Al-Andalus : l’Espagne, cible historique des réseaux jihadistes
Par Frédéric Autran — 18 août 2017 à 20:56
Un jihadiste français de l’Etat islamique menaçant l’Espagne, en janvier 2016.
Un jihadiste français de l’Etat islamique menaçant l’Espagne, en janvier 2016. Photo DR
L’EI, comme Al-Qaeda, nostalgiques de la domination musulmane dans la péninsule Ibérique, menaçaient de plus en plus le pays présent dans la coalition.
Al-Andalus : l’Espagne, cible historique des réseaux jihadistes
La vidéo de propagande remonte à janvier 2016. On y voit cinq jihadistes de l’Etat islamique exécuter d’une balle dans la tête cinq hommes présentés comme des espions. Vêtu d’un treillis militaire, longues boucles blondes dépassant de sa cagoule, un seul des bourreaux prend la parole. En français. Il promet de futures attaques contre les «mécréants», mentionne les attentats de Paris survenus deux mois plus tôt. Il parle aussi de l’Espagne et du Portugal, promettant de «récupérer Al-Andalus», nom donné à la péninsule Ibérique sous domination musulmane du début du VIIIe siècle à la chute du royaume de Grenade en 1492, épilogue de la Reconquista catholique. «Aucun musulman ne peut oublier Cordoue ou Tolède. Il y a beaucoup de musulmans fidèles et sincères qui jurent qu’ils reviendront à Al-Andalus», lance le jihadiste francophone, pistolet à la main.
Cette référence à Al-Andalus dans la propagande terroriste n’est ni récente ni un cas isolé. Avant l’EI, Al-Qaeda y recourrait aussi. Quelques semaines après les attentats du 11 Septembre, Ben Laden y faisait ainsi allusion : «Nous ne laisserons pas la tragédie d’Al-Andalus se répéter en Palestine.»
Enclaves
Le parallèle avec le Proche-Orient trahit une lecture volontairement parcellaire de cette période. Car si, du point de vue historique, Al-Andalus incarne la splendeur culturelle et politique de l’islam, les groupes terroristes l’associent presque exclusivement au concept d’«occupation». «Le jihadisme perçoit l’Espagne comme l’occupante illégitime d’Al-Andalus, une terre qui appartient à la communauté islamique et qui a été arrachée et occupée par les infidèles», écrit jeudi dans le quotidien espagnol La Razon Manuel R. Torres, professeur de science politique à l’université Pablo-de-Olavide à Séville.
Spécialiste du terrorisme, Torres et son équipe comptabilisent depuis plusieurs années les références à l’Espagne dans la propagande jihadiste. Les chiffres records de 2016 témoignent d’un vif regain d’intérêt, avec au moins 44 occurrences (dont une vingtaine liées à Al-Andalus), contre 23 en 2015 et moins de 15 les trois années précédentes. En juillet 2016, quatre jours après l’attentat de Nice et plus d’un an avant l’attaque à Barcelone, Al-Wara’a, l’une des agences de propagande de Daech, émet la menace la plus directe à l’encontre de l’Espagne, appelant à «frapper les criminels espagnols partout», et notamment «les villes, les discothèques et les marchés». Le communiqué, très concret, recommande d’utiliser «des bombes, des mitrailleuses, des voitures et camions-béliers, de faire couler des bateaux, détourner des trains et des avions ou contaminer l’eau et la nourriture avec des insecticides toxiques». Le texte conclut en appelant les musulmans «loyaux» de pays comme «le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie ou la Libye» à «capturer et décapiter» des Espagnols.
L’allusion au Maroc n’a rien d’anecdotique. Les deux enclaves espagnoles en territoire marocain, Ceuta et Melilla, reviennent régulièrement dans la propagande jihadiste comme un autre exemple d’occupation espagnole. Vendredi après-midi, la police catalane a précisé que trois des terroristes présumés arrêtés après l’attaque de Barcelone étaient marocains. Le quatrième, de nationalité espagnole, serait né à Melilla.
Formation
Enfin, outre son «occupation» supposée d’Al-Andalus, Ceuta et Melilla, la participation de l’Espagne dans la coalition internationale contre l’EI nourrit aussi la propagande jihadiste. Le rôle de Madrid reste pourtant limité. Selon le ministère espagnol de la Défense, 484 militaires et 25 policiers de la Guardia Civil sont déployés en Irak, où ils assurent essentiellement la formation des forces de sécurité du pays. L’Espagne a formé 46 bataillons, soit plus de 20 000 militaires irakiens, et déminé 34 000 tonnes d’engins explosifs. Le tout pour un budget de 153 millions d’euros depuis 2015, loin des 360 millions dépensés par la France dans le cadre de la coalition anti-Daech pour la seule année 2016. Via son agence de propagande Amaq, l’EI a revendiqué dès jeudi soir l’attentat de Barcelone, précisant que l’opération avait été «menée en réponse aux appels à cibler les Etats de la coalition» opérant en Irak et en Syrie.
Frédéric Autran