Célibat des prêtres : "C'est tout le système prohibitionniste sur la sexualité qu'il faut repenser"
Entretien
Propos recueillis par Jean-Loup Adenor
Publié le 11/11/2022 à 15:15
Alors que l'Eglise est secouée par les accusations d'agression sexuelle contre le cardinal Ricard, les évêques de Beauvais et de Soissons ont recensé 11 nouvelles victimes présumées de violences sexuelles dans leurs diocèses. Et comme à chaque fois que le sujet des abus sexuels commis dans l'église catholique revient dans le débat, la question sur la fin du célibat des prêtres ressurgit. Entretien avec Christine Pedotti, fondatrice de la revue « Témoignage chrétien ».
La fin d'une tradition quasi-millénaire ? La révélation d'un nouveau scandale d'agression sexuelle, concernant cette fois-ci le cardinal Ricard, accusé d'avoir eu une conduite « répréhensible avec une jeune fille de 14 ans », fait à nouveau tanguer l'Église catholique. Parmi les pistes envisagées par les catholiques pour assainir l'institution : mettre fin au célibat des prêtres. Une bonne idée, selon Christine Pedotti, fondatrice de la revue Témoignage chrétien. Car si elle ne réglerait pas tout, la fin du célibat des prêtres permettrait de réviser la doctrine catholique sur la sexualité, toujours perçue comme « malsaine », d'après elle.
Marianne : La question du célibat des prêtres est-elle un sujet d'actualité pour l'Église catholique ?
Christine Pedotti : C’est un débat qui a lieu en ce moment dans l’Église. Il y a une majorité écrasante de catholiques, 92 % selon un sondage Odoxa pour Témoignage chrétien, qui est favorable à l’ordination des hommes mariés – c'est-à-dire de permettre à des hommes mariés de devenir prêtres. Au fond, il n'y a plus vraiment de débat chez les croyants.
« Ce qui hante l'Église, c’est l’idée que les fils de prêtres puissent hériter des biens ecclésiastiques. »
Le débat se déroule plutôt en interne, parmi les clercs qui vous expliquent la main sur le cœur qu’être prêtre, c'est être dans l’offrande totale de soi, que, comme on n'aime personne en particulier, on aime tout le monde en général. Les prêtres fantasment l'idée qu'ils sont donnés au Seigneur, comme si les baptisés qui prennent au sérieux leur baptême ne l'étaient pas.
Historiquement et théologiquement, d'où vient cette obligation pour les prêtres de demeurer célibataires ?
Le célibat des prêtres dans le christianisme n'est pas universel, ni originel. Ce n'est même pas une prescription théologique. On le date du XIIIe siècle. Il s'est donc écoulé plus de mille ans d'histoire du catholicisme avant cette obligation. Elle a d'ailleurs été très difficile à imposer : on compte énormément de textes datant du Moyen-Âge qui ne cessent de vitupérer contre les prêtres qui rompent leur célibat. C'est ce qu'on appelle le « nicolaïsme ».
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On peut voir dans cette prescription du célibat des raisons très pragmatiques : ce qui hante l’Église, c’est l’idée que les fils de prêtres puissent hériter des biens ecclésiastiques. Aujourd’hui, en France, les prêtres sont très pauvres, mais c’est une particularité française contemporaine. Historiquement, être prêtre, c’est une situation plutôt gracieuse. Il fallait que leurs biens demeurent propriété de l’Église et soient incessibles.
Les prêtres eux-mêmes sont-ils favorables à la fin du célibat ?
Ce n'est pas une revendication, non. Pour une raison simple : il y a une part non négligeable de prêtres homosexuels, ce qui pose un véritable problème à l'Église. Josselin Tricou a écrit sur la masculinité dans le catholicisme, il a eu une très bonne intuition : le recrutement des prêtres s'est longtemps fait grâce au tropisme homosexuel des candidats. La carrière ecclésiastique est le placard par excellence.
Les autorités catholiques et plus précisément le Vatican réfléchissent-ils à ordonner des hommes mariés ?
Fin 2019, on est passés au ras d’une petite révolution. Lors du synode à Rome sur l’Amazonie, les évêques de la région se sont prononcés pour l'ordination des hommes mariés, afin de permettre à l'Église de couvrir cet immense territoire qu'est l'Amazonie. Cette proposition a été inscrite dans les conclusions du synode, elle n’a donc pas été balayée par les fonctionnaires romains. Et puis le pape a publié ses conclusions sur le synode, intitulées « Querida amazonia ». Et là… désastre : le pape n’a pas levé l’obligation du célibat.
Pourquoi ?
Comme souvent, François a répondu… dans l’avion. Il a eu cette phrase stupéfiante : « Le jour où je me retrouverai face à Saint-Pierre, je ne veux pas être celui qui aura mis fin au célibat des prêtres. » En d'autres termes, un aveu de lâcheté. Je dois vous avouer que ma confiance et mon estime pour le pape François ont vacillé ce jour-là. Mais au-delà de ça, que dit cette réponse ? Dans le psychisme spirituel du pape, c'est-à-dire l’inconscient spirituel d’un jésuite de 80 ans, le célibat est intrinsèquement lié au fait d’être prêtre. Il ne se sent pas capable de séparer ces deux états. C'est-à-dire que la charge d’être prêtre doit être un sacrifice.
Pour autant, peut-on dire que mettre fin au célibat des prêtres permettrait de régler la question des abus sexuels ? Un agresseur reste un agresseur, marié ou non.
Évidemment, ce n'est pas parce qu’on n’a pas de femme qu’on va agresser des enfants. Ce n'est pas parce qu’on est frustré d’une relation sexuelle adulte qu’on a des relations pédocriminelles. Mais le célibat des prêtres a quelque chose à voir avec la façon dont l'Église considère la sexualité : c’est là qu’il y a un problème. Imposer la chasteté, c’est imposer une vision de la sexualité comme une chose malsaine. C'est tout le système prohibitionniste sur la sexualité qu'il faut repenser, car il empêche de faire de la prévention et d’avoir une hiérarchie des transgressions : la masturbation ou l'agression sexuelle sont traitées de la même façon par la doctrine catholique, comme des violations du sixième commandement. C’est là où est le drame.
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L'Église a un problème avec la civilité sexuelle. Quand on lit les textes que produit l’Église sur la sexualité depuis toujours, on comprend qu'elle considère la sexualité comme quelque chose qui est le lieu de la maîtrise individuelle. Il faut maîtriser la pulsion. La sexualité n’est pas vue comme un art relationnel mais comme un lieu de maîtrise. La sexualité fait peur car elle est le lieu de la perte de contrôle, de l’animalité.
Vous vous prononcez donc pour la fin de cette discipline du célibat ?
Je pense qu’il faut aller au-delà de cette seule question, il faut réfléchir au statut des prêtres. Comprendre pourquoi on en fait des personnages sacrés et à part, particulièrement sur la question de la sexualité. Le fait que ce soit exclusivement des hommes, célibataires, qu’on veuille qu’ils se conduisent comme des anges. On est dans un système symbolique et anthropologique très archaïque, dans lequel règne l’idée qu’il y a une sorte de transaction entre le sexe et le sacré : être prêtre, c'est abandonner la puissance sexuelle en échange de la puissance sacrée. Sur le long terme, ce n'est pas tenable.
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