Bonjour Leviathan,
Leviathan a écrit :
Connaissant quelque peu les mythologies antiques, je n'y vois pas ou l'on peut placer ce meurtre collectif fondateur, si vous pouviez m'éclairer à ce sujet ?
Volontiers, même si je ne suis pas spécialiste non plus.
Le plus frappant c'est la coutume du
pharmakos pratiquée dans toutes les cités grecques dans la Huate-Antiquité, et encore très couramment dans la Basse-Antiquité n'en déplaise aux hellénistes qui voient dans les Grecs les modèles les plus aboutis de "civilisation". Pharmakos qui a donné son nom à la pharmacie et qui signifie remède, dans une de ses définitions (il y en a d'autres, comme souvent pour ces mots chargés de sens sacré). La coutume consistait à ce que la foule d'une cité lapide à mort collectivement un rebus de la ville: souvent un vieillard, un métèque, un boîteux, quelqu'un qui par certains aspects "monstrueux" était à la fois dans et hors du groupe. Pourquoi faire cela? pour soigner sa haine, pour se défouler, pour expurger le mal contre un bouc-émissaire. Tout le monde se sentait alors bien mieux et la paix sociale était fortifiée.
On en voit d'autres traces dans les tragédies grecques, notamment Oedipe-Roi, mais bien d'autres. Des tragédies qui reprennent cette image du héros à la fois exclu, excommunié, haï et salvateur car justement divinisé et pratiquant la violence qui ramène l'ordre. Dans les plus grandes tragédies grecques ont voit très bien cette ambiguïté, on sent le tragédien proche de révéler le sens cachée des mythes mais finalement tout "rentre dans l'ordre" et les Dieux restent en place, le mythe n'est pas révélé.
Enfin on trouve d'autres traces de ces sacrifices fondateurs des mythes grecs dans la façon dont sont décrits les dieux eux-mêmes: l'Olympe est une véritable cour des miracles, avec des borgnes, des boîteux, des colériques, des jaloux, des très laids, des très beaux. Bref tous les dieux sont ambigûs, comme déformés, exagérés et à la fois repoussoirs et pôles d'attraction. Exactement comme un bouc-émissaire victime d'un meurtre collectif peut l'être. Je pense que derrière chaque dieu grec se cache au départ, très longtemps avant, le meurtre réel et collectif d'un humain qui présentait des particularités par rapport à sa tribu et dont la mise à mort a apporté une certaine paix sociale. Ce meurtre s'est transformé en mythe et le bouc-émissaire, dont les traits étaient grossis progressivement, est peu à peu devenu un dieu. En gros: je pense que les dieux grecs sont parfaitement réels, ils ont existé.
Leviathan a écrit :
Ce que vous décrivez peut parfaitement s'appliquer aux lois humaines : l'on peut y obéir parce qu'on craint le chatiment, mais l'on peut aussi y obéir parce que l'on trouve cela juste, que l'on a confiance dans ses règles, parce que l'on a un sens civique. En soi les lois humaines ou "divines" restent des lois. Certaines sont plus à jour que d'autres cependant.
Non il existe une différence fondamentale: les lois humaines changent et pire dans le modernisme, elles sont relatives à l'opinion démocratique, et maintenant à l'opinion médiatique. Il devient à peu près impossible à quiconque en a conscience de les respecter comme "absolues"; on ne les respecte plus que parce qu'elles sont répressives. La caractéristique de Dieu c'est d'être Eternel, Infaillible et Juste.
Leviathan a écrit :
Prenons un autre exemple, la liberté d'expression. A part quelques fondamentalistes, qui aurait envie de revenir dessus ? C'est une valeur morale partagée par tous du fait de notre éducation.
Certainement pas. La censure est absolument partout dans notre société, l'Etat se propose de plus en plus de museler l'Histoire, la critique, les débats. De nouveaux tabous sont en train d'émerger, remplaçant lentement les anciens. La liberté d'expression est un mythe, un de plus. Ca n'existe pas, puisque le langage lui-même a une origine sacrée; on ne peut pas le relativiser comme certains le prétendre. Une liberté d'expression totale reviendrait à vider de sens complètement le langage.
Leviathan a écrit :
Pour qu'une société tourne bien il faut en effet un ciment à cette société, mais ce n'est pas nécessairement une religion : l'amour de la patire, la défense d'idéaux communs ( liberté d'expression, liberté de culte, ... ), un héritage culturel commun, etc... , voici bien d'autres choses qui peuvent cimenter une nation.
En un sens oui, mais ce sont d'autres formes de religion et de rituels. Il ne vous aura pas échappé que le nationalisme français a tenté d'instaurer son symbolisme, ses rites, son clergé, ses cérémonies. Quelques carnages à grande échelle plus tard, on en revient. Aujourd'hui cette "religion nationaliste" est en lambeaux elle-aussi, elle ne donne plus communion - même si subsistent des restes assez puissants, notamment inconscients et encore pour un moment. Quelques symboles aussi.
Leviathan a écrit :
Ceux que la société se choisira. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont à la base de notre éducation citoyenne ( cf : les cours d'éducation civique ). Les valeurs qu'elle défend sont partagés par la majorité de nos concitoyens il me semble.
C'est en partie vrai, c'est un peu le nouveau texte sacré. Cependant les tentatives pour en tirer des rites, des coutumes, ont toutes échoué. En outre le multi-culturalisme a rapidement fait exploser ces droits, qui ne se sont pas avérés assez solides pour justifier l'emploi collectif de la répression violente lorsqu'ils étaient bafoués. Enfin - ça dépend à quel texte vous vous référez - ils portent en eux des contradictions insurmontables qui font qu'ils sont impossible à sacraliser; en outre leur origine humaine, perfectible, modifiable et pourtant d'inspiration chrétienne les rendent suspects auprès de la majorité des humains.
Leviathan a écrit :
Je pense plutôt que la société actuelle change, évolue, de manière assez rapide quelques fois, mais je ne pense pas que ce changement nous conduira au désastre.
Il nous amène à la fois vers le délitement social toujours plus poussé, notamment de façon impressionante en ce qui concerne la famille; et comme les élites au pouvoir sont de plus en plus coupées du peuple, en parallèle de ce délitement montera une colère en réaction qui a toutes les chances d'être à un moment donné très violente. Impossible de dire quel(s) visage(s) elle prendra cependant.
Leviathan a écrit :
Il nous aménera vers une nouvelle forme de société, avec ses forces et ses faiblesses, qui fera son temps et sera remplacée à son tour.
Certes, mais si l'on sait tout cela à l'avance alors plus rien n'a de sens, l'Histoire n'existe plus et plus rien ne vaut d'autre que la survie. C'est pour cela que tout s'effondre. Il y aura reconstruction et un après, sur des bases nouvelles probablement mâtinées d'ancien; mais on n'échappera à la crise terrible, et ceux qui vivront après la crise ne seront plus relativistes mai auront la foi, d'une façon ou d'une autre et diront: "plus jamais ça, plus jamais cette molesse, cette décadence, ce laxisme, cette liberté nihiliste". Je le sens puissamment tout ceci.
Leviathan a écrit :Et je pense également que l'Eglise catholique est frileuse vis à vis de cette évolution, aurait-elle peur d'être dépassée par le changement ?
L'Eglise en a vu des vertes et des pas mûres, elle est universelle et considère déjà que la France est irattrapable en l'état. Au mieux elle sera une minorité fondatrice d'un renouveau quelque part en France, au pire elle subira une répression féroce comme elle en a souvent subi. Sa position en tous cas est d'un côté celle du repli douloureux avec notamment l'épineuse question du que faire de nos lieux consacrés (églises) qui sont déjà pour beaucoup inutiles, de l'autre côté du réveil identitaire puissant d'une minorité jeune et motivée qui a enfin compris la nasse dans laquelle nous étions pris. Impossible là aussi de prédire ce qui adviendra, mais les deux tendances sont là.
En Dieu
Saturnin