Re: Pourquoi la trinité chrétienne est le monothéisme parfai
Posté : 16 avr.17, 02:47
Mais encore :
Jusqu'ici on a invoqué avec une certaine réserve ce monument comme un témoignage de ce que les sectateurs de Mithra buvaient du vin dans leurs repas rituels. Mais grâce aux fouilles de ces dernières années, il y a d'autres indications qui rendent infiniment probable l'usage du vin dans le culte perse. On peut citer les comptes du Mithréum de Dura-Europos (*),] des rapports entre Mithra et le dieu syrien du vin Dusarès (2), certaines inscriptions mentionnant des prêtres de Mithra qui sont en même temps des mystères de Liber Pater (3) et certaines représentations de l'agape mithriaque, qui ont été si bien illustrées par M. Franz Cumont lui-même (4). Naguère encore M. Bober a démontré les rapports entre le groupe de Mercure portant le jeune Bacchus et les mystères de Mithra (5). Le témoignage le plus convaincant reste sans doute la scène du repas qui figure sur le grand bas-relief de Heddernheim, où le Soleil tend à Mithra une grappe de (6).
http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-281 ... 8?q=mithra
L'interprétation de Franz Cumont est restée canonique pour l'essentiel durant des décennies.
Une transition s'amorce avec la contribution révolutionnaire de R. Merkelbach (1965), qui met en valeur l'importance d'un passage du Timée (p. 36b-c) de Platon relatif au grand X (= la lettre grecque chi) — formé par l'intersection du cercle de l'équateur céleste avec celui de l'écliptique — pour la compréhension du symbolisme mithriaque du passage de saison, c'est-à-dire de mort et de résurrection. La transition est d'ailleurs inévitable avec la révélation d'un texte originel du mithriacisme romain déchiffré parmi d'autres sur les parois du mithraeum de Sainte-Prisque à Rome et édité par M. J. Vermaseren (précisément!) et C.C. Van Essen en 1965 : Et nos servasti eternali sanguine fuso «Tu nous a sauvé en répandant le sang éternel».
Le 1er Congrès international d'études mithriaques, réuni à Manchester en 1971, mais dont les Actes (les Mithraic Studies) n'ont paru qu'en 1975, radicalise la transition.
, le «meurtre du Père» est perpétré. Le mithriacisme romain se mue alors en une religion gréco-romaine caractérisée par l'initiation dans le secret à la mort et à la résurrection. Les images laissées par les initiés de Mithra qui vivaient au temps de l'Empire romain seraient désormais à éclairer par elles-mêmes et par les textes originaux mithriaques romains, tels que ceux de Sainte-Prisque, voire par les textes des philosophes grecs et romains qui ont développé leurs systèmes dans l'atmosphère des religions à mystères de l'Occident6. Par l'initiation, le fidèle de Mithra se voit promettre le salut dans l'autre monde, le salut de son âme individuelle dans l'au-delà où elle se sera échappée depuis le monde d'ici-bas, ou bien — selon R. Turcan7 — sera associé symboliquement au salut collectif déjà réalisé (servasti est un parfait!) sur la Terre matérielle et spirituelle des hommes.
Ladenburg a livré en 1965 un magnifique relief haut de 140 cm et large de 150 cm, où se découvre le repas eucharistique de Mithra et Soleil, qu'on comparera avec la même scène à Trêves, à Heddernheim et à Rùckingen (CIMRM, 988, 1083 et 1137) : une table à trois pieds de taureau ; sur la table, une grappe de raisins et du pain ; sur un banc couvert de la dépouille du Taureau, Soleil, nu, tenant de la main droite une corne d'abondance devant le disque solaire placé sur une colonne et de la main gauche un objet maintenant brisé et non identifié, ainsi que Mithra, avec son manteau sur l'épaule droite, tenu par une fibule, et avec son bonnet phrygien, la main droite fraternellement posée sur l'épaule de Soleil, tandis que la main gauche tient une corne d'abondance sur la tête du Taureau ; enfin des rosettes sur la voûte de la grotte où est célébré le repas (E. Schwertheim, n° 144, p. 188- 189)
Sur le repas cultuel de Mithra et Soleil, voir R. Turcan (1978) et (1989), p. 227-229, ainsi que M. Clauss, p. 117-122, qui rappellent les textes de Justin (Apologia, I, 66) et de Tertullien (De praescriptione hereticorum, 40, 3-4) dénonçant une imitation diabolique de l'eucharistie chrétienne.
Le Mithraeum de Riegel, déjà fouillé en 1932-1933 (E. Schwertheim, n° 170, p. 208-209), a fait l'objet de nouvelles fouilles en 1974. A cette occasion a été trouvé un objet insolite : un instrument en fer, long de 56 cm, dont les extrémités appartiennent à la même droite et dont la partie centrale, sur 20 cm, a la forme d'une demi-boucle. Il s'agirait, d'après W. Lentz et W. Schlosser, d'un gnomon servant, par la projection de son ombre, à la détermination des moments de passage du soleil au méridien21, mais, selon B. Càmmerer et E. Schwertheim22, d'un glaive utilisé dans l'initiation au grade de miles (= soldat)23 pour présenter de façon théâtrale24 un personnage transpercé et donc appelé à mourir, mais pour ressusciter (en effet, avec la partie en demi-cercle de l'instrument placée autour de son corps vers l'arrière de la scène, la personne apparaît transpercée par l'objet). Pour ma part, je dirais que, dans la scène du repas cultuel de Mithra et de Soleil au mithraeum de Rûckingen (CIMRM, 1137), les pieds de la table ont la même forme que l'instrument insolite. Or ce repas cultuel, qui suit le sacrifice du Taureau, je le daterais, par rapport au mouvement annuel du soleil, de l'équinoxe de printemps. L'objet qu'on cherche à définir, n'aurait-il pas servi à suivre le déplacement progressif des levers du soleil à l'horizon entre les deux limites extrêmes atteintes respectivement aux solstices d'été et d'hiver et à consacrer le jour de l'équinoxe de printemps (ou d'automne) où le soleil levant se trouve au point vernal, à l'intersection des cercles de l'équateur céleste et de l'écliptique, sur le colure médian entre les deux levers extrêmes ?
http://www.persee.fr/doc/rnord_0035-262 ... 8?q=mithra
La structure des Milhraea avec leurs banquettes ou lits de table (podia) permet de supposer que cette liturgie consistait au moins dans un repas, une cena, soit tous les soirs, soit toutes les semaines (le dimanche, jour du Soleil)3. L'importance du banquet sacramentel dans le culte mithriaque est confirmée à la fois par des textes et par des monuments figurés.
Il faut, certes, renoncer — au moins provisoirement — à exploiter le texte allusif et beaucoup trop ambigu de Pline4 sur les « repas des mages » auxquels Tiridate aurait initié Néron en 66, lorsqu'il vint à Rome se faire couronner roi d'Arménie, quoique Tiridate ait alors salué l'empereur comme son dieu, « à l'égal de Mithra »5. Mais c'est à propos de l'eucharistie que Justin le Martyr6 incrimine les « mauvais démons » du paganisme qui auraient inspiré la contrefaçon de cette institution chrétienne dans les mystères de Mithra.
L'apologiste nous apprend alors que l'initiand est admis au repas des mystes, et Justin résume ainsi la cérémonie mithriaque : « On présente du pain et une coupe d'eau en prononçant certaines formules. » De son côté, Tertullien7 affirme à propos de Mithra ou du Démon que masque le dieu oriental : célébrai et panis oblationem. Les mithriastes auraient donc « offert » le pain et célébré une sorte de consécration. Les « formules » dont parle Justin le Martyr8 pouvaient consacrer le pain et l'eau. Il pouvait s'agir aussi d'actions de grâces au dieu qui avait animé le monde, promu la végétation9 et désaltéré les êtres par son « miracle de l'eau »10. L'oblation mithriaque n'est pas une hypothèse d'érudits modernes hostiles au christianisme et soucieux de minimiser l'originalité de la messe. Ce sont les Pères de l'Eglise eux-mêmes (et dès le 11e siècle après J.-G.) qui nous informent sur ce point, en imputant l'analogie du rituel aux manœuvres frauduleuses du Malin.
L'archéologie figurée illustre indirectement ces données littéraires. Le relief de Konjic11 nous montre au revers le banquet de Sol et de Mithra allongés devant une table tripode où, dans un plat, figurent quatre petites miches rondes marquées chacune de deux incisions perpendiculaires comme des croix. Sur une peinture du Milhraeum de S. Prisca (sur l'Aventin), on voit un membre de la communauté qui tient un pain divisé en six parts12. Une autre peinture du même Milhraeum romain nous montre le Lion Gelasius portant deux pains sur un plat13. Ce peuvent être des petits pains aussi que présentent dans leur corbeille les deux serviteurs en costume perse dans la scène du banquet sculptée au revers du relief d'Heddernheim14. Sur la grande stèle de Kônigshoffen, un fragment de relief aujourd'hui perdu représentait ce même banquet de Sol et de Mithra, devant un plat contenant peut- être un petit pain rond15. Il s'agit assurément du repas des dieux, mais ce repas servait d'archétype à tous les autres qui en commémoraient et réactualisaient la vertu sacrée. A côté de cette iconographie mythique, les deux reliefs de Bologne16 et de Merida17 nous montrent attablés trois convives qui représentent sans doute des mystes agrégés à la communauté.
On consommait aussi du vin dans les cryptes mithriaques et, outre le pain, on partageait une alimentation carnée, comme l'atteste la découverte d'ossements divers parmi les déchets reconnus dans les Mithraea : volailles, ovidés, porcidés, cervidés ou capridés, bovidés18. Très instructifs aussi sont les « menus » ou comptes de nourriture qu'on déchiffre parmi les graffiti du Mithraeum de Doura-Europos19. Le témoignage le plus intéressant, mais malheureusement détérioré et sujet à caution, reste une peinture de S. Maria Capua Vetere où M. J. Vermaseren veut reconnaître un Pater sacrorum présentant le pain et levin aux nouveaux membres de la communauté.
Mais la liturgie des antres persiques ne consistait pas seulement dans une cena, même assortie d'acclamations, d'actions de grâces, d'hymnes ou de formules chantées comme celles dont on a retrouvé le texte dans le Mithraeum de S. Prisca21. Le Pseudo-Denys l'Aréopagite22 nous parle des livres sacrés des Perses, et il écrit que les Mages célèbrent une commémoration : ils font mémoire du « triple Mithra ». F. Cumont23 a montré que ce texte concernait la représentation de Mithra tauroctone entre les deux dadophores Cautès et Gautopatès qui personnifient respectivement le Soleil levant (ou ascendant) et le Soleil couchant (ou descendant). Autrement dit, les mithriastes — que le Pseudo-Denys appelle « les Mages » du fait qu'il s'agit d'un culte d'origine iranienne, mais aussi que la tradition liait les Mages à l'institution même du mithriacisme24 — commentaient le relief du chœur, illuminé à la clarté mouvante des torches et des braseros.
Tel détail d'un relief comme celui de Dieburg28 qui reproduit un arbre à trois branches feuillues d'où émergent trois têtes coiffées du bonnet asiatique appelait une exégèse sur le « triple Mithra ». Un texte de S. Prisca (Hune quem aur(ei)s humeris portavit more juvencum)29 pourrait être souscrit aux figurations de Mithra taurophore. Le signum 0sôç ex тстросс, que Firmicus Maternus30 accuse les démons d'avoir détourné de son sens authentiquement chrétien au profit d'un culte « profane », pouvait s'appliquer aux représentations de Mithra « pétrogène » ou saxigenus, statues ou tableautins comme l'un de ceux qui décoraient le pilastre gauche des stèles « réto-rhénanes » à reliefs multiples31. Dans la séquence figure toujours le « miracle de l'eau », Mithra faisant jaillir d'un coup de flèche dans le roc la source à laquelle s'abreuvent avidement deux jeunes pileati qui ressemblent aux dadophores32. A cette scène était approprié le verset déchiffré à S. Prisca : Fons со neluse pétris qui geminos aluisti nectare fratres33. Plusieurs zodiaques du cycle mithriaque34 illustrent directement cet autre texte de S. Prisca sur le Bélier qui marche en tête : Primus et hic aries slriciius ordine currit35.
Ce rapprochement n'est pas en contradiction avec l'interprétation précitée de F. Cumont qui appliquait le dogme de la trinité mithriaque au Tauroctone flanqué de Cautès et de Cautopatès.
La « messe » mithriaque se célébrait donc en deux temps, comme la messe des chrétiens. Ces deux temps — enseignement et « cène » — coïncident avec ceux de la liturgie chrétienne, telle qu'elle était déjà fixée au second siècle de notre ère. On commençait par lire « les mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes », que commentait une homélie suivie de prières. Puis on apportait le pain, le vin et l'eau pour l'eucharistie61. Justin le Martyr donne ces détails presque immédiatement après avoir reproché aux « mauvais démons » la contrefaçon de ce rituel dans les mystères de Mithra. Plus exactement, la référence à ces mystères se trouve insérée entre un développement sur l'eucharistie et la description de la liturgie dominicale. Le parallèle a frappé les chrétiens contemporains du floruit mithriaque avant d'intéresser les historiens des religions.
Il est significatif qu'en parlant du « dimanche » Justin écrive : тт) той ýjXíou Xeyo^evT) гцхерц., jour du Soleil, également sanctifié par les mithriastes.
Trop de maillons nous manquent pour retrouver en toute certitude l'enchaînement des faits. Mais ce sont les faits, les documents qui importent dans la présente Revue, qui se veut et s'efforce d'être purement historique. La documentation iconographique des Mithraea et les témoignages patristiques (Justin, Tertullien) constituent des faits qui autorisent, à mon sens, l'hypothèse d'une liturgie mithriaque bipartite et, plus précisément, d'une bipartition analogue à celle du rituel chrétien.
Quant à savoir si la liturgie mithriaque a influencé la liturgie chrétienne ou si, inversement, la première est une imitation de la seconde, c'est un problème qui ne se pose peut-être pas de la sorte, en termes d'alternative absolue ou de « tiers exclu ». Dans les mystères d'Isis aussi un banquet fait suite à la révélation d'un enseignement, quelle qu'en ait été la forme62. La participation à un repas communautaire d'adoption, la manducation d'une nourriture sacrée se trouvent souvent liées dans les cultes initiatiques à une instruction ou à la tradition d'un hieros logos™. De toute façon, la signification et la finalité de ces repas variaient sensiblement d'un culte à l'autre, même si le cérémonial correspondait au même schéma d'ensemble. Une certaine typologie relevait du domaine commun, et les chrétiens peuvent avoir mis au point les modalités de leur rituel dominical en fonction de cette typologie, sans qu'on ait, pour autant, le droit de parler d'emprunt ou d'imitation. La remarque vaut pareillement pour l'isiasme et le mithriacisme. En tout état de cause, la question n'est pas simple... Je laisse à d'autres le soin de la reposer et surtout l'assurance de pouvoir jamais la résoudre ! Robert Turcan.
http://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_ ... 0?q=mithra
Jusqu'ici on a invoqué avec une certaine réserve ce monument comme un témoignage de ce que les sectateurs de Mithra buvaient du vin dans leurs repas rituels. Mais grâce aux fouilles de ces dernières années, il y a d'autres indications qui rendent infiniment probable l'usage du vin dans le culte perse. On peut citer les comptes du Mithréum de Dura-Europos (*),] des rapports entre Mithra et le dieu syrien du vin Dusarès (2), certaines inscriptions mentionnant des prêtres de Mithra qui sont en même temps des mystères de Liber Pater (3) et certaines représentations de l'agape mithriaque, qui ont été si bien illustrées par M. Franz Cumont lui-même (4). Naguère encore M. Bober a démontré les rapports entre le groupe de Mercure portant le jeune Bacchus et les mystères de Mithra (5). Le témoignage le plus convaincant reste sans doute la scène du repas qui figure sur le grand bas-relief de Heddernheim, où le Soleil tend à Mithra une grappe de (6).
http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-281 ... 8?q=mithra
L'interprétation de Franz Cumont est restée canonique pour l'essentiel durant des décennies.
Une transition s'amorce avec la contribution révolutionnaire de R. Merkelbach (1965), qui met en valeur l'importance d'un passage du Timée (p. 36b-c) de Platon relatif au grand X (= la lettre grecque chi) — formé par l'intersection du cercle de l'équateur céleste avec celui de l'écliptique — pour la compréhension du symbolisme mithriaque du passage de saison, c'est-à-dire de mort et de résurrection. La transition est d'ailleurs inévitable avec la révélation d'un texte originel du mithriacisme romain déchiffré parmi d'autres sur les parois du mithraeum de Sainte-Prisque à Rome et édité par M. J. Vermaseren (précisément!) et C.C. Van Essen en 1965 : Et nos servasti eternali sanguine fuso «Tu nous a sauvé en répandant le sang éternel».
Le 1er Congrès international d'études mithriaques, réuni à Manchester en 1971, mais dont les Actes (les Mithraic Studies) n'ont paru qu'en 1975, radicalise la transition.
, le «meurtre du Père» est perpétré. Le mithriacisme romain se mue alors en une religion gréco-romaine caractérisée par l'initiation dans le secret à la mort et à la résurrection. Les images laissées par les initiés de Mithra qui vivaient au temps de l'Empire romain seraient désormais à éclairer par elles-mêmes et par les textes originaux mithriaques romains, tels que ceux de Sainte-Prisque, voire par les textes des philosophes grecs et romains qui ont développé leurs systèmes dans l'atmosphère des religions à mystères de l'Occident6. Par l'initiation, le fidèle de Mithra se voit promettre le salut dans l'autre monde, le salut de son âme individuelle dans l'au-delà où elle se sera échappée depuis le monde d'ici-bas, ou bien — selon R. Turcan7 — sera associé symboliquement au salut collectif déjà réalisé (servasti est un parfait!) sur la Terre matérielle et spirituelle des hommes.
Ladenburg a livré en 1965 un magnifique relief haut de 140 cm et large de 150 cm, où se découvre le repas eucharistique de Mithra et Soleil, qu'on comparera avec la même scène à Trêves, à Heddernheim et à Rùckingen (CIMRM, 988, 1083 et 1137) : une table à trois pieds de taureau ; sur la table, une grappe de raisins et du pain ; sur un banc couvert de la dépouille du Taureau, Soleil, nu, tenant de la main droite une corne d'abondance devant le disque solaire placé sur une colonne et de la main gauche un objet maintenant brisé et non identifié, ainsi que Mithra, avec son manteau sur l'épaule droite, tenu par une fibule, et avec son bonnet phrygien, la main droite fraternellement posée sur l'épaule de Soleil, tandis que la main gauche tient une corne d'abondance sur la tête du Taureau ; enfin des rosettes sur la voûte de la grotte où est célébré le repas (E. Schwertheim, n° 144, p. 188- 189)
Sur le repas cultuel de Mithra et Soleil, voir R. Turcan (1978) et (1989), p. 227-229, ainsi que M. Clauss, p. 117-122, qui rappellent les textes de Justin (Apologia, I, 66) et de Tertullien (De praescriptione hereticorum, 40, 3-4) dénonçant une imitation diabolique de l'eucharistie chrétienne.
Le Mithraeum de Riegel, déjà fouillé en 1932-1933 (E. Schwertheim, n° 170, p. 208-209), a fait l'objet de nouvelles fouilles en 1974. A cette occasion a été trouvé un objet insolite : un instrument en fer, long de 56 cm, dont les extrémités appartiennent à la même droite et dont la partie centrale, sur 20 cm, a la forme d'une demi-boucle. Il s'agirait, d'après W. Lentz et W. Schlosser, d'un gnomon servant, par la projection de son ombre, à la détermination des moments de passage du soleil au méridien21, mais, selon B. Càmmerer et E. Schwertheim22, d'un glaive utilisé dans l'initiation au grade de miles (= soldat)23 pour présenter de façon théâtrale24 un personnage transpercé et donc appelé à mourir, mais pour ressusciter (en effet, avec la partie en demi-cercle de l'instrument placée autour de son corps vers l'arrière de la scène, la personne apparaît transpercée par l'objet). Pour ma part, je dirais que, dans la scène du repas cultuel de Mithra et de Soleil au mithraeum de Rûckingen (CIMRM, 1137), les pieds de la table ont la même forme que l'instrument insolite. Or ce repas cultuel, qui suit le sacrifice du Taureau, je le daterais, par rapport au mouvement annuel du soleil, de l'équinoxe de printemps. L'objet qu'on cherche à définir, n'aurait-il pas servi à suivre le déplacement progressif des levers du soleil à l'horizon entre les deux limites extrêmes atteintes respectivement aux solstices d'été et d'hiver et à consacrer le jour de l'équinoxe de printemps (ou d'automne) où le soleil levant se trouve au point vernal, à l'intersection des cercles de l'équateur céleste et de l'écliptique, sur le colure médian entre les deux levers extrêmes ?
http://www.persee.fr/doc/rnord_0035-262 ... 8?q=mithra
La structure des Milhraea avec leurs banquettes ou lits de table (podia) permet de supposer que cette liturgie consistait au moins dans un repas, une cena, soit tous les soirs, soit toutes les semaines (le dimanche, jour du Soleil)3. L'importance du banquet sacramentel dans le culte mithriaque est confirmée à la fois par des textes et par des monuments figurés.
Il faut, certes, renoncer — au moins provisoirement — à exploiter le texte allusif et beaucoup trop ambigu de Pline4 sur les « repas des mages » auxquels Tiridate aurait initié Néron en 66, lorsqu'il vint à Rome se faire couronner roi d'Arménie, quoique Tiridate ait alors salué l'empereur comme son dieu, « à l'égal de Mithra »5. Mais c'est à propos de l'eucharistie que Justin le Martyr6 incrimine les « mauvais démons » du paganisme qui auraient inspiré la contrefaçon de cette institution chrétienne dans les mystères de Mithra.
L'apologiste nous apprend alors que l'initiand est admis au repas des mystes, et Justin résume ainsi la cérémonie mithriaque : « On présente du pain et une coupe d'eau en prononçant certaines formules. » De son côté, Tertullien7 affirme à propos de Mithra ou du Démon que masque le dieu oriental : célébrai et panis oblationem. Les mithriastes auraient donc « offert » le pain et célébré une sorte de consécration. Les « formules » dont parle Justin le Martyr8 pouvaient consacrer le pain et l'eau. Il pouvait s'agir aussi d'actions de grâces au dieu qui avait animé le monde, promu la végétation9 et désaltéré les êtres par son « miracle de l'eau »10. L'oblation mithriaque n'est pas une hypothèse d'érudits modernes hostiles au christianisme et soucieux de minimiser l'originalité de la messe. Ce sont les Pères de l'Eglise eux-mêmes (et dès le 11e siècle après J.-G.) qui nous informent sur ce point, en imputant l'analogie du rituel aux manœuvres frauduleuses du Malin.
L'archéologie figurée illustre indirectement ces données littéraires. Le relief de Konjic11 nous montre au revers le banquet de Sol et de Mithra allongés devant une table tripode où, dans un plat, figurent quatre petites miches rondes marquées chacune de deux incisions perpendiculaires comme des croix. Sur une peinture du Milhraeum de S. Prisca (sur l'Aventin), on voit un membre de la communauté qui tient un pain divisé en six parts12. Une autre peinture du même Milhraeum romain nous montre le Lion Gelasius portant deux pains sur un plat13. Ce peuvent être des petits pains aussi que présentent dans leur corbeille les deux serviteurs en costume perse dans la scène du banquet sculptée au revers du relief d'Heddernheim14. Sur la grande stèle de Kônigshoffen, un fragment de relief aujourd'hui perdu représentait ce même banquet de Sol et de Mithra, devant un plat contenant peut- être un petit pain rond15. Il s'agit assurément du repas des dieux, mais ce repas servait d'archétype à tous les autres qui en commémoraient et réactualisaient la vertu sacrée. A côté de cette iconographie mythique, les deux reliefs de Bologne16 et de Merida17 nous montrent attablés trois convives qui représentent sans doute des mystes agrégés à la communauté.
On consommait aussi du vin dans les cryptes mithriaques et, outre le pain, on partageait une alimentation carnée, comme l'atteste la découverte d'ossements divers parmi les déchets reconnus dans les Mithraea : volailles, ovidés, porcidés, cervidés ou capridés, bovidés18. Très instructifs aussi sont les « menus » ou comptes de nourriture qu'on déchiffre parmi les graffiti du Mithraeum de Doura-Europos19. Le témoignage le plus intéressant, mais malheureusement détérioré et sujet à caution, reste une peinture de S. Maria Capua Vetere où M. J. Vermaseren veut reconnaître un Pater sacrorum présentant le pain et levin aux nouveaux membres de la communauté.
Mais la liturgie des antres persiques ne consistait pas seulement dans une cena, même assortie d'acclamations, d'actions de grâces, d'hymnes ou de formules chantées comme celles dont on a retrouvé le texte dans le Mithraeum de S. Prisca21. Le Pseudo-Denys l'Aréopagite22 nous parle des livres sacrés des Perses, et il écrit que les Mages célèbrent une commémoration : ils font mémoire du « triple Mithra ». F. Cumont23 a montré que ce texte concernait la représentation de Mithra tauroctone entre les deux dadophores Cautès et Gautopatès qui personnifient respectivement le Soleil levant (ou ascendant) et le Soleil couchant (ou descendant). Autrement dit, les mithriastes — que le Pseudo-Denys appelle « les Mages » du fait qu'il s'agit d'un culte d'origine iranienne, mais aussi que la tradition liait les Mages à l'institution même du mithriacisme24 — commentaient le relief du chœur, illuminé à la clarté mouvante des torches et des braseros.
Tel détail d'un relief comme celui de Dieburg28 qui reproduit un arbre à trois branches feuillues d'où émergent trois têtes coiffées du bonnet asiatique appelait une exégèse sur le « triple Mithra ». Un texte de S. Prisca (Hune quem aur(ei)s humeris portavit more juvencum)29 pourrait être souscrit aux figurations de Mithra taurophore. Le signum 0sôç ex тстросс, que Firmicus Maternus30 accuse les démons d'avoir détourné de son sens authentiquement chrétien au profit d'un culte « profane », pouvait s'appliquer aux représentations de Mithra « pétrogène » ou saxigenus, statues ou tableautins comme l'un de ceux qui décoraient le pilastre gauche des stèles « réto-rhénanes » à reliefs multiples31. Dans la séquence figure toujours le « miracle de l'eau », Mithra faisant jaillir d'un coup de flèche dans le roc la source à laquelle s'abreuvent avidement deux jeunes pileati qui ressemblent aux dadophores32. A cette scène était approprié le verset déchiffré à S. Prisca : Fons со neluse pétris qui geminos aluisti nectare fratres33. Plusieurs zodiaques du cycle mithriaque34 illustrent directement cet autre texte de S. Prisca sur le Bélier qui marche en tête : Primus et hic aries slriciius ordine currit35.
Ce rapprochement n'est pas en contradiction avec l'interprétation précitée de F. Cumont qui appliquait le dogme de la trinité mithriaque au Tauroctone flanqué de Cautès et de Cautopatès.
La « messe » mithriaque se célébrait donc en deux temps, comme la messe des chrétiens. Ces deux temps — enseignement et « cène » — coïncident avec ceux de la liturgie chrétienne, telle qu'elle était déjà fixée au second siècle de notre ère. On commençait par lire « les mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes », que commentait une homélie suivie de prières. Puis on apportait le pain, le vin et l'eau pour l'eucharistie61. Justin le Martyr donne ces détails presque immédiatement après avoir reproché aux « mauvais démons » la contrefaçon de ce rituel dans les mystères de Mithra. Plus exactement, la référence à ces mystères se trouve insérée entre un développement sur l'eucharistie et la description de la liturgie dominicale. Le parallèle a frappé les chrétiens contemporains du floruit mithriaque avant d'intéresser les historiens des religions.
Il est significatif qu'en parlant du « dimanche » Justin écrive : тт) той ýjXíou Xeyo^evT) гцхерц., jour du Soleil, également sanctifié par les mithriastes.
Trop de maillons nous manquent pour retrouver en toute certitude l'enchaînement des faits. Mais ce sont les faits, les documents qui importent dans la présente Revue, qui se veut et s'efforce d'être purement historique. La documentation iconographique des Mithraea et les témoignages patristiques (Justin, Tertullien) constituent des faits qui autorisent, à mon sens, l'hypothèse d'une liturgie mithriaque bipartite et, plus précisément, d'une bipartition analogue à celle du rituel chrétien.
Quant à savoir si la liturgie mithriaque a influencé la liturgie chrétienne ou si, inversement, la première est une imitation de la seconde, c'est un problème qui ne se pose peut-être pas de la sorte, en termes d'alternative absolue ou de « tiers exclu ». Dans les mystères d'Isis aussi un banquet fait suite à la révélation d'un enseignement, quelle qu'en ait été la forme62. La participation à un repas communautaire d'adoption, la manducation d'une nourriture sacrée se trouvent souvent liées dans les cultes initiatiques à une instruction ou à la tradition d'un hieros logos™. De toute façon, la signification et la finalité de ces repas variaient sensiblement d'un culte à l'autre, même si le cérémonial correspondait au même schéma d'ensemble. Une certaine typologie relevait du domaine commun, et les chrétiens peuvent avoir mis au point les modalités de leur rituel dominical en fonction de cette typologie, sans qu'on ait, pour autant, le droit de parler d'emprunt ou d'imitation. La remarque vaut pareillement pour l'isiasme et le mithriacisme. En tout état de cause, la question n'est pas simple... Je laisse à d'autres le soin de la reposer et surtout l'assurance de pouvoir jamais la résoudre ! Robert Turcan.
http://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_ ... 0?q=mithra