L’exil des Juifs à Babylone
Marie-Eve Barbeau (Histoire et civilisation)
Depuis l’invasion des Assyriens de leur territoire au VIIIe siècle av J.-C., les peuples situés sur la côte méditerranéenne sont exposés à l’impérialisme violent des grandes cités mésopotamiennes qui recherchent le bois et les terres fertiles du pays, ainsi qu’un accès rapide vers l’Égypte et l’Asie mineure. Cent vingt-cinq ans après la chute du royaume d’Israël, causée par le roi assyrien Sargon II, Jérusalem tombe sous l’emprise chaldéenne de Nabuchodonosor II, qui procède en 587 av. J.-C. à l’incendie du Temple de Salomon ainsi qu’à la déportation de milliers d’Hébreux. Événement majeur dans la consolidation du peuple juif, l’Exil en Babylonie de la majorité de sa population laissera à sa descendance un héritage littéraire et religieux très abondant.
La Palestine aux prises avec l’impérialisme mésopotamien
Les Chaldéens, s’alliant aux Mèdes, mettent fin à l’empire assyrien en 612 av. J.-C. avec la prise de Ninive. Se terrant exactement dans l’axe du couloir syro-palestinien, le royaume de Juda n’a d’autre choix que celui de subir les affrontements entre Babylone et les pays craintifs de sa nouvelle puissance, comme l’Égypte. Ainsi soumis aux guerres perpétuelles que se lancent les puissances extérieures, il s’affaiblit constamment. De plus, le royaume est instable de l’intérieur; l’incohérence sociale et religieuse entre les Cananéens et les Hébreux vivant sur le même territoire ne permet plus à Jérusalem de conserver son indépendance politique face aux envahisseurs.
De 605 à 604 av. J.-C., les Babyloniens remportent plusieurs batailles sur leurs opposants et enlèvent la Palestine aux mains des Égyptiens pour se l’attribuer comme territoire payant le tribut. Yehoyaquîm, roi de Juda, dont le nom égyptien porte le souvenir de leur occupation, respecte les décrets? de Nabuchodonosor pendant trois ans au terme de quoi, profitant d’une défaite babylonienne, il instigue son peuple à la révolte. Comme il meurt avant sa réalisation, c’est son jeune fils qui la concrétise en 597 av. J.-C., avant d'être supplanté finalement par les armées affiliées au roi babylonien. En guise de représailles, le Temple est pillé de ses trésors et l’élite juive, forte de 10 000 individus, est exilée à Babylone.
Sédécias, oncle du dernier roi judéen, est alors installé sur le trône où, pendant 10 ans, il demeurera fidèle à l’empire. Toutefois, se croyant appuyé de l’armée égyptienne, il provoque une deuxième révolte nationale, pourtant déconseillée par les prophètes de l’époque et plus particulièrement par Jérémie. Ses alliés étant rapidement vaincus, Jérusalem se retrouve assiégée par les hommes de Nabuchodonosor. Tandis que la famine commence à se manifester à l’intérieur des fortifications, une brèche qui s’est formée permet aux ennemis de prendre la ville et de brûler le Temple ainsi que le palais royal. En 587 av. J.-C., de nouvelles déportations complètent un total de 20 000 Hébreux expatriés, provenant maintenant de la classe supérieure et de la classe moyenne (nobles, marchands, artisans, ouvriers spécialisés, etc.). Sur la terre de Canaan n’habiteront plus désormais que des paysans dénudés de toute protection ou de tout système politique indépendant. C’est la chute de Jérusalem et la fin de la royauté.
L’unification du peuple hébreu
Néanmoins, étant réunis dans les mêmes villes et les mêmes quartiers de l’Empire néo-babylonien, les Juifs exilés se voient envahis par un sentiment national plus intense qu’il ne l’avait jamais été sur leur terre d’origine. La famille royale, de même que les grands prêtres et les prophètes acquièrent une renommée immortelle au sein des communautés, étant les symboles vivants d’une nation en voie d’extinction. Installée dans une Babylone florissante, la population juive tente de rebâtir sa vie sur des bases solides. Confrontés depuis longtemps à divers peuples étrangers, comme les Phéniciens, les Cananéens ou les Philistins, tant au plan social que religieux, les Hébreux ne se laisseront pas acculturer par l’influence chaldéenne. Leur séjour en Babylonie contribuera au contraire à l’essor d’une riche tradition littéraire et religieuse, unique et originale.
Dans ces conditions favorables, les prêtres, déchargés de l’administration du Temple, se concentrent sur la réécriture de l’histoire et des lois du peuple, insistant davantage sur les rites religieux. En effet, sans économie ni politique nationales, la seule instance efficace pour unir le peuple juif demeure la religion. C’est durant leur exil à Babylone que deviendront sacrés la pratique de la circoncision (coutume sociale profane largement répandue dans les pays près de la côte, mais inconnue des Mésopotamiens) et le respect d’une journée de repos par semaine (le Sabbat). Même si l’influence mésopotamienne est notoire dans ces pratiques religieuses (le Sabbat est en partie issu des jours dangereux de la culture babylonienne, et certains textes bibliques et législatifs s’inspirent, jusqu’à un certain point, de la littérature suméro-akkadienne), ces rites et pratiques acquerront une immense importance, car elles seront la seule façon pour les exilés de se démarquer de leur société d’accueil et de conserver vivant le souvenir de leurs origines.
C’est quand même l’espoir d’un retour à la Terre Promise, une idée ravivée par les discours des prophètes, qui maintiendra les exilés dans l’unité. Leur réaction face à l’envahisseur est différente des conceptions normales de l’asservissement. En effet, depuis l’époque royale de David et de Salomon, la tradition monothéiste s’est considérablement affaiblie et le respect de l’alliance entre Dieu et son peuple a été souvent trahi par l’adoration des dieux cananéens. Voilà pourquoi, proclament les prophètes, les malheurs qui tombent sur le peuple juif doivent être considérés comme des punitions justifiées. En ce sens, Nabuchodonosor devient un instrument de Dieu pour châtier les impies et ces derniers ne doivent pas se révolter contre son pouvoir divin, comme le conseillait plus tôt le prophète Jérémie.
En plaçant sa communauté au centre de ce plan divin, la nation juive devient transcendante : elle prend conscience d’elle-même et n’en devient que plus forte. D’autres prophètes auront de l’influence auprès de la communauté exilée et participeront à l’élaboration d’une vision précise sur la nature de la nation et sur sa place dans le monde nouveau. Ainsi, Ézéchiel, figure rassembleuse qui nous vient inévitablement à l’esprit lorsqu’on parle de la période de l’Exil, insiste sur l’idée d’une libération nouvelle ; son message n’est qu’espoir.
L’Exil se termine officiellement en 538 av. J.-C. par le triomphe des Perses sur l’empire babylonien en décadence. La venue de Cyrus sur le trône consolidera le peuple juif et lui permettra une nouvelle existence. Vingt-cinq siècles plus tard, cette existence est toujours d’actualité, la descendance juive se battant plus que jamais pour son indépendance. La représentation d’elle-même dans un concept divin universel créé lors de l’Exil est sans doute à la base d’une forte appartenance et d’une conservation réussie des traditions. Se pourrait-il alors que cette conscience de former le peuple élu, lumière des nations, ait été le principal facteur de la longévité du peuple juif tout au long de l’histoire de l’humanité ?
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BIBLIOGRAPHIE
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Le Passé composé
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