Le Purgatoire est-il né au 12e siècle ?
Michel Poirier
Une lecture de Naissance du Purgatoire, de Jacques Le Goff
En 1981 l’historien médiéviste de grand renom et de grande compétence Jacques Le Goff (1924-2014) a publié un livre important,Naissance du Purgatoire. Comme la croyance au Purgatoire a joué un rôle essentiel dans l’extension aux âmes des défunts du bénéfice des indulgences, indulgences qui constituent aujourd’hui encore un sujet de débat (voir sur ce siteindulgenceplénière.html ), Nicodème a demandé à Michel Poirier de lire ce livre et d’en rendre compte pour notre communauté.
1. La naissance du Purgatoire, lieu de séjour pour un temps des âmes des défunts
Jacques Le Goff établit de manière convaincante (p. 957 et suivantes -1-) que c’est dans la décennie 1170-1180 qu’on voit éclore distinctement la croyance en un Purgatoire faisant nombre avec le Ciel et avec l’Enfer, en tant que l’un des trois lieux où peuvent se retrouver les âmes après la mort. Jusque-là le latin médiéval, langue dans laquelle tous les théologiens échangeaient, connaissait certes l’adjectif purgatorius, pouvant qualifier un feu (ignis) ou des lieux (loci), mais dans cette décennie apparaît dans les textes, pour la première fois, le substantif neutre singulier Purgatorium.
purgatoire - Jésus et les apôtres ont-ils enseigné l'existence d'un purgatoire? David0001Cette émergence d’un troisième lieu avait été favorisée par l’évolution qu’avait connue dans les siècles précédents la pénitence. Dans l’antiquité tardive, si les péchés graves commis publiquement entraînaient l’exclusion du fautif de l’assemblée chrétienne, et s’il n’était réintroduit qu’après une longue pénitence publique (des années plutôt que des mois) couronnée par un aveu solennel(l’exomologèsis) suivi par une imposition des mains de l’évêque lui redonnant ses droits de chrétien, pour les péchés moins graves ou inconnus on s’en remettait à la miséricorde du Seigneur, en insistant pour que les fidèles (nous sommes tous pécheurs !) pratiquent assidument la prière, l’aumône et le jeûne, qui plaisent à Dieu, apaisent ses courroux, attirent son indulgence et sa pitié.
Une fois que se fut répandu pour ces derniers cas, autour du 8ème siècle, l’usage de la confession privée à l’oreille d’un prêtre, il se trouvait que la réconciliation prononcée par ce prêtre suivait immédiatement l’aveu sans qu’il y ait eu la moindre pénitence préalable où puisse s’incarner leur repentir. On prit donc l’habitude d’imposer aux réconciliés d’effectuer ensuite cette pénitence (par exemple un long et difficile pèlerinage pour un acte très grave, quelques prières pour les broutilles) à titre de satisfaction offerte à Dieu.
Où iraient, au sortir de la mort, les âmes de ceux qui n’avaient pas eu le temps d’effectuer toute la pénitence due pour un péché grave ? Ce péché grave ne pouvait plus les faire tomber en Enfer, il leur avait été pardonné. Mais le Ciel ne pouvait accueillir aussitôt des pécheurs encore en dette. D’où l’idée du passage par un « feu purgatoire » (ignis purgatorius) ou par des « lieux purgatoires » (loci purgatorii, chez saint Bernard par exemple), qui leur permettrait de finir de payer leur dette, de « purger » (2) leur peine. Même chose pour les péchés trop peu graves pour valoir l’Enfer, mais qu’on n’avait pas confessés et dont on restait redevable. Mais le pluriel un peu mystérieux des loci purgatorii dont il est question chez Bernard montre que les idées ne sont pas encore tout à fait précises. Avec le Purgatorium, tout devient net et clair, et trois décennies plus tard Dante pourra entreprendre dans son poème un voyage en trois étapes égales à travers l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis.
On est ainsi entré dans un système sans surprise. Un petit nombre de saints, dont la vie chrétienne a été héroïque, va directement au Ciel, au Paradis, pour y jouir du suprême bonheur dans la vision de Dieu. Un (petit ?) nombre de criminels ou hérétiques endurcis souffrira éternellement en Enfer d’être privé de cette vison et de ce bonheur. Et l’on peut penser que la majorité du peuple chrétien sera orientée vers le Purgatoire, où chacun subira pendant un temps plus ou moins long les peines dont il était encore redevable et que les souffrances de cette terre n’avaient pas suffi à acquitter – avant de rejoindre, définitivement purifié, le Ciel(3). Prier pour ses défunts, c’est demander à Dieu d’abréger pour eux ce séjour douloureux, d’autant plus douloureux que certains prédicateurs se mettent alors à décrire pour le Purgatoire des supplices qui ne cèdent en rien à ceux qu’on avait coutume d’imaginer pour l’Enfer.
purgatoire - Jésus et les apôtres ont-ils enseigné l'existence d'un purgatoire?
https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105 ... _36_2_1912