medico a écrit : ↑14 oct.21, 23:00
Influencé par la superstition juive concernant l'ineffabilité de Dieu, les Pères vont lui adjoindre des concepts philosophiques tels que la transcendance ou l'apophase. Le Dieu prêché par Jésus, YHWH, trop présent parmi les réalités terrestres, et trop anthropomorphe, est remplacé par un Dieu sans nom, et qui ne peut être nommé, car, pensent-ils, quiconque nomme un individu a un pouvoir sur la personne nommée ; de plus, le Dieu suprême ne saurait avoir de nom puisqu'il est de toute éternité, et que personne n'a pu lui donner de nom... Ce type de considérations, présentes chez Platon.
Philon, un Juif d’Alexandrie, au début du 1er siècle (avant la rédaction du NT, donc), bien avant les Pères de l'Eglise pensaient que Dieu ne pouvait pas avoir un nom :
« Il était, dès lors, entièrement conforme à la raison
qu’aucun nom propre ne pût être convenablement attribué à celui qui est en vérité le Dieu vivant. Ne vois-tu pas qu’au prophète désirant sincèrement s’enquérir de la vérité, et qui demande ce qu’il doit répondre à ceux qui l’interrogeront quant au nom de celui qui l’a envoyé, il dit : « Je suis que je suis », ce qui revient à dire : «
Il est de ma nature d’être, non pas d’être décrit par un nom » ? Mais pour que la race humaine ne soit pas tout à fait privée de toute appellation à donner au plus excellent des êtres, je t’autorise à utiliser le mot Seigneur comme un nom ; le Seigneur Dieu en trois natures — instruction, sainteté, et pratique de la vertu dont Abraham, Isaac et Jacob sont consignés comme symboles. Car cela, dit-il, est le nom éternel, pour autant qu’on s’en enquiert et qu’on le discerne dans le temps, tel qu’il existe en rapport avec nous, et non dans ce-temps-là qui était avant tout temps ; et c’est aussi un souvenir qui n’est pas placé au-delà de la mémoire ni de l’intelligence, et une fois encore il s’adresse à ceux qui sont nés, non pas aux natures incréées. Car ce sont des hommes qui viennent en une génération créée et mortelle qui ont l’usage nécessaire du nom divin, de sorte que, s’ils ne peuvent parvenir au meilleur, ils parviennent au moins au meilleur nom possible, et qu’ils s’accordent avec lui. Mais l’oracle sacré proféré comme de la bouche du Souverain de l’univers dit que
le nom propre de Dieu n’a jamais été révélé à quiconque, lorsque Dieu apparaît disant : « Je ne leur ai pas montré mon nom. » En effet, par un subtil changement dans la figure de langage qui apparaît ici, le sens de la parole est en quelque sorte : « Mon nom propre je ne le leur ai pas révélé », mais seulement celui qu’on emploie d’ordinaire, quoique non sans méprise, pour les raisons évoquées ci-dessus. Et, de fait, le Dieu vivant est si indescriptible que même les puissances qui le servent ne nous annoncent pas son nom propre. Du reste, après que le pratiquant de la vertu eut lutté pour obtenir celle-ci, il demanda au Maître invisible : « Dis-moi ton Nom », mais celui-ci répondit : « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » Et il ne lui dit aucun nom particulier et propre, car, dit-il, il te suffit d’apprendre mon exposition ordinaire. Mais quant aux noms qui représentent
les choses créées, ne cherche pas à les trouver chez les natures immortelles. »
Source : De mutatione nominum (Du changement des noms), § 11ss