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Pure désinformation ! C'est le paganisme qui récupéra les thèmes chrétiens, parce que le christianisme a été prêché dès le début.
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les faits parlent d'eux-mêmes, en voici un autre exemple :
Dans le passage du paganisme au christianisme il y a donc eu, du moins chez certains des intellectuels et des hauts pasteurs de l’Église, une stratégie pastorale qui privilégiait la récupération orientée ou ré-interprétation plutôt que la destruction pure est simple. S’il y a destruction (voir la lettre de Grégoire le Grand sur les idoles), c’est une destruction sélective.
46Cette stratégie est consciente et hautement valorisée : « sous l’inspiration divine », « après une longue méditation ». Les deux cas évoqués ont valeur d’exemple, de programme, voire de plan pastoral à la portée universelle. Cette récupération ne vise pas des éléments culturels isolés, mais des ensembles structurés et complexes. Elle reconnaît la valeur des anciennes « habitudes » (terme qui revient souvent, sous diverses formes), dans lesquelles doivent se couler les nouvelles réalités chrétiennes. Ces éléments récupérés sont laissés autant que possible intacts dans leur structure extérieure et leur organisation, tout l’effort étant orienté vers le changement de sens : inmutare, commutare.
47Les éléments partiels impliqués dans cette opération sont multiples, et orientent vers autant d’aspects extrêmement riches du phénomène du passage du paganisme au christianisme, car il touchent à la mémoire des lieux, mais aussi à la mémoire du temps, des gestes, des fonctions, des valeurs :
48– Le thème de la récupération des lieux (les édifices, mais aussi les lieux sacrés naturels), renvoie à des dimensions multiples, et sans doute extraordinairement ramifiées : le problème de la superposition des églises (ou ermitages, lieux de pèlerinage, voire monastères) aux édifices païens est la dimension la plus apparente. Après une large enquête, Émile Mâle affirmait, justement pour la Gaule, que « la basilique chrétienne a pris d’ordinaire la place d’un sanctuaire païen » (Mâle, 1905 : 5). Mais il y a aussi la récupération des grottes, des sommets, des sources, des arbres, des bois, des pierres sacrées, dont certains sanctuaires majeurs (comme le Mont Gargan) peuvent témoigner de l’importance générale, mais dont seulement l’étude du folklore local peut permettre de mesurer l’extraordinaire diffusion et enracinement.
49– La récupération des dates évoque le thème des origines païennes de certaines fêtes chrétiennes, très évidentes pour une douzaine au moins de grandes fêtes (et la notion en est encore claire au XIIe et XIIIe siècles, chez les liturgistes et dans la Légende dorée), mais tout aussi indubitables pour un grand nombre des fêtes mineures, locales, et des fêtes de saints (comme sainte Brigitte) ; une recherche récente en dresse un remarquable tableau historiographique (Brossard-Pearson, 2008).
50– La récupération des rites (réunions festives, libations, offrandes d’objets variés, repas, processions en chariot) évoque le thème des éléments d’origine païenne dans la liturgie chrétienne, surtout dans les liturgies populaires : l’incubatio, la mensuratio, le poisage et contrepoisage, l’humiliation des saints, les ex-voto. L’étude des rituels, tels qu’on peut les analyser dans le recueil des bénédictions médiévales (Franz, 1909), ainsi que l’étude parallèle des charmes et des formules magiques (Bozóky, 2002), illustreraient l’aboutissement ultime et omniprésent de cette ligne de récupération.
51– La récupération des fonctions (dans le cas de Helarius-Hilarius, faire venir la pluie) nous renvoie au monde inépuisable des spécialisations thaumaturgiques des sanctuaires et des saints, aux fonctions sociales des fêtes, à certaines fonctions politiques et identitaires du culte des saints, et, finalement, à toutes les fonctions de la religion dans la structure de la société. Une étude récente et très articulée le montre pour le paganisme carnute (Robreau, 1997), tandis qu’une autre étude montre l’importance du thème des survivances du paganisme dans la pastorale du haut Moyen Âge (Filotas, 2005).
Claude Lecouteux, pour qui « ce que Grégoire recommande de faire aux temples païens a été appliqué, mutatis mutandis, aux traditions et aux croyances, et c’est ce travail d’adaptation et d’amalgame qui leur a permis de survivre sous les habits neufs du christianisme » (Lecouteux, 1994 : 8).
Cette stratégie audacieuse et consciente de « christianiser le paganisme » comportait néanmoins un risque certain, par un choc en retour, de « paganiser le christianisme », possibilité dont les pasteurs ne semblent pas avoir été, dans les deux textes commentés, assez conscients. En transformant Helarius en Hilarius, n’y avait-il pas le risque de transformer Hilarius en Helarius ? Et quelle utopie d’intellectuel, peut avoir poussé Grégoire à croire, à propos des banquets sacrificiels, qu’après leur christianisation, « par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, les païens pourront consentir plus facilement aux joies intérieures » !
Jacques Le Goff, dans une affirmation synthétique que l’on aurait pu mettre en exergue de notre étude :
« Les grands ennemis ou concurrents du catholicisme n’ont été ni le paganisme officiel antique qui s’est effondré rapidement, ni le christianisme grec cantonné dans l’ancienne partie orientale de l’empire romain, ni l’Islam contenu puis refoulé, ni même les hérésies ou les religions comme le catharisme qui, avant d’être vaincues par le catholicisme, n’avaient en définitive pu se définir que négativement, par rapport à lui. Le véritable ennemi du catholicisme, ce fut bien l’antique serpent qu’il conjura sans l’anéantir, le vieux fond de croyances traditionnelles, ressurgies sur les ruines du paganisme romain qui tantôt s’enfoncèrent sans disparaître dans le sous-sol du psychisme collectif, tantôt survécurent en s’incorporant au christianisme et en le déformant, en le folklorisant » (1972 : 749).
https://assr.revues.org/17883#tocto1n3