Strasbourg valide la loi française anti-burqa, Genève craint une telle loi
Par Jean-François Mabut | Mis à jour à 16:21
Une telle interdiction en Suisse ne pourrait pas s’appliquer aux personnes, nombreuses à Genève, au bénéfice du statut diplomatique.
Jean-Noël Cuénod a présidé la commission sur la laïcité mise sur pied au début de l'année par Pierre Maudet.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) vient de valider la loi interdisant en France la burqa. Cette décision relance un projet similaire en Suisse. Une initiative est en préparation. Cette information tombe alors que la Commission genevoise sur la laïcité vient juste de remettre son rapport à Pierre Maudet. En janvier 2014, le ministre de la Sécurité avait demandé à un groupe de spécialistes du fait religieux d'interpréter l'article 3 de la Constitution genevoise adoptée en 2012.
Présidée par le journaliste Jean-Noël Cuénod, ancien correspondant de la Tribune de Genève à Paris, la Commission sur la laïcité adresse au Conseil d'Etat plusieurs recommandations (
www.tdg.ch et Tribune de Genève du 12 novembre). Elle passe également en revue l'histoire, parfois mouvementée, mais aujourd'hui très largement pacifiée, des relations entre l'Etat et les églises, ou plutôt les communautés religieuses comme les qualifie la nouvelle Constitution. On y trouve les racines de la laïcité à la française qui ne sont pas les mêmes que la laïcité à la genevoise, même si les dates de séparation des églises et de l'Etat sont presque concomitantes: 1905 en France, 1907 à Genève.
Si la réponse du président de la Commission sur la laïcité est empreinte de prudence et de retenue à propos de l'interdiction du voile intégral, il salue au contraire sans restriction la décision du tribunal de Saint-Gall, qui autorise une élève à porter le voile en classe.
Sur le niqab, prudence et vigilance
«Présenter un visage masqué sur la voie publique heurte nos coutumes, répond d'emblée Jean-Noël Cuénod, citant le rapport de sa commission, une telle attitude porte atteinte aux liens sociaux les plus essentiels ainsi qu’au respect dû à son interlocuteur ; cela peut aussi entraîner un risque quant à la sécurité publique.»
«Ce dernier point n’est pas négligeable, le 6 février 2010, le bureau postal d’Athis-Mons près de Paris avait été attaqué par des malfaiteurs qui dissimulaient leurs armes et leur visage sous une burqa», souligne le journaliste qui partage son temps entre Genève et Paris.
Genève, ville internationale
Toutefois, poursuit-il, avant de partir bille en tête en faveur d’une interdiction, il est préférable de réfléchir à son application. Si l’interdiction par la France du port de la burqa ou du niqab (voile intégral) a été avalisée par la Cour européenne des droits de l’homme, il n’en demeure pas moins qu’elle pose de graves difficultés quant à son application. Ainsi, rappelle Jean-Noël Cuénod, en juillet 2013, le contrôle d’une jeune femme en niqab a provoqué trois jours d’émeutes à Trappes. Il ne faut pas oublier non plus, ajoute-t-il, que cette interdiction ne pourrait en aucun cas s’appliquer aux personnes, nombreuses à Genève, bénéficiant du statut diplomatique puisqu’elles ne relèvent pas du droit suisse.
Le président de la Commission genevoise sur la laïcité estime que «pour l’instant, interdire le voile intégral n’est pas d’actualité, les cas relevant de cette situation étant trop rares. Autant s’attaquer aux vrais problèmes qui nous assaillent actuellement, au lieu de perdre son énergie à légiférer sur des fantasmes. Toutefois, la situation peu changer et si le voile intégral devait se répandre en Suisse, alors il serait temps de réfléchir à une interdiction, à la condition de l’appliquer vraiment, sans se contenter de voter une loi qui ne serait qu’un effet d’annonce.»
Saint-Gall: sage décision de justice
Critique sur la loi anti-burqa, Jean-Noël Cuénod soutient en revanche la décision du tribunal saint-gallois qui autorise une élève à porter le voile en classe. Elle me paraît empreinte de sagesse. Le président de la Commission sur la laïcité indique que l’important se situe aussi dans cette autre partie de l’arrêt saint-gallois, à savoir qu’une interdiction du port du voile serait «actuellement excessive». Tout est dans cet adverbe « actuellement ».
«Les juges précisent bien, lit le journaliste, que tant qu'il s'agit de cas isolés d'élèves portant le voile à l'école, il n’y a pas de risque de mise en danger de la paix religieuse. Dès lors, on peut en déduire que si le port du voile devait se répandre et si cette extension mettait en péril la paix religieuse, alors les autorités de l’Etat seraient en devoir de légiférer.» Cependant, considère en conclusion Jean-Noël Cuénod, «il ne faudrait pas, à mon sens, interdire uniquement le voile islamique mais appliquer cette interdiction à tous les signes religieux ostensibles ou ostentatoires, afin de ne pas créer de discriminations».
(Tribune de Genève)