La Bible a-t-elle vraiment été falsifiée?
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C. LES LIVRES D'ALLAH/DIEU , NON CLASSÉ
2 AVRIL 2019
KARIM AREZKI
L’opinion musulmane commune affirme que la Bible a été falsifiée. Mais quelles preuves en donne-t-elle ? Karim Arezki, connaisseur des théologies musulmane et chrétienne, apporte ici quelques réflexions qui invitent à remettre en perspective cette allégation et à porter un nouveau regard sur la Bible.
« Sanctifiez dans vos cœurs Christ le Seigneur ; soyez toujours prêts à vous défendre contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous : mais (faites-le) avec douceur et crainte. »[1]
C’est par ces mots que l’apôtre Pierre nous invite à être toujours prêts à défendre notre foi. Il nous incite même à la justifier logiquement, à en faire l’apologie. Il est possible qu’en écrivant, il ait eu à l’esprit les chrétiens qu’on traînait devant les tribunaux en raison de leur foi. En tout état de cause, le contexte de ce verset laisse paraître l’hostilité dont les chrétiens étaient l’objet. Tertullien lui-même, auteur de l’Apologétique, défendait la foi chrétienne avec tout l’art d’un bon avocat du 2e siècle.
De toute évidence, la recommandation de Pierre peut s’appliquer à bien d’autres situations que celle de la persécution. Elle implique que les chrétiens répondent calmement aux accusations qui visent leur foi. Dans cet article, j’essaierai donc de répondre à l’accusation selon laquelle la Bible a été falsifiée.
A l’appui de leur thèse, les musulmans avancent deux arguments, le premier linguistique, le second théologique.
L’ACCUSATION MUSULMANE
Le verbe harapha (falsifier, corrompre) est utilisé dans quatre passages du Coran : Q 2.75 ; 4.46 ; 5.13 et 5.44-45.
- 1. Argument linguistique: l’emploi du verbe « harapha »
Q.2 La vache [Al-Baqarah],75: Eh bien, espérez-vous [Musulmans], que des pareils gens (les Juifs)[2] vous partageront la foi ? alors qu’un groupe d’entre eux, après avoir entendu et compris la parole d’Allah, la falsifièrent sciemment.
Dans ce verset, c’est un groupe juif qui est accusé de falsifier la Parole de Dieu. Il s’agit probablement d’une secte, mais aucune précision n’est donnée sur la nature de la falsification (Razi).
Q 4 Les femmes [An-Nisa’],46: Il en est parmi les Juifs qui détournent les mots de leur sens, et disent : « Nous avions entendu, mais nous avons désobéi », « Écoute sans qu’il te soit donné d’entendre », et favorise nous « Râ’inâ », tordant la langue et attaquant la religion. Si au contraire ils disaient : « Nous avons entendu et nous avons obéi », « Ecoute », et « Regarde-nous », ce serait meilleur pour eux, et plus droit. Mais Allah les a maudits à cause de leur mécréance; leur foi est donc bien médiocre.
Dans ce second verset, ce n’est pas le texte de la Torah lui-même qui aurait été falsifié, mais le sens donné aux mots. Certains Juifs (mais pas tous), auraient tordu le sens de certains mots à leur convenance. C’est ce que dénonce ce passage du Coran. Il n’est donc pas question ici de falsification du texte de la Torah à proprement parlé.
Q 5 La table servie [Al-Maidah],13 : Et puis, à cause de leur violation de l’engagement, Nous les avons maudits et endurci leurs cœurs : ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras de découvrir leur trahison, sauf d’un petit nombre d’entre eux. Pardonne-leur donc et oublie [leurs fautes]. Car Allah aime, certes, les bienfaisants.
Dans le troisième passage, l’accusation porte sur le sens de la Torah et non pas sur la Torah elle-même. On accuse des religieux de détourner les paroles de la Torah de leur sens et non pas d’en changer les paroles.
Q 5 La table servie [Al-Maidah],44-45 : 44. Nous avons fait descendre la Torah dans laquelle il y a guide et lumière. C’est sur sa base que les prophètes qui se sont soumis à Allah, ainsi que les rabbins et les docteurs jugent les affaires des Juifs. Car on leur a confié la garde du Livre d’Allah, et ils en sont les témoins. Ne craignez donc pas les gens, mais craignez Moi. Et ne vendez pas Mes enseignements à vil prix. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, les voilà les mécréants.
- 45. Et Nous y avons prescrit pour eux vie pour vie, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Les blessures tombent sous la loi du talion. Après, quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes.
Ce dernier texte vise des personnes qui ne jugent pas selon les principes donnés dans la Torah. Ce passage reproche à certains religieux de faire une lecture tordue de la Torah dans leur propre intérêt. Là encore, il n’est pas question de falsification du texte de la Torah.
En résumé, parmi les quatre occurrences coraniques du verbe « harapha » (falsifier, corrompre), un seul passage (Q 2.75) accuse un groupe juif de falsifier le texte de la Torah, mais sans préciser où. Les trois autres évoquent des détournements de sens plutôt qu’une falsification du texte lui-même. Les passages utilisant le verbe harapha (falsifier, corrompre) ne remettent donc pas en cause la fiabilité du texte biblique.
- 2. Argument théologique : la Bible annonce la venue de Muhammad
Le deuxième argument avancé dans le débat sur la falsification de la Bible est théologique. D’après ses promoteurs, l’Ancien et le Nouveau Testament annonçaient la venue de Muhammad. Malheureusement, Juifs et chrétiens auraient expurgé de leurs Ecrits tous les versets prophétisant son avènement.
Deux passages dans Coran soutiennent que la Torah et l’Évangile ont prédit la venue de Muhammad:
Q 61 (As-Saff [Le rang]), 6 : Et quand Jésus fils de Marie dit : « Ô Enfants d’Israël, je suis vraiment le Messager d’Allah [envoyé] à vous, confirmateur de ce qui, dans la Torah, est antérieur à moi, et annonciateur d’un Messager à venir après moi, dont le nom sera « Ahmad ». Puis quand celui-ci vint à eux avec des preuves évidentes, ils dirent : « C’est là une magie manifeste ».
Q 7(Al-Araf), 157 : Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent écrit (mentionné) chez eux dans la Torah et l’Évangile. Il leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises, et leur ôte le fardeau et les jougs qui étaient sur eux. Ceux qui croiront en lui, le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui ; ceux-là seront les gagnants.
Ces deux textes coraniques annoncent clairement que l’Ancien et le Nouveau Testaments prédisent la venue « d’un messager qui viendra après Jésus dont le nom sera Ahmad » (Q 61.6) ou encore « le prophète illettré » (Q 7.157). Mais lorsqu’on examine l’Ancien et le Nouveau Testament, on a bien du mal à trouver ces prédictions.
Les musulmans considèrent néanmoins qu’Esaïe 42.1-9 et Jean 14-16 – avant que Juifs et chrétiens ne les falsifient – annonçaient la venue de Muhammad.
2.1 Esaïe 42.1, le premier texte « falsifié »
Esaïe 42.1 : Voici mon serviteur, que je soutiendrai, Mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui; Il annoncera la justice aux nations. (Isa 42:1 LSG)
WTT Isaiah 42:1 הֵ֤ן עַבְדִּי֙ אֶתְמָךְ־בּ֔וֹ בְּחִירִ֖י רָצְתָ֣ה נַפְשִׁ֑י נָתַ֤תִּי רוּחִי֙ עָלָ֔יו מִשְׁפָּ֖ט לַגּוֹיִ֥ם יוֹצִֽיא׃
Dans ce passage, il est question du « Serviteur du Seigneur ». Pour les musulmans, ce « Serviteur du Seigneur » n’est autre que Muhammad, prophète de l’islam. Mais est-ce aussi clair que cela ?
Qui est le « Serviteur du Seigneur » dans les chapitres 41-57 d’Ésaïe?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord noter que ces chapitres forment un ensemble littéraire contenant quatre chants consacrés au « Serviteur du Seigneur » (Esaïe 42.1-9 ; 49.1-13 ; 50.4-11 et 52.13-53.12). Il faut ensuite remarquer que le contexte littéraire de notre passage ne permet pas de séparer le premier des trois autres chants qui, tous, traitent du « Serviteur du Seigneur ». Or, ces trois autres chants sont impossibles à appliquer à Muhammad, en particulier le dernier (Es 52.13-53.12). Ce texte annonce en effet que le « Serviteur du Seigneur » accomplira une œuvre expiatrice pour le salut de « beaucoup » (Es 53.11).
Qui est le « Serviteur du Seigneur » dans le Nouveau Testament ?
Esaïe 42.1, que les musulmans considèrent comme prédisant la venue de Muhammad, est cité à deux reprises dans le Nouveau Testament, mais à propos de Jésus.
Dans le Nouveau Testament, les quatre chants du « Serviteur du Seigneur » sont tous appliqués à Jésus. Les auteurs du Nouveau Testament le considèrent en effet comme celui qui est venu accomplir le plan de Dieu pour le salut de quiconque croit.
Si l’on passe ces chants en revue, on constate que le premier est appliqué à Jésus lors de son baptême (Matthieu 3.17 ; Marc 1.11 ; Luc 3.22) et de sa transfiguration (Matthieu 17.5 ; Luc 9.35).
Dans le deuxième chant, le Serviteur est appelé Israël. Au chapitre 5, Ésaïe parle du peuple d’Israël comme d’une vigne qui ne produit pas de bons fruits. Jésus reprend cette image de la vigne pour indiquer qu’il est la vraie vigne : « C’est moi qui suis la vraie vigne, et c’est mon Père qui est le vigneron. » (Jean 15.1 NBS).
Le troisième chant présente le Serviteur comme ayant reçu la langue d’un disciple (Ésaïe 50.4), c’est-à-dire comme quelqu’un capable de répéter fidèlement la parole reçue de Dieu. À plusieurs reprises et de plusieurs manières, Jésus dit clairement que sa langue dit fidèlement la Parole de Dieu. Par exemple : « Je parle selon ce que le Père m’a enseigné » ou encore « Je vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. » (Jean 8.28,40 ; cf. Jn 5.19).
Le quatrième chant est cité à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament qui le considère comme accompli en la personne de Jésus-Christ. Par exemple, Ésaïe dit que le Serviteur allait prendre nos maladies (Ésaïe 53.4). Matthieu voit l’accomplissement de cette parole dans les guérisons miraculeuses qu’opère Jésus (Matthieu 8.17). Dans le livre des Actes, Philippe, un disciple de Jésus, explique à l’eunuque éthiopien que le quatrième chant du Serviteur d’Ésaïe est accompli en la personne de Jésus-Christ (Actes 8.32-35).
Les références à ce quatrième chant du Serviteur par les auteurs du Nouveau Testament sont bien trop nombreuses pour les citer toutes. En voici quelques-unes : Luc 22.37 ; Jean 12.38 ; Romains 10.16 ; 15.21 ; 1 Pierre 2.22,24.
Ici, on retiendra donc que les auteurs du Nouveau Testament appliquent les quatre chants du « Serviteur du Seigneur » d’Ésaïe à Jésus-Christ, celui qui est venu les accomplir totalement et définitivement.
Les Juifs n’adhèrent pas à la lecture que font les auteurs du Nouveau Testament des chants du Serviteur d’Ésaïe. Cela est compréhensible puisqu’ils ne reconnaissent pas cette partie de la Bible comme écrit inspiré de Dieu. Par contre, les musulmans croient que l’Évangile (al-Kitab) vient de Dieu. De ce fait, ils ne peuvent que tenir compte de la lecture que fait le Nouveau Testament des textes de l’Ancien Testament.
L’examen d’Esaïe 42.1 dans son contexte immédiat et global montre bien que la prédiction dont il est question ici ne concerne pas la venue de Muhammad, mais bien celle de Jésus. C’est ainsi que l’ont compris les auteurs du Nouveau Testament dont les Écrits sont considérés « Parole de Dieu » faisant partie d’al-Kîtab (le Livre) (Q 19.30).
https://iqri.org/la-bible-a-t-elle-vrai ... falsifiee/