"La salafisation des esprits est en marche"
Dans "La Mosaïque de l'islam", Suleiman Mourad s'inquiète : la vision fondamentaliste de l'islam est en train de devenir la norme.
Entretien.
Dans son livre "La Mosaïque de l'islam" (Institut d'études avancées de Nantes-Fayard, 2016), Souleiman Mourad, professeur d'histoire et de civilisation de l'islam au Smith College (Massachusetts), rappelle que l'islam n'est pas un, mais multiple.
Dans son livre "La Mosaïque de l'islam" (Institut d'études avancées de Nantes-Fayard, 2016), Souleiman Mourad, professeur d'histoire et de civilisation de l'islam au Smith College (Massachusetts), rappelle que l'islam n'est pas un, mais multiple. © Christophe Delory
Dans son livre La Mosaïque de l'islam (Institut d'études avancées de Nantes-Fayard, 2016), un modèle d'érudition, mais aussi de clarté, ce professeur d'histoire et de civilisation de l'islam au Smith College (Massachusetts) rappelle ce qui est aujourd'hui trop souvent oublié : l'islam n'est pas un, mais multiple. Pourtant, les musulmans comme les non-musulmans finissent par croire que le seul vrai, c'est l'islam littéraliste, celui des salafistes.
Le Point : Vous estimez que l'image que nous avons aujourd'hui de l'islam est biaisée. Pourquoi ?
Suleiman Mourad : Comme je l'explique dans mon livre, l'islam est une mosaïque où coexistent historiquement des courants et des pensées différents. Or nous vivons de plus en plus sous le régime de la pensée unique, celui d'un islam d'inspiration wahhabite ou salafiste dont la plupart des musulmans comme les non-musulmans finissent par penser qu'il est le seul véritable islam.
On assiste donc, selon vous, à une salafisation des esprits ?
Progressivement, oui : la salafisation des esprits est en marche. D'où, par exemple, la conviction aux États-Unis que le port du voile est obligatoire en islam, que c'est un signe religieux comme un autre, ce qui n'est pas entièrement vrai. Un autre exemple : la conviction que le soufisme, cette vision intériorisée de la foi musulmane, est une hérésie. Or c'est le wahhabisme et à sa suite le salafisme qui l'ont considéré comme tel, et l'ont condamné. Ces gens-là estiment que l'islam est supérieur et doit s'imposer aux autres religions, ce qui justifie leur intolérance, mais ils pensent aussi qu'eux seuls sont les bons musulmans, ce qui exclut non seulement les soufis ou les chiites, mais aussi les sunnites, jugés trop occidentalisés.
Mais comment expliquer ce succès ?
Les musulmans modérés ont eu tendance depuis la Première Guerre mondiale à ne plus s'intéresser vraiment à la religion, considérant qu'elle ne pouvait répondre aux problèmes économiques et sociaux que rencontraient leurs pays. Ils ont été tentés par des idéologies comme le socialisme, le panarabisme, etc. Ils ont donc abandonné le terrain religieux aux plus radicaux, qui étaient aussi les plus prosélytes.
N'existe-t-il aucun penseur musulman capable aujourd'hui de proposer une alternative au discours salafiste ?
Bien sûr que le discours réformateur existe, mais il est inaudible, voire menacé, par les islamistes, mais aussi par les musulmans modérés, gangrénés par la théorie du complot, qui considèrent ces penseurs comme des traîtres. On leur reproche de vouloir réformer une religion censée être parfaite, et de pactiser avec l'ennemi, l'Occident. L'islam est devenu la proie du politique. Et les réformateurs ont d'autant moins de poids que les Occidentaux les tiennent pour non représentatifs.