C'est vraiment tordu et trés paranoïaque dans votre tête
Le sermon du Bouddha sur la fin du monde
(1ère partie)
Invités : Michel Cassé et Michel Hulin
Introduction - Peut-on parler du début de l'univers, peut-on parler de fin de ce même univers. Ces questions préoccupent tout autant les religions que la science. Reste que la lecture de ces deux événements diffère selon les uns et les autres. Notamment pour la plupart des religions il est question d'une genèse du monde, d'un dieu créateur ou de mythe fondateur, des explications qui ne peuvent en rien satisfaire les scientifiques.
Les scientifiques parlent d'un big bang, les bouddhistes réfutent quant à eux la thèse d'un principe divin qui serait à l'origine de toutes choses. Ce sujet est complexe et nous avons donc choisi de lui consacrer deux émissions afin de tenter de poser des bases claires et accessibles à tous.
Professeur Hulin - Vous avez occupé la chaire de philosophie indienne et comparée à Paris-Sorbonne de 1981 à 1998, et vous êtes professeur émérite.
Michel Cassé - Vous êtes astrophysicien, vous travaillez au Commissariat à l'Energie Atomique à Saclay, vous êtes également chercheur à l'Institut d'Astrophysique de Paris et auteur de nombreux ouvrages et articles.
VB - Nous allons commencer par parler du début de la création du monde, de ce que l'on peut connaître du big bang. Cet événement est daté, à quand remonte t-il ? Que s'est t-il passé à ce moment là ?
Michel Cassé - Pour autant qu'on puisse dire, cet événement est l'acte inaugural de la cosmologie et on le date à 15 milliards d'années dans le passé. Il est daté de la manière suivante: on sait que l'univers est en extension et en inversant la flèche du temps, les galaxies, au lieu de s'écarter les unes des autres, se rapprochent jusqu'au moment où elles constituent un tout unique, et cet événement là s'appelle le big bang. On pourrait donc considérer que le big bang est le début de la création de l'univers. Je précise d'emblée que je ne parlerai pas d'origine du monde, mais du moment à partir duquel le monde devient compréhensible.
VB - Professeur Hulin, la cosmologie bouddhiste parle d'univers cyclique, de temps cyclique, comment est décrite cette origine du monde?
Prof.Hulin - L'origine du monde dans la perspective bouddhique et je pourrais dire indienne en général, brahmanique, n'est jamais qu'une origine relative, en ce sens que l'élément commun à toutes ces cosmologies c'est une structure de fluctuation où l'univers passe alternativement par des états de formation, de stabilité, de lente ou plus rapide destruction, des états d'involution. Cela fait, le cycle recommence.
VB - Avant que le cycle ne recommence, il est question de vide plein, de particules d'espace, comme disent certains bouddhistes. Ce sont des notions que l'on retrouve en astrophysique, Michel cassé nous le confirmera. Dans la cosmologie bouddhiste on parle d'abord de la fin du monde, de ce moment non manifesté de la matière.
Prof.Hulin - Effectivement, il y a quelque chose de tel dans tout un ensemble de représentations symboliques dont le centre est l'idée d'un grand océan primordial sombre, dans lequel on ne voit aucune différenciation mais qui contient virtuellement les germes de toutes les structures qui émergent par la suite. Dans le bouddhisme on rencontre effectivement des notions abstraites comme la shunyata (la vacuité), qui sont considérées comme la matrice de tous les phénomènes aussi bien matériels et extérieurs que psychologiques et internes.
VB - On reviendra la dessus car il y a des éléments qui vont se mettre en place, notamment les cinq éléments.
Michel Cassé - Il y a une chaîne physique de la genèse. Le 1er élément du monde, le 1er état du monde est ce vide fluctuant, je saisis au vol la notion de fluctuation… Quantique est synonyme de fluctuant et donc, on peut déjà faire un rapprochement entre ce que vous avez dit et la mécanique quantique. C'est une physique qui laisse advenir des phénomènes "non intentionnels", aléatoires, sous l'effet de fluctuations, de changements. L'émergence de l'univers pourrait n'être qu'une fluctuation quantique.
VB - Selon la cosmologie bouddhique, il y a cinq souffles qui vont donner les cinq éléments pour reconstruire l'univers. Cette espèce d'océan dans lequel on trouve un "barattage" de ces éléments, comment cela se passe t-il ?
Prof. Hulin - Le processus paraît être un processus de triage et une sélection des éléments et de prédominance de chacun d'eux en allant du plus "éthéré" au plus lourd. Au fond, les spéculations cosmologiques et cosmogoniques là où elles existent, ne sont jamais conduites pour elles-mêmes mais toujours en relation avec une certaine analyse de la condition humaine.
VB - Une réaction Michel Cassé ?
Michel Cassé - Je suis d'accord fondamentalement pour dire par exemple que l'astrophysique n'est pas une doctrine du salut… je peux le proclamer haut et fort. Mais elle n'est pas indépendante de l'humain pour la raison que cette matière là, la vôtre, la mienne, celle des étoiles, celle des galaxies, ou plus exactement la matière atomique, s'est dotée d'une pensée. Nous sommes la matière qui parle, et donc, parmi toutes les matières existantes on est appelé à faire une distinction entre plusieurs formes : comme la matière noire, on pourra y revenir, comme une matière encore plus éthérée, invisible, mais qui joue un rôle éminent dans la manière dont la matière va évoluer, qu'on peut appeler quintessence ou vide quantique. Toujours est-il que la physique et l'astrophysique se sont préoccupées d'expliquer la présence de l'humain.
Pour que ces atomes là existent, que les atomes des animaux existent, il a fallu que les étoiles existent, donc nous sommes en mesure de donner les conditions de possibilité de l'existence de l'humain… c'est à dire des générations et des générations d'étoiles qui se sont ouvertes comme des fleurs et qui ont essaimé des myriades d'atomes ailés qui se sont assemblés pour donner des molécules… et ces molécules se sont elles-mêmes organisées pour donner les graines de poussière, les cailloux, et donc il y a une histoire signifiante. Cette histoire n'aboutit pas nécessairement à l'humain mais la traverse… Cette cosmologie très exactement donne les conditions de possibilité de la vie, peut-être pas encore de la conscience, mais au moins de la vie, c'est à dire les éléments fondamentaux : carbone - azote - oxygène - néon - magnésium etc… Tous les éléments chimiques qui composent la nature ici bas. Et chacun se voit affecter une source, par exemple, l'or vient de telle étoile et il est faux de dire que le fer doit être associé à Mars, que le mercure vif argent doit être associé à la planète Mercure. Ce sont les étoiles qui sont nos mères, les étoiles sont nos mères cosmiques, plus exactement elles sont les mères de nos atomes. Il y donc une chaîne et ce que je remarque selon ce que vous avez dit, c'est que cette chaîne part du plus subtile au plus dense. Au début il y a une chaîne: vide - lumière - matière.
VB - On reviendra sur ce sujet dans la prochaine émission. Professeur, l'involution de l'univers, sa destruction, sa dissolution, symboliquement qu'est-ce que cela représente par rapport à la pensée bouddhiste ?
Prof.Hulin - Assez curieusement dans le bouddhisme, l'involution est présentée comme un moment de l'histoire générale des êtres, de leurs pensées, de leur état de sainteté ou de non sainteté. C'est le moment où dans l'univers les êtres ont connu ou pratiquent la loi du Bouddha. Il existe une sorte de hiérarchie des couches cosmiques : il y a des sortes d'enfers peuplés de démons, il y a le domaine des prétas, des animaux et ainsi de suite… Concrètement il y six mondes, (ces voies de renaissance) auquels correspond à chaque fois une couche d'univers déterminé. Ces mondes se résorbent successivement parce qu'ils n'ont plus de raison d'être, en quelque sorte les compteurs sont remis à zéro.
VB - Michel Cassé, en conclusion vous dites dans votre livre que "les sciences de l'univers contribuent à l'hmanisme, à l'éducation et à l'avènement technique de la société ?
Michel Cassé - La cosmologie n'est pas étrangère à l'humain. D'abord c'est une représentation de notre esprit, elle n'est pas détachée de nous, la nature c'est le couple que vous faites, que je fais avec le ciel, donc, en cosmologie la révolution c'est changer le ciel uniquement et il nous appartient de partager la beauté du ciel… Cette cosmologie n'est pas une science comme une autre, je ne la qualifierai pas de super science parce que les superlatifs ne sont pas de rigueur, je dirais qu'elle déborde largement le cadre habituel de la science et qu'elle envahit sans chercher querelle le territoire de la métaphysique, à certains endroits.
VB - C'est difficile de faire le lien entre la physique et l'astrophysique ?
Michel Cassé - C'est interdit, vraiment c'est interdit. Mais pour être astronome on n'en est pas moins homme n'est-ce pas, et donc une tendance naturelle de l'esprit est évidemment d'extrapoler. D'ailleurs cette science dont on parle extrapole elle-même puisqu'elle se rapproche du temps zéro qui est un instant dans un temps qui n'existe pas encore… Donc le temps zéro ne peut pas être abordé de manière purement rationnelle et pourtant nous en sommes à 10 moins 43 secondes, moins d'un cheveu !