à chaque instant tu meurs et tu reviens ; Mohammed a dit que le monde n'est qu'un moment... Â chaque moment le monde est renouvelé, la vie afflue sans cesse à nouveau, comme le torrent... Le commencement qui est pensée se termine en acte ; sache c'est ainsi que se fit l'édification du monde dans l'éternité »
En tout cela, il n'y a rien à quoi le savant de la nature puisse trouver à redire ; il peut certes répondre qu'il ne s'intéresse qu'à l'opération des causes médiates et non à la cause première ou au pourquoi de la vie ; mais ce n'est, tout au plus, qu'une définition du domaine qu'il s'est choisi. L'ego est le seul contenu du Soi qui puisse être connu objectivement et pour cette raison, le seul qu'il consente à prendre en considération. Son unique affaire est le comportement.
l'observation empirique ne concerne que les choses qui changent ; de celle-ci, et tous les philosophes en conviennent, on ne peut pas dire qu'elles sont, mais seulement qu'elles deviennent ou évoluent. Le physiologiste, par exemple, explore le corps, et le psychologue l'âme ou l'individualité. Celui-ci sait parfaitement bien que la permanence des individus n'est qu'un postulat, commode et même nécessaire pour des fins pratiques, mais intellectuellement insoutenable ; et, sur ce point, il est tout à fait d'accord avec le bouddhiste qui, inlassablement, déclare avec insistance que e corps et l'âme - composés et changeants, et, par conséquent, entièrement mortels - « ne sont pas mon Soi », ne sont pas la Réalité qui doit être connue si nous voulons « devenir ce que nous sommes ». De même, saint Augustin indique que ceux qui ont vu que ces deux, corps et âme, sont impermanents, ont cherché ce qui est immuable et ainsi ont trouvé Dieu - l'Unique dont les Upanishads disent que « tu es Cela ». Aussi, la théologie, avec l'autologie, néglige tout ce qui est émotionnel pour ne prêter attention qu'à ce qui ne change pas - « Je vois de toutes parts changement et destruction, Ô Toi qui ne change pas ». Elle le trouve dans cet éternel maintenant qui sépare le passé du futur et sans lequel ce couple de terme n'aurait pas le moindre sens, de même que l'espace n'a de sens que par rapport au point qui différencie ici et là. Moment sans durée, point sans extension, tel est le Juste Milieu, la Voie inconcevablement étroite conduisant hors du temps dans l'éternité, de la mort à l'immortalité.
Notre expérience de la «vie» est révolutionnaire : Qu'est-ce qui évolue ? L'évolution est réincarnation, la mort de l'un et la renaissance d'un autre dans une continuité momentanée: qui se réincarne ? La métaphysique(...)
Ma position sur la théorie de l'évolution est assez mitigée. Disons que j'accepte un certain degré de transformisme mais qui n'aurait qu'un rôle de contingence. C'est surtout au niveau l'apparition de la vie qui me permettrait de trancher sur la question (notamment parce que les hypothèses avancées par les scientifiques en ce domaine sont loin d'être convaincantes et sont surtout incohérentes, dès lors qu'on ne parle que de "hasard/accident"). Le fait que tout a débuté à partir d'une seule cellule est aussi problématique (manque de preuve, incohérence, illogique, voire impossibilité par rapport à l'existence d'une quelconque évolution à partir d'une seule et unique cellule à l'origine). Il semble également que la chronologie darwinienne ne soit pas totalement exacte (notamment sur l'apparition de l'homme et de ses différentes étapes). Il vaut mieux laisser ça aux experts. Mais la science, dès qu'elle tente d'aborder des explications sur le passé de l'Univers, ne fera jamais qu'avancer des hypothèses ne pouvant jamais atteindre un degré élevé de certitude, pour la simple raison que de nombreux facteurs ne seront jamais pris en compte, et qu'on ne connaitra pas en détail tous les évènements passés avec précision. D'autant plus que différentes explications tout à fait cohérentes peuvent être formulées à partir des mêmes faits.
Mais s'il s'avère que la théorie synthétique de l'évolution est ce qui se rapproche le plus de la réalité, il n'y aurait aucun conflit avec la religion (dès l'instant où l'on sait qu'il ne s'agit pas d'une succession de cause accidentelle). D'ailleurs Darwin lui-même affirmait qu'il n'y avait pas d'opposition entre le théisme et sa théorie.
La biologie est je trouve, le domaine le plus complexe et incertain (avec l'Histoire de l'Univers) des disciplines scientifiques, d'où de nombreuses confusions, interprétations des faits, hypothèses, etc. Donc en l'absence de preuves concrètes (Tiel a d'ailleurs tenté en vain de démontrer qu'il s'agissait de certitudes, mais là où il voyait des certitudes, il n'y avait en réalité que des extrapolations/interprétations personnelles), il vaut mieux s'abstenir, et de rester sceptique face à tout ce que l'on pourrait affirmer sur la question.