Ce topic est un peu vieux, et n'a pas abouti vraiment quelque part...
Mais j'ai en ma possession de nouvelles idées. Je suis en train de lire "L'homme-Dieu" de Luc Ferry.
J'ai un peu du mal à décoder sa position, il semble vouloir garder un flou constant sur la question. Globalement, je ne suis pas souvent d'accord avec ses vues. Mais il a le mérite d'avoir un cerveau en bon état de marche, et certains de ses produits ne manquent pas de pertinence.
À propos du sens de la vie, qu'il traite durant toute son introduction, je trouve quelques passages intéressants. Je vous les livre ici:
Luc Ferry a écrit :Que signifie, en effet, le mot sens? Partons d'une expérience que nous partageons tous: celle qui consiste, justement, à chercher la signification d'un mot que l'on ignore, d'un mot, par exemple, appartenant à une langue étrangère. Curieusement, la formule qui vient à l'esprit est la suivante: "Qu'est-ce que cela veut dire?" Formule étrange, s'il en est, tant on voit mal a priori ce que vient faire ici la volonté. Pourquoi, après tout, ne pas se contenter de demander: "Que dit ce mot?" La question ne suffirait-elle pas à obtenir le renseignement souhaité? Pourquoi le vouloir, c'est-à-dire en l'occurrence, l'intention d'un sujet, donc la présence sous-jacente d'une personne, d'un Moi sont-ils si essentiellement liés à l'idée même d'un sens que nous ne puissions en faire l'économie dans une question pourtant aussi banale?
Fortement discutable. Il semble qu'il veuille faire d'une tournure de phrase effectivement banale un révélateur pertinente d'une certaine conception du sens. L'idée est un peu faible, il existe non seulement d'autres tournures de phrase ("Qu'est-ce que cela signifie?"), mais il existe surtout d'autres langues qui n'ont pas la même tournure littérale que la nôtre en français. Il semblerait pourtant que la question du sens dépasse un peu le langage... ou non?
Soit, je pense surtout qu'il fait un peu de rhétorique comme prétexte à la proposition qu'il fera par la suite. Poursuivons.
Luc Ferry a écrit :La réponse s'impose d'elle-même. Pour qu'un mot, en effet, possède un sens, il faut qu'il fasse signe vers une double extériorité, ou, si l'on veut, une double transcendance(1): d'une part la transcendance d'un signifié (ou d'un référent, peu importe ici); d'autre part celle de l'intention d'un sujet, nécessairement supposé en arrière-fond.
Prenons un exemple: si le panneau indicateur a un "sens", ce n'est pas seulement parce qu'il indique une direction (ce que font aussi, par exemple, les étoiles, sans doute plus belles et pourtant dénuées de sens), mais parce qu'il a été intentionnellement créé par quelqu'un (fût-ce un "quelqu'un" anonyme, tel qu'une administration) qui veut communiquer avec nous et nous transmettre certaines informations
Ce qui le mène donc à cette proposition:
Luc Ferry a écrit :On peut poser l'axiome suivant: n'a pas ou ne fait pas sens tout ce qui n'est pas l'effet d'une volonté, fût-elle inconsciente comme dans un lapsus, tout ce qui n'est pas en quelque façon manifestation d'une subjectivité: ainsi, par exemple, nul ne demandera quel est le "sens" d'un arbre, d'une table ou d'un chien. Mais en revanche, on peut demander quel est le sens ( ce que veut dire) d'un visage, d'une oeuvre d'art, ou de tout autre signe en général dont on suppose, à tort ou à raison, qu'il est l'expression d'une quelconque volonté, le signe d'une quelconque personnalité. Voilà pourquoi demander le sens d'une étoile, d'une arbre ou d'un animal serait faire preuve de superstition. Ce serait considérer, comme le faisait Berkeley, que la nature est le langage d'une volonté cachée, celle de Dieu. Voilà pourquoi encore, poser la question du sens du mal n'est possible que dans une perspective où l'on admet la réalité d'un sujet libre, d'une volonté responsable qui en est la source.
N'est-ce pas pertinent?
Pour parler en termes vicomtaux, on tombe dans l'artéfact épistémologique: poser la question du sens de la vie serait donc faire la même supposition que Berkeley, celle d'une volonté cachée. On introduit inconsciemment dans la question sa réponse, ou du moins, un concept qui offre d'emblée un élément de réponse. "Qui a fait cela?" "Quelqu'un."
Raisonnement presque circulaire.
Je vous livre encore les quelques lignes qui suivent:
Luc Ferry a écrit :Seul l'humanisme s'avère ainsi capable de faire droit à la question du sens là où toutes les formes d'antihumanisme nous invitent à l'abolir au profit d'une reddition à l'être ou à la vie. Car le sens n'existe que dans une relation de personne à personne, que dans le lien qui unit deux volontés, qu'elles soient pensée ou non comme purement humains. Les cosmologies qui nous appellent à sublimer le moi, à nous élever au-dessus des illusions de la subjectivité afin de nous détacher de nous-mêmes et de nous préparer à la mort assignent ainsi pour seul et unique sens à la vie humaine... de faire en sorte que l'on se débarrasse à jamais de la problématique du sens.
Avec, bien sûr, une prose de philosophe. Je ne commenterai pas cette dernière partie.
Que pensez-vous de tout cela?
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(1) Comprendre transcendance (et l'antinomique immanence) au sens de Husserl, dans
L'idée de la phénoménologie. Pour prendre un exemple facile, lorsqu'on dit qu'on voit un cube, on ne voit en réalité que trois faces de celui-ci. Ce qui est immanent sont ces trois faces, non le cube comme tel qui, lui, est supposé transcendant. Il s'agit donc d'une transcendance peu spirituelle. On peut même "oxymorer" en parlant de "transcendance immanente".