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[EXCLUSIF] Adel Kermiche avait tenté de rejoindre la Syrie à deux reprises. Mis en examen, il avait été remis en liberté sous surveillance électronique quand il a frappé l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. L'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic revient pour L'Express sur son profil.
Un prêtre égorgé en pleine messe en son église de Saint-Etienne-du-Rouvray, un paroissien grièvement blessé... Et au moins un des deux tueurs qui était connu de la justice antiterroriste. Adel Kermiche était sous contrôle judiciaire et équipé d'un bracelet électronique. Il était autorisé à quitter le domicile familial entre 8h30 et 12h30. Quand il pénètre dans le lieu de culte mardi, il est 9h25...
Son profil comme son contrôle judiciaire soulèvent de nombreuses questions que Marc Trévidic connaît bien. L'actuel vice-président du tribunal de grande instance de Lille a été pendant 10 ans juge d'instruction au pôle antiterroriste de Paris. Entretien.
Adel Kermiche, l'un des deux tueurs, était connu de la justice antiterroriste pour des tentatives de départ en Syrie. Avez-vous eu affaire à lui?
Marc Trévidic: Adel Kermiche, c'est moi qui l'ai mis en examen. La première fois qu'il a tenté de rejoindre la Syrie, il était encore mineur. La seconde, il était tout juste majeur et j'ai dû émettre un mandat d'arrêt international pour qu'il soit expulsé de Turquie.
Quels souvenirs gardez-vous de lui?
Il était très suffisant. Il disait: "Libérez-moi, donnez-moi une dernière chance." J'ai rapidement compris qu'il n'y avait pas de discussion possible. J'avais en face de moi quelqu'un qui était déterminé à repartir.
Je ne pouvais évidemment pas imaginer qu'il tuerait un prêtre dans une église. Son cas est typique de l'individu qui veut partir à tout prix, mais que la justice arrive à retenir. Alors, il se venge en faisant le djihad en France. Kermiche possède un profil hyper inquiétant.
S'agit-il du type de profil terroriste qui vous préoccupe le plus?
Dans l'ensemble, les jeunes sont plus dangereux quand ils parviennent à rejoindre l'Etat islamique car ils sont formés sur zone. Dans le cas de Saint-Etienne-du-Rouvray, ils semblent avoir agi hors d'une structure, avec des armes blanches.
S'ils avaient eu des contacts avec Daech et qu'ils avaient été aidés à distance pour se procurer une kalachnikov, ils auraient sans doute tué tout le monde dans l'église. Il faut à tout prix éviter que les candidats au djihad parviennent à partir. Car ils représentent une réelle menace à leur retour.
En mars 2016, Adel Kermiche a vu sa détention provisoire levée et a été remis en liberté sous surveillance électronique. Comment l'expliquer?
Ce n'était plus de mon ressort [le juge Trévédic a quitté le pôle antiterroriste en septembre 2015, NDLR]. Mais de mémoire, il a été libéré au bout de 10 mois de détention provisoire. C'est vrai que cela peut paraître court, mais j'imagine qu'au vu de sa jeunesse et des garanties fournies, il a été décidé de le libérer.
Dans ce type d'affaires, il faudrait arriver à les juger très vite. Sinon, cela pose problème car vous mettez des gens en prison pour le danger qu'ils représentent et non pour ce qu'ils ont réellement fait. Je rappelle que Kermiche n'avait pas réussi à rejoindre la Syrie et n'était pas en contact avec des membres de l'EI sur zone.
Faut-il systématiquement placer en détention provisoire les prévenus dans les dossiers terroristes?
C'est une question à laquelle nous sommes confrontés depuis longtemps. Entre l'emprisonnement et la libération sous contrôle judiciaire, il n'existe pas de troisième voie. Il faut trouver un outil judiciaire et non administratif. Nous sommes faces à des profils atypiques, pour qui le contrôle judiciaire classique ne peut pas marcher.
Dans le cas de Saint-Etienne-du-Rouvray, Kermiche est sorti de son domicile familial pendant les horaires autorisés [entre 8h30 et 12h30, NDLR]. Et même s'il était passé à l'acte à un autre moment, le temps que la violation de son contrôle judiciaire soit prise en compte et qu'il soit arrêté, il aurait été trop tard.
L'incarcération ne règle pas tout pour autant. Il suffit de regarder le cas de Larossi Abballa [le terroriste de Magnanville qui a assassiné un couple de policiers, NDLR]: je l'avais gardé en détention pendant toute l'instruction. Le tribunal l'a jugé, il a été condamné en septembre 2013 à trois ans de prison dont six mois avec sursis pour "association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme". Puis, il est ressorti et a commis son acte.
En réalité, tout l'enjeu est de trouver un moyen pour que ces individus ne restent pas dangereux à la sortie. Car ils vont toujours sortir vite. Le délit est puni au maximum de 10 ans.
pour rappel
http://www.sudouest.fr/2015/10/01/menac ... 8-6093.php