Les Témoins de Jéhovah en Russie
Une résistance spirituelle pour la reconnaissance cultuelle
du christianisme non trinitaire
Des milliers de Témoins de Jéhovah attendaient impatiemment l’instauration de la liberté religieuse en Russie. En 1990, 17.454 Témoins de Jéhovah originaires d’Union soviétique étaient présents en Pologne, à l’assemblée de Varsovie. Le 27 mars 1991, le « Centre administratif des organisations religieuses des Témoins de Jéhovah en URSS » était enregistré dans un document signé à Moscou par le ministre de la Justice de la République de Russie (République soviétique fédérative socialiste de Russie - RSFSR).
Le but de l’Association ainsi constituée est le suivant : « Le but de l’organisation religieuse est d’accomplir l’œuvre religieuse consistant à faire connaître le nom de Jéhovah Dieu et les dispositions qu’il a prises avec amour en faveur de l’humanité par l’entremise de son Royaume céleste confié à Jésus Christ. »
Les moyens de l’Association, énumérés dans la déclaration, pour atteindre ses buts sont les suivants : prédication en public et de maison en maison, enseignement des vérités bibliques aux gens désireux d’écouter, études gratuites de la Bible dirigées à l’aide de publications bibliques, traduction, importation, édition, impression et distribution de Bibles. Le document décrit le fonctionnement de l’œuvre des Témoins de Jéhovah : direction par le Collège central, congrégations dirigées par un collège d’anciens, Comité directeur [du bureau national] de sept membres, surveillants de circonscription et de district.
Cinq des sept membres du Comité directeur et cinq anciens de longue date signent ce document qui est ensuite authentifié par le chef du service de l’enregistrement des associations publiques et religieuses. Milton Henschel et Theodore Jaracz, membres du Collège central des Témoins de Jéhovah, sont également présents à cet événement historique. Des organisations reconnues par la R.S.F.S.R., celle des Témoins de Jéhovah est la première à recevoir son document officiel d’enregistrement.
Mais le 20 juin 1996, les services du procureur général de Moscou commencent à instruire une affaire introduite par le Comité pour la protection de la jeunesse contre les fausses religions, une association anti-secte. Faute d’éléments probants se rapportant à cette plainte au sujet des Témoins de Jéhovah, la procédure est abandonnée mais sans cesse relancée par ledit Comité. Durant cette même période, l’Eglise orthodoxe russe s’engage dans une violente compagne de propagande anti-Témoins de Jéhovah.
Parallèlement, en 1997, une loi sur la liberté de conscience et d’association religieuse était votée. Elle reconnaissait explicitement comme seules religions « traditionnelles » en Russie, le judaïsme, le bouddhisme, l’islam et le christianisme, avec une place privilégiée pour l’Eglise orthodoxe. Toutes les organisations et communautés religieuses devaient se faire réenregistrer avant le 31 décembre 2000. Faute de quoi, « ces organisations n’auront plus le droit de célébrer des services dans les lieux publics, de distribuer de la littérature religieuse ou d’être propriétaire. »[2] Au début de 1999, le procès contre les Témoins de Jéhovah reprenait mais était suspendu dès le 12 mars. Cependant, le 29 avril 1999, le ministère russe de la Justice délivrait le certificat d’enregistrement du « Centre administratif des Témoins de Jéhovah de Russie ».
Mais le procès mené par les anti-sectes contre les Témoins de Jéhovah était réouvert le 6 février 2001.
Le 23 février, le tribunal de Moscou accordait le droit aux Témoins de Jéhovah de continuer leurs activités à Moscou. La juge du tribunal, Elena Prokhorytcheva, notifiera sa décision par écrit. Le Comité de défense contre les sectes annonçait son intention de faire appel.[4]
Le Conseil de l’Europe rappelait à l’ordre le gouvernement russe. Celui-ci a en effet adhéré au Conseil de l'Europe. Le représentant russe pour les droits de l’Homme, nommé par la Douma pour une période de 5 ans, en l’occurrence Oleg Mironov avait estimé que la Russie ne « remplit pas entièrement » ses engagements envers le Conseil de l’Europe. Pour remplir ses obligations, la Russie devait « modifier sa législation concernant l’activité des forces de l’ordre et la liberté de conscience. » Le ministère russe des Affaires étrangères estimait que l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe avait été un bon choix et que sa participation à cette institution aidait Moscou à « instaurer les principaux droits et libertés de l’Homme qui sont les avantages essentiels acquis par les Russes au cours de dix dernières années. »[5]
Toutes ces démêlées administratives et judiciaires pour les Témoins de Jéhovah provoquées par les techniques procédurières des associations anti-sectes ne ralentissaient pourtant pas la progression très importante des Témoins de Jéhovah en Russie depuis leur premier enregistrement de 1991, comme le démontre le tableau suivant :
Progression des Témoins de Jéhovah en Russie [6]
Militants
Fidèles
Congrégations
[Assemblées de fidèles]
1992
15 pays
de l’ex URSS
66.211
173.473
663
1993
12 pays
de l’ex URSS
86.973
256.242
834
1994
11 pays
de l’ex URSS
62.158
204.131
521
1995
10 pays
de l’ex URSS
77.985
237.340
513
1996
1997
1998
1999
2000
2014
Russie
67.082
89.043
100.012
107.711
114.284
171.268
194.322
231.176
254.612
259.093
267.617
292.058
492
626
760
904
1.028
2.480
Une résistance spirituelle pour la reconnaissance cultuelle chrétienne antitrinitaire
Le patriarche de Moscou et de toutes les Russies Alexis II ne se cachait pas d’être l’instigateur de cette forme de persécutions antireligieuses par décret. Il considèrait que la Russie est sa chasse gardée et il cherchait à éliminer la concurrence au nom de l’unité du peuple russe. « Les sectes cherchent à diviser notre peuple », « leur situation financière est bien meilleure que celle des religions traditionnelles de Russie »[7].
Sur le terrain, l’enregistrement prévu par la loi s’était révélé un simple prétexte pour pouvoir maintenant dissoudre les groupes non validés par l’Eglise orthodoxe. La loi sur les religions de 1997 prévoyait que seules les religions « traditionnelles » auraient droit de cité en Russie Orthodoxo-Poutinienne, à savoir le judaïsme, le bouddhisme, l’islam et le christianisme. Par christianisme, il faut comprendre orthodoxe russe. Bien que la constitution russe garantisse, en principe, l’égalité des religions, cette loi visait sournoisement à éliminer les groupes religieux minoritaires.
En effet, l’enregistrement était tellement compliqué qu’il fallait absolument un juriste qualifié pour pouvoir l’obtenir conformément à la loi. « En outre, les autorités locales sont souvent opposées à l’enregistrement de communautés qui ne sont pas considérées comme « traditionnelles en Russie », a déclaré à l’AFP un défenseur des droits de l’homme spécialiste de ces questions Lev Levinson »[8]. Comble de l’ironie, le Vatican a dénoncé cette loi comme injuste. Le catholicisme romain serait-t-il mis en difficulté par le catholicisme orthodoxe ? Allait-on assister à une guerre idéologique fratricide catholico-catholique ? En attendant, les droits des Témoins de Jéhovah étaient contestés et leur situation est aujourd’hui très compliquée. « La situation est encore plus complexe pour les Témoins de Jéhovah, assignés à quatre reprises devant un tribunal depuis 1996. »
Là encore, la responsabilité de l’Eglise orthodoxe est engagée. En effet, elle « dénonce le prosélytisme agressif »[9] des Témoins de Jéhovah. Autrement dit, les Témoins de Jéhovah peuvent, à la rigueur, exister, mais tout militantisme leur serait interdit. Hors, on a vu que le militantisme évangélique est une des caractéristiques de ce mouvement chrétien antitrinitaire. En attendant, l’Eglise orthodoxe est redevenue quasiment la religion officielle de la Russie. Vladimir Poutine mise sur l’orthodoxie pour asseoir son pouvoir. Même le chef du Parti communiste Guennadi Ziouganov, dont on pouvait douter de la sincérité, proposait que l’Etat accorde à l’Eglise orthodoxe les privilèges et subventions propres à tout organisme officiel. Anatoli Krassikov, expert du Centre de recherches socio-religieuses de l’Institut de l’Europe, avertissait que « si l’on arrive à transformer l’orthodoxie en idéologie, ce sera un retour au totalitarisme. »[10]