Depuis la chute du bloc soviétique, le rôle de l’Église orthodoxe dans la société russe ne cesse de grandir. La société russe actuelle fait largement confiance à l’Église orthodoxe qui joue un rôle majeur dans la propagande de « l’idée nationale », et est considérée comme une institution d’État.
Durant la période soviétique, le Parti communiste interdisait toutes les religions et l’Église orthodoxe a été l’objet des persécutions massives. Toute croyance et toute pratique religieuse étaient incompatibles avec l’appartenance au Parti communiste. Suite à l’effondrement de l’URSS, l’Église orthodoxe russe s’est renforcée et a repris sa place historique très rapidement.
3Malgré le fait que la Constitution de la Fédération de Russie, en vigueur depuis 1993, proclame que « la Russie est un État laïque et qu’aucune religion ne peut s’instaurer en qualité de religion d’État », l’Église orthodoxe, en réalité, occupe une place particulière dans la société russe et bénéficie de nombreux privilèges et avantages. La loi adoptée en 1996 a fait de l’orthodoxie, quasiment la religion officielle : elle peut recevoir des financements d’État et même participer aux activités diplomatiques du pays.
Des liens forts entre l’Église orthodoxe et le Kremlin
4Depuis son arrivée à la tête de l’Église orthodoxe russe, le patriarche de Moscou et de toute la Russie, Cyrille Ier, partage complètement la vision du monde de Vladimir Poutine ; il a même soutenu officiellement sa candidature aux élections présidentielles de 2012. Les deux hommes travaillent en binôme et imposent à toute la Russie, ainsi que hors de ses frontières, l’idéologie du Kremlin. Le patriarche Cyrille apparaît aux côtés du Président russe durant toutes les fêtes nationales et religieuses. Dans son discours en février 2013, à la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, Vladimir Poutine a dit : « L’Église orthodoxe russe a été auprès de son peuple tout au long de son histoire, elle a partagé ses joies et ses peines… Nous espérons continuer ce partenariat positif et polyvalent avec l’Église orthodoxe russe… Nous devons continuer notre coopération et notre travail commun afin de renforcer l’harmonie de notre société, avec des valeurs morales élevées ». La même année, le film Le Second baptême de la Russie, avec les entretiens du patriarche Cyrille et du Président russe, réalisé par le département communication de l’Église orthodoxe, a été diffusé par la chaîne publique.
5Le Kremlin utilise la légitimité symbolique de l’Église en poussant encore plus loin son idéologie du « Russkiy mir (monde russe) » qui est fondée sur l’idée de la civilisation, fortement dominée par Moscou, de l’espace socioculturel et supranational qui englobe non seulement la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine, mais qui doit aussi s’étendre au territoire de l’Eurasie [1]
Au sens géopolitique, l’Eurasie se réfère à une conception…. « Russkiy mir » s’appuie sur trois principaux piliers : l’orthodoxie, la culture et la langue russe, la mémoire historique et la vision communes de développement social ; il doit jouer le rôle de contrepoids à la civilisation occidentale « décadente ». Le Président russe et le patriarche Cyrille évoquent systématiquement cette idéologie dans tous leurs discours officiels. En 2007, par décret de Vladimir Poutine, la Fondation Russkiy mir a été créée, afin de promouvoir la culture et la langue russe, une information objective sur la Russie moderne et le soutien des médias russes à l’étranger, visant à atteindre les objectifs de la Fondation. Effectivement, depuis de nombreuses années, grâce à ces médias, le Kremlin alimentait l’idée nationale russe sur le territoire ukrainien et tout particulièrement en Crimée et dans l’Est du pays, en insistant sur l’idée que les habitants de ces régions appartiennent au « Russkiy mir ».
6Cette vision du monde est à la base de l’idéologie du projet eurasiatique. Des idéologues influents, proches de Poutine, comme Alexandre Douguine, alimentent en permanence l’idée de la grandeur russe en s’appuyant sur le courant idéologique, l’eurasisme [2]
L’eurasisme est une doctrine philosophique et géopolitique,…. Selon Douguine, « tout État de l’espace postsoviétique, s’il décide de s’opposer violemment à la Russie, ne pourra exister que sous forme tronquée… L’intégrité territoriale de tous les États postsoviétiques, sans exception, dépend en premier lieu de Moscou… Sans accord avec Moscou (pas forcément une soumission totale au Kremlin ou à Poutine), l’intégrité territoriale ne peut être garantie ». Et bien sûr pour Douguine, l’Église orthodoxe russe joue un rôle majeur dans ce monde eurasien.
Ainsi, les intérêts de l’État deviennent les intérêts de l’Église et vice-versa. En 2014, Vladimir Poutine a même prononcé ses vœux de fin d’année au peuple russe depuis la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, cette fameuse cathédrale, située à deux pas du Kremlin, qui est connue en outre par le procès de PussyRiot [3]
L’affaire Pussy Riot : les membres du groupe de punk-rock…, affaire qui a reflété une fois encore le resserrement des liens entre l’État et l’Église.