Posons le paragraphe complet auquel fait référence Homère.
Le Dieu de Justin
3 Munier 1994, 97.
La doctrine de Justin sur le Logos doit être d’abord comprise à la lumière de sa « théologie » proprement dite – c’est-à-dire de sa doctrine sur Dieu. Celle-ci peut être résumée en quelques mots.
Justin partage naturellement la conception biblique d’un Dieu unique, Créateur de toutes choses. Il est en même temps très marqué par la manière dont des philosophes grecs ont parlé de Dieu ; il peut de toutes façons trouver chez ceux-ci des appellations qui conviennent également au Dieu de la Bible : « le Père », « le Père de toutes choses », « le Père et créateur » (δημιουργός), le « Père et maître » (δεσπότης), ou encore les mots ποιητής, κτίστης, γεννήτωρ (de fait, les écoles philosophiques des deux premiers siècles reconnaissent généralement la paternité universelle de Dieu) ; surtout, il reprend l’insistance des philosophes sur la transcendance de Dieu, et « accumule les épithètes de la théologie apophatique »3 : Dieu est immuable (ἄτρεπτος), impassible (ἀπαθής), inexprimable (ἄρρητος) et n’a pas de nom (ἀνωνόμαστος). Justin dit encore que Dieu est ἀγέννητος, inengendré (après Nicée, on dira plutôt ἀγένητος – non créé, sans commencement – mais Justin ne semble pas avoir bien distingué ces mots).
4 Puech 1912, 101.
6Transcendance de Dieu, donc. Toutefois, celle-ci consiste pour Justin, « non point en ce que Dieu le Père n’exerce pas d’action dans le monde, mais en ce qu’il ne se révèle pas directement aux hommes »4. Justin dit en tout cas que ce Dieu transcendant témoigne aux hommes de sa sollicitude, et que si nous menons une vie digne de lui il nous accordera de régner avec lui. Pour lui, le Dieu transcendant est en même temps le Dieu créateur (Justin s’oppose ainsi aux gnostiques qui dissociaient le Démiurge créateur et le Dieu transcendant).
7Mais comment rendre compte de la foi en Jésus, le Christ, le Fils de Dieu ? Les Juifs pouvaient y voir une affirmation qui mettait en cause le monothéisme ; et les philosophes grecs pouvaient y voir un retour à la mythologie. C’est ici qu’intervient la doctrine du Logos.
Le Logos de Dieu
5 Munier 1994, 100-101.
Il est généralement admis que Justin a réalisé une œuvre de pionnier en ce domaine : il fut, en effet, le premier des apologistes grecs qui, en faisant appel à la notion du Logos, commune à la philosophie contemporaine et à la tradition paléochrétienne, entreprit d’expliquer au monde païen la nature divine de Jésus-Christ et de marquer la place de la doctrine chrétienne par rapport à la culture hellénistique,
6 Voir le Dialogue avec Tryphon, 56, 4 (Archambault 1909, I, 249). Le titre a (...)
écrit C. Munier.
Parallèlement, Justin expliquait aux Juifs qu’il y a un autre Dieu au-dessous du Créateur de toutes choses, et qu’il est appelé aussi ange – ἄγγελος – parce qu’il annonce aux hommes ce que le Créateur veut leur annoncer6.
8À la source de cela, il y a bien sûr la confession de foi chrétienne, dont on trouve par exemple l’expression en Ap. I, 6, 2 :
… l’honorant en raison et en vérité, nous le vénérons, nous l’adorons, ainsi que son Fils qui est venu d’auprès de Lui et qui nous a donné cet enseignement, et l’armée des autres bons anges qui l’escortent et lui ressemblent, ainsi que l’Esprit prophétique ;
ou en Ap. I, 61, 13 :
7 Nous reprenons ici (comme pour les autres citations de l’Apologie) la traduction de (...)
… celui qui est illuminé est lavé au nom de Jésus-Christ qui a été crucifié sous Ponce Pilate, et au nom de l’Esprit saint qui, par la bouche des prophètes, a prédit tout ce qui concerne Jésus7.
9Pour accréditer cet enseignement dans son écrit destiné à Antonin le Pieux et à ses fils, Justin présente certes la doctrine chrétienne comme une philosophie, une école de sagesse et de vérité dont le Christ est le maître (διδάσκαλος) (I, 14-20) ; mais il précise justement l’identité entre le Logos et Jésus-Christ ; ainsi lit-on en I, 21, 1 :
8 Apologie, I, 21, 1 (Munier 2006, 187).
Quand nous disons que le Logos, le premier-né de Dieu, Jésus-Christ notre Maître, a été engendré sans union charnelle, qu’après avoir été crucifié, être mort et ressuscité, il est monté au ciel, nous n’annonçons rien d’inouï par rapport aux êtres que vous appelez fils de Dieu8.
10
Justin utilise aussi d’autres noms pour désigner Celui qui est venu d’auprès de Dieu : le Fils même de Dieu (I, 6, 2), son ange (I, 63, 5), son messager (ἀπόστολος) (I, 12, 9) à l’instar d’Hermès, puissance de Dieu (I, 22, 2) ; mais il en appelle surtout aux deux expressions fondamentales de Fils de Dieu et de Logos. Ces deux notions paraissent interchangeables, comme on le voit dans les passages suivants :
9 Apologie, I, 23, 2 (Munier 2006, 193).
Jésus-Christ seul a été engendré comme Fils de Dieu, au sens propre du terme, lui qui est son Logos, son premier-né, sa puissance ; devenu homme par sa volonté, il nous a donné cet enseignement pour la transformation et le renouvellement du genre humain9.
10 Apologie, I, 32, 10 (Munier 2006, 17).
La première puissance, après Dieu le père et le maître de l’univers, c’est le Logos, qui est aussi son Fils ; de quelle manière, fait chair, il est devenu homme, nous le dirons dans la suite10.
11 Apologie, I, 46, 2 (Munier 2006, 251).
Nous avons appris que le Christ est le premier-né de Dieu, et nous avons indiqué plus haut qu’il est le Logos, dont le genre humain tout entier a reçu participation11.
12 Apologie, I, 63, 4-5 (Munier 2006, 295-297).
Le Logos de Dieu est son Fils, comme nous l’avons dit.
Il est appelé aussi Ange (messager) et Apôtre (envoyé), car il annonce tout ce qu’il faut connaître et il est envoyé pour révéler tout ce qui est annoncé…12.
13 Apologie, I, 63, 10 (Munier 2006, 297).
Ces paroles ont été citées en vue de démontrer que Jésus le Christ est le Fils de Dieu et son Envoyé, parce qu’il est d’abord son Logos et qu’il est apparu ensuite…13.
Citons surtout ces deux passages où Justin développe davantage sa doctrine :
14 Apologie, I, 63, 14-15 (Munier 2006, 299).
Les Juifs donc, parce qu’ils pensent toujours que c’est le Père de l’univers qui a parlé à Moïse, alors que celui qui lui a parlé c’est le Fils de Dieu, qui est appelé et son Ange et son Envoyé, se voient reprocher à juste titre, et par l’Esprit prophétique et par le Christ lui-même, de n’avoir connu ni le Père ni le Fils.
De fait, ceux qui soutiennent que le Fils est le Père encourent le reproche de ne pas connaître le Père et d’ignorer que le Père de l’univers a un Fils qui, en tant que Logos et premier-né de Dieu, est Dieu lui aussi14. (attention : le texte grec utilise le mot théos qui se traduit par "dieu" car indéfini.)
15 Apologie, II, 5, 3 (Munier 2006, 333).
Quant à son fils,
celui qui seul est appelé “Fils” au sens propre du terme, le Logos, coexistant avec lui et engendré par lui avant les créatures quand, au commencement, il créa et ordonna par lui l’univers, il est appelé “Christ”, parce qu’il a reçu l’onction et que, par lui, Dieu a ordonné l’univers ; ce nom même comporte une signification qui échappe à la connaissance, de la même manière que l’appellation “Dieu” n’est pas un nom, mais une notion implantée dans la nature humaine, pour désigner une réalité difficile à expliquer15.
La relation du Logos avec Dieu
16 Dans le Dialogue avec Tryphon, d’ailleurs, Justin distingue nettement entre le gennèma (...)
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Pour Justin, le Logos est le Fils de Dieu « au sens propre ». En effet, il est « Premier-né de Dieu » (πρῶτον γέννημα, I, 21, 1 ; πρωτοτόκος : I, 23, 2 ; 33, 6 ; 46, 2 ; 53, 2 ; 63, 15) ; il est le seul à détenir cette filiation divine16. Une telle filiation est différente de la filiation parmi les humains, mais aussi de toutes les filiations prodigieuses attribuées par la mythologie aux fils de Zeus (cf. I, 21, 2 ; 22, 2-5). Le Logos est théos, il était déjà avec le Père quand le Père créa par lui l’univers (cf. II, 6, 3). En ce sens, il est médiateur entre Dieu et le monde.
12Mais jusqu’où va cette primauté du Logos ? Le Logos fut-il avec le Père à partir du seul moment où le Père créa l’univers, où faut-il parler d’une génération éternelle du Logos ? La question a été souvent posée, et il a été courant d’attribuer à Justin un certain « subordinatianisme » – contraire à ce que devait exiger l’orthodoxie nicéenne ultérieure. Qu’en est-il exactement ?
17 Munier 2006, 157.
13Il est vrai, d’abord, que Justin ne se pose pas explicitement la question de la génération éternelle du Fils. Et comme il insiste sur la transcendance du Père « inengendré et ineffable »,
il laisse bien entendre qu’il y a une certaine infériorité du Logos par rapport au Père. Cette tendance semble amplifiée par le fait qu’
il lie étroitement la génération du Logos à la création de l’univers, ainsi qu’à la création et à la rédemption de l’homme. Certaines formules ont en tout cas une allure « subordinatianiste » ; par exemple celle-ci, en I, 12, 7 : « …
le Logos, le prince le plus puissant et le plus juste que nous connaissions, après Dieu qui l’a engendré »17.
Citation a écrit :14Le problème est cependant que l’on risque d’évaluer trop souvent les formules de Justin à la lumière de la théologie ultérieure.
L'erreur de Homère est là.
Quand il lit que le Logos est théos, Homère le traduit comme l'a fait la trinité avant même que la Trinité ne l'ai affirmée.
Une théologie ultérieure et inconnue à l'époque ne peut pas avoir influencé Justin.
C'est d'autant plus vrai que la théologie antérieur ne se génait pas pour affirmer que Jésus était théos, sans pour autant en faire l'égal du Père.
Je vous l'explique avec des mots simples puisque Homère ne cesse de dire qu'il ne comprend pas nos explications.
Imaginons que j'invente un concept. Je vais l'appeler "
machin".
Puis, un jour, quelqu'un trouve un écrit d'un personnage lambda du passé qui utilise le mot "
machin".
Le mot seulement et pour désigner une idée qui s'appelait aussi machin, sans être la mienne.
Et la conclusion serait : ahahhhh le machin de Agécanonix existait avant..
Et bien non, le mot existait, mais pas sa nouvelle définition.
C'est la même chose pour théos. Il veut dire "dieu" au sens commun, et Dieu lorsqu'il désigne un seul personnage, le Père.
Justin, qui est pétri de culture grec connait d'abord le sens commun de théos, il y a tant de dieux chez les grecs, mais il connait aussi le sens particulier désignant la personne du Père.
Quand il va donc écrire que Jésus est théos, sans que rien dans le texte ne dise qu'il s'agit de la personne de Dieu ou du mot attribut qui qualifie un dieu, comment doit on le traduire ?
Comme les trinitaires ? Mais au nom de quoi ? Ils n'existent pas encore et il faudra plus de 150 ans avant que le mot théos soit traduit par Dieu.. avec la majuscule, quand on parle de Jésus.
Vouloir donc que Justin est dit que Jésus était Dieu est un anachronisme et surtout, le texte grec permet l'autre formule, comme en Jean 1:1.
Je doute que H ait compris mais bon, j'aurais essayé..