Comment les églises se sont-elles vidées?
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OPINION. Les églises se sont vidées à partir des années 1970. La raison principale tient aux réformes de Vatican II, explique notre chroniqueur Pierre-Marcel Favre
Eglise dans le canton de Berne, à Horrenbach-Buchen. — © Keystone
Auteur externe
Pierre-Marcel Favre, éditeur
La place Saint-Pierre fait toujours recette. Elle peut accueillir 300 000 fidèles! La basilique du même nom réunit jusqu’à 30 000 visiteurs. Et tous les déplacements du pape, qui sera en Suisse le 21 juin, sont un véritable succès populaire.
Les évangélistes, festifs, drainent les foules, même en Amérique du Sud par exemple, dans des baraquements précaires, à côté de belles églises. Les mosquées sont bondées, au point que les musulmans font leurs dévotions jusque dans les rues.
Pendant ce temps, les églises traditionnelles, en particulier catholiques, n’attirent plus guère, depuis belle lurette. Les lieux de culte sont même souvent en ruine ou tout simplement désaffectés, faute de fréquentation. Ils peuvent devenir des logements, des hôtels, s’ils ne sont pas carrément détruits. Alors que dans les années 1960, on construisait de nouvelles églises à tout va!
Le fameux concile de Vatican II
Les Européens, les Français en particulier, ne croient-ils plus? Même pas. Mais: en 1969, 94% des jeunes Français étaient baptisés et 25% allaient à la messe tous les dimanches. De nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2% et les baptisés avant l’âge de 7 ans ne sont plus que 30%. Certes, les églises servent encore aux mariages et aux enterrements. Mais les gens se marient un peu moins et meurent bien tardivement! Que s’est-il passé, Seigneur?
Comme de bien entendu, il n’y a pas une seule cause à cette désaffection durable. Le sacro-saint week-end porte une lourde responsabilité. Les écoles fermées le samedi ont contribué à disperser le peuple jusqu’au dimanche soir, à la montagne, à la campagne, au bord de la mer, ou un peu partout. Les ruptures des liens communautaires n’aident pas. La voiture pour tous incite aux déplacements. Et ici, EasyJet est un grand coupable. Certains ajoutent, plus tard, un peu de Mai 68 a amplifié le problème.
On amène dans les églises plus de sono, des lumières fortes, même la guitare électrique. Pour tout ça, pas besoin de chapelle ou de cathédrale
Mais comment cela a-t-il vraiment commencé? Vous serez étonnés: n’évoquons pas la déchristianisation générale, mais seulement les catholiques chez qui la décomposition a été extrêmement forte. On a observé très clairement que les églises se sont vidées avec la mise en route par Jean XXIII du fameux concile de Vatican II, en 1962 (pour se terminer avec Paul VI en 1965). La très noble intention du pape, encore plus de la curie, était de changer le visage du catholicisme, en le modernisant, en modifiant la liturgie, en mettant en place une sorte de réforme douce et tardive. Principalement, en rendant la messe accessible à tous, dans sa langue, en faisant disparaître le latin. En marginalisant totalement la confession (aussitôt récupérée par les psychanalystes), en la réservant à quelques dévots, en acceptant la disparition du maigre du vendredi (qui a fait chuter les ventes des poissonniers), du jeûne avant la communion, on enlève les soutanes, et on passe au tutoiement de Dieu!
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Ces changements majeurs donnent l’impression à certains fidèles d’avoir été trompés. Ce qu’ils avaient pratiqué depuis toujours était donc faux! L’idée était de se rapprocher du peuple, des petites gens. De les amener à participer au progressisme ambiant. La réalité fut tout autre: une application élitiste qui s’éloigne d’une pratique devenue, au fil du temps, culturelle. A la place, une tentative d’engagement dans la vie sociale, certes très noble, mais éloignée de la piété pure. Plus d’obligation, de l’engagement! Quel en a été le résultat: un décrochage, suivi d’un détachement.
Les anges sont retombés sur terre
Moins de spirituel, moins de mysticité, moins de magie, moins de hiérarchie. Somme toute un ciel plus abordable? Le latin offrait une certaine universalité, même incompréhensible par le commun. Les anges sont retombés sur terre. Vous enlevez une part du rituel, vous cassez l’ambiance. Les messes deviennent télévisuelles. Pour éviter de se déplacer, on peut vaquer à domicile, prendre l’apéritif et écouter ou jeter un œil sur le culte… Imaginez la franc-maçonnerie sans rites. Impensable. On amène dans les églises plus de sono, des lumières fortes, même la guitare électrique. Pour tout ça, pas besoin de chapelle ou de cathédrale.
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Les astrophysiciens, ces impies, ont contribué au scepticisme général. Comment croire au paradis, à l’enfer, voire au purgatoire, puisqu’ils nous ont démontré l’absence d’un Dieu de proximité, les milliards d’étoiles des galaxies ne pouvant guère l’abriter. De son côté, Guillaume Cuchet va encore plus loin dans un livre qui vient de paraître: Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Il parle tout simplement d’un effondrement, après cette rupture de barrage que fut Vatican II.
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