Re: Quel est l'essentiel de l'enseignement du Christ?
Posté : 07 nov.16, 12:28
Bonjour Recherches22,
Pour te répondre, du mieux que je le peut, tout dépend la logique que tu veut y voir : pour certains la Bible est loin d'être logique et loin d'être un ensemble de récits historiques. Pour ma part, les récits bibliques ont une portée qui peut trouver un écho en nous et faire sens en nous si on est ouvert et qu'on laisse résonner en nous le texte, aussi déplaisant soit-il.
Ce qui est important pour moi, c'est comprendre comment tel récit peut faire sens pour soi et comment il s'articule en soi. Qu'est-ce qu'il peut m'évoquer dans ma vie (dans mon intériorité et dans mon rapport social aux autres).
Avant tout, pour moi, l'interprétation du récit biblique est subjective.
Si tu compares ces deux passages, tels que tu nous les présentes, ou tels que certains veulent le montrer, tu vois bien d'une part que Dieu ordonne de ne pas commettre de meurtre, de ne pas assassiner ("Tu n'assassineras pas"), il impose cela comme une Loi (une Parole sacré), et d'autre part que Moïse ordonne une tuerie, un massacre de masse ("il tomba du peuple environ trois mille hommes"), ce qui est clairement une transgression de cette Parole. Alors peut-être en effet, dans l'hypothèse, que Moïse à commis ces crimes, cette ignominie, je n'en sais rien. Mais cela me semble quand-même assez louche. Ce qui est étonnant à première abord c'est que le récit ne relate pas le bain de sang que ça à du être, mais en même temps le texte souligne l'aspect "effet rouleau compresseur" ("passez et repassez dans le camp"). Ce genre de paradoxes parcourent tout le long des écrits. On est frappé de prime abord. Il y a là un choc, surtout si on découvre cet aspect contradictoire pour la première fois, ou bien si on a pas l'habitude de s'interroger sur le sens de certains récits bibliques.
De deux choses l'une, ou bien on est en présence d'un récit historique ou bien en présence d'un récit symbolique, peut-être même les deux en même temps (les rédacteurs bibliques sont forts pour manier le récit à divers niveaux de lecture).
Il ne faut pas perdre de vue l'objectif principal qui est pour moi de vivre une relation de réciprocité d'amour vécue pour elle-même, et qui doit surpasser les blocages typiques d'une certaine forme de religiosité. Autrement dit, le récit doit nous incliner à nous apprendre quelque chose sur l'amour de Dieu, et si le texte ne suit pas cette visée c'est qu'il n'est pas révélé par le Très-Haut.
La plupart des rédacteurs de l'AT ont cru en un Dieu monothéiste construit sur la base d'un père protecteur à la condition qu'on obéisse à sa loi morale, dit autrement la croyance à reposée pendant des millénaires sur la base du renoncement à nos satisfactions pulsionnelles, et dit encore autrement, l'image faite de Dieu ne pouvait être autrement qu'une projection parentale protectrice ou redoutée idéalisée. Je ne me retrouve pas, pour ma part, dans ma compréhension d'un Dieu d'Amour, dans ce schéma traditionnel, que l'on pourrait psychanalyser et mettre en relation avec un sentiment d'élation relevant d'un certain degré narcissique.
Si on fait de ce texte un récit à valeur historique, en le privant de son contexte symbolique, il n'y a pas photo Moïse à bien fait massacrer beaucoup de monde, et peut-être même que le chiffre de 3000 hommes est en dessous de la vérité.
Tu comprendras qu'en tant que Chrétien, je n'adhère pas à cette interprétation simplement, qui me semble restreindre et réduire la volonté du rédacteur biblique et priver le lecteur d'un certain éveil à la beauté du texte. Beauté qui apparaît si on cherche le sens symbolique derrière ce récit, et qui peut nous apprendre quelque chose sur nous-même. Pour moi, le Christianisme, et se dire chrétien, c'est s'inviter à entrer dans une connaissance symbolique qui dépasse le cadre historique et qui va au-delà de la rationalité. Pour moi, un récit symbolique doit inviter l'être humain, porteur d'un certain inaccomplissement, à transmuer ses passions psychiques en spiritualité.
Ce passage, paradoxal, et ce n'est pas le seul dans l'Ancien Testament (le premier testament), permet d'introduire une rupture dans la psyché. Premièrement, il permet de briser l'image idéalisée que l'on se fait de Moïse, ici et à d'autres reprises le rédacteur laisse comprendre à son interlocuteur qu'il s'agit d'un personnage capable de violence, colérique. Ce trait de caractère est souvent occulté dans les commentaires, qui préfèrent donner l'image d'un Moïse entièrement positive. En introduisant ces quelques passages troubles, choquants et révoltants les rédacteurs du Pentateuque en ont profité pour ne pas construire une figure idéale du personnage. Ainsi à la lecture, on voit bien qu'avant son entrée en ministère pour Dieu, il s'égarait complètement jusqu'à commettre le meurtre (sa première action est teintée de violence : prenant le parti d’un "esclave" hébreu, il tue le contremaître égyptien, sans cependant assumer son acte, en espérant que personne ne découvrira ce qu’il a fait) et allant jusqu'à commander l'empalement et l'extermination des personnes (si on en croit ce récit). D'ailleurs, on à tendance à oublier un peu trop rapidement que la loi de Moïse est souvent barbare et primitive, parfois même présentée sous une forme tribale, commandant la lapidation des femmes violées en ville au prétexte qu'elles auraient pu crier et appeler à l'aide (voir mon commentaire page précédente sur la femme adultère). Il suffit de tourner les pages du Livre des Nombres pour s'en rendre compte puisque la Tradition rapporte qu'il les aurais relatés (chose improbable).
Avant de poursuivre, je tiens à signaler que l'on pourrait croire que je fais le procès de Moïse alors qu'il s'agit d'un personnage biblique que j'affectionne, de premier plan, ne mélangeons pas tout. Et comme je vais essayer de le montrer, ma lecture concernant ce personnage biblique est empreinte de symbolisme, assez proche des travaux d'Annick de Souzenelle (pour davantage de précisions se reporter à ses ouvrages) et des réflexions de Thomas Römer que j'utiliserai.
Constatons, que dans le Pentateuque, on ne trouve aucun récit relatif à la jeunesse de Moïse, on a même souvent observé que le récit de l'exposition du jeune Moïse dans une corbeille et de son sauvetage des eaux présente des parallèles très étroits avec des tablettes assyriennes du VIIIe ou du VIIe siècle av. J.-C. relatant l'adoption du grand roi assyrien Sargon par la déesse Ishtar, qui lui confère la royauté. Comme le relate le livre de l'Exode, le père de Moïse est absent, de même le père de Sargon est absent et, dans les deux cas le nouveau-né est abandonné dans un fleuve avant d’en être sauvé, accédant de ce fait à une nouvelle situation bien supérieure à celle de sa mère. Il est donc assez logique de penser que l’auteur du récit biblique ait connu et utilisé le récit assyrien pour construire les origines de Moïse en parallèle avec celles de Sargon, dans l’intention d'en faire une figure aussi importante que le roi fondateur de l’empire assyrien.
Cette coloration royale que Moïse reçoit dès le récit de sa naissance se poursuit ensuite. D’abord, il est berger au moment de sa vocation or, le titre de berger est un titre royal, et les rois assyriens sont souvent appelés les bergers de leur peuple. Cette analyse de Thomas Römer me séduit assez, d'autant plus que le récit de sa vie en Égypte semble cousue de toute pièce si on se base sur un point de vue formellement égyptologique au vu de nos connaissances modernes. A part son nom qui est un nom égyptien, il n'a rien d'égyptien, et on peut être étonné de découvrir que le héros israélite par excellence soit égyptien. Mais cette fonction royale qu'il occupe ne se fait pas qu'en Égypte, elle se fait surtout quand il occupe la place de Médiateur entre Yahvé et son peuple, il reprend alors un rôle qui, dans le Proche-Orient ancien, échoit au roi, qui fait le lien entre un peuple et ses divinités (par exemple, la fameuse stèle d’Hammourabi montre que c'est le roi qui reçoit du Dieu les lois qu'il doit transmettre et faire respecter par ses sujets).
Or, dans la Bible, aucun roi ne reçoit de loi de la part de Yahvé. Au contraire, tous les rois d’Israël et de Juda sont jugés selon la loi de Moïse. Moïse est de fait un personnage qui est placé au-dessus de tous les rois, il est le seul législateur d'Israël, il a une fonction centrale. Par ce transfert de la transmission de la loi sur la figure de Moïse, les rédacteurs du Pentateuque détachent en quelque sorte la loi de Yahvé de la politique : elle est donnée avant l’entrée dans le pays, avant la constitution de la monarchie, et n’est donc pas liée à l'institution royale. Elle est mobile et peut être reçue à partir de la Torah. C’est ainsi que Moïse dépasse tous les rois d’Israël et de Juda qui viennent après lui, nous dit Thomas Römer.
En plus d'être un législateur, il est présenté comme un libérateur, qui fait face au cœur endurci et à l'esprit entêté du Pharaon (symbolique de l'ego selon l'analyse que j'en fait). C'est à lui et à Aaron que Dieu donne le rituel Pascal du Grand Passage, la Pessah, ce qui vaut largement la plus grandes des initiations possibles (un rite en trois actes). Pour celui qui sait y voir, il y a là un sens profond à un autre niveau de lecture, car Pessah signifie non seulement le passage de la servitude vers la liberté, la libération de l'emprise de l'ego, mais aussi la victoire de Dieu sur l'Ange Destructeur qui agissait et régnait en maître en Égypte, et également un acte qui préfigure la Pâque universelle de l'Agneau (Christ).
Moïse était bien plus qu'un initié (en supposant qu'il ait bien reçu une initiation auprès de certaines formes cultuelles), il est aussi présenté comme un prophète par les juifs, plus précisément un proto-prophète, qui inaugure la série des prophètes apparaissant dans la deuxième partie du canon de la Bible hébraïque, à savoir les Prophètes antérieurs (de Josué aux livres des Rois) et les Prophètes postérieurs (d'Isaïe à
Malachie). Il connaissait la souffrance et le déchirement de ses frères hébreux, il connaissait la traversée du désert et l'importance du cheminement intérieur, et après s’être retiré à Madian "en retraite", on peut supposer qu'il acquiert par Jéthro la sagesse hérité d'Abraham.
De bon berger des troupeaux de Jéthro, il sera préparé par Elohim à devenir un pasteur d'hommes, précurseur de la mission de Jésus.
Enfin il reçoit, et ce n'est pas rien, le Nom Sacré d'Elohim, Eyèh asher Ehyèh, après qu'Elohim soit descendu (prélude de l'incarnation du Christ). Avoir reçu de Dieu Son Nom ineffable, donne à Moïse un statut à part, on entendra de lui qu'il est le plus grand des initiés, mais une initiation venu du Ciel et non une initiation égyptienne. On peut comprendre que la plus haute des initiations est la révélation d'une connaissance céleste (portant sur l'être) et non d'un savoir occulte (que certains utilisent pour glorifier leur ego). Enfin Moïse joue un rôle miroir de premier plan, précurseur du Christ, tous les deux sont médiateurs d'une Alliance nouvelle. C'est au sommet de la montagne du Sinaï, selon la Tradition, que Moïse reçut les dix paroles de Dieu, et c'est à son tour du sommet d'une montagne que Jésus énonce, de sa propre autorité, le sermon sur les Béatitudes (Matthieu 5, 1-12; Luc 6, 20-27) et qui constituera la Charte du Royaume. Quelle histoire !
Il n'y a pas à passer beaucoup de temps auprès de la lecture pour se rendre compte qu'on ne peut pas laisser de côté l'aspect symbolique du personnage et de ce qui nous est raconté. De sa naissance (mythologique), en passant par sa durée de vie de 120 ans (allégorie au déluge), à sa mort (qu'il relate, chose improbable), le récit de sa vie témoigne d'un discours qui peut être intériorisé, faisant écho à chacun d'entre nous. On est tous prisonniers de mécanismes inconscients, de toute-puissance, de représentations narcissiques, de blessures douloureuses qu'on porte avec nous, et de tout un tas d'idolâtries et de conditionnements qui nous maintiennent en servitude dans notre misraïm intérieur (symbolisé par l’Égypte). Moïse désigne le libérateur, celui qui peut nous affranchir de toutes nos idolâtries et autres conditionnements, l'intercesseur, celui qui peut nous mener et nous faire muter vers un autre plan de conscience, capable de parler à Dieu (le Soi immuable intérieur) et de lui tenir tête dans ses caprices, mais aussi capable de parler à Pharaon (l'ego) et de lui tenir tête dans ses caprices.
Ici le contexte de l'histoire c'est l'idolâtrie du peuple hébreu tout juste libéré de la servitude d’Égypte.
Selon la Tradition des anciens hébreux, en fonction de ce que nous apprennent les traductions les plus littérales (à partir du texte Massorétique), il était interdit de se faire des représentations d'idoles : " כִּי-תוֹלִיד = quand vous produirez, בָּנִים = des fils, וּבְנֵי בָנִים = et leur fils, וְנוֹשַׁנְתֶּם בָּאָרֶץ = en vieillissant, וְהִשְׁחַתֶּם = corruption, וַעֲשִׂיתֶם = et faites, פֶּסֶל = idole, תְּמוּנַת = représentation, image, כֹּל = tous, וַעֲשִׂיתֶם = et faites, הָרַע = le mal, בְּעֵינֵי = à, יְהוָה-אֱלֹהֶיךָ = YHWH votre Dieu, לְהַכְעִיסוֹ = l'irritant", ce qui donne : "Quand vous produirez des fils et leurs fils en vieillissant dans la corruption et ferez tous des représentations d'idoles et que (vous) ferez le mal envers YHWH (L'Eternel) votre Dieu, L'irritant..." (Deutéronome 4, 25), et "לֹא-תַעֲשֶׂה = ne faites pas, לְךָ פֶסֶל = d'idole, וְכָל = quelconque, תְּמוּנָה = représentation, image, אֲשֶׁר = qui, בַּשָּׁמַיִם = cieux, מִמַּעַל = au dessus, וַאֲשֶׁר = et qui, בָּאָרֶץ = sur terre, מִתָּחַת = sous, וַאֲשֶׁר = et qui, בַּמַּיִם = eaux, מִתַּחַת = sous, לָאָרֶץ = terre", ce qui donne : "ne faites pas de représentation d'idole quelconque, qui sont au dessus des cieux, sur la terre, dans et sous les eaux sous terre." (Exode 20, 4)
Lorsqu'on lit ces quelques versets, l'interdit ne concerne pas contrairement à ce qu'en disent la plupart des traductions bibliques, de ne pas se faire des images taillées, ni d'interdire toute représentation, Dieu ne commande pas de vivre dans une grotte, sans couleur, sans tableau, sans œuvres d'art, sans peintures, sans décorations... Ce qui est condamné, si on lit correctement, c'est la représentation d'idoles, et non les représentations qui peuvent meubler notre quotidien comme des œuvres d'arts, et qui ne sont aucunement des idoles.
La première forme d'idolâtrie concerne nos représentations inconscientes de Dieu, bien trop souvent à l'image de nos désirs inconscients narcissiques. Chez les anciens hébreux, à l'image du veau d'or, du taureau céleste, représentation d'un Dieu tout-puissant. A notre époque, ces images inconscientes concerne notre rapport à l'argent (le nouveau Dieu tout puissant) entres autres. Pour la plupart des personnes, nous ne pouvons nous mentir sur nous-mêmes, nous avons accepté sa prédominance sur nous et sur nos sociétés. Comme le dit le pape François dans la Joie de l'Evangile, la crise financière que nous traversons nous fait oublier qu'elle a, à son origine, une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l'être humain. Et en effet, cette adoration inconsciente au fétichisme de l'argent et à cette dictature de l'économie déséquilibré, nous fait oublier l'absence grave d'une orientation anthropologique qui réduit l'être humain à un seul de ses besoins, la consommation outrancière. Dans le système dans lequel on vit, on a accepté le déséquilibre qu'impose l'autonomie absolue des marchés (le marché est divinisé) et la spéculation financière (la finance casino), idéologies des temps modernes érigés en règles absolues. On se fait complice d'un système qui creuse l'écart entre le riche et le pauvre et qui ne reconnaît aucune limite, même pas environnementales. Ce Dieu idolâtré, inconscient ou non, gouverne nos vies et nos mentalités, nous fait voir les entreprises humaines éthiques d'un œil méprisant et narquois (l'éthique est jugée par beaucoup contre-productive parce qu'elle relativise l'argent et le pouvoir), et menaçantes (l'éthique condamne la manipulation et la dégradation de la personne). L'éthique, une éthique non-idéologisée, appelle l'indépendance face à toute sorte d'esclavage, appelle l'être humain à sa pleine réalisation créative et met fin au cycle de violences et de corruptions engendrés par les disparités sociales et l'idéologie politique des gouvernants.
Après cet aparté, que j'ai jugé utile de dire, recentrons-nous sur Moïse qui à fait tuer 3000 personnes.
Toujours est-il que dans les deux types de récits, historique ou symbolique, ou les deux à la fois, dans ce nombre cité de 3000 hommes, on retrouve la valeur cubique 1000 (10*10*10) comme souvent dans certains versets qui sert à signaler que c'est un très grand nombre. Et de prime abord, il s'agit ici de 3000 personnes tués. Ne perdons pas cela de vue non plus. Le Moïse criminel et fuyard est une des facettes du Moïse biblique.
Cette tuerie peut symboliser nos propres représentations idolâtriques en nous-mêmes. Descendant du sommet du mont Sinaï, Moïse (législateur du Vrai Dieu, le vrai disciple en nous, disciple non éveillé, il ne verra pas la Terre Promise, allégorie du Royaume des Cieux) découvre la statue bovine (symboliquement l'objet du culte idolâtrique, le Veau d'Or) que le peuple (symboliquement la foule amorphe constituée de toutes nos pensées tournés vers telle ou telle forme d'idolâtrie) a demandée à Aaron de fabriquer pour représenter Yahvé (le Soi, immuable et qui ne peut pas être représenté). Moïse sera alors pris de colère, il casse les tables de pierre contenant la Loi divine (pris par son emportement émotionnel, il brise le sacré, ce qui permet le passage à un autre niveau d'intégration spirituelle), puis, pour sanctionner cette idolâtrie (représentation inconsciente narcissique et empreinte de conditionnements divers), il organise, avec le concours des lévites, un massacre parmi le peuple (les lévites, cette caste de prêtres (et non de guerriers) peuvent représenter la justice, la raison qui massacrent nos représentations inconscientes et idolâtres, nos idées reçues, nos croyances superflues, nos schémas d'appropriation alimentés par l'ensemble de ces désirs inconscients de toute puissance qui règnent en nos esprits et qui obstruent la place à Dieu).
Dans cette interprétation, que je viens de vous proposer, le massacre en question est avant tout symbolique, reflet d'une vie et d'un combat intérieur. Cette action révoltante qui choque les lecteurs contemporains, peut ainsi s'accorder avec la prière d'intercession que Moïse adresse à Yahvé lorsque ce dernier veut annihiler l'ensemble du peuple à cause du veau d’or. Cette foule en nous-mêmes, c'est-à-dire ses pensées auxquels on s'identifie, qui sont remplis d'idolâtrie, de petits rituels quotidiens que l'on peut observer un à un, de préjugés et de jugements, doit être mis à mort si on veut laisser Dieu venir s'installer dans nos vies.
Tu auras remarqué, je l'espère, que je ne suis pas rentré dans les détails de l'interprétation psychanalytique qui voit dans le Dieu vengeur d'un certain discours religieux, la projection du fantasme de parent phallique, répressif et castrateur. Je suis très éloigné du Dieu biblique que certains veulent présenter comme terrifiant et qui n'est, dans cette interprétation-là, que l'image du parent qui menace son enfant des pires choses s'il fait des bêtises, et plus encore s'il éprouve des désirs incestueux ou meurtriers, fussent-ils inconscients.
Pour moi le Dieu qui se révèle à Moïse est un Dieu d'Amour, le Dieu de Miséricorde que nous a présenté Jésus, à l'opposé d'un Dieu psychotique qui éprouverait le besoin de se venger des hommes fautifs, comme si ses propres créatures, ses enfants, devenaient des rivaux pouvant lui faire de l'ombre. Cela n'a pas de sens.
Ce que l'on prend et qu'on entend comme des commandements moraux, et en particulier les Dix Paroles, sont conjuguées à l'inaccompli en hébreu, le futur en français, il ne s'agit donc pas d'obligations ou de conditions à prendre au présent de la lettre, mais plutôt des promesses d'accomplissement pour ceux et celles qui se seront complètement engagés envers Dieu. Ils deviendront capables de ne pas tuer (et il y à plusieurs façons de tuer, pas seulement d'ordre physiques), ils n'éprouveront plus le besoin de mentir, etc.
Ces paroles se présentent comme des exercices spirituels en vue d'un accomplissement et non pas en vue d'un code de bonne conduite à respecter sous peine d'être condamné. Elles sont à l'aventure spirituelle ce que les gammes sont au pianiste.
Enfin, pour terminer, interrogeons-nous, et demandons-nous, qu'est-ce que la véritable morale ? L’Évangile aborde la morale chrétienne d'un autre point de vue, comme n'étant pas une affaire de règles et d'attitudes extérieures codifiées. Il ne s'agit pas de dénier l'intérêt de comportements socialement vertueux, ou rituellement religieux comme l'était la loi juive, mais d'aller plus loin, dans l'accomplissement d'une mutation à laquelle nous sommes conviés. Ce n'est pas pour rien si Saint Paul à déclarer "Qui aime accomplit la Tora [...] car la plénitude de la Tora, c'est l'amour" (Romains 13, 8 - 10). Il faut y réfléchir.
La loi morale du Christianisme est toute entière inscrite dans cette parole du Christ "Comme vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même" (Luc 6, 31). C'est cela l'éthique de Dieu, ce n'est pas un code d'interdits à respecter, mais une expérience joyeuse à vivre.
Je t'embrasse, et je m'arrêterait-là.
Ase
Pour te répondre, du mieux que je le peut, tout dépend la logique que tu veut y voir : pour certains la Bible est loin d'être logique et loin d'être un ensemble de récits historiques. Pour ma part, les récits bibliques ont une portée qui peut trouver un écho en nous et faire sens en nous si on est ouvert et qu'on laisse résonner en nous le texte, aussi déplaisant soit-il.
Ce qui est important pour moi, c'est comprendre comment tel récit peut faire sens pour soi et comment il s'articule en soi. Qu'est-ce qu'il peut m'évoquer dans ma vie (dans mon intériorité et dans mon rapport social aux autres).
Avant tout, pour moi, l'interprétation du récit biblique est subjective.
Si tu compares ces deux passages, tels que tu nous les présentes, ou tels que certains veulent le montrer, tu vois bien d'une part que Dieu ordonne de ne pas commettre de meurtre, de ne pas assassiner ("Tu n'assassineras pas"), il impose cela comme une Loi (une Parole sacré), et d'autre part que Moïse ordonne une tuerie, un massacre de masse ("il tomba du peuple environ trois mille hommes"), ce qui est clairement une transgression de cette Parole. Alors peut-être en effet, dans l'hypothèse, que Moïse à commis ces crimes, cette ignominie, je n'en sais rien. Mais cela me semble quand-même assez louche. Ce qui est étonnant à première abord c'est que le récit ne relate pas le bain de sang que ça à du être, mais en même temps le texte souligne l'aspect "effet rouleau compresseur" ("passez et repassez dans le camp"). Ce genre de paradoxes parcourent tout le long des écrits. On est frappé de prime abord. Il y a là un choc, surtout si on découvre cet aspect contradictoire pour la première fois, ou bien si on a pas l'habitude de s'interroger sur le sens de certains récits bibliques.
De deux choses l'une, ou bien on est en présence d'un récit historique ou bien en présence d'un récit symbolique, peut-être même les deux en même temps (les rédacteurs bibliques sont forts pour manier le récit à divers niveaux de lecture).
Il ne faut pas perdre de vue l'objectif principal qui est pour moi de vivre une relation de réciprocité d'amour vécue pour elle-même, et qui doit surpasser les blocages typiques d'une certaine forme de religiosité. Autrement dit, le récit doit nous incliner à nous apprendre quelque chose sur l'amour de Dieu, et si le texte ne suit pas cette visée c'est qu'il n'est pas révélé par le Très-Haut.
La plupart des rédacteurs de l'AT ont cru en un Dieu monothéiste construit sur la base d'un père protecteur à la condition qu'on obéisse à sa loi morale, dit autrement la croyance à reposée pendant des millénaires sur la base du renoncement à nos satisfactions pulsionnelles, et dit encore autrement, l'image faite de Dieu ne pouvait être autrement qu'une projection parentale protectrice ou redoutée idéalisée. Je ne me retrouve pas, pour ma part, dans ma compréhension d'un Dieu d'Amour, dans ce schéma traditionnel, que l'on pourrait psychanalyser et mettre en relation avec un sentiment d'élation relevant d'un certain degré narcissique.
Si on fait de ce texte un récit à valeur historique, en le privant de son contexte symbolique, il n'y a pas photo Moïse à bien fait massacrer beaucoup de monde, et peut-être même que le chiffre de 3000 hommes est en dessous de la vérité.
Tu comprendras qu'en tant que Chrétien, je n'adhère pas à cette interprétation simplement, qui me semble restreindre et réduire la volonté du rédacteur biblique et priver le lecteur d'un certain éveil à la beauté du texte. Beauté qui apparaît si on cherche le sens symbolique derrière ce récit, et qui peut nous apprendre quelque chose sur nous-même. Pour moi, le Christianisme, et se dire chrétien, c'est s'inviter à entrer dans une connaissance symbolique qui dépasse le cadre historique et qui va au-delà de la rationalité. Pour moi, un récit symbolique doit inviter l'être humain, porteur d'un certain inaccomplissement, à transmuer ses passions psychiques en spiritualité.
Ce passage, paradoxal, et ce n'est pas le seul dans l'Ancien Testament (le premier testament), permet d'introduire une rupture dans la psyché. Premièrement, il permet de briser l'image idéalisée que l'on se fait de Moïse, ici et à d'autres reprises le rédacteur laisse comprendre à son interlocuteur qu'il s'agit d'un personnage capable de violence, colérique. Ce trait de caractère est souvent occulté dans les commentaires, qui préfèrent donner l'image d'un Moïse entièrement positive. En introduisant ces quelques passages troubles, choquants et révoltants les rédacteurs du Pentateuque en ont profité pour ne pas construire une figure idéale du personnage. Ainsi à la lecture, on voit bien qu'avant son entrée en ministère pour Dieu, il s'égarait complètement jusqu'à commettre le meurtre (sa première action est teintée de violence : prenant le parti d’un "esclave" hébreu, il tue le contremaître égyptien, sans cependant assumer son acte, en espérant que personne ne découvrira ce qu’il a fait) et allant jusqu'à commander l'empalement et l'extermination des personnes (si on en croit ce récit). D'ailleurs, on à tendance à oublier un peu trop rapidement que la loi de Moïse est souvent barbare et primitive, parfois même présentée sous une forme tribale, commandant la lapidation des femmes violées en ville au prétexte qu'elles auraient pu crier et appeler à l'aide (voir mon commentaire page précédente sur la femme adultère). Il suffit de tourner les pages du Livre des Nombres pour s'en rendre compte puisque la Tradition rapporte qu'il les aurais relatés (chose improbable).
Avant de poursuivre, je tiens à signaler que l'on pourrait croire que je fais le procès de Moïse alors qu'il s'agit d'un personnage biblique que j'affectionne, de premier plan, ne mélangeons pas tout. Et comme je vais essayer de le montrer, ma lecture concernant ce personnage biblique est empreinte de symbolisme, assez proche des travaux d'Annick de Souzenelle (pour davantage de précisions se reporter à ses ouvrages) et des réflexions de Thomas Römer que j'utiliserai.
Constatons, que dans le Pentateuque, on ne trouve aucun récit relatif à la jeunesse de Moïse, on a même souvent observé que le récit de l'exposition du jeune Moïse dans une corbeille et de son sauvetage des eaux présente des parallèles très étroits avec des tablettes assyriennes du VIIIe ou du VIIe siècle av. J.-C. relatant l'adoption du grand roi assyrien Sargon par la déesse Ishtar, qui lui confère la royauté. Comme le relate le livre de l'Exode, le père de Moïse est absent, de même le père de Sargon est absent et, dans les deux cas le nouveau-né est abandonné dans un fleuve avant d’en être sauvé, accédant de ce fait à une nouvelle situation bien supérieure à celle de sa mère. Il est donc assez logique de penser que l’auteur du récit biblique ait connu et utilisé le récit assyrien pour construire les origines de Moïse en parallèle avec celles de Sargon, dans l’intention d'en faire une figure aussi importante que le roi fondateur de l’empire assyrien.
Cette coloration royale que Moïse reçoit dès le récit de sa naissance se poursuit ensuite. D’abord, il est berger au moment de sa vocation or, le titre de berger est un titre royal, et les rois assyriens sont souvent appelés les bergers de leur peuple. Cette analyse de Thomas Römer me séduit assez, d'autant plus que le récit de sa vie en Égypte semble cousue de toute pièce si on se base sur un point de vue formellement égyptologique au vu de nos connaissances modernes. A part son nom qui est un nom égyptien, il n'a rien d'égyptien, et on peut être étonné de découvrir que le héros israélite par excellence soit égyptien. Mais cette fonction royale qu'il occupe ne se fait pas qu'en Égypte, elle se fait surtout quand il occupe la place de Médiateur entre Yahvé et son peuple, il reprend alors un rôle qui, dans le Proche-Orient ancien, échoit au roi, qui fait le lien entre un peuple et ses divinités (par exemple, la fameuse stèle d’Hammourabi montre que c'est le roi qui reçoit du Dieu les lois qu'il doit transmettre et faire respecter par ses sujets).
Or, dans la Bible, aucun roi ne reçoit de loi de la part de Yahvé. Au contraire, tous les rois d’Israël et de Juda sont jugés selon la loi de Moïse. Moïse est de fait un personnage qui est placé au-dessus de tous les rois, il est le seul législateur d'Israël, il a une fonction centrale. Par ce transfert de la transmission de la loi sur la figure de Moïse, les rédacteurs du Pentateuque détachent en quelque sorte la loi de Yahvé de la politique : elle est donnée avant l’entrée dans le pays, avant la constitution de la monarchie, et n’est donc pas liée à l'institution royale. Elle est mobile et peut être reçue à partir de la Torah. C’est ainsi que Moïse dépasse tous les rois d’Israël et de Juda qui viennent après lui, nous dit Thomas Römer.
En plus d'être un législateur, il est présenté comme un libérateur, qui fait face au cœur endurci et à l'esprit entêté du Pharaon (symbolique de l'ego selon l'analyse que j'en fait). C'est à lui et à Aaron que Dieu donne le rituel Pascal du Grand Passage, la Pessah, ce qui vaut largement la plus grandes des initiations possibles (un rite en trois actes). Pour celui qui sait y voir, il y a là un sens profond à un autre niveau de lecture, car Pessah signifie non seulement le passage de la servitude vers la liberté, la libération de l'emprise de l'ego, mais aussi la victoire de Dieu sur l'Ange Destructeur qui agissait et régnait en maître en Égypte, et également un acte qui préfigure la Pâque universelle de l'Agneau (Christ).
Moïse était bien plus qu'un initié (en supposant qu'il ait bien reçu une initiation auprès de certaines formes cultuelles), il est aussi présenté comme un prophète par les juifs, plus précisément un proto-prophète, qui inaugure la série des prophètes apparaissant dans la deuxième partie du canon de la Bible hébraïque, à savoir les Prophètes antérieurs (de Josué aux livres des Rois) et les Prophètes postérieurs (d'Isaïe à
Malachie). Il connaissait la souffrance et le déchirement de ses frères hébreux, il connaissait la traversée du désert et l'importance du cheminement intérieur, et après s’être retiré à Madian "en retraite", on peut supposer qu'il acquiert par Jéthro la sagesse hérité d'Abraham.
De bon berger des troupeaux de Jéthro, il sera préparé par Elohim à devenir un pasteur d'hommes, précurseur de la mission de Jésus.
Enfin il reçoit, et ce n'est pas rien, le Nom Sacré d'Elohim, Eyèh asher Ehyèh, après qu'Elohim soit descendu (prélude de l'incarnation du Christ). Avoir reçu de Dieu Son Nom ineffable, donne à Moïse un statut à part, on entendra de lui qu'il est le plus grand des initiés, mais une initiation venu du Ciel et non une initiation égyptienne. On peut comprendre que la plus haute des initiations est la révélation d'une connaissance céleste (portant sur l'être) et non d'un savoir occulte (que certains utilisent pour glorifier leur ego). Enfin Moïse joue un rôle miroir de premier plan, précurseur du Christ, tous les deux sont médiateurs d'une Alliance nouvelle. C'est au sommet de la montagne du Sinaï, selon la Tradition, que Moïse reçut les dix paroles de Dieu, et c'est à son tour du sommet d'une montagne que Jésus énonce, de sa propre autorité, le sermon sur les Béatitudes (Matthieu 5, 1-12; Luc 6, 20-27) et qui constituera la Charte du Royaume. Quelle histoire !
Il n'y a pas à passer beaucoup de temps auprès de la lecture pour se rendre compte qu'on ne peut pas laisser de côté l'aspect symbolique du personnage et de ce qui nous est raconté. De sa naissance (mythologique), en passant par sa durée de vie de 120 ans (allégorie au déluge), à sa mort (qu'il relate, chose improbable), le récit de sa vie témoigne d'un discours qui peut être intériorisé, faisant écho à chacun d'entre nous. On est tous prisonniers de mécanismes inconscients, de toute-puissance, de représentations narcissiques, de blessures douloureuses qu'on porte avec nous, et de tout un tas d'idolâtries et de conditionnements qui nous maintiennent en servitude dans notre misraïm intérieur (symbolisé par l’Égypte). Moïse désigne le libérateur, celui qui peut nous affranchir de toutes nos idolâtries et autres conditionnements, l'intercesseur, celui qui peut nous mener et nous faire muter vers un autre plan de conscience, capable de parler à Dieu (le Soi immuable intérieur) et de lui tenir tête dans ses caprices, mais aussi capable de parler à Pharaon (l'ego) et de lui tenir tête dans ses caprices.
Ici le contexte de l'histoire c'est l'idolâtrie du peuple hébreu tout juste libéré de la servitude d’Égypte.
Selon la Tradition des anciens hébreux, en fonction de ce que nous apprennent les traductions les plus littérales (à partir du texte Massorétique), il était interdit de se faire des représentations d'idoles : " כִּי-תוֹלִיד = quand vous produirez, בָּנִים = des fils, וּבְנֵי בָנִים = et leur fils, וְנוֹשַׁנְתֶּם בָּאָרֶץ = en vieillissant, וְהִשְׁחַתֶּם = corruption, וַעֲשִׂיתֶם = et faites, פֶּסֶל = idole, תְּמוּנַת = représentation, image, כֹּל = tous, וַעֲשִׂיתֶם = et faites, הָרַע = le mal, בְּעֵינֵי = à, יְהוָה-אֱלֹהֶיךָ = YHWH votre Dieu, לְהַכְעִיסוֹ = l'irritant", ce qui donne : "Quand vous produirez des fils et leurs fils en vieillissant dans la corruption et ferez tous des représentations d'idoles et que (vous) ferez le mal envers YHWH (L'Eternel) votre Dieu, L'irritant..." (Deutéronome 4, 25), et "לֹא-תַעֲשֶׂה = ne faites pas, לְךָ פֶסֶל = d'idole, וְכָל = quelconque, תְּמוּנָה = représentation, image, אֲשֶׁר = qui, בַּשָּׁמַיִם = cieux, מִמַּעַל = au dessus, וַאֲשֶׁר = et qui, בָּאָרֶץ = sur terre, מִתָּחַת = sous, וַאֲשֶׁר = et qui, בַּמַּיִם = eaux, מִתַּחַת = sous, לָאָרֶץ = terre", ce qui donne : "ne faites pas de représentation d'idole quelconque, qui sont au dessus des cieux, sur la terre, dans et sous les eaux sous terre." (Exode 20, 4)
Lorsqu'on lit ces quelques versets, l'interdit ne concerne pas contrairement à ce qu'en disent la plupart des traductions bibliques, de ne pas se faire des images taillées, ni d'interdire toute représentation, Dieu ne commande pas de vivre dans une grotte, sans couleur, sans tableau, sans œuvres d'art, sans peintures, sans décorations... Ce qui est condamné, si on lit correctement, c'est la représentation d'idoles, et non les représentations qui peuvent meubler notre quotidien comme des œuvres d'arts, et qui ne sont aucunement des idoles.
La première forme d'idolâtrie concerne nos représentations inconscientes de Dieu, bien trop souvent à l'image de nos désirs inconscients narcissiques. Chez les anciens hébreux, à l'image du veau d'or, du taureau céleste, représentation d'un Dieu tout-puissant. A notre époque, ces images inconscientes concerne notre rapport à l'argent (le nouveau Dieu tout puissant) entres autres. Pour la plupart des personnes, nous ne pouvons nous mentir sur nous-mêmes, nous avons accepté sa prédominance sur nous et sur nos sociétés. Comme le dit le pape François dans la Joie de l'Evangile, la crise financière que nous traversons nous fait oublier qu'elle a, à son origine, une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l'être humain. Et en effet, cette adoration inconsciente au fétichisme de l'argent et à cette dictature de l'économie déséquilibré, nous fait oublier l'absence grave d'une orientation anthropologique qui réduit l'être humain à un seul de ses besoins, la consommation outrancière. Dans le système dans lequel on vit, on a accepté le déséquilibre qu'impose l'autonomie absolue des marchés (le marché est divinisé) et la spéculation financière (la finance casino), idéologies des temps modernes érigés en règles absolues. On se fait complice d'un système qui creuse l'écart entre le riche et le pauvre et qui ne reconnaît aucune limite, même pas environnementales. Ce Dieu idolâtré, inconscient ou non, gouverne nos vies et nos mentalités, nous fait voir les entreprises humaines éthiques d'un œil méprisant et narquois (l'éthique est jugée par beaucoup contre-productive parce qu'elle relativise l'argent et le pouvoir), et menaçantes (l'éthique condamne la manipulation et la dégradation de la personne). L'éthique, une éthique non-idéologisée, appelle l'indépendance face à toute sorte d'esclavage, appelle l'être humain à sa pleine réalisation créative et met fin au cycle de violences et de corruptions engendrés par les disparités sociales et l'idéologie politique des gouvernants.
Après cet aparté, que j'ai jugé utile de dire, recentrons-nous sur Moïse qui à fait tuer 3000 personnes.
Toujours est-il que dans les deux types de récits, historique ou symbolique, ou les deux à la fois, dans ce nombre cité de 3000 hommes, on retrouve la valeur cubique 1000 (10*10*10) comme souvent dans certains versets qui sert à signaler que c'est un très grand nombre. Et de prime abord, il s'agit ici de 3000 personnes tués. Ne perdons pas cela de vue non plus. Le Moïse criminel et fuyard est une des facettes du Moïse biblique.
Cette tuerie peut symboliser nos propres représentations idolâtriques en nous-mêmes. Descendant du sommet du mont Sinaï, Moïse (législateur du Vrai Dieu, le vrai disciple en nous, disciple non éveillé, il ne verra pas la Terre Promise, allégorie du Royaume des Cieux) découvre la statue bovine (symboliquement l'objet du culte idolâtrique, le Veau d'Or) que le peuple (symboliquement la foule amorphe constituée de toutes nos pensées tournés vers telle ou telle forme d'idolâtrie) a demandée à Aaron de fabriquer pour représenter Yahvé (le Soi, immuable et qui ne peut pas être représenté). Moïse sera alors pris de colère, il casse les tables de pierre contenant la Loi divine (pris par son emportement émotionnel, il brise le sacré, ce qui permet le passage à un autre niveau d'intégration spirituelle), puis, pour sanctionner cette idolâtrie (représentation inconsciente narcissique et empreinte de conditionnements divers), il organise, avec le concours des lévites, un massacre parmi le peuple (les lévites, cette caste de prêtres (et non de guerriers) peuvent représenter la justice, la raison qui massacrent nos représentations inconscientes et idolâtres, nos idées reçues, nos croyances superflues, nos schémas d'appropriation alimentés par l'ensemble de ces désirs inconscients de toute puissance qui règnent en nos esprits et qui obstruent la place à Dieu).
Dans cette interprétation, que je viens de vous proposer, le massacre en question est avant tout symbolique, reflet d'une vie et d'un combat intérieur. Cette action révoltante qui choque les lecteurs contemporains, peut ainsi s'accorder avec la prière d'intercession que Moïse adresse à Yahvé lorsque ce dernier veut annihiler l'ensemble du peuple à cause du veau d’or. Cette foule en nous-mêmes, c'est-à-dire ses pensées auxquels on s'identifie, qui sont remplis d'idolâtrie, de petits rituels quotidiens que l'on peut observer un à un, de préjugés et de jugements, doit être mis à mort si on veut laisser Dieu venir s'installer dans nos vies.
Tu auras remarqué, je l'espère, que je ne suis pas rentré dans les détails de l'interprétation psychanalytique qui voit dans le Dieu vengeur d'un certain discours religieux, la projection du fantasme de parent phallique, répressif et castrateur. Je suis très éloigné du Dieu biblique que certains veulent présenter comme terrifiant et qui n'est, dans cette interprétation-là, que l'image du parent qui menace son enfant des pires choses s'il fait des bêtises, et plus encore s'il éprouve des désirs incestueux ou meurtriers, fussent-ils inconscients.
Pour moi le Dieu qui se révèle à Moïse est un Dieu d'Amour, le Dieu de Miséricorde que nous a présenté Jésus, à l'opposé d'un Dieu psychotique qui éprouverait le besoin de se venger des hommes fautifs, comme si ses propres créatures, ses enfants, devenaient des rivaux pouvant lui faire de l'ombre. Cela n'a pas de sens.
Ce que l'on prend et qu'on entend comme des commandements moraux, et en particulier les Dix Paroles, sont conjuguées à l'inaccompli en hébreu, le futur en français, il ne s'agit donc pas d'obligations ou de conditions à prendre au présent de la lettre, mais plutôt des promesses d'accomplissement pour ceux et celles qui se seront complètement engagés envers Dieu. Ils deviendront capables de ne pas tuer (et il y à plusieurs façons de tuer, pas seulement d'ordre physiques), ils n'éprouveront plus le besoin de mentir, etc.
Ces paroles se présentent comme des exercices spirituels en vue d'un accomplissement et non pas en vue d'un code de bonne conduite à respecter sous peine d'être condamné. Elles sont à l'aventure spirituelle ce que les gammes sont au pianiste.
Enfin, pour terminer, interrogeons-nous, et demandons-nous, qu'est-ce que la véritable morale ? L’Évangile aborde la morale chrétienne d'un autre point de vue, comme n'étant pas une affaire de règles et d'attitudes extérieures codifiées. Il ne s'agit pas de dénier l'intérêt de comportements socialement vertueux, ou rituellement religieux comme l'était la loi juive, mais d'aller plus loin, dans l'accomplissement d'une mutation à laquelle nous sommes conviés. Ce n'est pas pour rien si Saint Paul à déclarer "Qui aime accomplit la Tora [...] car la plénitude de la Tora, c'est l'amour" (Romains 13, 8 - 10). Il faut y réfléchir.
La loi morale du Christianisme est toute entière inscrite dans cette parole du Christ "Comme vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même" (Luc 6, 31). C'est cela l'éthique de Dieu, ce n'est pas un code d'interdits à respecter, mais une expérience joyeuse à vivre.
Je t'embrasse, et je m'arrêterait-là.
Ase